Ou l'histoire d'un grand Secret...

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La puissance et la mort - Rennes-le-Château Archive

"La Puissance et la Mort"          3/3
Un texte initiatique de Noël Corbu ?

Rennes‑Le‑Château ou l'histoire d'un grand secret

 

 

 

   Souvent attribué à Noël Corbu, ce texte  peu connu dans son intégralité fait partie  des indices fondateurs de l'énigme des deux Rennes. On y trouve en effet, dans un style romancé, condensé et plutôt rustique, quelques pistes historiques, l'histoire du berger Paris et la vie insolite de Bérenger Saunière. Ce texte se présente comme une introduction au Secret de Rennes. Rapidement rédigé dans un ton narratif très moyen, son auteur voulait sans doute mettre par écrit suffisamment d'éléments pour qu'un curieux ou un chercheur assidu puisse poursuivre l'histoire et les recherches.

  

 

Sommaire

 

      Noël Corbu ou l'histoire du Domaine de 1942 à 1955

      Noël Corbu et son texte enregistré, introduction à l'énigme
  
   Le document "La puissance et la mort"... Était‑il l'auteur ?   

 

   La lecture de ce document laissera sans doute le sentiment d'un texte naïf, surtout pour les passionnés qui sauront faire la part entre le roman et les faits connus aujourd'hui. Pourtant, il faut se projeter à une époque où tout était à découvrir...

 

    Il y a aussi du Arsène Lupin dans cette Blanche de Castille qui fait actionner quelques mécanismes secrets pour accéder à un mystérieux souterrain. On y trouve également du Gérard de Sède avec ces rouleaux de parchemins déposés dans un pilier de l'autel et dont on sait aujourd'hui qu'il aurait pu contenir qu'un objet de très petite taille. Quant à la biographie de Bérenger Saunière et de Marie, elle reste caricaturale, occultant des éléments importants comme la découverte d'une oule remplie de pièce d'or dans son église, l'abbé Bigou, les Hautpoul ou la stèle de Blanchefort. Curieusement certains éléments sont cités mais sans les nommer, sans les décrire. 

 

   Il y a également ces petites anecdotes comme l'échange involontaire des coiffes entre Saunière et Mgr Billard lors de leur rencontre festive. Cette description de la fin de journée de la mission prête à rire, mais elle montre aussi que l'auteur a eu connaissance de quelques détails et de quelques colportages. Notons aussi des erreurs grossières comme la location du presbytère sur 99 ans, alors que le bail ne fut que de 5 ans. De même, la date de sa congestion cérébrale fut le 17 janvier et non le 22, date de son décès. Curieux aussi Noël Corbu qui n'est jamais nommé et que l'on retrouve dans le texte sous l'appellation "le monsieur"...

 

   C'est sans doute aussi ce texte qui finira par convaincre les premiers chercheurs de creuser à Rennes‑Le‑Château. C'est enfin de ce document que l'on connait aujourd'hui le prénom du berger Paris ... Ignace. Fut‑il élaboré à partir d'autres pièces documentaires ? Fut‑il écrit à partir du fameux dossier que Pierre Plantard récupéra ensuite de Corbu ?  Fut‑il rédigé par un romancier  ou un personnage qui suivit l'affaire de près ? Le mystère reste entier. Une seule certitude il fut écrit entre 1953 date du décès de Marie Dénarnaud et 1956 date à laquelle Noël Corbu commençait à informer le public.

 

   Le récit est daté de 1953 correspondant à la mort de Marie Dénarnaud, mais il s'agit certainement d'une fausse date. Par contre, il est clair qu'en lisant "La Puissance et La Mort" puis le texte enregistré par Noël Corbu pour ses convives en 1956, on devine que l'industriel puisa certainement son inspiration dans ce document fondateur... 

 


Noël Corbu (à gauche) avec Albert Salomon
journaliste de "La dépêche" en 1956

 

        En février 1250, Rhedae (Rennes‑le‑Château), puissante citadelle et ville de 30 000 âmes, attendait dans la fièvre l'arrivée de Blanche de Castille, régente du Royaume de France.

   Blanche de Castille venait à Rhedae non pour y séjourner, mais pour mettre à l'abri le trésor de la couronne car, dans tout le royaume, Pâtres, Vagabonds, Vilains, petits Féodaux se révoltaient (révolte des Pastoureaux) et partout c'était le pillage et la ruine. Paris même était menacé. Seul Rhedae, avec ses cavernes insondables, sa citadelle énorme, était à même de protéger et de conserver le trésor royal.

 

   Une armée véritable avait gardé le trésor pendant toute la durée du parcours. Il était arrivé sans encombre à Rhedae et maintenant la reine arrivait.

   Le sénéchal Pierre de Voisins attendait Blanche de Castille et sa suite. La réception terminée, Blanche de Castille descendit seule dans la salle souterraine du donjon, où se trouvent les coffres qui contiennent le trésor de France. Elle a demandé dix hommes au seigneur de Voisins, dix prisonniers à qui elle a promis la liberté. Ils arrivèrent et s'inclinèrent devant la reine. Sans un mot, celle‑ci montra du doigt une pierre avec un anneau. Péniblement, deux hommes s'arqueboutant arrivèrent à la soulever. Le trou béant révéla un sombre escalier.

 

"Prenez des torches, ordonna la reine et suivez moi."

L'escalier descendait interminablement, puis tombait dans une sorte de rotonde où aboutissaient plusieurs sombres et sinistres entrées.

 

"Attendez‑moi là, ordonna la reine, et, s'emparant d'une torche, elle s'engouffra dans l'un des lugubres boyaux. Au bout d'une centaine de mètres elle s'arrêta, le souterrain faisait un coude assez prononcé. La reine, du bout du pied, pressa une pierre, pendant qu'elle en faisait tourner une autre de sa main libre. Un faible déclic s'entendit, alors, avec l'épaule, la reine poussa la muraille de la courbe extérieure, et, doucement, celle‑ci s'enfonça, pivota et tout en tournant découvrit une autre ouverture pendant que le souterrain se bouchait par le pan de muraille. Ne connaissant pas le secret, une personne aurait cherché en vain car, la porte refermée, le souterrain continuait dans les entrailles de la terre et rien sur ces parois n'indiquait qu'il possédait une porte sur le côté.

 

   La reine retourna sur ses pas et ordonna aux hommes qui l'attendaient de transporter les malles, les coffres et les caisses qui se trouvaient dans la salle du donjon. Suant, ahanant, les prisonniers transportèrent le trésor. La reine, près de la porte de la salle secrète, comptait les caisses. Quand tout fut transporté, elle dit aux hommes de mettre les caisses en ordre, ainsi que les coffres et, pendant qu'ils étaient occupés à ce travail, la reine, silencieusement, appuya sur deux autres pierres et la lourde porte se referma, emmurant vivant les dix malheureux.

 

   Sans écouter la légère rumeur qui filtra à travers l'épaisse muraille, elle s'enfuit, remonta dans la salle du donjon et là, tomba à genoux demandant pardon à Dieu de ce qu'elle avait été obligée de commettre, nul ne connaissant le secret, horrible même, nul autre que le roi, son fils ne le connaîtrait. La vie de la France en dépendant, elle avait bien promis la liberté à ces hommes, mais mourir en martyr n'était‑ce pas gagner le Paradis et, par conséquent, la plus belle des libertés ? ...

 

   Quand la reine remonta de la salle et que le sénéchal de Voisins la vit, il ne put retenir un geste de surprise. La reine a vieillie de dix ans en quelques heures.

   Une grande partie de la nuit, Blanche de Castille écrivit, elle indique où se trouve le trésor et comment y accéder par plusieurs endroits en évitant les pièges. Ensuite, elle transforma les indications, embrouillant, mélangeant le tout avec des versets de l'Evangile et prit comme clef les premières lettres de chaque ligne d'une inscription qui se trouve sur une pierre tombale dans le cimetière. Ceci fait, elle glissa ces parchemins dans des rouleaux de bois et fit mander le chapelain. Elle lui explique que ces rouleaux devaient être cachés dans l'église.

   La reine, le chapelain et un moinillon dans l'église du château, dédiée à Sainte Marie‑Madeleine, firent glisser la dalle qui servait d'autel et cachèrent les rouleaux dans un des piliers creux.

 

   1252. Blanche de Castille va mourir. La paix règne dans le royaume. Avec un courage surhumain, elle est venue à bout de la révolte, mais l'effort a été trop grand, et puis il y a d'horribles souvenirs qui viennent la hanter, suprême épreuve, elle est devenue lépreuse et les eaux de Rennes‑les‑Bains n'ont rien pu faire contre son mal. Maintenant, résignée et apaisée, elle attend la mort. A une fidèle servante, elle donne un étui pour son fils Saint Louis, lui disant où se trouvent les parchemins, précaution presque inutile car Saint‑Louis sait où se trouve le trésor.

 

   1270. Tunis : Saint‑Louis meurt de la peste. Il a fait venir son fils, Philippe, et lui confie le secret royal.

 

   1285. Philippe‑le‑Hardi est malade, toutes ses troupes sont malades et, de plus, les Aragonais les harcelèrent sans cesse. Avec peine, il finit par arriver avec les débris de son armée à Perpignan. A demi inconscient, il meurt. Il n'a pas eu le temps de transmettre le secret du trésor royal à son fils, le futur Philippe‑le‑Bel. Personne ne sait plus où se trouve le trésor royal.

 

   1370. Rhedae est envahi par les espagnols, qui pillent, brûlent et détruisent tout. La ville est un chaos de flammes; quand le donjon, transformé en poudrière, saute, tout s'écroule. Lorsque les espagnols se retirent, Rhedae n'est plus qu'un monceau de ruines.

 

   1645. Rhedae, en souvenir de Blanche de Castille, s'appelle Rennes‑Le‑Château. Ce n'est qu'une petite bourgade de deux mille habitants. On a rebâtit le château, mais pas au même endroit. De l'antique et orgueilleuse Rhedae, il ne reste presque plus rien. Un jour, un berger nommé Ignace Paris, gardant ses moutons autour du village, entend bêler une de ses brebis. Il la cherche et ne la voit pas. Pourtant les bêlements sont tout prêts, il cherche encore et s'aperçoit que les bêlements  viennent de la terre. La bête est tombée dans un trou qui s'est formé au ras du sol. Il se penche et la voit. Avec précaution, il y descend, mais la brebis a peur et au lieu de venir vers son berger se met à fuir dans un souterrain qui donne dans le trou. Ignace bat le briquet, enflamme des herbes sèches, il confectionne une sorte de torche et se met à la poursuite de sa brebis. Voyant la torche, l'animal a encore plus peur et fuit de plus belle et, soudain, tous deux débouchent dans une salle. Elle est bourrée de coffres; l'un deux pourri, laisse échapper des pièces d'or. Le berger n'en croit pas ses yeux. Il achève de démolir le coffre et distingue un ruissellement d'or, mais subitement, il recule épouvanté. Des squelettes sont là, épars, semblant monter la garde autour du trésor. Alors, fébrilement, il se décoiffe, remplit son béret de pièces.

 

   Son instinct de berger reprenant le dessus il attrape sa brebis qui, épouvantée elle aussi, s'est réfugiée dans un coin et il fuit quelques mètres et c'est le trou. Il pose ses pièces, fait grimper sa brebis, reprenant ses pièces, il grimpe à son tour à l'air libre, il s'essuie le front moite d'une main; seulement il a réalisé qu'il est en possession d'un formidable secret. Ses moutons n'ont pas bougés, son chien fidèle les a gardés pendant sa courte absence.

 

   La terreur du berger est encore vive d'avoir vu ces squelettes, mais l'appât de l'or est plus fort, ce secret il le veut pour lui seul, aussi redescend‑t‑il dans le trou. Il veut s'assurer si le souterrain n'a pas d'autres issus, que d'autres gens pourraient le trouver. Il rallume des herbes et suit le côté opposé à la salle; il n'a pas fait dix mètres qu'il s'arrête net, un abîme s'ouvre là, béant, coupant absolument tout passage. Il y jette un caillou qui rebondit interminablement. De ce côté le secret est bien gardé, jamais personne ne pourra passer.

 

   Tranquillisé, Ignace remonte. Il contemple ces pièces d'or, il s'amuse à jouer avec, il est riche, plus riche que son châtelain. Mais il ne faut pas qu'on le sache, il s'emploie alors à boucher le trou. D'abord de grosses branches, puis des cailloux et de la terre. Quand tout est fini, rien ne peut laisser supposer qu'il y avait un trou. Il repère soigneusement l'endroit et, comme la nuit commence à arriver, il retourne à Rennes. Pour son esprit simple, la commotion a été rude. Il voit le trésor, mais il voit aussi les squelettes qui le gardent, c'est avec un air égaré qu'il arrive chez lui, où, sans mot dire, il pose sur la table le béret plein de pièces. Sa femme est affolée.

 

   "D'où sort‑tu ces pièces, crie‑t‑elle ?"

Lui se renferme dans son mutisme, il ne peut et ne veut rien dire, entendant les cris de sa femme, des voisins viennent voir et ils voient les pièces. Ils avertissent le seigneur, celui‑ci accourt.

 

   On questionne le berger, on l'accuse d'avoir volé, d'avoir tué un voyageur, il se défend et finit par raconter son histoire, mais, dans sa tête, il comprend que le secret ne lui appartient plus. Il ne pourra plus en jouir. Il se précipite sur son seigneur pour le tuer, mais les gardes sont là et c'est lui que l'on tue.

   Ignace Paris a emporté son secret dans la tombe. Le châtelain, les gardes et tous les habitants cherchent vainement le trou du berger; ce dernier l'avait bien dissimulé et le secret est de nouveau perdu.

 

   1885. Par une chaude journée de juin, l'abbé Bérenger Saunière monte à pied la dure côte qui mène à Rennes‑le‑Château, personne n'est venu l'accueillir à la gare de Couiza, personne pas même un membre de sa famille, qui habite tout près, à Montazels, qui se trouve à 5 km de la gare, rien.

   Il connaît Rennes‑le‑Château, un tout petit village sans avenir, et  c'est là que Mgr l'envoie, lui, presque tout jeune prêtre, puisqu'il n'a que 33 ans. C'est presque une punition. Enfin, il boira le calice...

 

   Son arrivée dans le village est morne, il apprend que la clef du presbytère est chez Alexandrine Dénarnaud. Il finit par trouver la maison, une minuscule bicoque à l'entrée du village. C'est une jolie jeune fille qui le reçoit, ni sa mère ni son père ne sont là, mais cela ne fait rien, elle va accompagner M. le Curé.

         La visite du presbytère est désastreuse, tout est en mauvais état. Il y fait froid humide, et le peu de meubles qu'il y a sont vermoulus. Un immense découragement envahit l'abbé. La jeune fille s'en aperçoit et fait tout ce qu'elle peut pour le remonter. Alexandrine arrive enfin et invite le curé à dîner.

 

   Dans les jours qui suivent, le curé apprécie la gentillesse de la jeune fille qui s'appelle Marie, de son père et de sa mère, et comme le presbytère est grand il leur offre leur maison étant trop petite, de venir habiter avec lui au presbytère. Le frère Barthélémy pourra rester dans la petite maison d'autant plus qu'il songe à se marier.

 

   La famille Dénarnaud accepte et, bien que le curé soit souvent à court d'argent, c'est une vie de famille qu'il mène. Marie, sa mère Alexandrine et le père Guillaume ne savent que faire pour lui faire plaisir. Souvent même Marie, qui travaille à la chapellerie à Espéraza, et Alexandrine lui avancent de l'argent.

 

   1892. L'abbé a conquis l'estime de tous ses paroissiens. Il est au mieux avec le maire et les conseillers. Aussi, en profite‑t‑il pour demander quelque crédit pour refaire le maître‑autel qui n'est plus au goût du jour et aussi arranger le toit qui est en mauvais état. Le maire et le conseil municipal acceptent et lui allouent 2400 F de crédit. C'est une très grosse somme pour l'époque.

   L'abbé est content. Grâce à cet argent, il va faire les réparations et les aménagements qui lui conviennent.

 

   Il fait venir un maçon de Couiza, un nommé Babou qui se met au travail et qui commence à démolir le maître‑autel. A 9h du matin, l'abbé se dispose d'aller voir les travaux... Il ne fait pas chaud du tout car nous sommes en février. Arrivé dans l'église il est interpellé par le maçon qui lui montre une cavité dans un des piliers du maître‑autel. Dans cette cavité, il y a des rouleaux de bois fermés avec de la cire. L'abbé, intrigué, en prend un, casse le capuchon de cire et voit une masse grisâtre qu'il tire, c'est un parchemin. Il est écrit, vieux français, latin. L'abbé reconnaît des fragments de l'Evangile, mais mêlé à cela il y a d'autres mots tels que: pièces d'or, bijoux, etc... La respiration de l'abbé se fait plus courte. Il y a là un mystère, des mots épars dansent devant ses yeux. Il reconnaît des chiffres, l'abbé se reprend car Babou est là qui le regarde avec une feinte indifférence. Il lui dit que ce sont des papiers sacrés et qui ont été mis là par d'autres prêtres, peut‑être à la Révolution française. Ils n'ont aucune valeurs et l'abbé dit au maçon d'aller déjeuner, et que pendant ce temps là il dirait sa messe. Babou n'insiste pas et s'en va. Aussitôt, l'abbé sort tous les rouleaux, brise la cire qui les cachètent et lit. Il voit de suite que tout a été embrouillé à souhait, mais néanmoins, il est sûr que ces parchemins révèlent un formidable secret.

 

   Babou, après déjeuner, est allé bavarder et, comme une traînée de poudre, tout le village apprend que l'on a trouvé des rouleaux contenant des parchemins. Le maire vient voir le curé, qui, s'en difficulté, les lui montre. Mais il n'y comprend rien et le curé n'a aucun mal pour lui prouver que ce sont des papiers sans valeur puisqu'on y parle de Saint‑Matthieu, Saint‑Luc, de Saint‑Jean. Le maire n'insiste pas.

 

   Mais le curé a peur que si Babou continue, il fasse une autre découverte. Sous le prétexte qu'il doit partir en voyage et ne peut surveiller les travaux, il arrête tout.

   Toute la nuit, le curé, aidé de Marie, essaie de déchiffrer les documents, mais tout un tas de chose lui échappe. Il y a des phrases entières en vieux français et latin qu'il ne comprend pas. La seule chose qu'il déchiffre assez bien ce sont les versets d'Evangile et la signature de Blanche de Castille avec son sceau. Tout le reste forme un rébus sans cohésion. Marie lui suggère d'aller voir un latiniste à Paris, mais le voyage coûte cher. Marie et sa famille donnent toutes leurs économies au curé, avec le peu que celui‑ci possède déjà cela suffira.

 

   A Paris, le curé, très méfiant, se fait indiquer plusieurs latinistes et ne donne à chacun d'eux qu'une partie des documents. Au bout de 5 jours, il a fini, il sait qu'il s'agit de la couronne de France, qu'il y a 18 millions 500 mille pièces d'or, des bijoux, des objets de culte, en tout une immense fortune, mais malgré les latinistes il reste une partie tout à fait obscure : l'endroit où se trouve le trésor ! C'est un véritable cryptogramme, il y a un mot clef, mais ce mot le curé ne le connaît pas. Tout soucieux, un peu penaud, le curé retourne à Rennes et confie à Marie ses résultats.

 

   Dès le lendemain, le curé retourne à l'église. L'autel est à moitié démoli. Il regarde où ce mot pourrait se trouver, mais les piliers n'ont rien, pas une inscription. La dalle de l'autel en a quelques‑uns, mais ils ne correspondent pas et malgré ses efforts, il ne trouve pas. Mais, Marie se promène dans le cimetière et, soudain, son attention est attirée par un très vieux tombeau. La dalle porte des inscriptions qui ont toujours paru bizarres. Les mots sont coupés sans rime ni raison, si c'était cela ? Elle appelle le curé qui note tout le texte et le soir, tous les deux, ils essayent et, tout à coup, ils trouvent la combinaison, le trésor est à eux. Il y a 6 entrées, celle du donjon est la plus facile, mais où était le donjon ? Tout est rasé, oui, mais sur un des côtés du parchemin, il y a des lignes et ces lignes sont comptées en toises et il y a l'orientation par rapport à l'église. Marie et le curé brûlent de fièvre, il est deux heures du matin dans le village, tout dort, aussi ils n'hésitent pas, ils prennent des cordes qu'ils mesurent soigneusement, et ils les tendent comme l'indiquent les lignes sur le plan. Il fait très froid, le vent souffle mais ils n'en ont cure. Le point d'intersection des ficelles se trouve au milieu d'un endroit qu'on appelle la "capelle", le château. C'est un terrain vague, il est trop tard maintenant pour continuer car, bientôt, les paysans vont se lever.

 

   La nuit suivante, le curé et Marie, qui ont soigneusement repéré l'endroit, commencent à fouiller, à quarante centimètres du sol, il trouvent une dalle de pierre, ils la dégagent; elle porte un anneau rouillé à son centre. S'aidant avec des barres, ils finissent par l'enlever. Un sombre escalier se révèle. Le curé décide que Marie fera le guet pendant que lui descendra, l'escalier est interminable, la lanterne dont il s'est muni jette à peine un peu de clarté. Il descend d'au moins 25m et abouti à une salle ronde. Sa faible lumière lui révèle 6 ouvertures béantes tout autour. Le curé doit faire appel à tout son courage, car l'endroit est sinistre. L'eau suinte des murs, pas un bruit ne perce le silence que la respiration saccadée du curé, on dirait un sépulcre. Le curé consulte à nouveau ses notes. Il finit par choisir un souterrain. Il avance, le voici au tournant, il cherche les pierres avec les indications.

 

   Voilà celle avec une croix en bas qu'il faut pousser avec le pied, pendant qu'avec la main il faut faire basculer en la faisant lever la 7ème pierre en partant de celle qui porte une couronne, puis appuyer assez fort sur la muraille après avoir entendu le déclic.

 

    Le cœur du curé bat la chamade, il est entièrement trempé de sueur. Il fait basculer la pierre, pendant qu'il pousse l'autre avec le pied, et pousse avec son épaule, mais rien ne se passe, la muraille ne bouge pas. Le curé est saisi d'un spasme nerveux et tremble des pieds à la tête. Les indications seraient‑elles fausses, se serait‑il trompé ou le mécanisme par le temps ne marcherait‑il plus ? Il se maîtrise, réfléchit, le parchemin dit après le déclic pousser avec l'épaule, il a poussé de suite, il doit recommencer. Il respire un grand coup et refait les deux gestes et attend. Quelques secondes se passent et il entend un léger déclic, ce doit être le déclic; se mordant les lèvres jusqu'au sang, il appuie sur la muraille, il sent son cœur s'arrêter, la muraille s'enfonce, elle tourne, elle ouvre un noir orifice en fermant l'autre côté du souterrain. L'abbé s'oblige à respirer, à se calmer, puis, résolument, il entre. Il pousse malgré lui un cri d'horreur : trois squelettes sont là près de la porte, ils semblent monter la garde. Près d'eux, des coffres, des malles à demi pourries, qui laissent couler des pièces d'or, des bijoux. Les parchemins n'ont pas menti, le curé sent le vertige le gagner. Il a envie de pleurer, de crier, il y a là une fortune considérable qui est là et à lui, rien qu'à lui. Adieu la misère, il est riche, immensément riche, plus riche que le Pape, le trésor des rois de France est à lui. Se forçant à se calmer, il cherche à compter les caisses, il y en a au moins deux cents, mais il ne peut s'empêcher de frissonner chaque fois qu'il rencontre un squelette, il y en a dix en tout. Le curé pressent le drame et s'imagine ces hommes mourant de faim et de soif à côté d'un trésor qui aurait pu leur donner la toute puissance.

 

   Le curé reprend ses esprits, il faut remonter. Marie est là‑haut qui l'attend. Lui dira‑t‑il ? Il hésite, mais au point ou il en est Marie en sait autant que lui, mentir ne servirait à rien, car il serait obligé de descendre, de monnayer cet or, il lui faut une personne de confiance, et Marie lui a donné assez de preuves de son dévouement. Il remonte. Marie est là, inquiète de la longue absence du curé. Vite, ils remettent la dalle, la recouvrant de terre, au milieu des pierres, des ronces, rien ne se reconnaît. Le curé n'a encore rien dit à Marie, mais celle‑ci a compris et maintenant au presbytère en ruines, il lui raconte tout ce qu'il a vu, c'est un éblouissement. Ils font des projets sans nombre. Avant toute chose, recommande Marie avec sa finesse paysanne, ne pas donner l'éveil, elle connaît l'histoire du berger et l'a raconté au curé. Ni l'un ni l'autre ne peuvent dormir cette nuit‑là.

 

   Dès le lendemain, tous les deux arrêtèrent un plan, ils iront la nuit suivante dans la salle au trésor, ils en prendront un peu, et puis le curé ira en Espagne, ce n'est pas loin, vendre les pièces, il se fera envoyer l'argent à la poste de Couiza ou plutôt il l'enverra au nom de Marie.

 

   Cela va très bien, le curé change souvent de pays, tantôt l'Espagne, tantôt la Belgique, tantôt la Suisse et l'Allemagne. Il vend très bien ses pièces car elles sont rares. Il vend aussi quelques bijoux, l'argent rentre à flot, aussi fait‑il refaire l'église entièrement à neuf, ainsi que le presbytère. Il commande les plus beaux meubles, les plus beaux bibelots. Pour Marie, il lui fait faire les plus belles robes, il dépense sans compter, il commande les meilleurs vins, les meilleurs liqueurs, il invite toute personne qui vient lui rendre visite. Chaque jour, ce sont des repas somptueux arrosés des meilleurs crus, la vie est belle.

 

  Le curé achète des terrains autour du presbytère, y compris celui où se trouve la dalle, il a son idée et c'est au nom de Marie qu'il les achète, on ne sait jamais. Il a aussi dans le cimetière démoli la tombe et rasé les inscriptions de la dalle qui recelait le mot clef, les parchemins il les a mis dans la salle au trésor, il connaît le secret par cœur. Marie aussi, ils sont joyeux tous les deux, tout leur sourit.

 

   Le maire , un jour, vient lui faire des reproches sur ce qu'il a fait au cimetière, mais le curé s'en moque, c'est trop tard. Cependant, pour apaiser le maire, il lui fait comprendre que s'il a besoin de lui qu'il ne se gène pas et pour justifier sa subite fortune, il parle d'un oncle d'Amérique qui est mort et dont il a été l'héritier. Le maire n'est pas dupe, mais il ne peut rien faire. Le curé l'a joué avec les parchemins, il hésite, il a besoin d'argent, il veut acheter une maison, des terres, sa fille doit se marier. Il le dit au curé, celui‑ci sort et revient avec un petit sac qui contient 5000 F en or, il force le maire à le prendre.

 

   Dorénavant, le maire viendra souvent voir le curé et jamais il ne repartira les mains vides, aussi tout ce que le curé veut, le maire aussi.

   Il comble aussi Alexandrine et Guillaume, tout ce qu'ils veulent ils l'ont. Alexandrine a bien essayé de savoir par Marie, mais elle s'est heurtée à un mur. Marie ne sait pas et elle ne démordra pas de là.

 

   1897. Le curé attend Mgr Billard pour la mission, l'église est flambante neuve; le jardin qui est devant elle est un océan de fleurs tout resplendit, la grotte dédiée à Notre‑Dame de Lourdes, la croix qui sera inaugurée par Mgr, le cimetière même qui ressemble davantage à un jardin qu'à un endroit funèbre.

 

   Alexandrine, pour la cuisine s'est surpassée. L'Evêque n'en peut plus, foie gras, hors d'œuvre, rôtis, gâteaux, le tout arrosé des vins les plus vieux et les plus célèbres; les alcools; les liqueurs se succèdent sans nombre. Quand le soir arrive, Mgr est bien, il voit tout en rose, pour un peu il chanterait. Il plaisante avec le curé avec forces bourrades, il se trompe de chapeau et coiffe celui du curé au lieu du sien, heureusement le curé s'en aperçoit et le lui change. 

 

   Le curé est radieux, il a conquis son Evêque, il n'en doute pas, il se voit déjà chargé d'honneurs, chanoine bientôt. Evêque peut‑être un jour. Il fera don à l'Eglise de son immense fortune, il sera certainement nommé cardinal, aussi se prépare‑t‑il une somptueuse résidence avec une tour qui lui servira de bibliothèque. Quand il mourra, on bénira sa mémoire.

 

   Mais, hélas, de l'Evêché rien ne vient. Mgr semble lui tenir rigueur de s'être montré dans cet état. Les années passent, la construction avance, la villa est splendide, la tour se finit, le chemin de ronde aussi, les relieurs travaillent dans le jardin pour relier tous les livres de la bibliothèque, éditions originales de livres, vases de sèvres, de Saxe, c'est plus que riche, c'est royal.

 

   Il attend toujours quelque chose de l'Evêché, mais c'est une mauvaise nouvelle qui arrive, Mgr Billard mort, c'est Mgr de Beauséjour qui le remplace, le curé reprend espoir, mais toujours rien. Si, une convocation pour se rendre à l'Evêché : rendre des comptes. Mgr veut savoir d'où le curé tient sa fortune. Il exige des comptes et des explications, le curé hésite. Il a peur de dire son secret. Marie lui conseille de se taire, s'il le dit c'est fini, surtout qu'il y a eu séparation de l'Eglise et de l'Etat. Si le secret se tait, il y aura procès entre l'Eglise et l'Etat pour savoir à qui cela appartient, et le curé n'aura plus rien, car le trésor sera mis sous séquestre, confisqué en attendant la fin du procès qui durera des années, peut‑être des siècles.

 

   Après avoir tout bien pensé, le curé prend la décision de ne rien dire, et si l'Eglise, ne veut pas à défaut d'honneur tout au moins le laisser tranquille, elle n'aura rien quand il mourra. Il le fait comprendre à l'Evêque, mais celui‑ci veut connaître la vérité. Les dépenses du curé l'obsède. Ce trésor qu'il a pressenti, il le veut, non pour lui, mais pour l'Eglise. Il brisera ce prêtre s'il le faut, mais il dira la vérité.

 

   Le coadjuteur de l'Evêque, M. Cantagril, écrit lettre sur lettre au curé Saunière. Celui‑ci se défend pied à pied, il ne veut absolument pas se rendre à Carcassonne pour donner des explications, il sait que s'il y va il est perdu. Alors, il se fait faire de faux certificats par son docteur disant qu'il ne peut pas bouger.

 

   Mgr de Beauséjour comprend l'astuce et décide de le pousser dans ses deniers retranchements. Il l'inculpe de trafic de messes, ainsi le curé sera obligé de venir se justifier. Affolé, le curé consulte ses nombreux amis qui lui conseillent de prendre un avocat. Le curé va trouver Me. Mis, mais ce dernier lui apprend qu'il faut un avocat en général religieux habilité par les tribunaux ecclésiastiques, lui ne peut rien. Le curé, finalement, trouve le chanoine Huguet, d'Espiens, qui consent à assurer sa défense. Celui‑ci lui dit de ne pas bouger et d'attendre, de le laisser faire. L'Evêque furieux, ne voyant pas venir le curé, prononce un arrêté d'interdiction par contumace.

 

   Aussitôt, le chanoine Huguet fait appel en cours de Rome, le curé reprend espoir, il fait entrevoir au chanoine que si l'affaire se termine bien, sa fortune est faite. Il le charge aussi de faire comprendre à l'Eglise que, si de son vivant, il ne peut rien dire, à sa mort, si l'Eglise a été compréhensive, elle aura tout.

 

   Mais, malgré les démarches du chanoine Huguet, si Rome abandonne l'accusation de trafic de messes et ordonne un non‑lieu, l'Officialité veut absolument savoir d'où provient l'immense fortune du curé, mais ce dernier ulcéré au dernier degré, après tous les espoirs qu'il avait eu, refuse catégoriquement, et c'est l'interdiction définitive pour outrage et révolte.

 

   N'ayant plus rien à espérer à moins qu'il ne dévoile son secret comme le lui fait entendre une dernière lettre de l'Evêque, mais de cela, il ne peut en être question, il met tout en œuvre pour contrer le nouveau prêtre nommé à Rennes‑Le‑Château par l'Evêque. Tout d'abord, il loue le presbytère pour 99 ans et recommande à ses anciens paroissiens de ne pas le prendre en pension chez eux, le nouveau prêtre ne peut habiter le pays, aussi va‑t‑il habiter Couiza et c'est à pied qu'il doit monter à Rennes‑Le‑Château pour dire sa messe, mais là (seul) une nouvelle déception l'attend, car l'abbé Saunière a fait faire il y a déjà pas mal de temps une chapelle privée à côté de sa somptueuse demeure et il y dit la messe que tous les villageois vont écouter alors que dans l'église il n'y a personne.

 

    Occupé par ses démêlés avec l'Eglise, l'abbé Saunière n'a plus fait de constructions mais, puisque tout est terminé, il y songe de nouveau et c'est des plans sans fin et des projets; un jour, il essaya une voiture automobile, aussitôt il en veut une, oui mais voilà, la route ne permet pas de monter à Rennes en auto, qu'à cela ne tienne, il en fera faire une. Il se fera aussi bâtir un splendide tombeau avec une belle chapelle par dessus comme cela le jour de la Toussant, il pourra y dire la messe.

 

   Puis il songe que la tour ne sera pas assez grande, il lui fera faire un étage de plus ainsi qu'un jardin d'hiver. Il conçoit un rempart tout autour de Rennes, ainsi qu'une autre tour, celle‑là de 50 mètres de haut avec une bibliothèque qui suivra l'escalier en colimaçon. Mgr en verdira de jalousie. Alors pendant deux ans, ce sont des projets, aucun ne lui plaît. Il veut toujours plus beau, plus grand. Il ajoute à ses projets et cela pour plaire à ses paroissiens, l'adduction d'eau chez tous, enfin tout est prêt et il signe les bons de commande, tous ces travaux se montent au chiffre fabuleux de 8 millions‑or, près de 3 milliards de nos francs.

 

   Seulement, l'abbé Saunière a fait de trop bonne chère, il souffre d'une cirrhose du foie, malgré le régime que le docteur lui prescrit, il ne peut s'empêcher de bien manger et de bien boire et le drame éclate, le 22 janvier 1917, il fait un temps radieux, aussi veut t‑il aller sur la terrasse malgré les conseils de Marie. Il veut jouir de ce panorama unique, mais le vent est tout de même froid, il sent un malaise le gagner, il étouffe, il rentre péniblement chez lui. Marie accourt, elle envoie chercher le docteur, mais quand il arrive c'est trop tard. Le curé est mort!

 

   Marie, malgré son immense chagrin, se prépare à la bataille, car les héritiers du curé sont là comme une bande de loups affamés, aucun n'ignore l'affection que le curé avait pour elle et vice et versa. Tant qu'il vécut, il l'a toujours défendu. Maintenant, c'est fini, elle est seule, mais elle est de taille à se défendre. Ainsi l'enterrement somptueux terminé (cinq curés ont dit la messe), les héritiers veulent immédiatement faire l'inventaire et faire mettre des scellés partout. Mais Marie sort ses papiers, le curé n'étant pas chez lui, mais chez elle, et devant les héritiers furieux au point de la frapper, elle sort des actes, des factures, tout a été acquis au nom de Marie Dénarnaud. Elle est chez elle et c'est avec une sombre joie qu'elle les chasse. Les héritiers partent avec la menace à la bouche, mais ils ne purent rien faire. Marie est bien la propriétaire, tout lui appartient, alors en désespoir de cause ils essaient de la cajoler, mais c'est trop tard.

 

   L'Evêque aussi n'est pas très content. On espérait beaucoup de la mort du curé; mais rien n'est perdu puisque Marie est là. Elle doit connaître le secret, de plus elle est seule, alors de nombreux curés essaient de lui arracher et son domaine et son secret, de lui faire faire un testament en faveur de l'Eglise. Mais Marie, fine mouche, élude les questions, renvoie au lendemain les décisions qu'elle doit prendre, promet évasivement, se dérobe et pendant des années elle vit farouchement repliée sur elle‑même, se méfiant de tout le monde.

 

   Tous les gens qu'elle connaît, elle s'en méfie car tous essaient et font plus qu'essayer, ils lui volent tout ce qu'il y a de plus beau, tous profitent d'elle. Marie ferme les yeux, tout cela a si peu d'importance, ce que l'on ne saura jamais, c'est le secret. Les années s'écoulent. Marie est absolument seule, son père est mort puis sa mère, puis son frère, elle n'a plus que sa belle‑sœur, deux nièces et un neveu, tous essaient de savoir, mais elle se tait.

 

   Marie se fait vieille, elle ne peut aller au trésor, la dalle est trop lourde, puis c'est trop dangereux, elle accepte presque la misère, elle vivra chichement, elle vendra quelques meubles, cela lui suffit. Maintenant les gens la délaissent, ceux qui viennent sont peu nombreux. Elle songe souvent auprès du feu, son chat favori sur les genoux, à qui elle pourra laisser et le domaine et le secret, elle prie Dieu et la Sainte‑Vierge.

 

   Un jour, une famille arrive en excursion. Le site leur plaît. Ils reviennent une seconde fois, une idée germe dans le cerveau de Marie, et elle leur offre la maison pour venir y passer les vacances, elle pourra les étudier, savoir qui ils sont.

   Juillet arrive et la résidence du curé a pris un air de fête. On entend des cris d'enfants qui jaillissent, un poste de radio T.S.F. qui chante des airs à la mode, ou un pick‑up. Le monsieur fait arranger ce qui presse le plus. Marie observe, écoute. Souvent le soir, elle se met sous la fenêtre et tâche de surprendre les conversations, de son pas silencieux et feutré elle pénètre dans la maison et écoute aux portes. Quand l'été est terminé, elle est fixée. Elle va tout leur donner, le domaine et le secret.

 

   Tout d'abord, le domaine, pour ne pas faire semblant de leur en faire cadeau, elle le lui vendra et, suprême vengeance, elle fera faire l'acte par un notaire qui, depuis des années, cherche à avoir le domaine et le secret. Pour ce dernier, elle le dira le jour de sa mort, à son âge, on n'en a pas pour longtemps.

 

   La famille vient habiter définitivement le domaine. Des jours sombres sont arrivés, le monsieur a perdu beaucoup d'argent. Jamais, il ne s'est intéressé à l'affaire du trésor, et n'a interrogé Marie. Quand Marie les voit tristes, elle ne peut s'empêcher de leur dire : "Ne vous faites pas de mauvais sang, quand je mourrai vous serez très très riche, vous ne pourrez jamais dépenser l'argent que vous aurez !" Mais elle sent que personne ne la croit et, dans le fond, elle est heureuse, trop de gens l'ont tourmenté pour savoir. Cette indifférence lui plaît.

 

   18 janvier 1953. Marie ne se sent pas bien, elle a chaud. Elle se découvre, mais après elle a froid. Quand on vient la voir, à 8h du matin, elle brûle de fièvre, le thermomètre marque 39°9. Vite, on appelle le docteur qui diagnostique une grippe infectieuse, il est 10h. Marie sent son cerveau s'obscurcir, elle veut parler, dire son secret, mais c'est trop tard, elle sombre dans l'inconscience où elle restera cinq jours et mourra avec son secret.

 

Le 29 janvier 1953