L'étude de l'église de Rennes‑le‑Château
passe obligatoirement par la visite d'une manufacture
célèbre de Toulouse : la maison
Giscard. Statuaire du
Sud‑ouest spécialisé dans
les ornements religieux, la maison est intimement liée aux travaux
de restauration de
Bérenger Saunière
effectués dans son
église Marie‑Madeleine.
Giscard
n'est pas seulement un nom célèbre de la région, c'est aussi une
entreprise familiale sur quatre générations qui eut un énorme développement dans le
domaine très particulier de l'artisanat en terre cuite. Son
art fut dédié principalement aux objets du
culte. La manufacture Giscard est aussi à l'origine de
nombreuses ornementations de l'architecture néo‑classique de
Toulouse.
Mais depuis l'année
2005, date à
laquelle la famille Giscard fit don de ses archives à la
ville de Toulouse, son épopée devint avec l'affaire de
Rennes une nouvelle légende d'autant que des documents
commencent à apparaître.


|
Bernard Giscard
(1851 ‑ 1926)
Statuaire de la maison
Giscard
à Toulouse
Statuaire renommé, il fut
celui qui développa la manufacture d'art
religieux dans
toute la France
au 19e siècle.
Il fut aussi le
fournisseur de la plupart des décorations énigmatiques que
l'on trouve dans l'église de
Bérenger Saunière.
Connaissait‑il
quelques secrets de Rennes ? Avait‑il quelques soupçons ?
|

Bernard Giscard (1851‑1926) |
Petite entreprise deviendra grande... |
La fabrique de
terre cuite fut fondée en 1855 par
Jean‑Baptiste
Giscard, un ancien contremaître de l'usine Virebent de
Launaguet. La direction de cette jeune entreprise fut ensuite
menée avec son fils Bernard Giscard. Son emplacement
est situé à Toulouse, au 25 et 27 avenue de la colonne
et au 31 rue Paul Dupin.
Jean‑Baptiste Giscard (1818‑1906) commença
sa carrière en tant que mouleur et statuaire chez une autre grande
famille toulousaine "les Virebent". Celle‑ci était spécialisée dans
l'architecture et la fabrication de statues. C'est le 11 octobre
1858
qu'il put s'établir à son propre compte avec l'autorisation
d'installer un four. Ses premières réalisations
furent des décors de façade et des objets religieux. Jean‑Baptiste Giscard eut deux fils
Bernard et Henri...
Bernard
Giscard (1851‑1926)
représente la seconde génération et reprend l'activité à la mort de
son père. Il fut celui qui développa
l'entreprise en fabriquant une très grande variété d'objets
religieux. C'est lui qui rencontra notamment
Bérenger Saunière pour la réfection de
son église et confectionna plusieurs statuaires et une fresque qui devinrent
aujourd'hui de réelles énigmes. Artiste sculpteur, il signa aussi de
nombreuses œuvres comme des chemins de croix, des autels, des
bénitiers, des Saints
et même des Monuments aux morts. Bernard Giscard est à l'apogée de
la production de la fabrique. En effet nous sommes entre
1830 et
1910 une période ou l'art religieux est très à la mode...
Henri Giscard
(1895‑1985), son frère, fut un statuaire renommé. Il développa la partie artistique de
la fabrique et succéda à Henry Virebent comme professeur de
céramiques et de moulages aux Beaux‑Arts.
Il ne faut pas oublier
Dominique Giscard (1865‑1882) qui décéda jeune à l'âge de 17 ans
comme l'indique le caveau familial.
Enfin,
Joseph
Giscard (1931‑2005) terminera cette saga familiale dans le monde
de l'art religieux. Issu de l'École des Beaux‑Arts, il reprit
l'activité de la célèbre maison. Malgré un sursaut de l'entreprise
dans les années 1920, les statues de terres cuites sont peu
demandées. Joseph Giscard reprit donc seul l'aventure en honorant
quelques commandes spécifiques. IL finira par un legs, celui à la
ville de Toulouse de tous les biens et les archives de la famille
sur 4 générations...
Le métier de la terre cuite, très appréciée au 19e siècle, demande un grand savoir‑faire et les Giscard s'y emploient. Très vite, une spécialité
apparaît, l'art dans l'ornement religieux. Il faut dire qu'à
cette époque beaucoup de lieux de culte sont demandeurs, car la
mode est à la décoration des églises communales.
|

Un grenier de terres cuites Giscard aujourd'hui
On y trouve des modèles
inachevés et parfaitement conservés |
Or, une trentaine
d'années après sa création en 1885, la fabrique est curieusement
connue pour ses œuvres profanes et notamment pour la réalisation d'une
statue du grand jurisconsulte
Jacques Cujas.
Par la suite,
elle se spécialisa
vers l’art sacré avec des
représentations de
Sainte Germaine de Pibrac, une Sainte
toulousaine et de Sainte Thérèse de Lisieux.
C'est aussi
en 1885
que
Saunière
arrive comme jeune prêtre à Rennes‑le‑Château. À la même
période, la petite entreprise devient :
"La Manufacture d'ameublement
d'église Giscard"
C'est une
belle réussite qui prouve une maîtrise complète de la
fabrication des objets en terre cuite et qui confirme la
présence d'un marché consacré à l'art religieux. |

Sainte Germaine de Pibrac
à
Rennes‑le‑Château |
Car la Maison Giscard ne fut
pas seulement fabricant de statues, mais aussi artisans créateurs, et
ce talent fut l'une des surprises des chercheurs de Rennes.
L'entreprise
dans son élan deviendra le
fournisseur principal du statuaire de Rennes‑le‑Château pour le compte de Saunière.
Et comme avec tout fournisseur,
un contrat sera
signé entre Bernard Giscard et le dernier
Seigneur de Rennes. Un contrat classique à première vue, mais
qui occupera les chercheurs un siècle plus
tard...
|

Détail d'une plaque photographique du fond Giscard
(propriété
de la ville de Toulouse)
Debout de gauche à droite :
Henri David, Bernard Giscard, Marie‑Antoinette Giscard et
Jean‑Baptiste Giscard. Puis assis de gauche à
droite : André
David, Rose Barutel (épouse de Bernard Giscard)
et Henri Giscard
En considérant que Henri David est né le 12 décembre 1911 et que
d'après la photo
il aurait environ 10 ans, la scène aurait été immortalisée
vers 1921
|
Au début du XXe
siècle, l'entreprise tourna à nouveau une page, puisque ce fut
Henri
Giscard, le fils de Bernard, qui prit la direction en perpétuant
la tradition. Nous sommes à la 3ème génération.
Encore une fois, un homme de talent se trouve à la tête
de l'entreprise, puisqu'il est également professeur à l'école des
Beaux‑arts de
Toulouse.
L'entreprise est toujours située
25 av. de la Colonne à Toulouse.
Elle est composée d'ateliers, d'une très importante
« chambre à terre » pour le stockage à humidité constante,
de fours, d'un important stock de moules et de plâtres et des bureaux administratifs. Elle
fournit du travail à 50 personnes et le carnet de commandes est
plein, les églises ayant dans les années
1920 décidé
d'investir dans les décorations.
Henri Giscard
(1895‑1985) fut aussi un statuaire renommé qui propulsa les
activités de terre cuite. Il représente la 3ème génération. Henri
Giscard obtint une bourse d'études pour financer
l'école des Beaux‑arts de Toulouse puis celle de Paris. Ses efforts
seront récompensés par un second prix de Rome. |

Un cliché des
employés des Ets Giscard.
Notez que des femmes sont aussi
présentes
(extrait du forum ‑
Merci à Franck Daffos pour sa contribution au site) |
L'art de la terre cuite,
un procédé complexe et précis
La fabrication d'une statue
en terre cuite demande un savoir‑faire évident. Le travail se déroulait en plusieurs étapes incontournables.
1) Réalisation de l'œuvre
primaire
La statue ou la pièce originale est réalisée
avec un soin tout particulier. C'est ici que l'artiste
créateur intervient.
2) Réalisation du moule
Le moule est obtenu en
recouvrant l'œuvre de départ avec du plâtre teinté d'ocre
rouge. Pour cela, la pièce à mouler est placée dans un
récipient adapté où on coule un plâtre. L'œuvre originale
est perdue, mais on conserve le précieux moule de plâtre. La technique du moulage est très ancienne et elle
fut déjà utilisée par les Romains et les Égyptiens.
3) Remplissage avec la terre
Le moule sert ensuite à
reproduire l'œuvre de départ. On presse sur les parois du
moule la terre molle qui imprime ainsi tous les creux de façon à épouser ses formes et les
détails. Il s'agit de l'estampage. Traditionnellement, les Giscard utilisaient une
terre toulousaine de couleur rouge fabriquée à partir de
reste de briques non cuites. Un procédé basé sur le délayage
et le broyage permettait d'obtenir une matière idéale.
4) Démoulage
Il faut attendre un jour avant le démoulage et
l'opération nécessite du savon noir. Après ébavurage de la pièce de terre, elle est
mise à sécher lentement en utilisant un linge sec. La perte d'eau raffermit
la pièce obtenue, mais elle rétrécit également d'environ 7% (7 cm pour 1m)
4) On enfourne
La préparation du four est une étape importante. Celui‑ci
doit chauffer pendant deux jours
pour arriver à la bonne température, car le risque de la
cuisson est de faire éclater la pièce. L'objet à cuire est
alors disposé dans le four et des ouvertures permettent
d'observer à tout moment l'avancement de cette réaction
chimique qui s'exerce sous l'action d'une chaleur de plus de
600°. Mais la température peut monter jusqu'à 1100° selon le
volume à cuire. La technique de la terre cuite est très similaire avec
celle de la faïence ou de la porcelaine.
Au‑delà d’une certaine épaisseur, la sculpture doit être creuse et présenter au
moins une ouverture permettant à l’air humide de s’échapper. Des
anciens chercheurs se rappellent d'ailleurs avoir retrouvé des petites
coupures de journaux qui obstruaient des trous au niveau de
la tête des anges du bénitier. L'utilité de ces ouvertures est évidente
lorsque l'on connaît les contraintes dues à la cuisson et au
refroidissement.
5) On défourne
L'objet est cuit lorsqu'il
possède une belle couleur homogène. Il faut alors arrêter la
cuisson, mais très lentement pour éviter les craquelures dues
aux changements brusques de température. Une semaine est
nécessaire pour laisser refroidir la terre cuite qui est
devenue rouge.
6 ) La
retouche
Cette étape consiste à
réassembler les pièces entre elles et à corriger les défauts
s'il y en a.
Le sujet peut ensuite
recevoir une patine (pralin) et une polychromie selon les désirs du client...
|
Le succès fut très vite grandissant et
vers
1920, la
maison familiale obtint le
monopole. Elle devint le dépositaire officiel du Carmel de
Lisieux pour la statue de Sainte‑Thérése de l’Enfant Jésus.
Les
artistes de
la famille
Giscard,
tous formés par
l’école des Beaux
Arts de Toulouse, participent
évidemment aux succès et à la renommée de la fabrique.
D'autant qu'elle sait capitaliser année après année une
expérience unique et peu commune pour l'époque.
Joseph Giscard, dernier
représentant de la famille, dernier détenteur du savoir‑faire, décédera malheureusement le
31
janvier 2005, sans héritier.
|

Joseph Giscard
|
RLC... Commandes personnalisées ou sur catalogue ? |
Les Ets Giscard passionnèrent très
rapidement les chercheurs,
ce qui est tout à fait logique si l'on considère que la Fabrique
fut le fournisseur privilégié de Saunière.
La restauration de l'église
Marie‑Madeleine se termina en
1897 et entre‑temps de nombreuses fournitures
furent commandées.
Le contrat signé
avec Bernard Giscard
porte sur une somme de 2500 francs‑or, payable par annuités
de 500 francs,
ce qui correspond pour
l'époque à un montant extrêmement important.
Les statues commandées sont issues du catalogue standard
Giscard, excepté
le
diable bénitier qui fut
réalisé spécifiquement à la demande de Saunière (ceci fut confirmé
par Joseph Giscard lui‑même). Les statues
furent livrées peintes et leurs éclats étonnent encore
aujourd'hui. Il est vrai que Saunière ne lésina pas sur la
commande puisqu'il choisit les modèles les plus luxueux.
Les chercheurs scrutèrent longtemps tous les détails et on
peut affirmer aujourd'hui que leurs formes et leurs présentations
générales ne furent pas l'objet d'une commande
particulière.
Pourtant, il
faut faire attention, car des détails se sont glissés
discrètement rendant les œuvres uniques. La statue de
Saint Antoine Ermite existe jusqu'à preuve du contraire
en un seul exemplaire et rappelle étrangement
Joseph Chiron, un prêtre marcheur, ermite de Galamus, curieusement
lié à l'énigme. |
De même les défenses
ajoutées à son cochon sont étonantes, car au 19e siècle l'attribut de Saint Antoine était
depuis très longtemps un cochon domestique et non
un sanglier ou un cochon sauvage. Ce détail semble aussi
unique.
En
réalité, le fait que
certaines statues soient standards n'exclut en aucun cas que des détails ou des
couleurs aient pu être ajoutées avant ou après la livraison.
Le chemin de croix
fit aussi l'objet de spécificité. Il existe à ce jour environ
40 chemins de
croix plus ou moins identiques à celui de Rennes‑le‑Château, mais
en réalité très peu sont quasiment identiques.
Ci‑contre une
station 14 Giscard identique à celle de Rennes‑le‑Château, mais
sans la représentation de la lune...
(Photo Franck Daffos) |
 |
La fourniture contractuelle que
commanda Saunière à Giscard porte sur les objets suivants :
La
fresque haut relief «Venez à moi…»
en ronde bosse (Larg 3m)
Un chemin de croix (1,20m x 0,60m)
version de luxe polychromie.
7 statues (1,30m) représentant la
Vierge Marie et l’Enfant Jésus, Saint Joseph et l’Enfant
Jésus, Saint‑Antoine de Padoue, Sainte Marie Madeleine,
Saint Antoine le Grand, Sainte Germaine et Saint Roch,
version luxe
Le baptême du
Christ par Saint‑Jean‑Baptiste (2,90m x 0,80m)
6 socles de
statues avec têtes d'anges
2 pinacles en
style roman pour les statues de Joseph et Marie
3 statues
(Une Vierge
romane, Saint Joseph et le Sacré Cœur)
A la lecture
du contrat, plusieurs éléments sont troublants et notamment
ces indications "Conformes
au modèle donné" ou
"Conformes au modèle décidé". On trouve même la
mention "Conforme au modèle envoyé".
Visiblement le cahier des charges défini dans le catalogue
Giscard ne suffisait pas pour le goût de Saunière. Il est donc naturel de retrouver côté Giscard la commande
usine.
Or voici ce que l'on peut lire dans le
registre de la fabrique :
Le 20 novembre
1896
St joseph avec enfant 1m 90, Ste Vierge avec
enfant, St Antoine de Padoue avec enfant sur
le livre, Marie‑Madeleine, Antoine
Ermite, Germaine avec deux agneaux, St
Roch
Statues, chemins de croix, bas reliefs se
reporter pour l’exécution à la pralin. Terre
cuite cuite Polychrome. 2500 Frs
Le 28 janvier
1897
Un bénitier formé par 4 anges, signe de croix,
coquille supportée par un diable largeur 0.80
hauteur 2.50 on peut donner d’avantage de
profondeur ne pas dépasser 60 cts, décoré
extra‑riche avec yeux émail, 8 socles pour pots
de fleurs à 6f pièce
Au haut de la croix qui doit surmonter
l’ensemble une banderole sur laquelle sera
inscrit ces paroles : « par ce signe tu le
vaincras » 300 Frs
Le 10 mars 1897
Une Ste Bérengère culot compris 0m90, un bon
pasteur culot compris 0m90, ... du sacré cœur, rayons dorés statues yeux
en émail, décor blanc, chairs peintes. Au prix de 200 Frs
|
Visiblement le registre n'a pas pu suffire à la réalisation
de la commande. D'ailleurs
le contrat
est exigeant :
"Les
fournitures doivent être irréprochables quant à l'exécution"
Le mystère
reste donc entier. Comment Giscard récupéra les consignes de
réalisation et sous quelles formes ? D'autant que certains
détails ont été modifiés comme par exemple cette banderole
indiquée dans le registre "PAR
CE SIGNE TE LE VAINCRAS"
et qui disparaîtra en lettres imprimées sous les 4 anges.
Et que
dire de ce
diable bénitier
unique dont toute trace de facture et de commande ont
disparu aussi bien côté Saunière que Giscard. Décidément
certaines commandes sont scrupuleusement notées, d'autres
pas du tout... |

La commande enregistrée par Giscard et
livrée
(photo Franck Daffos) |
On a souvent
prétendu que Giscard fournissait exclusivement ses œuvres
sur catalogue. Si comme tout bon commerçant un catalogue servait
de base à la vente, il était également possible de faire des commandes
très personnalisées. Car
il faut savoir qu'à l'époque, l'atelier Giscard
employait des femmes qui étaient réputées pour leur
minutie. Elles réalisaient
des retouches sur mesure commandées par les clients. En fait,
les Ets Giscard étaient connus pour la souplesse de leurs
réalisations, moyennant finances bien sûr. La preuve est
donnée sur cette reproduction d'un catalogue Giscard du tout
début du XXe siècle où l'abbé Martres de
Toulouse félicite Giscard pour le superbe chemin de croix
qu'il lui a commandé.
Merci à François Pous pour cette belle trouvaille |

Courrier de l'abbé J. Martres de Toulouse (Photo François Pous) |
Une
maison pas comme les autres |
Si votre
curiosité vous amène à traverser Toulouse, ne manquez pas de
passer devant une curieuse maison. Elle se remarque du bout de
l'avenue avec ses frontons en dentelles et de curieux
personnages perchés sur la toiture, qui gardent la fabrique. Il s'agit de
la Maison
Giscard située au 25 et 27 av. de la colonne.
Vous serez alors
envahi par un sentiment étrange devant cette bâtisse, âgée de
plus de 150 ans, qui essaima des décorations religieuses sur un
siècle et demi dans toute la France et qui surtout, fut
intimement impliquée dans l'énigme des deux Rennes... |

La Maison Giscard au 27 av de la colonne à
Toulouse |
La bâtisse ressemble en réalité à un monument
orné de volutes de pierre sur les portes et sur toutes les
fenêtres. Comme pour figer le passé, les ateliers sont
aujourd'hui protégés depuis 1975 et l'immeuble depuis
1998
au titre de la législation sur les monuments historiques et avec
la mention suivante :
« Fabrique Giscard, 25, avenue de la Colonne, y
compris l’ensemble des ateliers et locaux techniques (avec façades et
toitures), espaces d’exposition avec éléments fixés, monte‑charges,
bibliothèque, bureau, fours, cour et son sol avec groupe statuaire, malaxeur
et bassins, verrière et portail d’entrée
(CAD 806 AE 43) : inscription par
arrêté du 13 mars 1998. »
Il est vrai que cette grande
Maison fut construite par les Giscard en
1855... |

La façade est particulièrement
tourmentée... |
Des blasons
très symboliques
La façade donnant sur la rue
offre un visage marqué par les années, mais surtout, les
sculptures de pierres démontrent un sens de la mise en scène
certain. De nombreux artisans ont dû travailler sous la
direction des Giscard pour concevoir et assembler tous ces
éléments d'architecture. Un tel travail est impensable
aujourd'hui. |
Les premiers regards
tombent surtout sur d'étranges ornements au‑dessus des portes et
qui feront dire à Gérard de Sède que les
Giscard
étaient certainement affiliés à la
Franc‑Maçonnerie. Au
centre de chacun des trois ornements, un blason affiche les valeurs
artisanales de la célèbre famille toulousaine.
|

La main divine ailée
symbole ésotérique |

Les outils des compagnons
sculpteurs |

La règle, l'équerre, le compas
et le rouleau de terre |
La main
ailée représentée sur l'un des blasons mérite quelques
explications. La main est expressive et peut revêtir toutes
sortes de significations. Elle peut être un signe de
commandement, de protection, de création, de bénédiction, de
pouvoir, de force et d'enseignement. La main représentée avec la
paume ouverte est symbole de justice. Elle est souvent mise au
bout d'un bâton ou d'un sceptre. C'est aussi le
symbole de
justice du Dieu de l'Ancien Testament et qui sera repris par les
rois de France dont Saint Louis.
Mais ici, un œil
est au centre de la paume. Nous serions alors face à
la main
droite de Dieu qui se rapporte à la miséricorde. La main de Dieu
crée et protège, mais si l'homme ne respecte pas les lois divines
elle peut aussi punir. Nous ne sommes pas loin du mythe de
l'Alliance entre Dieu et les Hommes. |
Cette
représentation rappelle aussi la main
Hamsa (Myriam)
reconnaissable avec son œil au centre. Ce symbole très ancien
est utilisé comme amulette par les Hébreux ou les musulmans pour
se protéger du mauvais œil et attirer
la main de Dieu.
Le mot "hamsa",
signifie cinq. Le numéro cinq est un nombre puissant
symbolisant la protection, la puissance et la bonne fortune. La
cinquième lettre de l'alphabet hébreu est "Hey", qui signifie "Adoshem"
(Dieu). |

La main de Hamsa |

Le G de Giscard porté aux anges... |
Les gardiens
du fronton
Aurait‑on fini avec les symboles ? Non, car en levant la tête,
d'autres compositions de pierre nous regardent. Il s'agit de
personnages étranges sortis tout droit d'un conte pour enfants.
À chaque angle de la maison, des singes différemment costumés
surveillent les alentours. Visiblement, tout fut fait pour
impressionner les visiteurs et laisser une signature très
personnelle. D'ailleurs la maison fut baptisée à Toulouse «
la maison aux singes ». |

Un personnage surveille le visiteur et
garde le fronton en dentelle de pierre |
S'agit‑il
d'un clin d'œil satirique envers la société de l'époque ?
Peut‑être. L'un des singes est en tout cas habillé dans un
costume étroit. Son chapeau haut de forme, les lunettes à
poignée et le cigare dans sa main droite, ressemblent fort à une
caricature de la haute société. |

Un singe grimaçant
|

Un autre singe costumé
en homme du monde |
Décidément,
les Giscard
aimaient afficher un certain anti conformisme.
Il est vrai
qu'ils étaient réputés au début pour une production artisanale
plutôt profane. Mais ceci démontre surtout une capacité
artistique hors norme qui devait certainement impressionner pour
l'époque.
Il faut
surtout se remettre dans le contexte de la fin du 19e siècle,
une période durant laquelle la société occidentale était très
influencée par le colonialisme et les cultures exotiques. Les
artistes trouvaient alors dans l'art indien et
africain des inspirations sans limites. C'était aussi l'époque
de Jules Verne et des premières explorations des contrées
lointaines... |

Un autre singe en jockey |
La quatrième génération est
représentée par Joseph Giscard qui eut une lourde tâche, celle de
préserver le savoir‑faire et la Maison de ses aïeux. Mais cette mission a
été difficile, car les temps ont changé. La terre cuite n'est plus
aujourd'hui à la mode
ainsi que l'art religieux. Les affaires ne sont plus ce qu'elles étaient et
les prémices de la mondialisation finirent par avoir raison de ces
entreprises d'un autre temps, Joseph le savait bien.
Joseph
Giscard
(1931‑2005) :
né en plein front populaire, petit‑fils du
fondateur de la manufacture et fils d'Henri Giscard, il fit lui aussi les Beaux‑arts
comme son père. Il perdit sa mère à 6 ans et toute sa vie sera consacrée à
la préservation de son héritage familial. Conscient de la valeur de ce
patrimoine, il s'attachera à sauver une partie des moules des Virebent. Les
archives furent aussi conservées ainsi que de nombreux souvenirs familiaux.
Il mourut le 31 janvier 2005.
|

Joseph Giscard |
Cette sauvegarde
du patrimoine est exceptionnelle, car de nombreuses petites
entreprises qui disparurent dans le début du 20e
siècle avaient souvent l'habitude de se débarrasser de leur fonds
de commerce, une façon de se renflouer...
Mais
Joseph Giscard
fut également un infatigable artisan et jusqu'à la fin de sa
vie, il se voua à son art. |
Joseph Giscard, le
dernier statuaire
À l'heure où certains profitent de leur retraite, Joseph Giscard
continue inlassablement son labeur. Rien ne semble pouvoir
arrêter cet artisan statuaire, âgé de 72 ans. Un métier qui est
pour lui une passion. D'aucuns diraient un sacerdoce. Il est né
dans cette maison qui borde l'avenue de la Colonne. Son enfance
a baigné dans l'ambiance de l'atelier paternel qui employait
alors une cinquantaine d'ouvriers. Le jeune Joseph commençait
déjà à modeler la terre… Les billes qu'il façonnait entre ses
doigts étaient ensuite cuites au four avant de connaître un
franc succès dans la cour de récréation. S'il se penche avec une
certaine nostalgie sur ses tendres années Joseph Giscard ajoute
aussitôt : « Mes quatre ans passés aux Beaux‑arts et mes
dix‑huit mois de service militaire demeurent les meilleurs
moments de ma vie. » Puis il s'est mis au travail, dans
l'entreprise familiale, perfectionnant les gestes traditionnels.
Des gestes qu'accomplissaient avant lui son père Henri, son
grand‑père Bernard, son arrière‑grand‑père Jean‑Baptiste,
fondateur de la maison en 1855. Une tradition scrupuleusement
respectée aujourd'hui encore. Même s'il travaille désormais seul
dans l'atelier familial le statuaire propose de véritables
trésors. Outre les moules « Giscard », il a pu racheter ceux de
« Virebent », après la fermeture des ateliers de Launaguet. Il
demeure ainsi le dépositaire de ces cariatides (rue des
Marchands ou allées Jean‑Jaurès) et des décorations en terre
cuite qui ornent tant de maisons néo‑classiques ou de jardins de
la Ville rose.
AUJOURD'HUI ATELIER, DEMAIN MUSEE
Un patrimoine extraordinaire encore proposé aux Toulousains… Ici
Joseph Giscard affiche un sourire malicieux : « Voici quelques
années, j'ai été contacté pour mouler une de ces cariatides,
destinée à décorer une maison bâtie à Bruxelles… par un
architecte toulousain ».
L'âge d'or de la terre cuite est bien révolu. Mais les modes
sont versatiles. Un regain, un frémissement certain, amène une
nouvelle clientèle vers l'atelier de la rue Henri‑de‑Bornier. La
tendance actuelle est plutôt aux éléments décoratifs tel les
vases Médicis, les corbeilles de fleurs ou de fruits, les
statues classiques voire religieuses. Un patrimoine que Joseph
Giscard peut encore reproduire à la demande… Mais pour combien
de temps ? Le maître de céans n'a pas d'enfant. Il n'a pas non
plus formé un successeur à son art. Si on évoque sa retraite, il
avoue : « Je ferai valoir mes droits tout en continuant un peu
mon activité ». Quand le sculpteur statuaire cessera
définitivement son labeur ses ateliers (inscrits aux Monuments
historiques), la maison Giscard ne sera plus alors qu'un
musée...
Publié le 07/08/2003
par LaDepeche.fr |
L'atmosphère autour de la Maison Giscard rappelle la fin d'une époque,
d'un règne où le travail était dur, mais présent. Le tout était
encouragé par une passion sans faille et par l'obsession du
travail bien fait.
L'entreprise est aujourd'hui tombée dans
le coma et ne se réveillera plus. Mais il reste une chance, une
seconde vie sous la forme
d'un musée sur la terre cuite toulousaine.
A la fin de sa
vie, Joseph Giscard se limitait à produire des petites
statues de « Sainte Germaine de Pibrac » pour une congrégation
religieuse.
L'activité du four est trop
dure et nécessite plus d'un seul homme.
Paradoxalement, il
reprenait aussi des modèles anciens, ceux qui étaient qualifiés
à l'époque de profanes. Curieux retour des modes...
|

La cour et les ateliers aujourd'hui |
Un legs pour la
ville de Toulouse et pour l'Histoire
Joseph
était le dernier de la dynastie des
Giscard puisque sans
enfants. Il était aussi le dernier représentant d'une
lignée d'artisans hors norme, qui s'éteignit en
janvier 2005.
Le souvenir de
cette entreprise devrait donc s'éteindre petit à petit. Non, car
selon le souhait de la famille, la ville de Toulouse bénéficia
cette même année d'un legs des Archives Giscard. Et quel
legs ! Une montagne de moules, de documents, de plaques
photographiques, de registres, de commandes, de factures, de
correspondances, est en cours de classement par les Archives
municipales de Toulouse. Il faut ajouter à ceci l'immeuble
original, les ateliers et les outils d'époque.
Ces archives qui ne sont pas
encore complètement disponibles aux chercheurs et au grand
public devraient nous apprendre énormément sur la vie discrète
de cette famille d'entrepreneurs qui honorèrent sur 4
générations des clients très variés et avec tout ce que cela
implique comme soucis, rigueurs et exigences. Plus intéressante
encore sera certainement la découverte de leur démarche
artistique. Comment ces professeurs des Beaux‑arts purent
concilier l'art de la terre cuite avec la création, l'art religieux
et les contraintes commerciales ? Quelle était leur source
d'inspiration ?
Ce travail
mettra du temps, mais tout est réuni pour faire naître un musée
qui sera aussi riche et passionnant, que nostalgique et empreint
d'un mystère certain.
Car ne
l'oublions pas, Bernard Giscard et
Bérenger Saunière
eurent des relations commerciales, certes, mais comment ne pas
imaginer qu'il y eut d'autres échanges plus secrets ? Nous
savons de la part de Joseph que le
diable Asmodée fut une
commande spéciale, car à la question : Le moule du
Diable Asmodée
existe‑t‑il toujours ? il devait répondre :
Non, car le diable était une pièce unique,
commandée spécifiquement par Saunière...
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Pourquoi ce
moule fut‑il détruit alors que tous les autres étaient conservés?
Quel était exactement son cahier des charges ? Et pour
la fresque que l'on sait
aujourd'hui codée, les ateliers Giscard reçurent‑ils des
directives très précises et par qui ? Les artistes peintres que
Saunière recruta venaient‑ils de la Maison Giscard ?
Quelques
réponses seront peut‑être apportées avec le legs, mais rien
n'est sûr. D'ailleurs tout n'a pas été transmis aux Archives
municipales et certains registres de correspondance manquent.
Et pour les
passionnés de Rennes, que reste‑t‑il ? Un immense chantier, car
pour le moment aucun document ne permet de démêler clairement
les relations Giscard‑Saunière.
La légende peut donc continuer...
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Le chemin de croix
choisi pour l'église Marie‑Madeleine à Rennes‑le‑Château
(extrait du catalogue Giscard) |
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