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Ou l'histoire d'un grand Secret...

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Les Bergers d'Arcadie 2- Rennes-le-Château Archive

Les Bergers d'Arcadie               2/6
Guercino ET IN ARCADIA EGO

Rennes‑Le‑Château ou l'histoire d'un grand secret

 

 

   Lorsque l'on évoque les tableaux liés à Rennes‑le‑Château, la première œuvre qui vient à l'esprit s'intitule "Les Bergers d'Arcadie" de Nicolas Poussin. Or, il faut savoir qu'il existe non seulement deux versions du maître, mais aussi une multitude de déclinaisons arcadiennes réalisées postérieurement par des artistes peintres ou graveurs, plus ou moins connus et à différentes époques. Ainsi, le tableau culte de Poussin fut reproduit à Shugborough Hall en Angleterre, sur le mausolée du maître des Andelys à Rome dans l'église San Lorenzo in Lucina, un mémorial dressé par René de Chateaubriand. Cette constatation ne s'arrête pas là puisqu'il existe également un tableau arcadien remarquable de Guercino antérieur à Poussin.

 

   Fascinant à plus d'un titre, d'une intelligence exceptionnelle, conçu sur la base d'un support géométrique complexe et sacré, le tableau de Poussin possède plusieurs codages imbriqués et plusieurs niveaux de lecture. On sait aujourd'hui grâce à son histoire et le profil montagneux en arrière‑plan (représentation de trois sommets célèbres : le Cardou, la Pique Grosse et le sommet du Bézu) que la toile est directement liée au Secret des deux Rennes et à un secteur précis du Haut‑Razès, le Bézis...

 


 

"Les Bergers d'Arcadie" (Version II) par Nicolas Poussin
faussement daté entre 1638 et 1640, plus vraisemblablement peint entre 1650 et 1655

 

 

 

"ET IN ARCADIA EGO" un préalable à Poussin ?

Guercino dit "Le Guerchin"

 

   Dans l'affaire de Rennes, une toile est passée sous silence. Pourtant, elle représente la première peinture connue affichant explicitement la formule "ET IN ARCADIA EGO", vingt ans avant la première version des Bergers d'Arcadie de Nicolas Poussin.

 

   Le tableau est daté de l'année 1618 et il fut réalisé par Giovanni Francesco Barbieri (dit "Il Guercino, ou le Guerchain, car il louchait). Peintre italien né à Cento en 1591, il mourut à Bologne en 1666. L'œuvre est aujourd'hui exposée dans la Galeria Corsini à Rome.


"ET IN ARCADIA EGO" de Guercino dit "Le Guerchin" peint en 1618
Huile sur toile (78 cm x 89 cm) peinte en 1618
Galeria Corsini - Collection Colonna di Sciarra

    Lu au premier degré, le tableau "ET IN ARCADIA EGO" est considéré par les experts comme un memento mori qui signifie : "La mort nous menace toujours, même lorsque nous vivons dans le bonheur le plus parfait". Cette idée est notamment exprimée par les bergers peints par Le Gerchin qui affichent sur leur visage la conscience amère de leur inévitable mortalité.

 

Guercino dit "Le Guerchin"
   Né à Cento le et mort à Bologne le , Giovanni Francesco Barbieri est un peintre et dessinateur italien baroque de l'école de Ferrare, actif à Rome et à Bologne. Il doit son surnom : "Il Guercino" à l'existence d'un strabisme de naissance qui influença certainement son rendu pictural dans l'espace. Formé à l'école des Carrache, sa peinture s'inspire du caravagisme et du baroque.
   On rapproche souvent le Caravage au Guerchin pour son utilisation des contrastes de lumière, qui chez Caravage sont un moyen de mettre en évidence la plasticité des formes, alors que chez Le Guerchin la luminosité est une fin en soi, visant à obtenir des effets purement lumineux.

Guercino (le Guerchin)
(1591-1666)
   En 1618, Le Guerchin accompagne à Venise, sur la suggestion du Padre Mirandola, et muni d'une collection de ses dessins, un chanoine de Cento, un certain Pietro Martire Pederzani. Les dessins sont présentés au célèbre artiste Palma le Jeune afin qu'il puisse donner un avis sur les possibilités de ce jeune peintre plein de talent. Le peintre vénitien exprime alors son admiration en prononçant ces mots : « Ce débutant en sait beaucoup plus que moi » . Il l'accompagnera dans Venise pour lui montrer les peintures des meilleurs artistes et des grands maîtres vénitiens du XVIIe siècle.

   Curieusement, c'est cette même année qu'il peint "ET IN ARCADIA EGO", une oeuvre mature, pleine de symboles, et qui contraste fortement avec la jeunesse du peintre. En effet, il n'a alors que 27 ans et le Guerchin va vite obtenir une réputation de « Maître », prenant l'initiative un an plus tôt en 1617, de fonder une école de peinture à Cento.

   Le pape Grégoire XV qui est son protecteur à Bologne, l'appelle à Rome en 1621 avec l'intention de lui confier des commandes de grand prestige, comme la décoration de la Loggia delle Benedizioni dans la basilique Saint-Pierre, jamais réalisée en raison du décès du pape. Le Guerchin part donc pour Rome le , accompagné de son fidèle illustrateur et concitoyen Giovanni Battista Pasqualini. Il y peint, entre autres, la Marie-Madeleine de la pinacothèque du Vatican et L'Enterrement de Sainte Pétronille de la pinacothèque capitoline.  
D’une extrême habileté d'exécution, il finira par produire plus de 250 tableaux et sa renommée ira jusqu'en Angleterre. Dans ses œuvres, on admire la force des coloris, son talent de paysagiste et ses créations d'illusions d'optique. Le Guerchin est surtout un autodidacte, formé par l’étude des tableaux des Carrache et du Caravage et par son séjour à Venise.

Marie-Madeleine et les deux anges
par Guercino, 1622
Pinacothèque du Vatican à Rome

Marie-Madeleine devant un livre
par Guercino

Marie-Madeleine et la couronne d'épines
par Guercino

La Vierge à l'Enfant et Saint-Jean-Baptiste par Guercino - 1615


ET IN ARCADIA EGO - Un tableau rempli de symboles

   Le peintre bolonais met en scène la découverte d'un monument funéraire par deux bergers étonnés. Le tombeau est surmonté d'un crâne. Sur le côté, une formule latine est gravée : "ET IN ARCADIA EGO". Autour du crâne représentant la mort, des petits animaux participent à la scène arcadienne dont une abeille sauvage reconnaissable à son corps sombre et ses ailes effilées (et non une mouche comme on peut le  lire trop souvent).

 

   La présence très discrète de ces petits animaux ajoute incontestablement une profondeur dans le message allégorique qu'a voulu délivrer le maître. Complété par ces symboles, le memento mori n'est donc plus une simple pensée sur la mort inéluctable, mais un véritable message spirituel qu'il convient de décrypter.  

 
ET IN ARCADIA EGO de Guercino - Le crâne et des détails symboliques

   La notion d'un tombeau en Arcadie nous ramène à Virgile et à la Renaissance que le poète Sannazzaro décrit dans sa pastorale "Arcadie" publiée en 1502. Le poème raconte la présence d'une tombe sur laquelle des bergers viennent offrir des sacrifices, non loin du fleuve Alphée. Le mythe d'Arcadie, véritable paradis grec, est un thème qui enchante les poètes et les artistes à partir du XVIIe siècle. Officiellement, le thème représente la mort en Arcadie, appuyée par l'inscription "ET IN ARCADIA EGO" ... "Même en Arcadie, moi la Mort, j'existe..."

 

   La toile "ET IN ARCADIA EGO" de Guercino aurait été commissionnée par la famille florentine Barberini, l'une des plus importantes maisons protectrices des arts à Rome. D'ailleurs le cardinal Francesco Barberini lui avait déjà commandé une autre œuvre : "La mort de Germanicus". Quant à la formule "ET IN ARCADIA EGO", on suppose qu'elle fut inspirée par le prélat Giulio Rospigliosi, grand amateur protecteur des arts, et qui deviendra le pape Clément IX. Le Guerchin est le premier peintre connu à avoir illustré le thème arcadien noté ET IN ARCADIA EGO.  Nicolas Poussin a-t-il été influencé par Guercino, ou s'agit-il du secret mis en scène explicitement avant que le maître des Andelys ne le reprenne pour en faire son chef-d'oeuvre ?


L'abeille, symbole de la connaissance,
du pouvoir royal, de la Resurrection et du Christ

ET IN ARCADIA EGO de Guercino - L'abeille sauvage sur le crâne
Elle symbolise la Connaissance, la Résurrection et le Christ

 


L'abeille sauvage
   Le tableau dissimule de façon discrète plusieurs symboles représentés par des petits animaux qui côtoient le tombeau arcadien et le crâne.

   Depuis nos origines, l'abeille possède une très riche symbolique. Dans l'ancienne Égypte et en France, elle représente
le pouvoir royal et impérial.  300
abeilles d'or furent découvertes dans le tombeau de Childéric 1er en l'an 481 et Napoléon 1er prit l'abeille comme motif sur ses tapis et son manteau de sacre.

   Dans la religion grecque, elle matérialise l'âme et la Résurrection. Pour les Celtes, elle symbolise la sagesse et l'immortalité. Pour les Hébreux, elle symbolise la parole, l'éloquence, et l'intelligence. Son miel est le symbole de la connaissance, du savoir et de la sagesse. Enfin, pour son miel et son dard, l'abeille est aussi le symbole du Christ, douceur et miséricorde contre justice en tant que Christ juge. L'abeille fait aussi référence aux Mérovingiens qui utilisaient cet insecte pour représenter l'immortalité de l'âme.

 

La famille Barberini est-elle liée au tableau ?

    Il ne faut pas oublier que ce tableau fut probablement commissionné par la famille Barberini, une célèbre maison italienne florentine, originaire du bourg de Barberino en Toscane, et dont plusieurs membres ont joué un rôle important au XVIIe siècle. La famille fut agrégée à la noblesse vénitienne en 1623 dans la personne de Don Carlo Barberin, préfet de Rome, frère du pape Urbain VIII, et dont les descendants jouissent du titre de Princes de Palestrina et de Grand d'Espagne.
   Pendant plus de 20 ans, les Barberini régnèrent sur Rome et les hautes fonctions furent attribuées par un élu qui devint le pape Urbain VIII. Selon le principe du népotisme (qui vient de nipote = neveu en italien) il nomma ses proches aux plus hautes responsabilités. Deux de ses neveux seront cardinaux, un troisième sera préfet de Rome, quant à son frère il sera lui aussi cardinal. Durant cette période, les Barberini s’enrichirent énormément, faisant concurrence avec les grandes familles romaines, ce qui amènera, à la mort d’Urbain VIII, à des conflits après des années de jalousie et à l’exode des Barberini en France.

   L’abeille a été pour la famille Barberini, un symbole très important. Les armoiries sont composées de trois abeilles sur fond bleu. Plus tard, le blason du Pape Urbain VIII et les célèbres clés du Vatican viendront s'y ajouter. L'abeille a été choisie par la famille pour son association à l’ingéniosité, au dévouement et au travail, mais il est clair qu'elle est aussi le signe de pouvoir. Enfin, son miel est le symbole de la douceur, de la parole divine et du message chrétien.

   L'abeille sur le crâne serait-elle la signature des Barberini laissée volontairement par Guercino ? Nous allons voir que les symboliques développées dans ce tableau dépassent de loin la simple présence des Barberini.

Les trois abeilles
Détail d'un plafond du palais Barberini

À droite, les armoiries aux trois abeilles de la famille Barberini et les symboles du Vatican et du pape, la tiare et les clés

 

Les Barberini, mécènes et protecteurs des arts

   Le Pape Urbain VIII est connu pour avoir soutenu le développement artistique de Rome. Il fit notamment travailler Bernini dans le cadre de la contre-réforme catholique et marqua par l’architecture et les arts la reconquête de l’Église sur les hérétiques. D'autre part, la famille Barberini ne se gênera pas pour piller les restes de l’Antiquité comme le Panthéon romain d'où la formule célèbre : « Quod non fecerunt barbari, fecerunt Barberini » (Ce que n’ont pas fait les barbares, les Barberini l’ont fait) illustrant l’orgueil de la famille. 

    Important mécène, il soutient des artistes. Il encouragea également les peintres Nicolas Poussin et Claude Lorrain à qui il commanda entre autres, en 1637, deux pendants conservés dans la collection Northumberland. C'est lui aussi qui nomme en 1635 Athanasius Kircher au Collège romain.   

   Parmi les multiples œuvres que l’on doit aux Barberini, on peut citer l’église Sant Ivo alla Sapienza de Francesco Borromini et la fontaine des abeilles sur la piazza Barberini qui sont des commandes du Pape Urbain VIII.

   L'illustre famille va aussi investir à Rome et assurer la pérennité de la lignée après une ascension fulgurante. Les Barberini rachèteront des terrains et des bâtiments. Ils construiront des vignes sur le Palatin au beau milieu des ruines et ils acquerront un palais aux Sforzala, une commande du pape Urbain VIII qui avait acheté le terrain en 1625. L'ancien palais sera remplacé par le célèbre Palais Barberini visible aujourd'hui, un chef-d’œuvre de l’architecture de la Renaissance.

Ci-contre, le pape Urbain VIII
par Piedro da Cortona

      Urbain VIII, de son vrai nom Maffeo Barberini, fut pape de 1623 à 1644. Il était originaire de Florence et fut un mécène des arts et des lettres. Il est connu pour avoir condamné Galilée en 1633 et le jansénisme en 1642. Il fut le dernier pape à étendre les États pontificaux par la force.

    Le palais  illustre la gloire passée de la famille et abrite la Galerie Nationale d’Art Ancien où l’on peut admirer le sublime plafond peint par Pierre de Crotone appelé La Gloire des Barberini. C'est dans ce palais qu'est conservé le tableau de Guercino "ET IN ARCADIA EGO"....


Le palais Barberini à Rome, lieu où Christine de Suède fut accueillie

 

    Le palais fut ensuite confisqué par le pape Innocent X à la mort d'Urbain VIII, puis rendu aux Barberini en 1653. Et en 1656, des fêtes y furent organisées en l'honneur de la visite de la reine Christine de Suède. Il servit au XVIIIe siècle de modèle d’inspiration pour le Palais Barberini de Potsdam, en Allemagne. Le palais fut acquis par l'État italien en 1949.


Accueil festif de la reine de Suède au palais Barberini à Rome en 1656

 

La chenille, symbole de la Résurrection
et la souris, symbole du monde souterrain

La chenille symbolise l'âme humaine
appelée à renaître

La souris symbolise le temps qui passe
et qui dévore toute chose
   En grignotant le crâne, la souris symbolise le temps qui passe inexorablement et qui dévore toute chose. Elle est aussi symbole de fertilité et de connexion avec la terre et le monde souterrain. Dans certains contes, la souris sort de la bouche du mort emportant l'âme du défunt hors de son corps. En le laissant derrière lui, elle emporte la partie spirituelle vers l'autre monde.

   La chenille est un symbole repris dans toutes les traditions spirituelles.
La métamorphose de la chenille en papillon représente l'âme humaine appelée à renaître des épreuves et à s'éveiller vers la sagesse. Elle porte l'idée de la transformation du cocon vers la lumière, d'un nouveau départ allant d'une motricité lente et difficile sur terre vers un envol léger dans les airs. La chenille symbolise la Résurrection.

 

La salamandre, symbole du feu
La salamandre noire,
à la peau luisante et visqueuse,
ressemblant à un dragon sans aile
   À peine visible dans le coin bas, à droite du tableau, un petit animal est accroché sur la paroi du tombeau. Il s'agit d'une salamandre facilement identifiable par sa queue large et sa patte arrière amphibienne ainsi que son corps trapu et discontinu avec sa queue.
  
   La salamandre est un petit amphibien inoffensif de l'ordre des urodèles comme le triton, à la peau noire souvent tachée de jaune. Elle apprécie l'humidité et les zones boisées. Sa surface humide est si froide au toucher que cette particularité fit naître l'idée qu'elle avait la possibilité de maîtriser et d'éteindre le feu. Les anciens croyaient que la salamandre avait le pouvoir de survivre aux flammes et d'y vivre sans être consumée. C'est pourquoi la salamandre est symboliquement associée au feu. Sa peau écailleuse et son aspect de petit dragon sans aile a certainement aussi contribué à cette croyance. C'est ainsi qu'on la retrouve sous sa forme héraldique, entourée de flammes et crachant du feu.
   Instruit par Léonard de Vinci, François Ier adopta comme insigne la salamandre avec la légende : « Nutrisco et extingo » (Nourrir et éteindre).


   En alchimie, la salamandre est associée à la pierre philosophale, et au Moyen-âge, elle est la gardienne de la foi au milieu des vicissitudes du monde mortel.

  
« Ce lézard fabuleux ne désigne pas autre chose que le sel central, incombustible et fixe, qui garde sa nature jusque dans les cendres des métaux calcinés, et que les Anciens ont nommé Semence métallique ».
        (Fulcanelli, "Le mystère des cathédrales")

 


Symbole de François Ier
Château de Blois

Salamandre dorée du pont Alexandre III
à Paris

Les deux salamandres sur le bénitier dans l'église de Rennes-le-Château

symbolisant le feu

 

    La salamandre est un symbole présent dans de nombreuses œuvres d'art, y compris dans la peinture du XVIIe siècle. Cet amphibien souvent associé au feu et à la capacité de résister aux flammes était un symbole de pouvoir, de résilience et de force. Dans la peinture du XVIIe siècle, la salamandre apparaît souvent dans les œuvres allégoriques et mythologiques. Par exemple, dans la peinture baroque, la salamandre est parfois représentée aux côtés de personnages mythologiques tels que Vulcain, le dieu romain du feu.

   Un exemple célèbre est le tableau "Vulcain forgeant les armes d'Achille" de Diego Velázquez, peint en 1630. Dans cette œuvre, une salamandre est représentée près de l'enclume de Vulcain, symbolisant la résistance au feu. Un autre exemple est "L'Allégorie du Feu" de Giovanni Battista Tiepolo, où une salamandre est représentée au milieu des flammes, symbolisant à la fois le feu lui-même et la capacité à y résister.

 

Le chardonneret, symbole de la Couronne d'épines

Le chardonneret sur sa branche
détail "ET IN ARCADIA EGO"

Le chardonneret se cache dans l'ombre
et crée une illusion
    Il se confond avec le paysage, mais il est bien présent. Posé sur une branche, un chardonneret observe la scène arcadienne qui se déroule en bas. Or, on voit ici le talent du maître qui s'amuse avec les effets d'optique. Les contrastes colorés de l'oiseau et les ombres permettent à Guercino d'évoquer un autre crâne vu de face.
Le chardonneret élégant
   Les deux taches sombres de l'oiseau, le sommet de sa tête et le haut de son aile suggèrent deux orbites, alors que les pattes sous son corps se confondent avec les dents. Et pour accentuer l'effet visuel, une masse brun clair derrière l'animal fait office de sommet du crâne. Cette illusion qui ajoute un second crâne renforce inconsciemment pour l'observateur l'idée de la mort.

   Le chardonneret est un passerau de la famille des fringillidés, partiellement migratrice, petite et très colorée. Il vit dans les vergers, les parcs, les jardins et autres lieux cultivés. En automne et en hiver, il recherche les graines de chardons et d'aulnes.

   Sur le plan symbolique, le chardonneret annonce généralement le sacrifice à venir du Christ lors de la Passion : le chardon épineux (carduus acanthoides) dont il se nourrit, et qui se lit dans son nom en latin (Acanthis carduelis) évoque en effet la Couronne d'épines, alors que les taches rouges de sa tête renvoient au sang versé. Cet élément symbolique est très important puisqu'il relie la scène arcadienne à la Couronne d'épines christique et donc au Christ.
 Pas moins de 486 œuvres de dévotion de 254 artistes différents, dont 214 Italiens, sont connues pour avoir repris le symbole du chardonneret, mais ce symbole se retrouve aussi dans les sculptures.

La plus célèbre peinture est certainement
"La Vierge au chardonneret" de Raphaël où les deux Enfants tiennent un chardonneret élégant dans leurs mains, reconnaissable à ses joues et au sommet de son crâne rouge écarlate. Jésus à droite verse son sang sur le chardonneret.

La Vierge au chardonneret de Raphaël 1506
(Florence, Musée des Offices)

Les deux Enfants et le chardonneret, symbole de la passion du Christ
et de la Couronne d'épines. Jésus à droite verse son sang sur le chardonneret.

La Vierge aux Enfants et le chardonneret
Lorenzo di Credi 16e siècle
(Kaluga Art Museum)

La Madonne à l'Enfant et le chardonneret
Giambattista Tepolo 1767
(National Gallery of Art Washington)

Allons plus loin...
    Pour aller plus loin dans le décryptage du tableau, il faut prendre en compte tous les éléments. La présence d'une flaque d'eau près du crâne suggère une allégorie, celle d'un bénitier.
Une flaque d'eau près du crâne
est un élément de plus très symbolique

   La première lecture que l'on peut faire est donc alchimique puisque tous les symboles clés sont réunis. En effet, nous sommes en présence des quatre éléments platoniciens : "terre" (la souris), "feu" (la salamandre), "eau" (l'eau près du crâne) et "air" (le chardonneret). Cette symbolique se retrouve aussi sur le bénitier dans l'église de Renne-le-Château.

 

    La liste symbolique du "ET IN ARCADIA EGO" est longue, mais la lecture est cohérente et à plusieurs degrés. En résumé, nous avons le monde souterrain avec la souris, la Résurrection avec la chenille, la connaissance christique avec l'abeille et la Couronne d'épines avec le chardonneret. Guercino a délibérément et discrètement voulu associer le monument funéraire découvert par les bergers, au Christ. De plus, en mettant dos à dos les concepts de Résurrection et de mort inéluctable, le maître transcende son oeuvre en faisant vivre l'arbre des générations et suggère une descendance christique...

 

   Ce dernier point est fondamental puisque si le chardonneret est un symbole relativement classique dans l'imagerie chrétienne au XVIIe siècle, son association avec la formule ET IN ARCADIA EGO est unique et précise le message occulte, suggérant qu'un lien existe entre le tombeau des bergers et la Couronne d'épines, et donc entre "ET IN ARCADIA EGO" et le Christ.

 

   Ce concept peut donc être prolongé avec Poussin. La présence des bergers, d'un crâne, d'un tombeau et la formule "ET IN ARCADIA EGO" préfigure le thème arcadien qui sera repris par Nicolas Poussin dans "Les Bergers d'Arcadie" versions I et II ...

 

   Le tableau a-t-il été inspiré par le pape Rospligliossi comme l'affirment des historiens de l'art ? Aucune preuve n'existe allant dans ce sens, mais il est clair que ce tableau précurseur des Bergers d'Arcadie se révèle être une oeuvre géniale qu'il est difficile d'attribuer entièrement à Guercino dans une période où il commençait tout juste sa carrière. Si la maîtrise artistique est bien présente, la force allégorique reste surprenante pour un jeune peintre. Giovanni Francesco Barbieri (dit "Il Guercino) croisa certainement un érudit et un initié, c'est évident...

 

   D'autre part, n'oublions pas que le tableau fut peint en 1618, une année très particulière pour les artistes et les ésotéristes puisqu'il s'agit du Nombre d'Or. S'il fallait créer une oeuvre occulte liée aux deux Rennes, l'année 1618 s'y prêtait parfaitement, laissant ainsi à la postérité un indice pérenne.

 

    Enfin, on ne peut ignorer les liens entre le tableau et Christine de Suède, un lien historique ayant comme trait d'union la famille Barberini et le pape Urbain VIII. Rappelons que la reine Christine eut, contre son gré, l'immense privilège de reposer dans la crypte des papes. Elle hérita, semble‑t‑il, d'une reconnaissance toute particulière de l'autorité vaticane et des papes... Un indice : La reine Christine créa l'Académie Clémentine qui deviendra à sa mort et en son hommage, l'Académie d'Arcadie (l'AA).

 

    Pour ajouter au mystère de ce tableau allégorique, il faut jeter un oeil sur la partie gauche de la peinture, sous les bergers. La toile semble avoir été repeinte et retouchée. Pour l'avoir examinée de près, les siècles ont, semble-t-il, fait remonter à la surface des huiles et des pigments que des repeints n'ont pas réussi à faire disparaître. Des contrastes étranges apparaissent malgré des couches de peinture visiblement mal étalées comme si un autre dessin revenait à la surface malgré son enfouissement. Cette zone picturale a-t-elle subie des modifications ? C'est fort probable. Certains symboles étaient-ils trop évocateurs ? N'oublions pas que les Bergers d'Arcadie de Poussin ont subi aussi des modifications et des repeints.  

 


Malgré des couches de peinture et des repeints, des contrastes et des pigments
apparaissent, faisant apparaître des formes qui ne s'expliquent pas dans la scène

 

Curiosité annonciatrice...

 

   Tout comme Nicolas Poussin qui élabora deux oeuvres arcadiennes, il semble que Guercino suivit le même procédé. Une autre œuvre du Guerchin est étonnante puisque l'on retrouve nos deux bergers exactement dans la même position, mais peint d'une manière plus discrète. La scène représente Apollon écorchant Marsyas. Ce mythe est celui des conquêtes helléniques par Apollon de la Phrygie et de l'Arcadie (Marsyas) et qui auraient remplacé les instruments à vent symbolisé par Marsyas, par des instruments à cordes symbolisés par Apollon.


Apollon écorchant Marsyas par le Guerchin (1618)
On retrouve les deux bergers ET IN ARCADIA EGO à gauche

    Le satyre phrygien Marsyas qui a trouvé la flûte de Minerve, apprends à en jouer à un niveau de perfection qui l'amène à défier le dieu grec Apollon. Il est vaincu, comme quiconque pèche par orgueil, et est condamné par le dieu à être écorché vif. Apollon se vengea de Marsyas de la plus cruelle façon : il l'attacha à un pin et l'écorcha, puis cloua sa peau près de la grotte. Les larmes de ses amis, Nymphes et Satyres, venus pour le pleurer formèrent le fleuve Marsyas.
Esquisse où l'on devine les deux bergers
   Le satyre est une créature de la mythologie grecque. Les satyres, associés aux féminines Ménades, forment le « cortège dionysiaque », qui accompagne le dieu Dionysos. Ils peuvent aussi s'associer au dieu Pan et accompagner les nymphes, créatures féminines de la mythologie grecque antique.

   Les thèmes des Bergers d'Arcadie "ET IN ARCADIA EGO" et d'Apollon écorchant Marsyas sont-ils si différents ? Bien que les deux sujets semblent éloignés, des liens mythologiques existent. Par exemple, dans le tableau "Le Jugement de Midas" de Nicolas Poussin (1650-1652), Apollon et Marsyas sont représentés dans un paysage arcadien, où le concours de musique a lieu devant un public de bergers et de nymphes.

   L'Arcadie et le dieu Pan sont deux éléments étroitement liés dans la mythologie grecque et dans l'art. L'Arcadie est une région montagneuse de la Grèce antique, souvent associée à un paysage idyllique et pastoral. L'Arcadie était considérée comme le lieu de naissance et de résidence du dieu Pan, qui était le dieu des bergers, des troupeaux et de la nature sauvage. Le dieu Pan était souvent représenté dans l'art grec et romain comme un homme avec des jambes de bouc, des cornes et une barbe, jouant de la flûte de Pan ou de la syrinx. Il était associé à la musique, à la danse et à la sexualité, ainsi qu'à la nature sauvage et aux bergers.
   De même , dans la peinture, l'Arcadie et le dieu Pan sont souvent associés à un paysage idyllique et pastoral où les bergers et les nymphes vivent en harmonie avec la nature. Les peintres de la Renaissance et du baroque ont souvent représenté des scènes pastorales avec des bergers jouant de la musique, dansant et adorant le dieu Pan, dans un paysage arcadien. Un exemple célèbre est le tableau "L'Adoration des bergers" de Nicolas Poussin (1633-1634), où les bergers adorent l'Enfant Jésus dans un paysage arcadien, avec le dieu Pan jouant de la flûte à gauche de la scène. Un autre exemple est "Le Triomphe de Pan" de Nicolas Poussin (1636), où le dieu Pan est représenté comme le roi des bergers et des troupeaux, entouré de nymphes et de satyres dans un paysage arcadien.

   En peignant dans la même année 1618 "Apollon écorchant Marsyas" avec deux bergers, Guercino annonçait l'arrivée d'un tableau arcadien important et symbolique : "ET IN ARCADIA EGO". Et il faut dorénavant que les experts expliquent pourquoi un chardonneret, symbole de la Couronne d'épines, se retrouve au dessus du tombeau arcadien. Nicolas Poussin prendra le relais 20 ans plus tard, et il faudra attendre plus de trois siècles pour qu'enfin un coin du voile soit levé avec l'énigme des deux Rennes...

 

 

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