Que l'abbaye
de Port‑Royal des Champs
devait être belle du temps de sa splendeur ! Située au sud‑ouest
de Paris, elle reste peu connue, même des Parisiens.
Pourtant ce monastère fondé en
1204 fut le creuset où
se mélangèrent de façon intense, vie religieuse, vie
politique et vie intellectuelle.
De célèbres
érudits y résidèrent, un enseignement innovant y fut créé et des
ouvrages philosophiques et théologiques y furent écrits. Cet
épisode des lumières est encore évoqué aujourd'hui comme une
référence. Mais les historiens abordent peu la destinée de ce
lieu tant son histoire est complexe, tumultueuse et violente en
cette période centrale du XVIIe siècle. Des débats
théologiques controversés s'invitèrent dans la politique royale
et s'opposèrent à Rome, provoquant des tensions extrêmes
jusqu'au désastre de 1609.
Mais
surtout des connexions flagrantes existent avec l'affaire des
deux Rennes. Ce cœur janséniste fut évidemment en relation avec
le célèbre prélat d'Alet, Nicolas Pavillon, et certaines
relations entre la Cour et le Razès deviennent troublantes,
voire évidentes. Déclarée comme hérétique, l'abbaye sera
finalement rasée par Louis XIV
en
1710.
Décidément, après
l'affaire Fouquet
déjà liée à l'énigme, voici que la
malédiction du Razès rattrape le roi Soleil avec les jansénistes
de Port‑Royal...
Située au cœur
de la vallée de Chevreuse, au Sud‑ouest
de Paris, dans la commune de Magny‑les‑Hameaux
(Yvelines), l'abbaye de Port‑Royal
témoigne d'une histoire passionnée, violente et cruelle,
elle témoigne de l'intolérance et de la difficulté à faire
progresser une société, elle témoigne aussi de
l'incompréhension des hommes face à des idées trop en avance
sur leur temps... |

L'abbaye de Port‑Royal des Champs au XVIe
siècle près de Paris |
La piste janséniste a été ouverte avec Nicolas Pavillon,
prélat indépendant hors norme et
que nous savons impliqué dans l'énigme de Rennes. Cette
piste nous conduit bien sûr
à l'abbaye de Port‑Royal, creuset janséniste,
à Blaise
Pascal, Philippe de Champaigne
et Nicolas Poussin,
mais aussi à la duchesse de Longueville,
au prince de Conti, à Jean Loret et bien d'autres...
Je veux remercier ici Franck Daffos qui a tant œuvré dans
ses recherches autour
du XVIIe siècle, et qui a su donner cette impulsion pour que
l'énigme de Rennes poursuive sa quête de la vérité...

|

L'abbaye de Port‑Royal (image extraite du
plan) |
Un peu de théologie... Qu'est‑ce que le jansénisme ? |
Son origine
La
doctrine janséniste naquit au travers de la pensée de
Cornélius Jansen(1585‑1638)
évêque d'Ypres (Flandre), professeur à l'université de Louvain.
Il la reprend dans son ouvrage "L'Augustinus".
Deux ans après sa nomination en tant qu'évêque en
1636 il
fut victime de la peste et
l'Augustinus, le livre de sa vie, ne fut publié qu'en
1640, soit 2 ans après sa mort.
Dans cet ouvrage
condamné par Rome à plusieurs reprises, l'auteur y défend une
morale stricte basée sur les écrits de Saint Augustin et
prône un retour à la rigueur primitive de l'Eglise. |
Son idée est de
refonder la pensée de
Saint Augustin d'Hippone,
père de l'Église. Ces thèses ne sont pourtant pas nouvelles
puisqu'un professeur d'université, un certain
Michel Baïus
(1513-1589)
les avait déjà envisagées...
Même s'il est certain aujourd'hui que la véritable bataille
menée par les jansénistes contre la dévotion au Sacré‑Cœur
n'a réellement commencé qu'à la publication de l'ouvrage de
Jean‑Joseph
Languet de Gergy
en 1729,
l'Histoire retiendra tout de même
Jansen dit
Jansénius
comme l'initiateur de ce courant religieux. |

Cornélius Jansen (1585‑1638) |
Saint Augustin d'Hippone est le théologien le plus fascinant
qui soit et sans doute le plus important après Paul de
Tarse. Romain d'origine berbère, il était dissipé et actif.
C'était un écrivain prolixe, homme de combat et de
conviction. Né à la fin de l'Empire romain, Augustin assista
aux grandes invasions et à la prise de Rome par le
Wisigoth Alaric en l'an 410. Ce témoignage bouleversera
sa vision du monde et imprégnera sa théologie. |

Saint Augustin est
reconnaissable
par son coeur enflammé
et sa crosse épiscopale |

Le tableau de Saint Célestin
à Valcros
est en réalité un Saint Augustin
avec son coeur enflammé |
Voici donc une première connexion avec l'énigme de Rennes.
Saint Augustin
resurgit dans la pensée janséniste, or nous le retrouvons à
ND de Marceille,
un sanctuaire particulièrement important dans l'histoire de
Rennes. |
La doctrine janséniste
La
doctrine version française a été forgée au couvent de
Port‑Royal
des Champs. Car pour comprendre cette pensée il faut aussi
la rattacher au contexte historique. La réforme catholique
consacrée par le Concile de Trente eut du mal à se mettre
en place dans le royaume. Les guerres de religion enveniment la
vie politique et divisent la population. C'est
Henry IV qui apportera une certaine stabilité en favorisant
le mouvement de réforme des établissements religieux et c'est
dans ce contexte que naitra
Port‑Royal
suite à la réforme du monastère.
La doctrine janséniste fut ainsi introduite en France puis
développée à Port‑Royal par
l'intermédiaire de l'abbé de Saint‑Cyran,
Jean Duvergier de Hauranne. Le couvent devint ainsi la
référence pour cette pensée qui se révèle être aussi radicale et
intransigeante que le calvinisme.
Les idées fondatrices
L'homme suit une prédestination
divine (doctrine calviniste) et
seule la grâce de Dieu a le
pouvoir de diriger l'homme vers la "délectation terrestre", la
"délectation céleste" et le bien. Cette grâce dite
"efficace" guérit ceux à qui Dieu l'accorde.
L'homme tend naturellement
vers le mal. il est donc entièrement déchu par suite du
péché originel.
La grâce de Dieu n'est
accordée qu'à quelques élus et implique une totale
soumission à la foi et au combat contre le mal.
Les jansénistes exigent de
leurs pénitents une contrition exemplaire et non un simple
regret des fautes par peur de l'enfer.
La
contrition
est "une douleur voulue des péchés jointe à la résolution de
confesser ses fautes et de donner satisfaction".
Le
jansénisme porte sur les relations entre la grâce divine que
Dieu accorde aux hommes et la liberté humaine dans le processus
du Salut. Au Ve siècle Saint Augustin s'était opposé à ce sujet
au moine Pélage. Ce dernier soutenait que l'homme a en lui la
force de vouloir le bien et de pratiquer la vertu, une position
relativisant l'importance de la grâce divine. Saint Augustin
refuse cette vision et déclare que Dieu est le seul à décider à
qui il accorde ou non sa grâce. Les bonnes ou mauvaises actions
de l'Homme, sa volonté et sa vertu, n'entrent pas en ligne de
compte, puisque le libre arbitre de l'homme est réduit par la
faute originelle d'Adam. Dieu agit sur l'homme par
l'intermédiaire de la grâce efficace, donnée de telle manière
qu'elle atteint infailliblement son but, sans pour autant
détruire la liberté humaine. L'homme a donc un attrait
irrésistible et dominant pour le bien, qui lui est insufflé par
l'action de la grâce efficace.
Le jansénisme de Port‑Royal
fut le courant le moins contraignant, le compromis restant
toujours possible. En cela, il fut parmi d'autres formes de
pensée, le plus souple, mais cette doctrine sera vite considérée
comme hérétique par le clergé français, par Rome, et par
le pouvoir royal. |
1204‑1602 Son origine, l'abbaye ND de Porrois
Avant de devenir
l'un des plus hauts lieux de la réforme catholique, l'abbaye de
Port‑Royal des champs
s'appelait l'abbaye Notre‑Dame
de Porrois qui fut fondée en 1204 par
Mathilde de
Garlande, veuve de Mathieu de Montmorency, mort à
Constantinople lors de la 4ème
croisade. Avec le soutien d'Eude de Sully, évêque de Paris, elle
y créa une communauté de femmes. Ce nouveau monastère cistercien
affilié à Cîteaux dès 1209 sera placé sous l'autorité de
l'abbé des Vaux‑de‑Cernay.
L'église
abbatiale fut consacrée le 25 juin 1230 et cet imposant
édifice était reconnu jusqu'aux faubourgs de Paris. Mais au
cours du XIVe
et du XVe siècle, le déclin des institutions
régulières se fit sentir sur l'abbaye qui perdit peu à peu son
éclat. Les abbesses Jeanne de la Fin I (1513‑1558) et
Jeanne de la Fin II sa nièce, s'attachèrent donc à restaurer
l'église et les bâtiments qui en avaient bien besoin. L'abbaye
reste avant tout un monastère cistercien. |
1602‑1630 La réforme catholique et les religieuses de
Port‑Royal
Henry
IV entreprend d'apporter la paix
dans le royaume en favorisant le mouvement de réformes des
établissements religieux. Ceci est rendu possible par le
Concile de Trente et la Réforme
catholique.
A
partir du XIVe siècle,
l'Europe relance le débat sur la spiritualité et la question du
salut. Les théologiens réfléchissent sur les fondations du
christianisme et publient de nombreux ouvrages controversés. Les
positions intransigeantes de l'Eglise et du clergé sont vivement
critiquées. Devant de tels débats, des idées de réforme font
leur chemin au sein des catholiques. Mais cela ne suffira pas.
Des courants de pensée très différents divisent la population et
feront naître le protestantisme. La Réforme catholique démarre
au XVe siècle et se poursuivra au XVIe siècle. Elle a pour
objectif de rénover l'Église romaine et de réunifier les forces
catholiques. Au Concile de Trente, certains éclaircissements
théologiques sont débattus comme les rapports de l'Écriture et
de la Tradition ou la signification des sacrements... Et malgré
les critiques des protestants et des humanistes, on impose la
Vulgate. La Réforme catholique est aussi marquée par un retour à
une plus stricte discipline, par un fort courant de mysticisme
et par l'essor des congrégations religieuses.
Le
concile de Trente est le 19ème concile
œcuménique reconnu par l'Eglise de Rome. Convoqué par le pape
Paul III en 1542 le concile débute le 13 décembre 1545
et durera 118 ans. 5 pontificats vivront le concile de
Trente qui permettra de faire la transition entre l'Église
médiévale et l'Église moderne...
La réforme
catholique permit ainsi à l'abbaye de connaître un nouvel essor.
Jacqueline Marie Angélique Arnauld (1591‑1661),
fille d'un avocat célèbre, devint alors coadjutrice de l'abbesse
Jeanne de Boulehart en
1599. Puis, reprenant le poste de
sa prédécesseure, elle fut nommée abbesse de l'abbaye
cistercienne de Port‑Royal en
1602.
Elle a seulement 11 ans et
deviendra par la suite Mère Angélique.
Dès sa nomination l'abbesse veut redonner au lieu une notoriété
religieuse exemplaire. En 1608 elle rétablit la règle de Saint Benoit, entreprit la
réforme de la discipline conventuelle, imposa le vœu de
pauvreté, la vie communautaire et l'isolement. L'abbaye fut
entièrement réformée et devint ainsi la première communauté de
femmes réformée en France. |

Abbaye de Port‑Royal des champs ‑ La
chambre et les religieuses |

Mère Angélique (1591‑1661) |
Mais la vallée de Chevreuse est humide et froide en hiver et
l'abbaye insalubre rend difficile la vie des religieuses.
Mère Angélique obtiendra la permission d'ouvrir un second
établissement. Ce sera fait avec
Port‑Royal de Paris
situé dans le faubourg Saint‑Jacques
en 1625.
Les religieuses s'y installeront dès cette année,
délaissant Port‑Royal qui s'appellera dorénavant
Port‑Royal
des Champs |
Mère Angélique Arnauld
fut une des grandes figures du
XVIIe siècle et de la Contre‑réforme. Les historiens retiennent
surtout l'abbé de Saint Cyran comme le réformateur fondamental
de Port‑Royal, mais c'est en occultant un peu vite que le
prédécesseur de ce prêtre resté en poste seulement 3 ans, était
une femme, Mère Angélique, qui donna clairement le ton en
réformant son abbaye à 17 ans. Sans elle, Pascal, Racine,
Philippe de Champaigne et tout simplement Port‑Royal, auraient
certainement connu d'autres destinées... |
En 1627 La Mère Angélique demanda et obtint la séparation
de Cîteaux. En conséquence, L'abbaye ne dépendant plus de
l'Ordre de Cîteaux, son administration fut placée sous la
direction de l'évêque de Langres,
Mgr Zamet, qui fera connaître Jean Duvergier de Hauranne,
abbé de Saint‑Cyran. Ce dernier entra en contact avec
Port‑Royal en 1633.
En 1629 Louis XIII
accorde à
la Mère Angélique le
droit d'élire son abbesse. Elle démissionnera ensuite en juillet
1630 |

Abbaye de Port‑Royal des champs ‑ L'église
abbatiale |
Sceau d'Angélique Arnauld, abbesse de Port‑Royal
On peut lire sur le sceau :
"SOROR ANGELICA ARNAULD HUMILIS ABATISSA DE PORTU RAGALI"
"Sœur Angélique Arnauld, humble abbesse de Port‑Royal" |
 |
1635 ‑ L'abbé de Saint‑Cyran convertit Port‑Royal au jansénisme
Vers
1635 la direction de l'abbaye est assurée par
l'abbé de Saint‑Cyran. Directeur spirituel des religieuses,
l'abbé favorise l'entrée du jansénisme dans l'abbaye qui devient
le lieu principal de cette pensée déclarée très rapidement
hérétique par Rome. Il reste finalement peu de temps à ce
poste puisque 3 ans plus tard il est emprisonné sur
ordonnance du roi. |
L'abbé de Saint‑Cyran
(1581‑1643)
De son vrai nom
Jean Ambroise Duvergier de Hauranne,
l'abbé de
Saint‑Cyran était lié à Cornelius Jansen.
Il fut le
fondateur du mouvement janséniste en France et celui qui
introduisit le jansénisme à Port‑Royal. Confesseur et
prédicateur de la communauté féminine, il contribua largement à
la renommée spirituelle de l'abbaye. Il était par contre détesté
par les jésuites et haï de Richelieu qui trouva en lui un
opposant de sa politique.
Suite à la
condamnation du roi Louis XIV, il fut emprisonné au
château de Vincennes par le cardinal
Richelieu en
1638. Epuisé, il
mourut 2 mois après sa sortie de prison à Paris en octobre
1643.
|

L'abbé de Saint‑Cyran (1581‑1643)
par Philippe de Champaigne 1646
Dépôt du musée des
Beaux‑arts de Rouen
au musée de Port‑Royal |
Le tableau de l'abbé
Saint‑Cyran ci‑contre a été réalisé à partir de son masque
mortuaire par Philippe de Champaigne vers
1646. Ce
portrait fut ensuite largement diffusé et copié... |

Abbaye de Port‑Royal des champs ‑ Les
religieuses dans "La solitude" |
1637 ‑ Les Solitaires s'installent
Les
religieuses étant installées à Port‑Royal de Paris, les
bâtiments de Port‑Royal des champs sont vides. Ils sont alors
occupés par des laïques et des ecclésiastiques désireux de se
donner à la méditation. On les appellera "les Solitaires"
ou "les Messieurs de Port‑Royal".
Parmi eux, des intellectuels et des artistes feront la renommée
de l'abbaye comme Claude Lancelot, grammairien,
Antoine Arnauld, philosophe,
Pierre Nicole,
théologien et moraliste qui écrira avec Antoine Arnauld "La
logique de Port‑Royal".
Il y a aussi Louis‑Isaac Le Maître de Sacy, prêtre
humaniste et bibliste, et Jean Hamon, médecin. |
Antoine Arnauld
(1612‑1694)
Frère de Mère Angélique, prêtre
docteur en théologie, il publia en 1643 "La fréquente
communion", un ouvrage prônant un christianisme du cœur et
l'absolu respect des sacrements. Le livre connut un immense
succès, mais il est vite censuré. Devant les attaques répétées
des jésuites et du pouvoir royal, Arnauld répond en dénonçant
l'injustice qu'il subit.
Il s'opposera plus tard à ce que Port‑Royal renonce à sa liberté
d'opinion en signant le Formulaire. Radié de la Sorbonne à
partir de janvier 1656, il vit parfois caché à Paris, mais plus
souvent retiré à Port‑Royal des Champs parmi les Solitaires et
les Messieurs avec lesquels il collabore à de nombreux ouvrages
théologiques et pédagogiques à l'origine du renom de Port‑Royal.
Exilé à
la fin de la Paix de l'Eglise en 1679, il décide de quitter la
France pour les Flandres. Il meurt à Bruxelles en 1694. |

Antoine Arnauld (1612‑1694)
Frère de Mère Angélique dit Grand Arnauld |
Notons qu'il
ne faut pas confondre Antoine Arnauld, dit le
Grand Arnauld, et Antoine Arnauld (1560‑1619) son
père. Ce dernier se maria à Catherine Marion, religieuse à
Port‑Royal en 1629. Ils eurent 20 enfants dont 10 vivants... |
Claude Lancelot
Il participa à la création des Petites écoles de Port‑Royal en
1638 et resta fidèle à l'abbé de Saint‑Cyran malgré
l'emprisonnement. Il fut notamment chargé de l'éducation du duc
de Chevreuse et des Princes de Conti. Il fut remarqué par sa
rénovation de l'enseignement dans les Petites‑Écoles. Erudit
grammairien, il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme "la
Nouvelle méthode pour apprendre la langue latine", "Nouvelle
méthode pour apprendre la langue grecque", "Jardin des
racines grecques" et "Grammaire générale et raisonnée",
dite Grammaire de Port‑Royal. Son influence et son
enseignement basé sur le respect de l'enfant lui confèrent le
statut de premier maître de Port‑Royal.
|

Pierre Nicole (1625‑1695)
par un anonyme |
Pierre Nicole
(1625‑1695)
Il étudia la philosophie, la théologie et devint maître ès‑Art
en 1644. Il étudia aussi l'hébreu et la théologie. Ce fut par sa
tante Marie des Anges Suireau, l'une des abbesses de Port‑Royal,
qu'il entra en contact avec le monastère. Il devint ensuite
secrétaire et collaborateur d'Antoine Arnauld vers 1654.
Il
participa à la rédaction de la logique en 1662, au Nouveau
Testament en français et à la révision des Pensées de Pascal.
Comme Claude Lancelot il donna des cours notamment au jeune
Jean Racine. Il travailla aussi avec Blaise Pascal
pour écrire les "Provinciales".
|
1639 ‑ Ouverture des « Petites écoles »
Un autre évènement très important de l'abbaye de Port‑Royal fut
la création par
l'abbé de Saint‑Cyran des "Petites écoles". C'est en
effet en juin 1637 que l'abbé de Saint‑Cyran envoya
quelques enfants à Port‑Royal‑des‑Champs sous la direction d'un
prêtre, Antoine Singlin. Les Petites‑Ecoles de Port‑Royal
étaient nées.
D'abord installées à Paris dans la rue Saint Dominique (impasse
Royer‑Collard), puis au Chesnay et au château de Troux (près de
Port‑Royal), les Petites‑Ecoles se fixent définitivement dans
l'abbaye de Port‑Royal avec la création en
1651 d'un bâtiment dédié.
Ce sont de véritables petites classes de 5 à 6 enfants dirigées
par des Solitaires érudits. L'enseignement concerne toutes les
disciplines. Histoire, géographie, grammaire, écriture, lecture,
langues anciennes, sciences et poésies constituent le programme
des jeunes élèves. Les élèves vivent dans un monde clos
pour éviter les distractions et les mauvaises influences. Les
journées sont longues et débutent avec l'apprentissage du latin.
Jour et nuit ils sont soumis à une vigilance régulière. Les
horaires sont contraignants avec un levé à 5h30 et un couché à
21h. L'éducation est complète : il s'agit de cultiver l'esprit,
le jugement et la volonté de l'enfant, de sensibiliser son âme,
de développer son corps. Le maître doit être attentif, à la fois
doux et intransigeant, à la fois sévère et charitable, sachant
s'adapter aux capacités de chaque élève.
Les livres d'école sont confectionnés par les enseignants qui
ajustent parfaitement leurs manuels à leurs cours. Chaque année,
une trentaine d'enfants sont ainsi formés et devant le succès de
ces nouvelles écoles, les Solitaires construiront en
1651
un pensionnat de garçons.
L'enseignement
est original et particulièrement novateur pour l'époque. Il est
d'ailleurs consternant d'observer que certaines recommandations
sont toujours aussi actuelles... |

Abbaye de Port‑Royal des champs ‑
Enterrement d'une religieuse |
L'enseignement
est donné en français alors que tous les collèges de l'époque,
en particulier jésuites, n'utilisent que le latin (le latin est
d'ailleurs appris en latin)
Les Solitaires, soucieux
de pédagogie utilisent de nouvelles méthodes rédigées et
expérimentées par eux‑mêmes. Claude Lancelot publia ainsi
des méthodes de versification et d'apprentissage des langues
vivantes; la
Grammaire,
due à Lancelot et Arnauld (1660), et la
Logique, composée par
Arnauld et Nicole (1662), qui comptent parmi les œuvres
les plus importantes produites de Port‑Royal. Blaise Pascal
rédigea de même une "Nouvelle méthode" pour apprendre à
lire.
L'enseignement est
ludique et équilibré entre théorie et pratique
Le châtiment corporel
est aboli et est remplacé par le respect que l'élève doit à son
maître
Le nombre d'élèves est
de 5 ou 6 par groupe, le nombre maximum étant 25
Le grec et sa culture viennent
au même rang que la culture latine. Ceci influencera Jean Racine
dans l'écriture de ses tragédies...
La plume d'oie est
remplacée par la plume métallique... |
Maître des
Petites Ecoles,
Nicolas Fontaine
(1625‑1709) écrivit les
Mémoires pour servir à
l'histoire de Port‑Royal. Il
fut enfermé à la Bastille en 1664
et raconte : |
Il y
avait un maître dans chaque chambre, avec cinq ou six enfants.
Les lits étaient disposés de manière que le maître les voyait
tous du sien. Chacun avait sa table à part, et elles étaient
rangées de manière que le maître les voyait toutes ; mais ils ne
pouvaient se parler les uns aux autres. Chacun avait son tiroir,
son pupitre et les livres nécessaires, de sorte qu'ils n'étaient
point obligés de rien emprunter à leurs compagnons. Le nombre
des pensionnaires n'était pas fort grand, parce qu'on n'en
donnait à un maître qu'autant qu'il pouvait tenir de lits dans
sa chambre.
On se levait à cinq heures et demie, et on
s'habillait soi‑même. Ceux qui étaient trop petits étaient aidés
par un garçon. On faisait la prière en commun dans la chambre,
et ensuite chacun étudiait sa leçon, qui était de la prose pour
le matin. A sept heures, chacun la répétait au maître, l'un
après l'autre. On déjeunait ensuite, et en hiver on se
chauffait. Après le déjeuner, on se remettait à sa table; chaque
enfant faisait sa version, qu'on leur recommandait de bien
écrire. La version faite, ils la lisaient au maître, l'un après
l'autre. S'il restait du temps, on leur faisait expliquer la
suite de leur auteur qu'ils n'avaient point préparée. A onze
heures, on allait au réfectoire, et un de ceux qui avaient été
confirmés récitait un verset du Nouveau Testament en latin. Les
enfants d'une même chambre étaient à une même table avec leur
maître, qui avait soin de leur servir à manger, et même à boire.
On faisait la lecture pendant le repas. Au sortir du réfectoire,
on allait en récréation au jardin, en tout temps, excepté
lorsqu'il faisait mauvais ou qu'il était nuit. Comme le jardin
était fort vaste et plein de bois et de prairies, il était
défendu de sortir, sans permission, d'un espace qui était
marqué. Les maîtres se promenaient au même lieu sans perdre
jamais de vue leurs enfants ; mais leur présence ne les gênait
nullement, parce qu'on leur donnait une entière liberté de jouer
aux jeux qu'il leur plaisait de choisir.
À
une heure, on allait dans une salle commune jusqu'à deux. Les
enfants y apprenaient un jour la géographie et un autre,
l'histoire. A deux heures, ils remontaient dans leurs chambres
pour étudier la poésie, dont ils faisaient la répétition au
maître à quatre heures; après quoi, ils goûtaient. Ensuite ils
étudiaient le grec de la même manière que les autres leçons, et
ils en faisaient la répétition.
|

Abbaye de Port‑Royal des champs ‑ Le
réfectoire des religieuses |
Mais les Solitaires ne font pas qu'étudier. Ils participent
aussi à la rénovation du site. En dehors de la prière et de
l'enseignement, ils effectuent des travaux importants.
L'assèchement des marécages et le rehaussement du sol de
l'église abbatiale participent à l'assainissement et au confort
des lieux. Ces aménagements feront revenir les religieuses à
Port‑Royal des Champs.
En 1647, l'établissement devient
l'abbaye de
Port‑Royal du Saint‑Sacrement
et à la place du scapulaire noir, les religieuses cisterciennes
s'affichent avec le scapulaire blanc orné d'une croix rouge sur
la poitrine. |

Abbaye de Port‑Royal des champs ‑
Procession du Saint Sacrement dans le cloître |
1648 ‑ Les religieuses reviennent à Port‑Royal des Champs
Le
13 mai 1648 une partie des religieuses reviennent dans la
campagne de Chevreuse.
Dès lors, la
communauté féminine possède deux établissements, l'un à
Port‑Royal des Champs et l'autre à Paris...
Les
Solitaires se retirent alors dans "la ferme des Granges" et y
installent leurs Petites Ecoles. L'enseignement devient réputé
et innove dans beaucoup de domaines. La connaissance est
considérée comme un moyen et non comme une fin et cette nouvelle
manière d'apprendre s'oppose radicalement à celle des collèges
jésuites. On remarquera d'ailleurs parmi les jeunes élèves un
certain Jean Racine...
L'abbaye de Port‑Royal devient ainsi un centre hautement
intellectuel et religieux où des érudits travaillent et
réfléchissent ensemble sur une nouvelle société religieuse plus
moderne. Des ouvrages issus de ce centre de réflexion sont
publiés comme la Grammaire générale et raisonnée, rédigée par le Grand
Arnauld et Lancelot, ou la Logique de Port‑Royal, œuvre
conjointe de
Pierre Nicole et du même
Antoine Arnauld.
Mais
la pensée janséniste qui s'installe peu à peu agace le jeune roi
Louis XIV et Mazarin...
|

Abbaye de Port‑Royal des champs ‑ L'aumône
à l'entrée de l'abbaye |

Abbaye de Port‑Royal des champs ‑ Les
religieuses soignant les malades |
1640‑1669 Condamnation du jansénisme et expulsions
Le XVIIe
siècle fut incontestablement marqué par la pensée janséniste,
mais ce courant est vite considéré par Rome comme hérétique.
Il sera source de conflit et de cruauté en plein siècle des
lumières...
Le
jansénisme impose la rigueur morale en s'inspirant des thèses de
Saint Augustin.
L'homme n'est pas maître de
son destin et son salut ne lui est accordé que par la
toute‑puissance de la grâce de Dieu. |
Cette thèse est
en totale opposition avec les Jésuites qui la condamnent
fermement. Très vite le jansénisme agace le pouvoir royal et les
instances religieuses qui n'apprécient guère que l'on détourne
la parole du Pape.
Richelieu
s'empare du problème et ordonne des sanctions qui seront
confirmées par Rome. Le Pape déclare la pensée
hérétique.
Au début du XVIIe siècle l'Eglise est en pleine
réforme mais les questions spirituelles et dogmatiques divisent
les théologiens. Le courant protestant crée des débats à la
faculté de théologie (la Sorbonne) et l'étude des écrits de
Saint Augustin, père de l'église, à propos de la Grâce, provoque
des polémiques.
De plus, la publication de
l'Augustinus de
Cornelius
Jansen (1640) et son succès en France au moment de la mort
de Richelieu en décembre 1642, n'arrange rien, de même la
publication en août
1643 de la Fréquente communion d'Antoine Arnauld, docteur
de Sorbonne et frère de la Mère Angélique.
|

Jansénisme et confusion
‑ La gravure
montre le pape (en haut)
et le Roi (à gauche)
en conflit avec les jansénistes
|
L'Augustinus
étant publié, les opposants au jansénisme veulent condamner
l'ouvrage. Isaac Habert, ancien collaborateur de Richelieu
devenu évêque, publie en décembre
1646 une liste de huit
propositions extraites de l'Augustinus qu'il tient pour
hérétique. Quelques années plus tard, en
1649,
Nicolas Cornet demande à ce que soient examinées 5
propositions tirées des thèses soutenues par des bacheliers de
la Sorbonne et qui touchent au problème de la grâce. Ceci va
mettre le feu aux poudres.
En
1653
et à la demande de la Sorbonne les 5 propositions sont déclarées
officiellement hérétiques par une bulle papale (Bulle Cum
occasione d'Innocent X).
Les religieuses sont alors en pleine tourmente. D'un côté elles
doivent entière fidélité à l'Église et à l'autorité papale, de
l'autre elles doivent faire face à l'hostilité croissante des
jésuites et de l'autorité royale. Dès lors, les hostilités entre
partisans des Jésuites et jansénistes vont se faire de plus en
plus fréquentes.
La bulle papale destinée à calmer les divergences ne fait
qu'aggraver la situation et engendre une polémique violente
menée par Antoine Arnaud.
En 1655, Arnaud finit par accepter la condamnation des 5
propositions, mais il conserve sur leur attribution à Jansénius
un silence respectueux. Obligée de se prononcer, la Sorbonne
choisit alors en
1656 d'exclure ce prêtre insoumis. Seront exclus avec lui
une centaine de docteurs, le tiers de ses membres. |
La Fronde
(1648‑1653)
Il est important de noter ici qu'un contexte politique très
particulier frappe alors le royaume de France entre 1648 et
1653. C'est une période de troubles graves durant la
minorité de Louis XIV qui est alors en pleine guerre avec
l'Espagne (1635‑1659). L'autorité monarchique de Louis XIII et
la fermeté de Richelieu génèrent en effet des révoltes brutales.
La période de régence qui suit la mort du cardinal et celle de
Louis XIII, empoisonnée par les caisses vides de l'Etat (du fait
de la Guerre de 30 ans), engendre des rébellions
aristocratiques, parlementaires et populaires. C'est la période
de la Fronde dont une figure emblématique fut la duchesse de
Longueville. |
C'est alors qu'un nouveau
personnage important va entrer en scène : Blaise Pascal
également janséniste.
Pascal est alors sollicité par ses amis d'intervenir dans le
conflit qui les oppose aux Jésuites. Cette prise de position
donnera lieu à l’écriture des
« Provinciales ».
Ces écrits vont s'attacher à démontrer la différence entre le
droit et l'éthique.
Entre le
23 janvier 1656 et le 24 mars 1657,
Pascal publie donc 18 lettres
et pose un problème
philosophique éternel : la destinée et la vie morale... Le
public prend alors conscience de cette thèse condamnée par
Rome...
Ce débat théologien portera ses fruits, mais le pouvoir du
clergé contre‑attaque et demande à tous les ecclésiastiques de
renoncer aux thèses de l'Augustinus (arrêt royal du
13
avril 1661). La communauté de Port‑Royal refusera et sera
condamnée à 4 ans d'isolement dans l'abbaye... |
 |
En
1660,
Les
Provinciales sont brûlées par le Roi et en
1661, sur le point
de mourir, Mazarin recommande au jeune
Louis XIV
de détruire la « secte » janséniste dangereuse pour la paix
religieuse et politique, car les derniers « frondeurs » soutiennent
Port‑Royal... |
1661 L'année
où tout bascule...
En
1661,
Louis XIV règne seul et cette crise entre le clergé et
les jansénistes empoisonne la vie politique et religieuse de son
royaume. Toute solution qui apaiserait et clarifierait les
débats est souhaitée. Louis XIV va alors obtenir de l'assemblée
du Clergé de France, un formulaire destiné au clergé
séculier, consignant l'adhésion de cœur et d'esprit à la
condamnation pontificale des Cinq propositions. L'édit royal du
29 avril 1664 tentera de mettre fin au silence
respectueux et demandera une signature sans restriction du
formulaire.
«
Je me soumets sincèrement à la constitution du pape
Innocent X du 31 mai 1653, selon son véritable sens,
qui a été déterminé par la constitution de notre
Saint‑Père le pape Alexandre VII du 16 octobre 1656.
Je reconnais que je suis obligé en conscience
d'obéir à ces constitutions, et je condamne de cœur
et de bouche la doctrine des Cinq propositions de
Cornélius Jansenius contenues en son livre intitulé
Augustinus, que ces deux papes et les Evêques ont
condamnée, laquelle doctrine n'est point celle de
saint Augustin, que Jansenius a mal expliquée,
contre le vrai sens de ce saint Docteur.»
Extrait du Formulaire |
Cette période
devient la plus dure de la répression contre le jansénisme.
Alors que Mère Angélique décède en
1661, on exige des
religieuses qu'elles signent explicitement
le Formulaire
condamnant l'Augustinus. Elles refusent alors invoquant
une trahison envers la mémoire de l'abbé de Saint‑Cyran.
Puis on leur enlève leurs pensionnaires et leurs novices.
L'archevêque de Paris, Mgr Hardouin de Péréfixe, se rend
plusieurs fois au monastère de Port‑Royal pour tenter de
convaincre les religieuses à signer, mais en vain. Il les
privera de sacrements le 21 août 1664. Quelques jours
plus tard, les meneuses sont dispersées hors du monastère, puis
toutes les religieuses non signataires sont regroupées et
gardées à Port‑Royal‑des‑Champs, tandis que les religieuses
signataires sont réunies au monastère parisien.
Ce mouvement de révolte
exacerbé par une répression sans ménagement pousse l'épiscopat à
prendre position entre le droit et les faits. C'est alors qu'en
1665 un mandement fut publié par les jansénistes
demandant expressément de ne pas signer le Formulaire. Ce
mandement que l'on croyait être d'Antoine Arnauld a été écrit en
réalité par
Nicolas Pavillon (1597‑1677), leader d'un mouvement où 4
évêques
vont alors cristalliser cette rébellion et seront ainsi
condamner par Rome et par Louis XIV. Cette liste d'évêque est
constituée par :
François
de Caulet, évêque de Pamiers
Nicolas
Pavillon, évêque d'Alet et leader du mouvement
Choart
de Buzenval, évêque de Beauvais
Henri Arnauld, évêque d'Angers
(frère de Mère Angélique)
Nicolas
Pavillon, de loin le plus tenace et le plus audacieux, ira
jusqu'à offrir aux jansénistes un asile dans son diocèse... |
Le pape Alexandre VII, intenta alors à ces 4 évêques un
procès canonique destiné à les destituer de leurs diocèses.
Heureusement pour
eux, la mort du Pape intervint en
1667 empêchant toute poursuite.
La mort de
Mère Angélique en
1661 est vécue dans l'abbaye comme
un véritable traumatisme et c'est un peu l'âme de
Port‑Royal qui disparaît. C'est en
1658 que la succession
avait été décidée et Jeanne‑Catherine‑Agnès Arnauld, sa
sœur, aura la lourde responsabilité d'affronter la répression
durant 3 ans... |

Le pape Alexandre VII (1599‑1667) |
Cette année
1661 marque la fin de Port‑Royal. Dès la
mort de
Mazarin, le
9 mars 1661, Louis XIV ordonne la
dispersion des novices et des pensionnaires des monastères de
Port‑Royal‑des‑Champs et de Port‑Royal de Paris. Les petites
écoles sont fermées, les pensionnaires de l'abbaye sont
expulsées, les Solitaires se dispersent et s'exilent pour ne pas
être embastillés.
Enfin les religieuses sont expulsées du monastère le
23 avril
1661.
|
Jeanne‑Catherine‑Agnès Arnauld
Mère Agnès Arnauld
(1593‑1672)
Elle fut abbesse
de Port‑Royal et une grande figure
du jansénisme français
Sœur d'Antoine Arnauld et de Mère Angélique, elle succède à
cette dernière à la tête de l'abbaye de Port‑Royal des Champs et
de Paris en 1658. Elle affronta la période la plus dure de la
répression contre le jansénisme et organisa le mouvement de
refus de signature du Formulaire d'Alexandre VII. Cette position
l'obligera à être aussi en conflit avec l'archevêque de Paris
Hardouin de Péréfixe.
Elle est également l'auteur des Constitutions de
Port‑Royal, texte qui règlemente la vie matérielle et
spirituelle des religieuses dans un esprit de renouvellement
cistercien.
|

Mère Agnès Arnauld (1593‑1672)
Sœur de Mère Angélique |
Ces expulsions vont faciliter une négociation et une paix
provisoire. Sous l'impulsion du pape
Clément IX, Rome
obtient l'apaisement en France en
1668 pour une dizaine
d'années. D'ailleurs Louis XIV a d'autres soucis
puisqu'il prépare la guerre avec les Pays‑Bas. Le Pape Clément
IX et le pouvoir royal seront alors contraints de négocier,
craignant un schisme. Ce sera la paix Clémentine signée
en 1669.
|
1669‑1679 La paix Clémentine
Cette période sera pour
l'abbaye de Port‑Royal le temps d'un nouveau développement
intellectuel qui favorisera son épanouissement et la
communication vers les fidèles. Les jansénistes veulent éviter
tout nouvel affrontement et les ouvrages publiés durant cette
période sont dépourvus de sujets à polémiques. C'est le temps des
"Pensées" de Pascal qui seront publiées en
1670.
Louis Isaac Lemaistre de Sacy publie en
1667 un
Nouveau Testament qui est aussitôt commandé par le pape en
1668. Il publie aussi une nouvelle
Vulgate sur
30 volumes qui sera achevée en
1695.
Les Pensées de
Pascal et
la Bible de Sacy deviendront les plus
belles pages d'exemple de la littérature classique française du
XVIIe siècle...
Toute la haute société parisienne vient se rassembler et
débattre des grands courants théologiques du moment. Mais ce
succès n'est que temporaire et la répression n'attend que
la fin de la guerre pour reprendre...
Dès la paix de Nimègue et le traité de Saint‑Germain signés en
1679,
Louis XIV
reprend l'offensive contre le jansénisme et Port‑Royal. Ce
totalitarisme intransigeant conduira le roi à combattre aussi
les protestants en révoquant l'édit de Nantes en 1685.
Cette reprise des hostilités par Louis XIV en
1679 est
aussi certainement due à la disparition cette même année, de la
duchesse de Longueville qui fut la protectrice de
Port‑Royal.
|
1679‑1713 Port‑Royal termine dans l'horreur et la
cruauté
En 1679,
le monastère est voué à l'extinction et les expulsions
reprennent, mais de façon plus violente (plus de 70
personnes sont concernées). Les principaux ecclésiastiques
jansénistes s'exilent : Pierre Nicole s'installe dans les
Flandres et Antoine Arnauld fuit à Bruxelles.
Louis
XIV qui est à la fin de son règne veut terminer avec le
jansénisme et tout ce qui rappelle ce courant non conforme qu'il
appellera d'ailleurs "La secte républicaine" en
opposition à la monarchie absolue.
En
1701, l'affaire dite «
du cas de conscience »,
déclenche la reprise des persécutions et
Louis XIV exige
du pape une nouvelle condamnation. Il l'obtient du pape avec la
bulle « Vineam Domini » en
1705.
A partir de cette déclaration le roi a enfin la liberté de mener
la répression comme il l'entend. Les principaux chefs
jansénistes sont emprisonnés ou exilés.
Profitant de la guerre de Succession d'Espagne, Louis XIV
fait arrêter
Pasquier Quesnel (1634‑1719) théologien catholique, aux
Pays‑Bas en 1703 mais celui‑ci s'évade. Tous ses papiers seront
saisis ce qui conduira à l'arrestation de tout le réseau de
correspondants de Quesnel depuis une quinzaine d'années dans
toute la France. Les foyers des écrits jansénistes sont
découverts, les jansénistes fuient à l'étranger, le plus souvent
aux Pays‑Bas et aux Provinces‑Unies, en passant par l'abbaye de
Hautefontaine.
A noter qu'une partie importante des archives de Nicolas
Pavillon se trouvent aujourd'hui conservée soit aux archives
provinciales d'Utrecht, aux Pays‑Bas, soit aux archives du
séminaire d'Amersfoort (province d'Utrecht). La Hollande fut en
effet le lieu d'exil de nombreux jansénistes français. Ceux‑ci
se regroupèrent d'abord à Amsterdam puis à Utrecht où des liens
entre Église d'Utrecht et jansénistes français sont durables.
Lieu de refuge au XVIIIe siècle, Utrecht devint lieu de mémoire
de la tradition janséniste. Les fonds de la Boite à Perette
servaient régulièrement à financer une partie de la vie de cette
Église.
(Les Archives
Nationales à Paris ne contiennent que le procès de Nicolas
Pavillon).
Le
29 octobre
1709 les
22 religieuses de Port‑Royal qui avaient refusé de signer
la bulle « Vineam Domici » sont assaillies par le
lieutenant de police d'Argenson
assisté de 300 mousquetaires. Elles sont enlevées et
dispersées par les autorités du roi dans divers couvents. |

Arrêt de dissolution de Port‑Royal
signifié aux 22 religieuses
dans la salle du chapitre,
par Marc René de Voyer de Paulmy,
marquis d'Argenson le 29
octobre 1709 |

Les religieuses restantes sont expulsées
en octobre 1709 |
En
1710,
le roi ordonne la destruction du monastère et en 1711 il est
rasé comme pour exorciser le mal. En
1712
les
sépultures sont violées et les ossements sont enfouis dans une
fosse commune dans le cimetière de Saint‑Lambert‑des‑bois. Même
les chiens, venaient se repaître des restes des plus récents
exhumés.
Mais Louis XIV
veut aller plus loin. Il demande à nouveau une bulle de
condamnation. Celle‑ci doit déclarer le jansénisme globalement
hérétique. Le pape Clément XI exprima donc sa sentence
avec
la bulle «
Unigenitus » le
8 septembre 1713.
Mais cette bulle
élargit le pouvoir de Rome. Non seulement les thèses
augustiniennes sur la grâce sont commandées, mais elle affirme
également la prééminence de Rome sur l'Eglise de France et le
droit de contrôle du Saint‑Siège sur les princes. Elle condamne
aussi 101 propositions réputées hérétiques dans le Nouveau
Testament avec des réflexions morales du P. Quesnel.
Ce nouvel
épisode soulève les protestations de plusieurs évêques qui
souhaitent alors réunir un concile général des évêques du
royaume. Ceci s'accompagne en 1731 de faits étranges. Des
scènes de convulsions et de guérisons miraculeuses sont
observées sur la tombe d'un diacre janséniste,
François de
Pâris, au cimetière de
Saint‑Médard à Paris. Le cimetière devient alors le
théâtre de scènes d'extases collectives. Des illuminés entrent
en convulsion sur la sépulture du Diacre. Le cimetière sera
fermé sur ordonnance. |
La mémoire de Port‑Royal et ses ruines furent
célébrées très tôt, par Lesesne d'Etemare, dans des
poèmes en prose intitulés "Gémissements sur la
destruction de Port‑Royal". En 1809, l'abbé Grégoire
rédigera "Les ruines de Port‑Royal" et Sainte‑Beuve
à son tour, au terme de son Port‑Royal, entreprit de
décrire à son tour cet épisode, l'un des plus
sombres de l'Histoire de France, dans une voix où
l'on sent percer l'indignation et la révolte.
Charles‑Augustin Sainte‑Beuve
(1804‑1869)
fut un critique littéraire et un écrivain français.
Il est l'auteur de "Port‑Royal",
une œuvre majeure qui est devenue aujourd'hui une
véritable référence. Voici ce qu'il écrit à propos
de la destruction de l'abbaye : |
« Qu' on se rappelle ce qui
s'était passé depuis tant d'
années que nous étudions
Port‑Royal et que nous y
habitons, la quantité de
corps, d' entrailles, de
cœurs, que la piété des
fidèles y avait envoyés
reposer comme en une terre
plus sainte. On a évalué à
plus de trois mille les
corps qui, déposés dans la
suite des générations,
durent être ainsi exhumés
inhumainement. Pour
quelques‑uns que la religion
des héritiers ou des amis
vint revendiquer et choisir,
combien de hasard et de
pêle‑mêle ! Qu'attendre des
hommes grossiers chargés de
déterrer confusément les
corps, et de les porter en
tas dans des tombeaux au
cimetière voisin de
Saint‑Lambert ? Il y avait
bien un prêtre, M Le Doux,
de Saint‑Nicolas De
Chardonnet, chargé par le
cardinal de Noailles de
veiller à ce que les choses
se passassent convenablement
; mais que pouvait‑il seul,
souvent absent, et eût‑il
été présent, sur des hommes
brutaux et qui
s'enhardissaient par
l'ivresse à leur dégoûtante
besogne ?
Ainsi ce qui avait
été la vallée sainte par
excellence et la cité des
tombeaux n' offrit plus,
durant ces mois de novembre
et de décembre 1711, que la
vue d' un immense charnier
livré à la pioche et aux
quolibets des fossoyeurs.
[...]
mais je n' ai plus trouvé
qu' un horrible mélange
d' os et de chair meurtris
et traînés dans la fange,
des lambeaux pleins de sang,
et des membres affreux
que des chiens dévorants se
disputaient entre eux.
[...]
Cette fin du songe d'Athalie
se vérifia à la lettre. Des
chasseurs, qui traversèrent
alors le vallon, ont raconté
qu' ils furent obligés
d'écarter avec le bout de
leurs fusils des chiens
acharnés à des lambeaux.
Comment s'étonner, après
cela, que la réaction morale
causée par ces horreurs
suscite des fanatiques, et
que le gémissement d' abord,
le sanglot, puis la
convulsion saisisse ceux qui
sont trop violemment
indignés ! Grâce à une
incurie sans nom succédant à
de longues suggestions
iniques, il y eut sous Louis
XIV, à deux pas de
Versailles, des actes qui
rappellent ceux de 1793. On
le lui rendit trop bien à ce
superbe monarque, et à toute
sa race, le jour de la
violation des tombes royales
à Saint‑Denis ! Dernier
trait de profanation :
plusieurs des tombes des
religieuses, qui étaient des
losanges fort larges de
marbre noir ou de pierre de
liais, furent trouvées dans
des cabarets et des
auberges, à quelques lieues
aux environs, y servant de
pavés ou même de tables à
boire dans la cour. Des
passants scandalisés en
rachetèrent quelques‑unes.»
C.‑A. de Sainte‑Beuve,
Port‑Royal, dernière partie. |
Pratiquement aucune toile ne rappelle ces périodes de l'horreur.
Cette partie de notre Histoire de France a été littéralement
occultée par les historiens et les artistes. Seuls quelques
rares écrivains comme
Sainte‑Beuve, eurent le courage de dénoncer quelques
vérités il y a plus d'un siècle... |

Au centre le vicaire de Saint Nicolas du
Chardonnet charger de surveiller
les opérations d'exhumations à l'automne 1711.
Au fond la démolition de l'église qui eut lieu entre
septembre
1712 et printemps 1713 |
En
1712
les sépultures sont violées et les ossements sont enfouis dans
une fosse commune dans le cimetière de Saint‑Lambert‑des‑bois.
Même les chiens venaient se repaître des restes des plus récents
exhumés.
Une stèle de granit s'élève
aujourd'hui sur la fosse où sont les restes des jansénistes...
Un texte indique :
Ici furent enfouis, après avoir
été transportés dans des tombereaux, les restes des religieuses
et des solitaires qui reposaient
à Port‑Royal‑des‑Champs
janvier 1712 |

Saint‑Lambert‑des‑bois ‑ Fosse janséniste |
Lors de la destruction, les pierres tombales furent sauvées par
les habitants de Magny‑les‑Hameaux et stockées dans l'église
Saint Germain du village. Les dalles qui servaient au sol de
l'église furent ensuite levées contre les murs sous Napoléons
III. Mais l'humidité et le temps attaquaient malgré tout les
pierres. Récemment un projet de restauration du patrimoine a été
mis en place pour sauver ces restes historiques. |
Le jansénisme devient politique
La fin du
jansénisme épiscopal sera marquée par la condamnation des 4
évêques et la mort du cardinal de Noailles en
1729. La
lutte se déplace alors au sein des parlements qui font de la
tentative du clergé de contrôler les milieux jansénistes, une
affaire d'ordre public. De plus le mouvement janséniste ne
disparut pas à Port‑Royal des Champs et les ruines devinrent un
lieu de pèlerinage.
Avec l'attentat de Damiens contre
Louis XV en
1757 et la crise parlementaire en
1756, les
parlementaires jansénistes abandonnent le combat de "L'Augustinus"
pour concentrer leurs attaques contre les jésuites. La
suppression de
la Compagnie de Jésus en France en
1764, achève la
séparation du Clergé et du pouvoir royal et renforce les
velléités politiques des parlements. |
Sous la Révolution, les jansénistes se rallieront tout de suite
au tiers état et imposeront avec l'abbé Grégoire, leur vision
gallicane de l'Eglise par la constitution civile du clergé.
Cette contestation et les
résistances qui suivirent comptent certainement parmi les
multiples causes de la Révolution française. Le mouvement
janséniste s'éteignit à l'aube du XIXe
siècle avec le Concordat de 1802 qui amena les
catholiques français autour du Pape.
Une plaque au musée
de Port‑Royal rappelle quelques noms illustres qui consacrèrent
une partie de leur vie au destin terrible
de Port‑Royal... |
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Mère Angélique et Agnès sa sœur ‑ Anonyme
d'après Philippe de Champaigne |
Il ne
subsiste aujourd'hui en vallée de Chevreuse, haut lieu de
spiritualité
et de vie intellectuelle, que quelques ruines éparses.
Louis
XIV,
par on ne sait quelle folie, ordonna que les corps des
Solitaires
soient exhumés et que les bâtiments soient brulés
et détruits jusqu'à leurs fondations.
La pioche et le marteau eurent raison de ce lieu subversif.
On dispersa même les cendres des tombeaux
et les chiens finirent les restes.
C'est en
1679 que commença cette persécution cruelle en expulsant les
dernières religieuses. Quel crime avaient donc commis les
jansénistes
de Port‑Royal pour mériter un tel déferlement de haine ?
Si crime il y a eu, il ne pouvait s'agir que de celui de la
liberté de conscience.
Vouloir défier l'autorité royale absolue, refuser une quelconque
soumission intellectuelle et religieuse, cela méritait‑il une
telle condamnation
jusqu'à extirper de la terre la
moindre chair janséniste ?
Louis XIV ne pouvait se douter qu'en opérant ainsi avec
tant de haine
et de vengeance, les jansénistes et leurs causes allaient
finalement
devenir le courant des martyrs...
Finalement,
l'histoire de Port‑Royal, si peu connue, représente
tout ce que peut impliquer la quête de la liberté d'esprit et la
résistance de quelques intellectuels trop en avance sur leur
temps, face à l'intolérance
et aux visées totalitaires d'un roi... |
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