Entre
1900 et 1901,
Bérenger Saunière
décida de faire construire dans le Domaine une demeure qu'il baptisa :
La Villa Béthania
Pour cela, il s'adressa à l'architecte
Caminade qui se chargea entièrement de la réalisation. Quant aux plans intérieurs, ils
furent élaborés par
Saunière...
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La Villa Béthania ‑ La façade avant
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Elie Bot,
limonadier de
Luc‑sur‑Aude, mais également maçon,
était chargé
de la direction des équipes du
chantier.
Il fut aussi l'un des plus fidèles
artisans de Bérenger
Saunière et fut certainement marqué par les longues années
passées avec lui.
Bérenger Saunière a toujours affirmé que la Villa Béthania
était à l'origine destinée à héberger des prêtres à
la retraite.
Laissons l'abbé Saunière nous le dire
lui‑même :
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La Villa Béthania
en construction
en 1901
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" Cette villa, maison
un peu vaste et assez confortable, je l'ai construite
d'abord pour moi, désirant terminer mes jours dans mon
ancienne paroisse, et aussi, pour remplacer le presbytère
dont j'étais comme tous les autres curés, menacés d'être
dépossédés par le gouvernement (la loi de 1905 de la
Séparation de l'Église et de l'État). Enfin, dans ma pensée,
cette maison, une fois terminée, j'avais l'idée de l'offrir
à Mgr l'Évêque de Carcassonne avec toutes ses dépendances,
pour en faire une maison de retraite en faveur des prêtres
âgés et infirmes, où rien n'aurait manqué : le bon air, une
chapelle pour la messe, une bibliothèque et un cabinet de
lecture, des jardins variés, terrasses, une véranda, des
promenades et même une place réservée dans le cimetière
paroissial après leur mort ".
Nous le savons aujourd'hui, son but premier fut
détourné au fil du temps...
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La face arrière de la Villa et la chapelle privée
attenante |
Comme pour l'ensemble des constructions
du Domaine,
La Villa Béthania fut entièrement
financée sur ses propres deniers.
Par contre, Bérenger Saunière
acheta les terrains sur lesquels il réalisa le Domaine
au nom de Marie Dénarnaud, sa
fidèle servante.
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Ce point est
important puisque cela signifie qu'il finançait des travaux et des
constructions qu'il prévoyait ne jamais lui appartenir, si ce n'est au
décès de Marie, si elle devait décéder avant lui. La famille Corbu qui hérita de Marie Dénarnaud
retrouva deux testaments de legs réciproques entre le prêtre et
sa
servante. L'objectif était bien sûr de préparer la future
séparation des biens, voire la confiscation du patrimoine
religieux au profit de l'État, ce qui se précipita en 1905.
Saunière n'ayant aucun bien personnel, cette confiscation aurait
été impossible. D'ailleurs, il s'en servira largement lors
de son procès...
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Ce n'est qu'à partir de mai
1901 que la Villa Béthania fut achevée au
niveau du gros œuvre.
Petit à petit, la construction se dressait sur le
plateau, tout comme la
Tour Magdala
un peu plus loin.
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De l'extérieur, la Villa
prend l'aspect d'une maison cossue de la fin du 19e siècle. Certes, le terme "Villa" peut
paraître pompeux, mais il est important de le replacer dans
son contexte (voir plus bas).
Il est vrai que l'aspect neuf et
massif devait particulièrement contraster avec les maisons modestes et pauvres du
village.
Même aujourd'hui son
architecture du début du siècle et son style
Renaissance jurent avec les
autres maisons rurales de la commune. Il est d'ailleurs
difficile d'imaginer comment à son époque, ce prêtre rythmé par
une vie bourgeoise était perçu par ses paroissiens. Sa villa
nous laisse un parfait témoignage de cet étrange contraste.
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La Villa vue depuis le jardin |
Quatre
niveaux partagent la maison du curé : un sous‑sol, un
rez‑de‑chaussée et deux étages, dont le dernier est
partiellement aménagé en grenier. Le sous‑sol comprend deux
pièces servant de cave et une cuisine d'été. Cette partie de
la Villa est aujourd'hui inaccessible.
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C'est dans ces caves que la cousine de Marie Dénarnaud prétendit
avoir aperçu, lors de l'une de ses visites, des lingots d'or
alignés sur des étagères...
Le rez‑de‑chaussée est constitué d'un salon, d'une salle à manger, d'une cuisine et d'un couloir donnant accès
aux escaliers.
Les papiers peints
et le dallage que l'on peut observer aujourd'hui sont d'origine,
mais la villa souffre d'un manque d'entretien et reste en constante dégradation.
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Le salon
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Le salon se composait d'un ensemble style
Napoléon III, d'une belle table en bois noir, d'un canapé et de
deux fauteuils. Au nord se trouve une cuisine qui était utilisée
en hiver. |
L'accès à la Villa se faisait par la
porte principale de la façade donnant sur la rue. On
peut encore y voir
deux vitraux
au‑dessus de la porte d'entrée
qui furent posés par Bérenger Saunière. Ils sont illustrés
par
deux cœurs flamboyants du plus bel effet lorsque le Soleil
les illumine.
La porte d'entrée de la
Villa Béthania est aujourd'hui fermée, l'entrée
se faisant par la véranda.
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Un tableau d'Alphonse Mucha était également exposé
pendant plusieurs années dans l'escalier conduisant au
premier étage. Il ne l'est plus actuellement.
Or cette toile très
particulière présente des
curiosités. Lorsqu'on l'observe de plus près, on peut y
découvrir une
tombe, un bénitier
en forme de bassin circulaire, et un
diable dissimulé.
Le premier étage est constitué de
deux vastes
chambres avec chacune un cabinet de
toilette attenant. Chaque cabinet de toilette est pourvu de
lavabos en faïence décorée, encastrés dans des meubles en
bois.
Le premier étage comprend également une
pièce ayant servi d'office et de sacristie privée.
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Le tableau d'Alphonse Mucha
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L'une des chambres a été remise en
situation avec un lit, une armoire, une chaise, et des habits
sacerdotaux.
Une
facture concernant la "chambre de M. le Curé" indique qu'ont été livrés une chambre en noyer
ciré, un lit milieu à baldaquin, une armoire à glace à deux
portes, un fauteuil et deux chaises, le tout de style Louis XV,
une glace au‑dessus de la cheminée et un bureau en noyer.
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La chambre
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La seconde chambre "mauve" est aménagée en musée
religieux. Toutefois, Bérenger Saunière ne
vécut jamais à la Villa Béthania.
On y trouve un lavabo de marbre, une glace bambou, une
encoignure, une table Louis XV, un lit et une table de
nuit platane.
En continuant par un escalier en bois très
raide, on accède
au deuxième étage qui est actuellement
fermé au public. Les deux
chambres de cet étage sont séparées par un cabinet de
toilette placé juste derrière la statue extérieure.
Ce cabinet de toilette possède des
"fenestrous" (petite fenêtre en Occitan) qui permettaient de
voir sans être vu. Bérenger Saunière aimait décidément
la discrétion.
La toiture
fut posée le 8 juillet et protège un vaste grenier. Elle est
constituée
en ardoises provenant des
grandes carrières de Dourgne.
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Tout autour de la Villa,
l'abbé Saunière organisa de somptueux jardins d'agrément avec
allées, fleurs et arbres.
De l'extérieur et sur la façade avant, le regard est attiré par
une niche située au niveau du dernier étage. Elle protège un Christ en majesté,
bras ouverts, et semblant bénir tous ceux qui
entrent dans la demeure du prêtre.
Sur sa poitrine, un
cœur flamboyant identique à ceux des vitraux de la porte
d'entrée nous rappelle le style saint sulpicien. Au‑dessus,
le chapiteau met en valeur deux mots gravés en style oncial : "Villa
Béthania"...
Ce Christ debout est
aussi un étrange clin d'œil à un autre monument perdu à la
croisée de deux chemins : le Christ d'Antugnac...
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Le Domaine et la Villa Béthania en 1958 |
Un clin d'œil lazariste...
Avouez que la
coïncidence est remarquable. Non seulement, nous retrouvons sur
cette autre façade la référence "BETHANIE", mais également
en guise d'accueil au‑dessus de l'entrée, un Christ au
cœur flamboyant, debout et les bras ouverts. |
À quel
bâtiment religieux appartient cette façade ?
Cette maison aurait elle
servie d'inspiration à la Villa Bethania de Saunière ? Ou bien
serait‑ce la Villa Béthania qui servit de référence ?
Car un autre fait
important est à noter : cette façade fut construite par un
lazariste, un missionnaire de la fameuse Congrégation dont
Jean Jourde
était un fervent disciple et dont
Saint Vincent de Paul
était le
fondateur.
Nous
avons
donc là une nouvelle preuve de l'influence lazariste dans la
réalisation du Domaine de Saunière... |
La maison lazariste à Vichy |
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Cette
façade d'un blanc éclatant appartient à
la Maison du
Missionnaire, construite dans un beau quartier de
Vichy
près des thermes Callou.
C'est aujourd'hui un lieu
d'accueil pour les
lazaristes missionnaires français et étrangers, avec ses prêtres, ses
religieux, et ses séminaristes.
La Maison est ouverte toute l'année et son ambiance est avant
tout familiale et bon enfant. La langue française y est aussi
enseignée.
Or, qui fut le fondateur de cette institution religieuse ? |
Ce bâtiment
est en fait l'œuvre du père Watthé. Né en
1878 à
Houtherque (59), missionnaire lazariste, il fut envoyé en Chine
entre 1903 et
1914 pour encadrer des coolies près
du front. Il tomba malheureusement gravement malade. Rapatrié en
France, il fut alors soigné à Vichy et c'est grâce aux
eaux thermales qu'il retrouva la santé.
Vichy, la ville des sources miraculeuses, devint alors pour lui sa
nouvelle mission. Il fonda en 1923
l'association de la Maison du Missionnaire,
un lieu
d'accueil pour les catholiques comprenant hébergement et soins
gratuits. |
le
Révérend Père Henri Watthé |
Le premier cercle missionnaire était situé au 14 avenue Thermale
et la première Maison du Missionnaire, "la villa du bon Samaritain",
rue Mounin.
Voici donc une autre coïncidence troublante : la dénomination "La
Villa du bon Samaritain" rappelle curieusement "la
Villa Bethania". La Villa de Vichy obtint en tout cas la reconnaissance d'utilité publique en
1928 et en 1931. Watthé en sera le directeur de
1922 à 1925.
Or, ce n'est pas
tout. En 1931, une seconde
maison fut construite :
la
Maison
du Missionnaire, "Béthanie". Cette dernière est
plus grande, plus moderne et d'une architecture typique
1920. Son toit en forme de pagode est un hommage à son
fondateur.
Le Révérend
Père Henri Watthé décéda à Vichy le 18 novembre
1935
à l'âge de 57 ans. Il fut inhumé à Vichy, dans le caveau des
Missionnaires le 12 mai 1936. Vous
l'aurez compris, la Villa Béthania de Saunière n'a pas pu être
inspirée des constructions du Père Watthé, mais la question doit
être posée autrement. |
Il faut plutôt se demander si le courant lazariste entre
1880 et
1930 ne possédait pas quelques codes
d'architecture que les constructions des missionnaires devaient
intégrer. Le nom Béthanie et le Christ au cœur flamboyant
au‑dessus du seuil d'entrée seraient alors une signature
lazariste, une marque de fabrique...
Nous aurions
ainsi un début de preuve que le
Domaine de Saunière
était sous l'influence des enfants de Saint‑Vincent de Paul...
En définitive, l'ombre de
Jean Jourde n'est pas
loin, comme nous le rappelle cette carte postale
prise entre 1904 et
1906 et
que Saunière aimait vendre. On y voit un prêtre en tenue
lazariste, venant
constater la fin des travaux... Il s'agit bien sûr de
Jean Jourde et sa chronologie
démontre qu'il était bien présent dans le Haut‑Razès durant
cette période... |
La Villa Bethania vers 1904
et Jean Jourde posant devant la porte d'entrée, un document à la
main |
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