Ou l'histoire d'un grand Secret...

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Les Bergers d'Arcadie, étude 1 - Rennes-le-Château Archive

Les Bergers d'Arcadie               4/5

Sous la lumière...

Rennes‑Le‑Château ou l'histoire d'un grand secret

 

 

   Lorsque l'on évoque les tableaux liés à Rennes‑le‑Château, la première œuvre qui vient à l'esprit s'intitule "Les Bergers d'Arcadie" de Nicolas Poussin. Or, il faut savoir qu'il existe non seulement deux versions du maître, mais aussi que le thème des Bergers arcadiens inspira de nombreux artistes qui déclinèrent le chef‑d'œuvre sous différentes variantes et à différentes époques. Ainsi, le tableau culte de Poussin fut reproduit à Shugborough Hall en Angleterre, ou sur la stèle du maître des Andelys à Rome, un mémorial dressé par René de Chateaubriand.

 

   Fascinant à plus d'un titre, d'une intelligence rare, conçu sur la base d'un support géométrique complexe et sacré, le tableau possède plusieurs codages imbriqués. On sait aujourd'hui grâce à son histoire et par le profil montagneux en arrière‑plan que la toile est directement liée au Secret des deux Rennes et à un secteur précis du Haut‑Razès...

 


 

"Les Bergers d'Arcadie" (Version II) par Nicolas Poussin
faussement daté entre 1638 et 1640, plus vraisemblablement peint vers 1655

 

 

 

   Que n'a-t-on pas écrit, analysé ou décodé sur les Bergers d'Arcadie II de Nicolas Poussin ? On ne compte plus les chercheurs du monde entier qui se passionnèrent pour ce tableau. Nettement moins connue du public que la Joconde de Vinci, la toile renferme pourtant des merveilles insoupçonnées.

 

   Ses degrés de lecture et d'interprétation sont multiples. Son histoire est hors norme. Mieux encore, le tableau cache une géométrie sacrée et une topographie inégalée ouvrant vers le Secret des deux Rennes. Ce tableau est l'héritage que nous a transmis Nicolas Poussin...


Les Bergers d'Arcadie de Nicolas Poussin dans un pentacle
Essai de géométrie d'après Henry Lincoln
(couverture  Le Temple retrouvé ‑ édition Pygmalion)

 

   Mon naturel me contraint à chercher et aimer les choses bien ordonnées, fuyant la confusion qui m'est contraire et ennemie comme est la lumière des obscures ténèbres...

 

Correspondances de Nicolas Poussin

     On ne compte plus les études, les écrits, les analyses et les hypothèses élaborés à propos des Bergers d'Arcadie de Nicolas Poussin. Chaque auteur, chaque chercheur y voit une interprétation et un décryptage différent. Tout y passe, de la position des personnages à la forme des ombres, de l'allégorie mythologique à la géométrie sacrée, en passant par l'alchimie ou les sciences occultes. De même, les déductions visuelles ne trouvent aucune limite : certains croient voir une forme improbable sur un rocher, d'autres une gourde dissimulée dans les replis d'un vêtement. L'analyse d'une image numérisée offre parfois des surprises qu'il faut impérativement vérifier sur la peinture originale. Un exemple est celui de cette petite pyramide qui fit l'objet d'un article très officiel publié par un spécialiste américain. La petite pyramide n'était en fait qu'un malheureux coup de pinceau comme j'ai pu le constater en allant observer de très près l'œuvre originale exposée au Louvre.

 

   Pourquoi une telle frénésie ? Simplement par ce que ce tableau est une énigme à lui seul et qu'il renferme des propriétés incroyables. Sans doute aussi parce que, nous en sommes sûr aujourd'hui, la toile détient plusieurs clés liées à l'énigme de Rennes‑le‑Château. Nous avons aujourd'hui la preuve en image que le fond montagneux est celui du Haut‑Razès.

 

   La difficulté est donc de trouver une cohérence dans les différentes lectures. Mais surtout, le premier problème que le chercheur doit surmonter est celui de travailler sur des bases objectives et correctes. Les copies transformées, colorisées, ou déformées par la numérisation ne manquent pas et il faut avoir constamment en tête les mesures exactes avant de procéder à une quelconque étude. Il faut aussi prendre en compte non seulement l'histoire du tableau, mais également sa restauration et ses repeints. Il faut enfin savoir que certains travaux parus depuis plusieurs années se sont construits sur une méconnaissance totale des contraintes liées à la peinture et des manipulations qui furent introduites sur la toile au siècle dernier...


Exemple d'étude montrant jusqu'où il ne faut pas aller...

 

   Beaucoup de questions restent encore sans réponse. D'ailleurs, le domaine d'investigation n'est pas limité aux Bergers d'Arcadie (version II) puisque Nicolas Poussin avait composé une réelle série des Bergers allant du Roi Midas à la source du Pactole jusqu'au paisible tombeau arcadien...

 

   Avant d'aborder les constatations et les analyses concernant la restauration du tableau, il est intéressant d'observer quelques radiographies officielles. Elles sont à mettre en parallèle avec ce qui suit...

 

Je tiens bien sûr à remercier Patrick Merle pour son excellente analyse
et sa riche contribution...

 

Patrick Merle est spécialiste dans la restauration des peintures avec 30 années d'expérience professionnelle et finaliste de la XVIIe Exposition Nationale du travail (Paris 1986) section Rentoileur

 

Les Bergers d'Arcadie sous la lumière

   Comme pour d'autres tableau d'exception, les Bergers de Poussin eurent aussi droit à leurs photos médicales. Ces quelques clichés étonnants sont peu connus du public, mais ils sont classiques pour les experts. Ils montrent les Bergers d'Arcadie selon des analyses photographiques différentes : par Infra Rouge, en lumières rasantes, ou par radiographie.


Radiographie qui montre au delà de l'Infra Rouge, en particulier la marque de la
collection royale (en bas à gauche), certainement peinte au pochoir sur le dos, et donc non
visible avec le rentoilage, et le bâton peint avant le tombeau (Photo P. Merle)

 


Photo Infra Rouge montrant les sous‑couches de la peinture, et donc sous
certains repeints ; remarquez le tronc en haut, le paysage et le ciel à droite,
l'ombre du bras sur le tombeau...
 (Photo P. Merle)

 


Photo noir et blanc prise en lumière rasante
On voit nettement les bandes de toile ajoutées en haut et en bas...
(Photo P. Merle)

 


Photo sous fluorescence UV datant de 1960 et qui montre en sombre les repeints récents
posés sur le vernis ancien, qui renvoie la fluorescence
(Photo P. Merle)

 


Photo sous fluorescence UV datant de 1993 qui montre en sombre les repeints récents
posés sur le vernis ancien qui renvoie la fluorescence.
On peut ainsi bien voir la nouvelle restauration
(Photo P. Merle)

 

   La photo sous fluorescence UV de 1993 montre les repeints très récents qui servent à corriger les repeints plus anciens qui ont viré, ce qui posait problème puisqu'ils devaient rester visibles. Observez sur la droite la bande noire qui illustre cette opération, ainsi que la bande horizontale en haut nettement marquée.

 

   Il faut aussi noter que par rapport à la photo de 1960 il y a eu des allègements de verni à certains endroits et pas à d'autres.

 

   Nous allons aussi voir ci‑dessous que la version des Bergers du Louvre comporte sous son cadre deux bandes horizontales masquées en haut et en bas alors qu'une bande verticale à droite est restée visible.

 

Les Bergers d'Arcadie, un tableau défiguré...

Par Patrick Merle, restaurateur d'art

Quelques notions de restauration

 

   Avant de s'occuper de la remise en état esthétique, l'objectif étant de remettre la peinture dans un état aussi proche que possible de ce qu'avait réalisé l'artiste, il faut vérifier la solidité structurelle du tableau et sur ce point il est possible d'intervenir de diverses façons.

 

La consolidation matérielle ‑ L'encollage

 

   Un tableau est constitué d'un support toile ou bois (je n'aborderai pas les problèmes du bois qui sont très spécifiques), d'un encollage, d'un enduit, d'une couche picturale et d'un vernis. Avec le temps, tous les supports bougent : le bois dans un sens en travers des fibres, la toile dans les deux sens à cause des échanges hygrométriques. Pendant ce temps, l'ensemble enduit peinture perd sa souplesse et devient cassant. Quand celui‑ci ne peut plus suivre les mouvements du support, il se faïence en formant des écailles souvent en "cuvettes" si la toile se rétracte.

 

   Le jour où l'encollage ne joue plus son rôle, l'écaille tombe. C'est l'enduit qui lâche, et il entraîne la peinture qui est fixée dessus. Dans ce cas, l'opération de base consiste à faire passer de l'adhésif à travers la trame de la toile pour reconstituer l'encollage et remettre à plat les écailles par pression.


1‑ châssis, 2‑ toile,
3‑ encollage, 4‑ enduit,

5‑ couche picturale, 6‑ vernis


Exemple de châssis en bois à clés
et toile de lin de rentoilage

 

La consolidation matérielle

Le rentoilage 

 

   S'il y a des trous, des déchirures, des bords de tension affaiblis, ou une mauvaise résistance mécanique de la toile, on pratique alors un rentoilage qui est l'opération classique de consolidation générale.

 

   On utilise pour cela un bâti (sorte de châssis très solide, sans traverses, plus grand que le tableau à restaurer) sur lequel on monte une toile neuve que l'on traite pour casser sa nervosité.
 

   La préparation du tableau consiste alors à coller sur la peinture un cartonnage de protection, puis à refixer les fonds par encollage. Enfin, s'il y a des déchirures on colle une tarlatane de rigidification (sorte de gaze aux dimensions stables). Cet ensemble est enfin collé sur la toile neuve tendue sur son bâti.


Un exemple de rentoilage sur bâti
d'un tableau complètement déchiré

 

   Après mise à plat par pression et séchage, la toile neuve est coupée avec une marge pour la tension, et il ne reste plus qu'à monter le tout sur le châssis normal du tableau qui doit être solide et à clés (coins de bois qui permettent de régler la tension).

 

   Cette marge peut être plus grande que nécessaire. Si on veut agrandir le tableau, il suffit de couper une ou plusieurs bandes sur une vieille croûte dont la toile est plus ou moins similaire, puis de les coller sur la toile neuve en prolongement de celle d'origine au moment du rentoilage. De ce fait, on aura compensé l'épaisseur, et l'état de surface ressemblera beaucoup à celui de la peinture d'origine. Il ne restera plus qu'à monter l'ensemble sur un nouveau châssis, adapté aux nouvelles dimensions, et à passer à la phase esthétique. C'est à ce stade que les vraies difficultés commencent...

 

   Cette description correspond au rentoilage classique français à la colle de farine. Dans les pays nordiques (Hollande, Angleterre, ...), celle‑ci étant trop sensible à l'humidité, c'est un mélange cire résine qui est utilisé depuis longtemps. Aujourd'hui, on utilise des résines synthétiques éventuellement misent en œuvre avec une table chauffante sous vide.

 

   Pour mémoire il est possible, si la résistance mécanique de la toile le permet, d'éviter le rentoilage en posant des bandes de tension sur la périphérie pour un remontage solide ; et si les trous et déchirures sont petits et peu nombreux, en posant des pièces. Il s'agit là d'un pis‑aller économique, mais qui a l'avantage de conserver le tableau dans un état au plus proche de l'origine. L'agrandissement est dans ce cas impossible.

 

   Il existe aussi une technique radicale qu'on appelle transposition. Après la pose d'un cartonnage très solide sur la peinture, on supprime le support toile ou bois. On ne conserve alors que la couche picturale et l'enduit sur lequel elle est fixée. On reprend l'enduit, on colle dessus une double tarlatane qui remplacent le support d'origine (un bois peut se transformer en toile), et enfin on rentoile l'ensemble. Un agrandissement est là tout à fait possible. Cette technique que l'on pensait définitive s'est avérée avec le temps ne pas l'être. Elle ne se pratique plus aujourd'hui excepté dans des cas très particuliers.

 

"Les Bergers d'Arcadie" du  Louvre a été rentoilé...

 

   Pour comprendre les conclusions qui vont suivre, il faut au préalable comparer le tableau original avec son cadre, puis le même tableau sans son cadre. Pour cela, il existe fort heureusement une photo d'archive sans cadre prise par le Louvre lors d'une séance de nettoyage. C'est grâce à cette image déposée furtivement sur le Web que de nombreuses constations purent être tirées.

 

   La comparaison est édifiante, et le plus visible est cette bande horizontale noire en haut. Le cadre d'origine cache en effet dans sa feuillure une importante partie du dessin qui a noirci avec le temps. La première réaction est de se demander pourquoi une partie du tableau a été occultée... En fait cette bande n'est pas d'origine...


Les Bergers d'Arcadie II de Nicolas Poussin dans son cadre ‑ Musée du Louvre
Date officielle 1639 ‑ 1640 ‑ date beaucoup plus probable 1655

 


Les Bergers d'Arcadie II sans son cadre ‑ Photo d'archive du Louvre
La marge de 7cm en haut et qui a noirci est nettement visible

 

(Nous verrons que cette bande haute a été ajoutée et sert à modifier les dimensions
d'origine du tableau afin de casser la composition de l'œuvre)

 

   On ne peut exclure une transposition et seul le musée du Louvre saurait dire ce qu'il en est réellement. Un autre constat est important à retenir : la toile a été renforcée par un rentoilage provoquant son agrandissement. Ce procédé qui a pu être décidé officiellement pour la consolidation de l'œuvre reste incompréhensible du point de vue de la taille du tableau qui s'est vu modifiée. Le vrai objectif aurait été alors de pratiquer l'agrandissement pour perdre définitivement les dimensions d'origine définies par Poussin.

 

   Contrairement à ce que l'on pourrait penser, observer le dos du tableau ne servirait à rien ! La toile arrière est continue jusqu'aux retours sur les bords du châssis. L'opération était‑elle justifiée par l'état du tableau ? Ou bien, s'agissait‑il d'une restauration pour permettre ce fameux agrandissement ? Nous l'ignorons.

 

   Faisons maintenant l'exercice du superposer avec précision l'image des Bergers du Louvre sans son cadre sur le tableau avec son cadre d'origine. Ceci permet de se rendre compte des parties dissimulées. La première remarque est évidente : si les marges, gauche, droite, et basse, semblent compatibles avec la feuillure, la marge haute ne l'est pas du tout. Le tableau agrandie n'est visiblement plus adapté à son cadre d'origine. Cet agrandissement aurait‑il finalement échoué ? Aurait‑il été abandonné ? Il est clair qu'aujourd'hui personne ne peut ce douter de la malversation tant que le cadre d'origine est conservé et la marge haute reste discrètement dissimulée.


La limite rouge montre la dimension actuelle de la toile dans son cadre d'origine

La bande de 7 cm en haut est cachée par le cadre

 

   La présence d'une marge horizontale de 7 cm en haut de la toile est un fait, et il ne s'agit nullement d'une supposition. De plus, le sujet ne peut être ignoré des spécialistes qui se gardent bien de l'aborder officiellement, et la raison est cinglante : cet agrandissement avéré est une aberration totale qui ne trouve aucune explication rationnelle, que se soit en matière de technique, de déontologie, ou d'histoire de l'art. Car il faut savoir que transformer un tableau du XVIIe siècle relève  pour tous les professionnels de l'art d'un pur sacrilège, surtout sous la direction d'un musée aussi prestigieux que le Louvre.

 

   Il existe un moyen de vérifier que cette transformation est parfaitement connue des experts. Pour cela, il suffit de se référer aux notices de Nicolas Poussin sur le site Utpictural18 et de lire la légende concernant les Bergers d'Arcadie version II :
 

Dimensions :  Hauteur 85 cm * Largeur 121 cm
La toile a été agrandie de 7 cm en hauteur,
de 4,5 cm à droite et de 2 cm en bas

 

   Surprise : non seulement une bande de 7 cm a été ajoutée en haut de la toile, mais également à droite et en bas. Ce cas est‑il isolé ? Pas du tout, car "Les Bergers d'Arcadie" version I (version anglaise) a aussi fait l'objet d'un agrandissement. On peut ainsi lire dans la base d'archive :
 

Dimensions :  Hauteur 101 * Largeur 82 cm
Une bande de 8 cm environ a été ajoutée sur la gauche,
ainsi qu'une autre non mentionnée de 2,5 cm en haut


Les Berger d'Arcadie I par Nicolas Poussin ‑ 1638‑1639
Version anglaise

 

   Il faut savoir que le procédé d'agrandissement ne pose à priori aucun problème technique particulier au niveau structurel. Le travail reste toutefois long, complexe, et par conséquent coûteux. Cette technique connue depuis au moins 250 ans n'est donc pas bénigne, et il faut de bonnes raisons pour se lancer dans une telle opération.

 

   Pour avoir une idée de l'époque à laquelle ce travail fut réalisé, il faudrait examiner les caractéristiques de la nouvelle toile, le modèle des semences de montage, et le type du châssis. C'est encore une fois le Louvre qui connaît la réponse.

 

   La question reste donc posée : Pourquoi avoir réalisé sur ces deux tableaux jumelés un travail complexe et coûteux qui de plus est considéré par tous les spécialistes et les amateurs de l'art comme une lourde faute professionnelle ? La déontologie du métier interdit formellement en effet de modifier le format d'origine d'un tableau, et encore plus celui d'un maître du XVIIe siècle.

 

La remise en état esthétique

   Après la consolidation, il faut tenter de ramener la partie visuelle du tableau dans un état aussi proche que possible de ce qu'avait voulu le peintre dans la limite de son évolution. L'action se déroule en 3 phases :

 

1 ‑ Enlèvement de tous les apports intempestifs dus au temps et surtout :

 

‑ la crasse grise qui se dépose. Elle se retire en général facilement
‑ le vernis qui vire jaunâtre et se décompose, qui peut être soit enlevé, soit allégé
‑ les repeints des anciennes restaurations ou des bidouillages qui sont souvent très délicats à supprimer.

 

   Suite à ce travail, on retrouve tout ce qui reste de l'origine de la peinture dans la limite de l'évolution de ses différents composants. Ces opérations peuvent être très simples comme très complexes. Mal maîtrisées, elles sont parfois dangereuses pour l'intégrité de l'œuvre, mais sans cette restauration un tableau du XVIIe siècle serait totalement illisible.

Sur cet exemple, le rond sombre est constitué par de la crasse

 

Le jaune brun est dû au vernis qui a viré. Là où il a été enlevé la vraie couleur apparaît

 

 

 

 

 

 

Les stries grisâtres horizontales sont des repeints qui ont noirci et qui servaient à noyer une balafre verticale

 

2 ‑ Masticage :

 

   Une fois la peinture dégagée, il faut mastiquer les manques, c'est à dire les endroits où l'ensemble enduit‑peinture écaillé a lâché, ainsi que les accidents mécaniques comme les trous ou les déchirures.

 

3 ‑ Réintégration esthétique :

 

   Il reste ensuite à réintégrer les manques et les usures. Ces retouches s'appellent aujourd'hui des "repiquages", car elles se font avec un tout petit pinceau, de façon illusionniste si l'ensemble du sujet est présent. Par contre, sur des tableaux très abîmés avec des manques importants, la retouche reste visible volontairement.

 

   Officiellement, cette méthode aurait été mise au point pour que l'amateur sache ce qui est d'origine et ce qui ne l'est pas. En réalité, la vraie raison est qu'il est totalement impossible de reconstituer des surfaces importantes de façon satisfaisante.

 

   Une peinture ancienne subit de multiples évolutions. Les pigments se modifient avec le temps et interagissent dans les mélanges à l'huile de lin qui sert d'agglomérant, se transformant par oxydation en brunissant. De ce fait, une peinture neuve ne pourra jamais donner le même effet qu'une peinture ancienne. Il est possible de créer une certaine illusion sur des endroits ponctuels, mais pas sur des grandes surfaces. Dans le passé, le restaurateur débordait largement sur l'original, mais aujourd'hui c'est totalement exclu pour préserver l'œuvre originale au maximum.

 

   Depuis l'entre deux guerres, les retouches à l'huile les plus proches en théorie de l'original ont été abandonnées pour deux raisons :

    ‑ Elles deviennent très solides avec le temps et donc très difficiles à enlever sans abîmer la peinture ancienne

    ‑ Elles se transforment de façon très sensible, si bien que même correctement réalisées, elles se désaccordent au bout de quelques décennies.

 

   Les couleurs utilisées en restauration sont donc spécifiques de manière à rester stables et facilement réversibles. Par contre, elles ne permettent pas d'obtenir des effets aussi lumineux que dans la peinture à l'huile.

 

4 ‑ Vernissage :

 

   Pour finir, l'ensemble du tableau est reverni pour le protéger. Cela permet aussi de redonner toute leur valeur aux tonalités, aux contrastes et à la lumière. 

 

Les mésaventures des Bergers du Louvre

Reprenons les mesures

 

   Maintenant que la technique de restauration a été abordée, voyons les explications qui en découlent autour du chef d'œuvre arcadien, et sur lequel on a écrit tout et son contraire.

 

   La notice du Louvre (base Joconde et Utpictural18) annonce une taille du tableau de 85 cm x 121 cm. Cette taille est celle que l'on observe dans son cadre. Pour obtenir la dimension hors tout il faut ajouter environ 1 cm sur tous les bords de la toile permettant ainsi le recouvrement de la feuillure.

 

On obtient alors les dimensions approximatives suivantes : 87 cm x 123 cm

 

   Celle taille est d'ailleurs confirmée par la
gravure
de Bernard Picart (1663‑1733) réalisée en 1696 et qui annonce : 2 pieds 8 pouces x 3 pieds 9 pouces

soit très exactement : 86,624 cm x 121,815 cm  ou : 87 cm x 122 cm

 

   Ceci prouve que le tableau a bien été agrandi puisque si on ajoute la bande haute de 7 cm on obtient une hauteur hors cadre de 87 cm + 7 cm = 94 cm

 

   Il faut d'ailleurs noter que cette bande horizontale n'est pas parallèle. Elle mesure 6,5 cm à gauche et 7,5 cm à droite.

 

Qu'en est‑il des autres bords ?

 

   Contrairement a ce qui est écrit, la bande basse n'a pas été ajoutée. Elle compense uniquement une partie abimée par la poussière et l'humidité. Car il faut savoir que les tableaux anciens souffrent souvent d'un même mal : la crasse s'accumule au bas de la toile provoquant sous le cadre avec l'humidité un pourrissement très localisé.

 

   Il n y a pas de bande droite ou gauche ajoutée. Sur le bord droit, un phénomène de tension de la toile fait par contre croire à une bande.

 

   Finalement et en tenant compte de l'agrandissement haut, la toile possède aujourd'hui les dimensions suivantes : 94 cm x 122 cm

...ce qui est très différent de la taille notée par Bernard Picart, et encore moins celle qu'avait choisie Poussin.

 

   Une chose est sûre, le Louvre ne fournit aucune information précise à ce sujet, rendant cet agrandissement parfaitement énigmatique. L'objectif serait‑il de semer le doute ? ou bien s'agit‑t‑il d'une restauration malheureuse qui aurait été abandonnée ? Décidément ce tableau exceptionnel cumule les anomalies et les incohérences aussi bien dans ses dimensions que sur sa date de réalisation officielle....

 

Récapitulons

Œuvre

Dimensions

Rapport

Dimensions arrondies indiquées sur la gravure de Bernard Picart (référence) et définies par Nicolas Poussin

87 cm x 122 cm

1,40

Dimensions précises indiquées sur la gravure de Bernard Picart (référence)

86,624 cm x 121,815 cm

1,41

Dimensions du tableau original (Louvre) partie visible (avec cadre)

85 cm x 121 cm

1,42

Dimensions du tableau original hors cadre avec l'agrandissement

94 cm x 122 cm

1,30

 


La bande haute a été ajoutée provoquant l'agrandissement

La bande basse n'est pas un rajout, mais compense une partie abimée

La bande droite n'est pas un rajout, mais est provoquée par une tension de la toile

 

(Photo sans cadre extraite de la base archive du Louvre)

 

   Faisons maintenant l'exercice de reporter sur le tableau original les marges dues à l'agrandissement. Si la bande horizontale haute est restée cachée par le cadre, les bandes droite et basse sont restées en partie visible.


Le tableau agrandi dans son cadre d'origine (version du Louvre)

La bande haute (agrandissement) est cachée par le cadre

La bande basse est en partie visible

 

Une hérésie programmée ?

 

     Du point de vue déontologique, modifier une œuvre est une faute grave qui ne peut être justifiée. D'autant que, dans ce cas précis, il semble que l'on ait voulu dénaturer VOLONTAIREMENT le tableau alors que l'on est censé travailler pour le conserver sur le long terme dans un état aussi proche que possible de l'origine. Il faut savoir d'autre part qu'en restauration agrandir un tableau crée sur le long terme des problèmes sérieux de conservation. C'est donc aussi absurde qu'impensable.

 

   De plus, nous parlons d'un tableau important, réalisé par un peintre majeur du XVIIsiècle, appartenant à l'État, et conservé par les meilleurs spécialistes depuis la Révolution. EN CLAIR, C'EST INCOMPREHENSIBLE !  Pourtant les faits sont là...

 

   Une seule explication est envisageable : des ordres sont venus d'une autorité supérieure auxquels les hauts responsables du Louvre ne pouvaient se soustraire. Pour un professionnel, aucune autre explication n'est envisageable.

  

   Reste la partie esthétique. Il est impossible de reconstituer valablement une partie manquante importante, de même pour un ajout. On se contente donc de repeints d'ambiance qui sont visibles, mais qui permettent d'avoir une vision générale de l'œuvre avec la composition voulue par l'artiste. Les responsables du Louvre savaient fort bien que la partie rajoutée se verrait, quelque soient l'habileté et le talent des intervenants.

 

   C'est une nouvelle preuve que la décision est venue d'une hiérarchie supérieure, de responsables habitués à donner des ordres et à les faire exécuter, mais incompétents en matière de restauration d'art. Ils pensaient sans doute s'adresser aux meilleurs, et qu'avec le temps et une pression suffisante, le résultat serait conforme aux attentes. Comme à l'impossible nul n'est tenu, le résultat fut médiocre ce qui était prévisible.

 

   Le but de l'opération était de casser la composition du tableau, mais le remède fut pire que le mal. En voulant éloigner les curieux, ils attirèrent plutôt les projecteurs sur une œuvre qui devait rester discrète. Le regard de l'amateur sur une invraisemblable incongruité ne pouvait qu'amener inéluctablement des questions gênantes tout en attirant l'attention sur ce que l'on voulait cacher !

 

   Il n'y avait plus qu'une seule solution : camoufler ce dérapage au plus vite. Le tableau fut donc remonté dans son cadre d'origine, mais après avoir creusé la feuillure du haut de 7cm, agrandissement oblige. Ni vu, ni connu... on avait dépensé une fortune pour rien.

 

Pourquoi la bande haute de 7 cm est‑elle noirâtre ?

   D'autres phénomènes entrent en jeu et participent au vieillissement de la toile : notamment l'absence de rayons lumineux qui renforce de façon considérable le brunissement naturel de l'huile.

 

   Ce double phénomène, absence de lumière et brunissement de l'huile, donne à terme un résultat sombre et noirâtre comme celui donné en exemple ci‑contre.


Exemple de repeint qui a viré noirâtre,
comme la fameuse bande de
7cm
des
Bergers d'Arcadie II

   C'est ce qui s'est probablement passé sur la bande horizontale de 7 cm. Après avoir été rajoutée, cette bande s'est retrouvée contre le bois de la feuillure, d'où un mauvais échange avec l'oxygène de l'air et l'absence de lumière. Cette bande est restée cachée par le cadre ce qui l'a rendue noirâtre, et c'est bien la masse de la couche picturale qui a cette couleur.

 

   On ne peut donc retirer que la crasse et le vernis, éventuellement des repeints posés sur la peinture originale. Malheureusement, si la masse de la peinture est de cette teinte, aucune restauration n'est possible.

 

   De toute façon, ce nettoyage n'aurait aucun intérêt puisque ce rajout n'est pas d'origine. La seule possibilité concevable serait de tout démonter afin de revenir à la taille initiale voulue par Nicolas Poussin. Mais ce serait ébranler l'ensemble du tableau, sans raison valable au niveau de sa conservation. Il est donc tout à fait logique et normal que le Louvre le laisse dans cet état tant que des raisons techniques sérieuses n'imposent pas de reprendre le rentoilage d'ici un siècle ou deux.

 

Un scandale qui date de plus d'un siècle...

 

   Vous l'avez compris, il s'agit tout simplement d'un scandale majeur difficile à avouer à un tel niveau, même s'il date aujourd'hui de plus d'un siècle. D'autant qu'il faudrait aussi répondre à la question : Pourquoi ?

Il ne faut bien sûr pas compter sur le Louvre pour avouer et expliquer une faute aussi lourde, d'autant que donner des explications tendrait aussi à expliquer officiellement l'embryon de l'affaire.

 

D'autres anomalies ?

 

   En dehors de cette bande il existe de nombreux repeints sur la partie d'origine. Certains sont liés à l'état de la couche picturale et servent à restaurer les niveaux d'usures et de manques. D'autres sont clairement abusifs, revenant à dire que certains repeints couvrent des parties en bon état, ce qui est tout à fait anormal et invraisemblable sur un tableau du XVIIe siècle.

 

   Le but serait donc cette fois‑ci de masquer des détails. Nous disposons d'une photographie en noir et blanc de la fin du XIXe siècle qui présente cette partie d'origine en bon état. Elle est aujourd'hui ignoblement badigeonnée, ce qui prouve qu'il n'était pas question de restauration, mais bien d'une modification. D'autre part, toutes les données disponibles confirment que le sacrilège daterait des années 1900, après la prise de la photo et la réalisation des copies et des interprétations, et avant la guerre de 1914 du fait du renforcement des règles déontologiques et surtout de la diffusion en nombre de reproductions semi industrielles. Cette période est confirmée par l'état de l'évolution des retouches.

 


Photo ancienne des Bergers d'Arcadie sans les repeints

 

   Depuis la Révolution française, des règles précises ont été élaborées pour la conservation et la restauration des œuvres d'art des musées nationaux. Le choix des interventions et des techniques à utiliser pour remettre en état un tableau important est choisi en commission, en présence des responsables du musée, du rentoileur, du restaurateur, et depuis une période beaucoup plus récente, des scientifiques spécialisés. Rien ne peut se faire sans une concertation générale aboutissant à un consensus. Dans le cas des Bergers du Louvre, la seule explication possible est donc une intervention supérieure qui a donné des ordres à exécuter sans concertation.

 

   Fait troublant, les Bergers d'Arcadie I (version anglaise) ont subi le même sort. Ce tableau jouerait‑il un rôle identique ou similaire dans cette affaire ? Tout permet de le penser...

 

   Bien sûr, il existe au Louvre un dossier technique très complet, avec des radiographies, des photos infrarouge en lumière rasante, en macro, et des analyses scientifiques. Pour donner une idée, le dossier de documentation générale sur les Bergers d'Arcadie II fait 15 cm d'épaisseur.

 

Le bâton du berger

 

   Une radiographie célèbre montre que le bâton du berger de droite a été peint AVANT le tombeau, ce qui est absurde dans la mise en place des éléments du tableau... A moins bien sûr que ce bâton ne joue un rôle crucial dans la composition géométrique.

 

   En réalité, et on le sait maintenant grâce aux différentes études de lumière, tous les bâtons étaient déjà dessiné et littéralement gravés pour qu'ils ne se perdent dans le montage du dessin et des huiles. Ceci est aujourd'hui connu et admis des spécialistes. Il reste néanmoins que ce constat gène profondément ces mêmes experts puisqu'ils sont dans l'incapacité d'expliquer les vrais raisons de cette aberration artistique, surtout venant d'un maître comme Poussin.

 

   Comment sur une radiographie, peut‑on affirmer qu'un bâton a été peint avant le tombeau ? Pour voir au delà de la surface apparente d'une peinture, on peut faire une photo sur pellicule infrarouge. Selon les circonstances, on peut ainsi détecter des sous couches et mieux comprendre comment le peintre a travaillé.

 

   Mais si les couches picturales sont vraiment opaques, seule une radiographie permet de voir les strates de fond. Dans le cas qui nous occupe, la peinture de fond du bâton vertical est interrompu par la ligne horizontale du tombeau. Cela veut dire que le bâton a été positionné au début du travail, et que le tombeau ne l'a été qu'après. Au niveau de la réalisation, c'est évidemment une absurdité. On commence toujours par les masses principales, ciel, paysage, tombeau, puis on place les personnages, la végétation, et enfin les détails comme les bâtons.

 

... A moins bien sûr que ces bâtons n'aient une importance particulière !

 


Radiographie qui montre au delà de l'Infra Rouge la marque de la
collection royale (en bas à gauche), certainement peinte au pochoir sur le dos, et donc non
visible avec le rentoilage, et le bâton peint avant le tombeau
(Photo P. Merle)

 

Les Bergers d'Arcadie, version anglaise...

   Tout comme les Bergers du Louvre (version II), la version anglaise a subi exactement le même sort, c'est à dire un net agrandissement asymétrique : 8 cm à gauche et 2,5 cm en haut.

 

   Mais à la différence de la version du Louvre, les modifications n'ont pas été masquées. Il faut dire que ce tableau étant dans le domaine privé, son propriétaire peut en faire ce qu'il veut. La situation est d'autant plus absurde que peu de personnes sont capable de détecter la moindre modification.

 

   Le restaurateur a débordé allègrement et de façon non continue sur la partie originale ce qui a "noyé le poisson". Les parties reconstituées étaient de ce fait beaucoup plus discrètes à l'époque, contrairement à la bande du Louvre qui ne débordait pas. Bien sûr, ces repeints ont subit les même évolutions vues précédemment, ce qui se perçoit très bien sur les photos actuelles (jaunissement et assombrissement). Il existe aussi des retouches liées à l'usure, en particulier au niveau du tombeau et de la main au doigt pointé vers le texte.

 

   Pour ce tableau, une donnée technique permet de dater la période où l'intervention a été réalisée. Sa dimension officielle est de 101 cm x 82 cm. Cette mesure prise par devant intègre les retours des bandes de tension sur les côtés qui sont épais de plusieurs millimètres, puisqu'il y a la toile d'origine, l'adhésif, la toile de rentoilage, et les semences de montage.

 

   La taille du châssis est de 100 cm x 81 cm ce qui correspond à un format normalisé 40 figure (40F). Ce type de châssis industrialisé n'est apparu qu'à la fin du XIXe siècle. D'autre part, l'évolution des repeints correspond à un vieillissement de l'ordre d'une centaine d'années. Enfin, il aurait été très délicat de faire cette intervention après la première guerre mondiale, car ce tableau était connu et des photos existaient déjà. Tout comme pour la version du Louvre, la période de transformation est donc aussi vers les années 1900 d'après les éléments disponibles.

 

Sa taille d'origine était de 3 pieds de haut par 2 pieds 3 pouces de large
ce qui fait  97,5 cm x 73 cm

 

   Ne disposant pas d'une photo fiable du tableau il est difficile de juger des repeints. Par contre, le tableau est proche de sa composition d'origine, un peu comme celui du Louvre avec son cadre. Ceci peut être facilement vérifié en comparant le tableau avec une esquisse sous forme de dessin du XVIIIe siècle et réalisée bien avant la transformation.

 

    En plus de la photo générale, la fiche du tableau montre des détails concernant les repeints et les usures du tombeau. A noter également qu'il manque curieusement une bande d'environ 4 cm à droite sur TOUTES les photos disponibles, y compris sur celles qui se trouvent dans la documentation interne du Louvre concernant les Bergers d'Arcadie version II

 


En vert les bandes ajoutées au tableau d'origine qui faisait 97,5 cm x 73 cm
Les dimensions officielles du tableau sont aujourd'hui 100 cm x 81 cm (40F)

 

Si l'on compare la version actuelle des Bergers d'Arcadie version I ci‑dessus et une esquisse faite par Poussin ci‑contre, l'agrandissement du bord gauche est très net.

 

 

 

 

 

 

 

 

Les Bergers d'Arcadie version I

 

dessin anglais
du XVIIIe siècle

 

Le tableau est composé de deux toiles...

 

   Un autre sujet méconnu doit impérativement être pris en compte. La version anglaise des Bergers d'Arcadie, dont la date de réalisation est généralement estimée entre 1627 et 1630 est le second d'une paire de tableaux. Le premier peint en 1624 à l'arrivée de Poussin à Rome s'intitule "Le Roi Midas se lavant à la source du Pactole".

 

   Ces deux tableaux associés sont séparés depuis longtemps, mais ils se trouvent toujours dans le monde anglo‑saxon. "Le Roi Midas" est au Métropolitain de New York depuis 1871, et il est le premier Poussin acheté par les Etats‑Unis.

 

   Au départ, ils avaient le même format, si bien qu'aujourd'hui "Le Roi Midas" est plus petit que les Bergers anglais, la version américaine étant dans son état d'origine. C'est pourquoi personne ne pense à les associer. J'ai eu la chance de pouvoir l'examiner en détail l'été dernier, car il était en Suisse. Il est en très bon état de conservation.

 

   A noter qu'il ne s'agit pas de pendants classiques, avec des compositions complémentaires. Les deux tableaux sont similaires, avec pour "Le roi Midas" un effet zoom. La raison est simple bien qu'invraisemblable : la composition des Bergers anglais est le développement de celle du Roi Midas, mais avec une échelle réduite de 50 % pour que les deux tableaux aient le même format ! Un cas unique dans les annales de l'Histoire de l'Art...

 

   Une autre information est qu'il existe un double de cette paire. Elle se trouve à Rome, dans le Palazzo delle Colonne. Elle est toujours associée, et d'un format un peu plus grand. Il n'existe malheureusement pas de reproduction pour les comparer, et on ignore si cette paire est contemporaine ou postérieure à l'originale.

 

   Enfin, il existe un autre tableau traitant du Roi Midas se lavant à la Source du Pactole. Il est considéré comme une œuvre de jeunesse de Poussin, mais il ne lui est pas formellement attribué. Le plus surprenant, c'est que sa composition est horizontale et son traité est très sage l'apparentant aux Bergers du Louvre; en opposition avec la paire anglo‑saxonne, verticale et beaucoup plus primesautière. Son rapport largeur / hauteur est le même que les Bergers du Louvre. Si ce tableau n'estas officiellement attribué à Poussin, une expertise de Rosenberg admet aujourd'hui que cette hypothèse est plus que probable.

 


Le Roi Midas se lavant à la source du Pactole ‑ Poussin ‑ Version I vers 1624
(Œuvre non officiellement attribuée à Nicolas Poussin)

 

Tentons une conclusion

Une question essentielle

 

   Pourquoi avoir défiguré deux tableaux d'un même thème et d'un peintre fondamental tel que Nicolas Poussin en effectuant volontairement un travail aussi bien complexe qu'absurde et contre toutes les règles de l'art ?

 

   Les deux agrandissements sont asymétriques, ce qui fausse complètement la composition voulue par Poussin, alors même que ce peintre était justement obsédé par la composition. Elles étaient tellement élaborées qu'il lui arrivait de confectionner des sortes de mini scènes de théâtre avec des figurines habillées, à l'aide desquelles il faisait des effets de positions, de tissus, d'éclairages, de jeux d'ombre et de lumière. C'est dire le travail de conception auquel s'astreignait ce maître avant de commencer un tableau, et sans compter les esquisses préparatoires. Rien n'était laissé au hasard ! comme il le disait lui‑même...

 

Quand Henry Lincoln proposa son pentagone sur le tableau, il donnait en fait une triple information :


1 ‑ Le tableau est une clé de l'affaire RLC
2 ‑ Cette clé est liée à sa composition
3 ‑ La clé se présente sous la forme d'un pentagone

 

Ce troisième point ne correspond à rien dans la composition, et il n'a donc pas de sens. C'est un des mystères de ce livre, "Le Temple Retrouvé", car les points 1 et 2 sont par contre très réels, et d'une importance capitale.

 

   Les informations que Poussin voulait, ou qu'on lui a demandé de transmettre, sont liées à ses compositions très complexes. En cassant celles‑ci, on a voulu cacher l'accès aux informations qui leur sont liées. Ceci est vrai pour les deux versions d'Arcadie.

 

   La version anglaise est totalement incompréhensible si elle n'est pas recadrée exactement à son vrai format. La version française, plus complexe, mais aussi plus précise, est plus facile à comprendre, car elle fonctionne comme une mécanique d'horlogerie. Le plus gros de ses modifications a été masqué.

 

   Tous les éléments sont positionnés selon une logique précise, mais il faut séparer le principal, le secondaire, et l'accessoire. Ils sont gérés par des structures différentes, si bien que l'ensemble est très complexe. C'est pourquoi, contrairement à la relative liberté des Bergers anglais, ceux du Louvre sont figés dans un carcan particulièrement contraignant. Il a fallu tout le talent de Poussin pour réaliser une œuvre de cette qualité, malgré les énormes contraintes imposées.

 

   Par contre, depuis la fin du XIXe siècle la situation changea et ceci pour deux raisons :

 

    D'une part, l'agitation soulevée par les curés de la région avait attiré l'attention, si bien que des petits malins risquaient de faire la relation entre des particularités du Haut‑Razès et leur références présentes sur les deux tableaux. C'est pourquoi on tenta à cette époque de couper l'herbe sous le pied d'éventuels gêneurs à la curiosité intempestive en cassant la composition des tableaux. Ceci devait empêcher d'établir correctement leurs structures sous‑jacentes. La curiosité des chercheurs s'est avérée à terme plus forte que la tentative de brouillage des pistes.

 

   D'autre part, un fait peu évoqué dans cette affaire est apparue à cette époque : La mise en œuvre de la NTF et l'arrivée de la nouvelle triangulation française. Pour établir des cartes précises, il fallut mettre en place un système de triangulation. Le premier de l'époque moderne a été élaboré par les Cassini dans la première moitié du XVIIIe siècle. Mais vers 1850, les avancées scientifiques et techniques rendirent ce système obsolète. Entre 1850 et 1870, les militaires durent donc étudier la Nouvelle Triangulation Française dite NTF qui fut mise en place sur le terrain dans les années 1880 / 1890. Compte tenu de sa précision, la NTF est toujours utilisée, les données aériennes, satellites et GPS ne servant qu'à peaufiner les détails.

 

Et Boudet dans tout ça ?

 

   Que Boudet ait fait sa découverte au milieu des années 1880 n'est pas un hasard. Il avait à sa disposition des informations transmises par ses pairs comme l'a démontré Franck Daffos, mais il disposait aussi de moyens techniques inédits, qui avaient fait défaut à ses prédécesseurs.

 

   Ceux‑ci permirent également à d'autres personnes "non autorisées" de comprendre où était le lieu tant recherché, sans avoir besoin des informations Boudet, rien qu'à l'aide des tableaux.

 

   C'est la raison pour laquelle il a été jugé impératif à cette époque de les maquiller pour les rendre illisibles, avec succès pour la version anglaise, et avec maladresse pour la version française. Il est d'ailleurs intéressant de constater que malgré cet échec, personne officiellement du moins n'a compris ce que véhicule ce tableau et pourtant, ce n'est pas faute de recherches... !

 

Tout est important !

 

   Finalement, c'est aux tableaux de parler et non l'inverse. Il faut tout observer, aussi bien la mise en place générale de la scène que les détails. La position des personnages, celle des bâtons, la longueur de ceux‑ci, les jeux des mains et des pieds. Tout compte sans exception ! L'ensemble est géré par des figures géométriques interconnectées, mais pour les construire de façon précise, il faut d'abord trouver et caler correctement les cercles dans lesquels elles s'inscrivent.

 

   Attention au piège : il y a deux strates dans les Bergers du Louvre qui semblent intégrées, alors qu'en réalité, elles sont indépendantes. C'est le plus fabuleux tour de passe‑passe de Nicolas Poussin !

Patrick Merle

 

 

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