En février 1250,
Rhedae (Rennes‑le‑Château), puissante citadelle et ville de
30 000 âmes, attendait dans la fièvre l'arrivée de Blanche
de Castille, régente du Royaume de France.
Blanche de
Castille venait à Rhedae non pour y séjourner, mais pour
mettre à l'abri le trésor de la couronne car, dans tout le
royaume, Pâtres, Vagabonds, Vilains, petits Féodaux se
révoltaient (révolte des Pastoureaux) et partout c'était le
pillage et la ruine. Paris même était menacé. Seul Rhedae,
avec ses cavernes insondables, sa citadelle énorme, était à
même de protéger et de conserver le trésor royal.
Une armée
véritable avait gardé le trésor pendant toute la durée du
parcours. Il était arrivé sans encombre à Rhedae et
maintenant la reine arrivait.
Le sénéchal Pierre
de Voisins attendait Blanche de Castille et sa suite. La
réception terminée, Blanche de Castille descendit seule dans
la salle souterraine du donjon, où se trouvent les coffres
qui contiennent le trésor de France. Elle a demandé dix
hommes au seigneur de Voisins, dix prisonniers à qui elle a
promis la liberté. Ils arrivèrent et s'inclinèrent devant la
reine. Sans un mot, celle‑ci montra du doigt une pierre avec
un anneau. Péniblement, deux hommes s'arqueboutant
arrivèrent à la soulever. Le trou béant révéla un sombre
escalier.
"Prenez des torches, ordonna
la reine et suivez moi."
L'escalier descendait
interminablement, puis tombait dans une sorte de rotonde où
aboutissaient plusieurs sombres et sinistres entrées.
"Attendez‑moi là, ordonna la
reine, et, s'emparant d'une torche, elle s'engouffra dans
l'un des lugubres boyaux. Au bout d'une centaine de mètres
elle s'arrêta, le souterrain faisait un coude assez
prononcé. La reine, du bout du pied, pressa une pierre,
pendant qu'elle en faisait tourner une autre de sa main
libre. Un faible déclic s'entendit, alors, avec l'épaule, la
reine poussa la muraille de la courbe extérieure, et,
doucement, celle‑ci s'enfonça, pivota et tout en tournant
découvrit une autre ouverture pendant que le souterrain se
bouchait par le pan de muraille. Ne connaissant pas le
secret, une personne aurait cherché en vain car, la porte
refermée, le souterrain continuait dans les entrailles de la
terre et rien sur ces parois n'indiquait qu'il possédait une
porte sur le côté.
La reine retourna
sur ses pas et ordonna aux hommes qui l'attendaient de
transporter les malles, les coffres et les caisses qui se
trouvaient dans la salle du donjon. Suant, ahanant, les
prisonniers transportèrent le trésor. La reine, près de la
porte de la salle secrète, comptait les caisses. Quand tout
fut transporté, elle dit aux hommes de mettre les caisses en
ordre, ainsi que les coffres et, pendant qu'ils étaient
occupés à ce travail, la reine, silencieusement, appuya sur
deux autres pierres et la lourde porte se referma, emmurant
vivant les dix malheureux.
Sans écouter la
légère rumeur qui filtra à travers l'épaisse muraille, elle
s'enfuit, remonta dans la salle du donjon et là, tomba à
genoux demandant pardon à Dieu de ce qu'elle avait été
obligée de commettre, nul ne connaissant le secret, horrible
même, nul autre que le roi, son fils ne le connaîtrait. La
vie de la France en dépendant, elle avait bien promis la
liberté à ces hommes, mais mourir en martyr n'était‑ce pas
gagner le Paradis et, par conséquent, la plus belle des
libertés ? ...
Quand la reine
remonta de la salle et que le sénéchal de Voisins la vit, il
ne put retenir un geste de surprise. La reine a vieillie de
dix ans en quelques heures.
Une grande partie
de la nuit, Blanche de Castille écrivit, elle indique où se
trouve le trésor et comment y accéder par plusieurs endroits
en évitant les pièges. Ensuite, elle transforma les
indications, embrouillant, mélangeant le tout avec des
versets de l'Evangile et prit comme clef les premières
lettres de chaque ligne d'une inscription qui se trouve sur
une pierre tombale dans le cimetière. Ceci fait, elle glissa
ces parchemins dans des rouleaux de bois et fit mander le
chapelain. Elle lui explique que ces rouleaux devaient être
cachés dans l'église.
La reine, le
chapelain et un moinillon dans l'église du château, dédiée à
Sainte Marie‑Madeleine, firent glisser la dalle qui servait
d'autel et cachèrent les rouleaux dans un des piliers creux.
1252. Blanche de
Castille va mourir. La paix règne dans le royaume. Avec un
courage surhumain, elle est venue à bout de la révolte, mais
l'effort a été trop grand, et puis il y a d'horribles
souvenirs qui viennent la hanter, suprême épreuve, elle est
devenue lépreuse et les eaux de Rennes‑les‑Bains n'ont rien
pu faire contre son mal. Maintenant, résignée et apaisée,
elle attend la mort. A une fidèle servante, elle donne un
étui pour son fils Saint Louis, lui disant où se trouvent
les parchemins, précaution presque inutile car Saint‑Louis
sait où se trouve le trésor.
1270. Tunis :
Saint‑Louis meurt de la peste. Il a fait venir son fils,
Philippe, et lui confie le secret royal.
1285.
Philippe‑le‑Hardi est malade, toutes ses troupes sont
malades et, de plus, les Aragonais les harcelèrent sans
cesse. Avec peine, il finit par arriver avec les débris de
son armée à Perpignan. A demi inconscient, il meurt. Il n'a
pas eu le temps de transmettre le secret du trésor royal à
son fils, le futur Philippe‑le‑Bel. Personne ne sait plus où
se trouve le trésor royal.
1370. Rhedae est
envahi par les espagnols, qui pillent, brûlent et détruisent
tout. La ville est un chaos de flammes; quand le donjon,
transformé en poudrière, saute, tout s'écroule. Lorsque les
espagnols se retirent, Rhedae n'est plus qu'un monceau de
ruines.
1645. Rhedae, en
souvenir de Blanche de Castille, s'appelle
Rennes‑Le‑Château. Ce n'est qu'une petite bourgade de deux
mille habitants. On a rebâtit le château, mais pas au même
endroit. De l'antique et orgueilleuse Rhedae, il ne reste
presque plus rien. Un jour, un berger nommé Ignace Paris,
gardant ses moutons autour du village, entend bêler une de
ses brebis. Il la cherche et ne la voit pas. Pourtant les
bêlements sont tout prêts, il cherche encore et s'aperçoit
que les bêlements viennent de la terre. La bête est
tombée dans un trou qui s'est formé au ras du sol. Il se
penche et la voit. Avec précaution, il y descend, mais la
brebis a peur et au lieu de venir vers son berger se met à
fuir dans un souterrain qui donne dans le trou. Ignace bat
le briquet, enflamme des herbes sèches, il confectionne une
sorte de torche et se met à la poursuite de sa brebis.
Voyant la torche, l'animal a encore plus peur et fuit de
plus belle et, soudain, tous deux débouchent dans une salle.
Elle est bourrée de coffres; l'un deux pourri, laisse
échapper des pièces d'or. Le berger n'en croit pas ses yeux.
Il achève de démolir le coffre et distingue un ruissellement
d'or, mais subitement, il recule épouvanté. Des squelettes
sont là, épars, semblant monter la garde autour du trésor.
Alors, fébrilement, il se décoiffe, remplit son béret de
pièces.
Son instinct de
berger reprenant le dessus il attrape sa brebis qui,
épouvantée elle aussi, s'est réfugiée dans un coin et il
fuit quelques mètres et c'est le trou. Il pose ses pièces,
fait grimper sa brebis, reprenant ses pièces, il grimpe à
son tour à l'air libre, il s'essuie le front moite d'une
main; seulement il a réalisé qu'il est en possession d'un
formidable secret. Ses moutons n'ont pas bougés, son chien
fidèle les a gardés pendant sa courte absence.
La terreur du
berger est encore vive d'avoir vu ces squelettes, mais
l'appât de l'or est plus fort, ce secret il le veut pour lui
seul, aussi redescend‑t‑il dans le trou. Il veut s'assurer
si le souterrain n'a pas d'autres issus, que d'autres gens
pourraient le trouver. Il rallume des herbes et suit le côté
opposé à la salle; il n'a pas fait dix mètres qu'il s'arrête
net, un abîme s'ouvre là, béant, coupant absolument tout
passage. Il y jette un caillou qui rebondit
interminablement. De ce côté le secret est bien gardé,
jamais personne ne pourra passer.
Tranquillisé,
Ignace remonte. Il contemple ces pièces d'or, il s'amuse à
jouer avec, il est riche, plus riche que son châtelain. Mais
il ne faut pas qu'on le sache, il s'emploie alors à boucher
le trou. D'abord de grosses branches, puis des cailloux et
de la terre. Quand tout est fini, rien ne peut laisser
supposer qu'il y avait un trou. Il repère soigneusement
l'endroit et, comme la nuit commence à arriver, il retourne
à Rennes. Pour son esprit simple, la commotion a été rude.
Il voit le trésor, mais il voit aussi les squelettes qui le
gardent, c'est avec un air égaré qu'il arrive chez lui, où,
sans mot dire, il pose sur la table le béret plein de
pièces. Sa femme est affolée.
"D'où sort‑tu ces
pièces, crie‑t‑elle ?"
Lui se renferme dans son
mutisme, il ne peut et ne veut rien dire, entendant les cris
de sa femme, des voisins viennent voir et ils voient les
pièces. Ils avertissent le seigneur, celui‑ci accourt.
On questionne le
berger, on l'accuse d'avoir volé, d'avoir tué un voyageur,
il se défend et finit par raconter son histoire, mais, dans
sa tête, il comprend que le secret ne lui appartient plus.
Il ne pourra plus en jouir. Il se précipite sur son seigneur
pour le tuer, mais les gardes sont là et c'est lui que l'on
tue.
Ignace Paris a
emporté son secret dans la tombe. Le châtelain, les gardes
et tous les habitants cherchent vainement le trou du berger;
ce dernier l'avait bien dissimulé et le secret est de
nouveau perdu.
1885. Par une
chaude journée de juin, l'abbé Bérenger Saunière monte à
pied la dure côte qui mène à Rennes‑le‑Château, personne
n'est venu l'accueillir à la gare de Couiza, personne pas
même un membre de sa famille, qui habite tout près, à
Montazels, qui se trouve à 5 km de la gare, rien.
Il connaît
Rennes‑le‑Château, un tout petit village sans avenir, et
c'est là que Mgr l'envoie, lui, presque tout jeune prêtre,
puisqu'il n'a que 33 ans. C'est presque une punition. Enfin,
il boira le calice...
Son arrivée dans
le village est morne, il apprend que la clef du presbytère
est chez Alexandrine Dénarnaud. Il finit par trouver la
maison, une minuscule bicoque à l'entrée du village. C'est
une jolie jeune fille qui le reçoit, ni sa mère ni son père
ne sont là, mais cela ne fait rien, elle va accompagner M.
le Curé.
La visite du presbytère est désastreuse, tout est en mauvais
état. Il y fait froid humide, et le peu de meubles qu'il y a
sont vermoulus. Un immense découragement envahit l'abbé. La
jeune fille s'en aperçoit et fait tout ce qu'elle peut pour
le remonter. Alexandrine arrive enfin et invite le curé à
dîner.
Dans les jours qui
suivent, le curé apprécie la gentillesse de la jeune fille
qui s'appelle Marie, de son père et de sa mère, et comme le
presbytère est grand il leur offre leur maison étant trop
petite, de venir habiter avec lui au presbytère. Le frère
Barthélémy pourra rester dans la petite maison d'autant plus
qu'il songe à se marier.
La famille
Dénarnaud accepte et, bien que le curé soit souvent à court
d'argent, c'est une vie de famille qu'il mène. Marie, sa
mère Alexandrine et le père Guillaume ne savent que faire
pour lui faire plaisir. Souvent même Marie, qui travaille à
la chapellerie à Espéraza, et Alexandrine lui avancent de
l'argent.
1892. L'abbé a
conquis l'estime de tous ses paroissiens. Il est au mieux
avec le maire et les conseillers. Aussi, en profite‑t‑il
pour demander quelque crédit pour refaire le maître‑autel
qui n'est plus au goût du jour et aussi arranger le toit qui
est en mauvais état. Le maire et le conseil municipal
acceptent et lui allouent 2400 F de crédit. C'est une très
grosse somme pour l'époque.
L'abbé est
content. Grâce à cet argent, il va faire les réparations et
les aménagements qui lui conviennent.
Il fait venir un
maçon de Couiza, un nommé Babou qui se met au travail et qui
commence à démolir le maître‑autel. A 9h du matin, l'abbé se
dispose d'aller voir les travaux... Il ne fait pas chaud du
tout car nous sommes en février. Arrivé dans l'église il est
interpellé par le maçon qui lui montre une cavité dans un
des piliers du maître‑autel. Dans cette cavité, il y a des
rouleaux de bois fermés avec de la cire. L'abbé, intrigué,
en prend un, casse le capuchon de cire et voit une masse
grisâtre qu'il tire, c'est un parchemin. Il est écrit, vieux
français, latin. L'abbé reconnaît des fragments de
l'Evangile, mais mêlé à cela il y a d'autres mots tels que:
pièces d'or, bijoux, etc... La respiration de l'abbé se fait
plus courte. Il y a là un mystère, des mots épars dansent
devant ses yeux. Il reconnaît des chiffres, l'abbé se
reprend car Babou est là qui le regarde avec une feinte
indifférence. Il lui dit que ce sont des papiers sacrés et
qui ont été mis là par d'autres prêtres, peut‑être à la
Révolution française. Ils n'ont aucune valeurs et l'abbé dit
au maçon d'aller déjeuner, et que pendant ce temps là il
dirait sa messe. Babou n'insiste pas et s'en va. Aussitôt,
l'abbé sort tous les rouleaux, brise la cire qui les
cachètent et lit. Il voit de suite que tout a été embrouillé
à souhait, mais néanmoins, il est sûr que ces parchemins
révèlent un formidable secret.
Babou, après
déjeuner, est allé bavarder et, comme une traînée de poudre,
tout le village apprend que l'on a trouvé des rouleaux
contenant des parchemins. Le maire vient voir le curé, qui,
s'en difficulté, les lui montre. Mais il n'y comprend rien
et le curé n'a aucun mal pour lui prouver que ce sont des
papiers sans valeur puisqu'on y parle de Saint‑Matthieu,
Saint‑Luc, de Saint‑Jean. Le maire n'insiste pas.
Mais le curé a
peur que si Babou continue, il fasse une autre découverte.
Sous le prétexte qu'il doit partir en voyage et ne peut
surveiller les travaux, il arrête tout.
Toute la nuit, le
curé, aidé de Marie, essaie de déchiffrer les documents,
mais tout un tas de chose lui échappe. Il y a des phrases
entières en vieux français et latin qu'il ne comprend pas.
La seule chose qu'il déchiffre assez bien ce sont les
versets d'Evangile et la signature de Blanche de Castille
avec son sceau. Tout le reste forme un rébus sans cohésion.
Marie lui suggère d'aller voir un latiniste à Paris, mais le
voyage coûte cher. Marie et sa famille donnent toutes leurs
économies au curé, avec le peu que celui‑ci possède déjà
cela suffira.
A Paris, le curé,
très méfiant, se fait indiquer plusieurs latinistes et ne
donne à chacun d'eux qu'une partie des documents. Au bout de
5 jours, il a fini, il sait qu'il s'agit de la couronne de
France, qu'il y a 18 millions 500 mille pièces d'or, des
bijoux, des objets de culte, en tout une immense fortune,
mais malgré les latinistes il reste une partie tout à fait
obscure : l'endroit où se trouve le trésor ! C'est un
véritable cryptogramme, il y a un mot clef, mais ce mot le
curé ne le connaît pas. Tout soucieux, un peu penaud, le
curé retourne à Rennes et confie à Marie ses résultats.
Dès le lendemain,
le curé retourne à l'église. L'autel est à moitié démoli. Il
regarde où ce mot pourrait se trouver, mais les piliers
n'ont rien, pas une inscription. La dalle de l'autel en a
quelques‑uns, mais ils ne correspondent pas et malgré ses
efforts, il ne trouve pas. Mais, Marie se promène dans le
cimetière et, soudain, son attention est attirée par un très
vieux tombeau. La dalle porte des inscriptions qui ont
toujours paru bizarres. Les mots sont coupés sans rime ni
raison, si c'était cela ? Elle appelle le curé qui note tout
le texte et le soir, tous les deux, ils essayent et, tout à
coup, ils trouvent la combinaison, le trésor est à eux. Il y
a 6 entrées, celle du donjon est la plus facile, mais où
était le donjon ? Tout est rasé, oui, mais sur un des côtés
du parchemin, il y a des lignes et ces lignes sont comptées
en toises et il y a l'orientation par rapport à l'église.
Marie et le curé brûlent de fièvre, il est deux heures du
matin dans le village, tout dort, aussi ils n'hésitent pas,
ils prennent des cordes qu'ils mesurent soigneusement, et
ils les tendent comme l'indiquent les lignes sur le plan. Il
fait très froid, le vent souffle mais ils n'en ont cure. Le
point d'intersection des ficelles se trouve au milieu d'un
endroit qu'on appelle la "capelle", le château. C'est un
terrain vague, il est trop tard maintenant pour continuer
car, bientôt, les paysans vont se lever.
La nuit suivante,
le curé et Marie, qui ont soigneusement repéré l'endroit,
commencent à fouiller, à quarante centimètres du sol, il
trouvent une dalle de pierre, ils la dégagent; elle porte un
anneau rouillé à son centre. S'aidant avec des barres, ils
finissent par l'enlever. Un sombre escalier se révèle. Le
curé décide que Marie fera le guet pendant que lui
descendra, l'escalier est interminable, la lanterne dont il
s'est muni jette à peine un peu de clarté. Il descend d'au
moins 25m et abouti à une salle ronde. Sa faible lumière lui
révèle 6 ouvertures béantes tout autour. Le curé doit faire
appel à tout son courage, car l'endroit est sinistre. L'eau
suinte des murs, pas un bruit ne perce le silence que la
respiration saccadée du curé, on dirait un sépulcre. Le curé
consulte à nouveau ses notes. Il finit par choisir un
souterrain. Il avance, le voici au tournant, il cherche les
pierres avec les indications.
Voilà celle avec
une croix en bas qu'il faut pousser avec le pied, pendant
qu'avec la main il faut faire basculer en la faisant lever
la 7ème pierre en partant de celle qui porte une couronne,
puis appuyer assez fort sur la muraille après avoir entendu
le déclic.
Le cœur du
curé bat la chamade, il est entièrement trempé de sueur. Il
fait basculer la pierre, pendant qu'il pousse l'autre avec
le pied, et pousse avec son épaule, mais rien ne se passe,
la muraille ne bouge pas. Le curé est saisi d'un spasme
nerveux et tremble des pieds à la tête. Les indications
seraient‑elles fausses, se serait‑il trompé ou le mécanisme
par le temps ne marcherait‑il plus ? Il se maîtrise,
réfléchit, le parchemin dit après le déclic pousser avec
l'épaule, il a poussé de suite, il doit recommencer. Il
respire un grand coup et refait les deux gestes et attend.
Quelques secondes se passent et il entend un léger déclic,
ce doit être le déclic; se mordant les lèvres jusqu'au sang,
il appuie sur la muraille, il sent son cœur s'arrêter, la
muraille s'enfonce, elle tourne, elle ouvre un noir orifice
en fermant l'autre côté du souterrain. L'abbé s'oblige à
respirer, à se calmer, puis, résolument, il entre. Il pousse
malgré lui un cri d'horreur : trois squelettes sont là près
de la porte, ils semblent monter la garde. Près d'eux, des
coffres, des malles à demi pourries, qui laissent couler des
pièces d'or, des bijoux. Les parchemins n'ont pas menti, le
curé sent le vertige le gagner. Il a envie de pleurer, de
crier, il y a là une fortune considérable qui est là et à
lui, rien qu'à lui. Adieu la misère, il est riche,
immensément riche, plus riche que le Pape, le trésor des
rois de France est à lui. Se forçant à se calmer, il cherche
à compter les caisses, il y en a au moins deux cents, mais
il ne peut s'empêcher de frissonner chaque fois qu'il
rencontre un squelette, il y en a dix en tout. Le curé
pressent le drame et s'imagine ces hommes mourant de faim et
de soif à côté d'un trésor qui aurait pu leur donner la
toute puissance.
Le curé reprend
ses esprits, il faut remonter. Marie est là‑haut qui
l'attend. Lui dira‑t‑il ? Il hésite, mais au point ou il en
est Marie en sait autant que lui, mentir ne servirait à
rien, car il serait obligé de descendre, de monnayer cet or,
il lui faut une personne de confiance, et Marie lui a donné
assez de preuves de son dévouement. Il remonte. Marie est
là, inquiète de la longue absence du curé. Vite, ils
remettent la dalle, la recouvrant de terre, au milieu des
pierres, des ronces, rien ne se reconnaît. Le curé n'a
encore rien dit à Marie, mais celle‑ci a compris et
maintenant au presbytère en ruines, il lui raconte tout ce
qu'il a vu, c'est un éblouissement. Ils font des projets
sans nombre. Avant toute chose, recommande Marie avec sa
finesse paysanne, ne pas donner l'éveil, elle connaît
l'histoire du berger et l'a raconté au curé. Ni l'un ni
l'autre ne peuvent dormir cette nuit‑là.
Dès le lendemain,
tous les deux arrêtèrent un plan, ils iront la nuit suivante
dans la salle au trésor, ils en prendront un peu, et puis le
curé ira en Espagne, ce n'est pas loin, vendre les pièces,
il se fera envoyer l'argent à la poste de Couiza ou plutôt
il l'enverra au nom de Marie.
Cela va très bien,
le curé change souvent de pays, tantôt l'Espagne, tantôt la
Belgique, tantôt la Suisse et l'Allemagne. Il vend très bien
ses pièces car elles sont rares. Il vend aussi quelques
bijoux, l'argent rentre à flot, aussi fait‑il refaire
l'église entièrement à neuf, ainsi que le presbytère. Il
commande les plus beaux meubles, les plus beaux bibelots.
Pour Marie, il lui fait faire les plus belles robes, il
dépense sans compter, il commande les meilleurs vins, les
meilleurs liqueurs, il invite toute personne qui vient lui
rendre visite. Chaque jour, ce sont des repas somptueux
arrosés des meilleurs crus, la vie est belle.
Le curé achète des
terrains autour du presbytère, y compris celui où se trouve
la dalle, il a son idée et c'est au nom de Marie qu'il les
achète, on ne sait jamais. Il a aussi dans le cimetière
démoli la tombe et rasé les inscriptions de la dalle qui
recelait le mot clef, les parchemins il les a mis dans la
salle au trésor, il connaît le secret par cœur. Marie aussi,
ils sont joyeux tous les deux, tout leur sourit.
Le maire , un
jour, vient lui faire des reproches sur ce qu'il a fait au
cimetière, mais le curé s'en moque, c'est trop tard.
Cependant, pour apaiser le maire, il lui fait comprendre que
s'il a besoin de lui qu'il ne se gène pas et pour justifier
sa subite fortune, il parle d'un oncle d'Amérique qui est
mort et dont il a été l'héritier. Le maire n'est pas dupe,
mais il ne peut rien faire. Le curé l'a joué avec les
parchemins, il hésite, il a besoin d'argent, il veut acheter
une maison, des terres, sa fille doit se marier. Il le dit
au curé, celui‑ci sort et revient avec un petit sac qui
contient 5000 F en or, il force le maire à le prendre.
Dorénavant, le
maire viendra souvent voir le curé et jamais il ne repartira
les mains vides, aussi tout ce que le curé veut, le maire
aussi.
Il comble aussi
Alexandrine et Guillaume, tout ce qu'ils veulent ils l'ont.
Alexandrine a bien essayé de savoir par Marie, mais elle
s'est heurtée à un mur. Marie ne sait pas et elle ne
démordra pas de là.
1897. Le curé
attend Mgr Billard pour la mission, l'église est flambante
neuve; le jardin qui est devant elle est un océan de fleurs
tout resplendit, la grotte dédiée à Notre‑Dame de Lourdes,
la croix qui sera inaugurée par Mgr, le cimetière même qui
ressemble davantage à un jardin qu'à un endroit funèbre.
Alexandrine, pour
la cuisine s'est surpassée. L'Evêque n'en peut plus, foie
gras, hors d'œuvre, rôtis, gâteaux, le tout arrosé des vins
les plus vieux et les plus célèbres; les alcools; les
liqueurs se succèdent sans nombre. Quand le soir arrive, Mgr
est bien, il voit tout en rose, pour un peu il chanterait.
Il plaisante avec le curé avec forces bourrades, il se
trompe de chapeau et coiffe celui du curé au lieu du sien,
heureusement le curé s'en aperçoit et le lui change.
Le curé est
radieux, il a conquis son Evêque, il n'en doute pas, il se
voit déjà chargé d'honneurs, chanoine bientôt. Evêque
peut‑être un jour. Il fera don à l'Eglise de son immense
fortune, il sera certainement nommé cardinal, aussi se
prépare‑t‑il une somptueuse résidence avec une tour qui lui
servira de bibliothèque. Quand il mourra, on bénira sa
mémoire.
Mais, hélas, de
l'Evêché rien ne vient. Mgr semble lui tenir rigueur de
s'être montré dans cet état. Les années passent, la
construction avance, la villa est splendide, la tour se
finit, le chemin de ronde aussi, les relieurs travaillent
dans le jardin pour relier tous les livres de la
bibliothèque, éditions originales de livres, vases de
sèvres, de Saxe, c'est plus que riche, c'est royal.
Il attend toujours
quelque chose de l'Evêché, mais c'est une mauvaise nouvelle
qui arrive, Mgr Billard mort, c'est Mgr de Beauséjour qui le
remplace, le curé reprend espoir, mais toujours rien. Si,
une convocation pour se rendre à l'Evêché : rendre des
comptes. Mgr veut savoir d'où le curé tient sa fortune. Il
exige des comptes et des explications, le curé hésite. Il a
peur de dire son secret. Marie lui conseille de se taire,
s'il le dit c'est fini, surtout qu'il y a eu séparation de
l'Eglise et de l'Etat. Si le secret se tait, il y aura
procès entre l'Eglise et l'Etat pour savoir à qui cela
appartient, et le curé n'aura plus rien, car le trésor sera
mis sous séquestre, confisqué en attendant la fin du procès
qui durera des années, peut‑être des siècles.
Après avoir tout
bien pensé, le curé prend la décision de ne rien dire, et si
l'Eglise, ne veut pas à défaut d'honneur tout au moins le
laisser tranquille, elle n'aura rien quand il mourra. Il le
fait comprendre à l'Evêque, mais celui‑ci veut connaître la
vérité. Les dépenses du curé l'obsède. Ce trésor qu'il a
pressenti, il le veut, non pour lui, mais pour l'Eglise. Il
brisera ce prêtre s'il le faut, mais il dira la vérité.
Le coadjuteur de
l'Evêque, M. Cantagril, écrit lettre sur lettre au curé
Saunière. Celui‑ci se défend pied à pied, il ne veut
absolument pas se rendre à Carcassonne pour donner des
explications, il sait que s'il y va il est perdu. Alors, il
se fait faire de faux certificats par son docteur disant
qu'il ne peut pas bouger.
Mgr de Beauséjour
comprend l'astuce et décide de le pousser dans ses deniers
retranchements. Il l'inculpe de trafic de messes, ainsi le
curé sera obligé de venir se justifier. Affolé, le curé
consulte ses nombreux amis qui lui conseillent de prendre un
avocat. Le curé va trouver Me. Mis, mais ce dernier lui
apprend qu'il faut un avocat en général religieux habilité
par les tribunaux ecclésiastiques, lui ne peut rien. Le
curé, finalement, trouve le chanoine Huguet, d'Espiens, qui
consent à assurer sa défense. Celui‑ci lui dit de ne pas
bouger et d'attendre, de le laisser faire. L'Evêque furieux,
ne voyant pas venir le curé, prononce un arrêté
d'interdiction par contumace.
Aussitôt, le
chanoine Huguet fait appel en cours de Rome, le curé reprend
espoir, il fait entrevoir au chanoine que si l'affaire se
termine bien, sa fortune est faite. Il le charge aussi de
faire comprendre à l'Eglise que, si de son vivant, il ne
peut rien dire, à sa mort, si l'Eglise a été compréhensive,
elle aura tout.
Mais, malgré les
démarches du chanoine Huguet, si Rome abandonne l'accusation
de trafic de messes et ordonne un non‑lieu, l'Officialité
veut absolument savoir d'où provient l'immense fortune du
curé, mais ce dernier ulcéré au dernier degré, après tous
les espoirs qu'il avait eu, refuse catégoriquement, et c'est
l'interdiction définitive pour outrage et révolte.
N'ayant plus rien
à espérer à moins qu'il ne dévoile son secret comme le lui
fait entendre une dernière lettre de l'Evêque, mais de cela,
il ne peut en être question, il met tout en œuvre pour
contrer le nouveau prêtre nommé à Rennes‑Le‑Château par
l'Evêque. Tout d'abord, il loue le presbytère pour 99 ans et
recommande à ses anciens paroissiens de ne pas le prendre en
pension chez eux, le nouveau prêtre ne peut habiter le pays,
aussi va‑t‑il habiter Couiza et c'est à pied qu'il doit
monter à Rennes‑Le‑Château pour dire sa messe, mais là
(seul) une nouvelle déception l'attend, car l'abbé Saunière
a fait faire il y a déjà pas mal de temps une chapelle
privée à côté de sa somptueuse demeure et il y dit la messe
que tous les villageois vont écouter alors que dans l'église
il n'y a personne.
Occupé par
ses démêlés avec l'Eglise, l'abbé Saunière n'a plus fait de
constructions mais, puisque tout est terminé, il y songe de
nouveau et c'est des plans sans fin et des projets; un jour,
il essaya une voiture automobile, aussitôt il en veut une,
oui mais voilà, la route ne permet pas de monter à Rennes en
auto, qu'à cela ne tienne, il en fera faire une. Il se fera
aussi bâtir un splendide tombeau avec une belle chapelle par
dessus comme cela le jour de la Toussant, il pourra y dire
la messe.
Puis il songe que
la tour ne sera pas assez grande, il lui fera faire un étage
de plus ainsi qu'un jardin d'hiver. Il conçoit un rempart
tout autour de Rennes, ainsi qu'une autre tour, celle‑là de
50 mètres de haut avec une bibliothèque qui suivra
l'escalier en colimaçon. Mgr en verdira de jalousie. Alors
pendant deux ans, ce sont des projets, aucun ne lui plaît.
Il veut toujours plus beau, plus grand. Il ajoute à ses
projets et cela pour plaire à ses paroissiens, l'adduction
d'eau chez tous, enfin tout est prêt et il signe les bons de
commande, tous ces travaux se montent au chiffre fabuleux de
8 millions‑or, près de 3 milliards de nos francs.
Seulement, l'abbé
Saunière a fait de trop bonne chère, il souffre d'une
cirrhose du foie, malgré le régime que le docteur lui
prescrit, il ne peut s'empêcher de bien manger et de bien
boire et le drame éclate, le 22 janvier 1917, il fait un
temps radieux, aussi veut t‑il aller sur la terrasse malgré
les conseils de Marie. Il veut jouir de ce panorama unique,
mais le vent est tout de même froid, il sent un malaise le
gagner, il étouffe, il rentre péniblement chez lui. Marie
accourt, elle envoie chercher le docteur, mais quand il
arrive c'est trop tard. Le curé est mort!
Marie, malgré son
immense chagrin, se prépare à la bataille, car les héritiers
du curé sont là comme une bande de loups affamés, aucun
n'ignore l'affection que le curé avait pour elle et vice et
versa. Tant qu'il vécut, il l'a toujours défendu.
Maintenant, c'est fini, elle est seule, mais elle est de
taille à se défendre. Ainsi l'enterrement somptueux terminé
(cinq curés ont dit la messe), les héritiers veulent
immédiatement faire l'inventaire et faire mettre des scellés
partout. Mais Marie sort ses papiers, le curé n'étant pas
chez lui, mais chez elle, et devant les héritiers furieux au
point de la frapper, elle sort des actes, des factures, tout
a été acquis au nom de Marie Dénarnaud. Elle est chez elle
et c'est avec une sombre joie qu'elle les chasse. Les
héritiers partent avec la menace à la bouche, mais ils ne
purent rien faire. Marie est bien la propriétaire, tout lui
appartient, alors en désespoir de cause ils essaient de la
cajoler, mais c'est trop tard.
L'Evêque aussi
n'est pas très content. On espérait beaucoup de la mort du
curé; mais rien n'est perdu puisque Marie est là. Elle doit
connaître le secret, de plus elle est seule, alors de
nombreux curés essaient de lui arracher et son domaine et
son secret, de lui faire faire un testament en faveur de
l'Eglise. Mais Marie, fine mouche, élude les questions,
renvoie au lendemain les décisions qu'elle doit prendre,
promet évasivement, se dérobe et pendant des années elle vit
farouchement repliée sur elle‑même, se méfiant de tout le
monde.
Tous les gens
qu'elle connaît, elle s'en méfie car tous essaient et font
plus qu'essayer, ils lui volent tout ce qu'il y a de plus
beau, tous profitent d'elle. Marie ferme les yeux, tout cela
a si peu d'importance, ce que l'on ne saura jamais, c'est le
secret. Les années s'écoulent. Marie est absolument seule,
son père est mort puis sa mère, puis son frère, elle n'a
plus que sa belle‑sœur, deux nièces et un neveu, tous
essaient de savoir, mais elle se tait.
Marie se fait
vieille, elle ne peut aller au trésor, la dalle est trop
lourde, puis c'est trop dangereux, elle accepte presque la
misère, elle vivra chichement, elle vendra quelques meubles,
cela lui suffit. Maintenant les gens la délaissent, ceux qui
viennent sont peu nombreux. Elle songe souvent auprès du
feu, son chat favori sur les genoux, à qui elle pourra
laisser et le domaine et le secret, elle prie Dieu et la
Sainte‑Vierge.
Un jour, une
famille arrive en excursion. Le site leur plaît. Ils
reviennent une seconde fois, une idée germe dans le cerveau
de Marie, et elle leur offre la maison pour venir y passer
les vacances, elle pourra les étudier, savoir qui ils sont.
Juillet arrive et
la résidence du curé a pris un air de fête. On entend des
cris d'enfants qui jaillissent, un poste de radio T.S.F. qui
chante des airs à la mode, ou un pick‑up. Le monsieur fait
arranger ce qui presse le plus. Marie observe, écoute.
Souvent le soir, elle se met sous la fenêtre et tâche de
surprendre les conversations, de son pas silencieux et
feutré elle pénètre dans la maison et écoute aux portes.
Quand l'été est terminé, elle est fixée. Elle va tout leur
donner, le domaine et le secret.
Tout d'abord, le
domaine, pour ne pas faire semblant de leur en faire cadeau,
elle le lui vendra et, suprême vengeance, elle fera faire
l'acte par un notaire qui, depuis des années, cherche à
avoir le domaine et le secret. Pour ce dernier, elle le dira
le jour de sa mort, à son âge, on n'en a pas pour longtemps.
La famille vient
habiter définitivement le domaine. Des jours sombres sont
arrivés, le monsieur a perdu beaucoup d'argent. Jamais, il
ne s'est intéressé à l'affaire du trésor, et n'a interrogé
Marie. Quand Marie les voit tristes, elle ne peut s'empêcher
de leur dire : "Ne vous faites pas de mauvais sang, quand je
mourrai vous serez très très riche, vous ne pourrez jamais
dépenser l'argent que vous aurez !" Mais elle sent que
personne ne la croit et, dans le fond, elle est heureuse,
trop de gens l'ont tourmenté pour savoir. Cette indifférence
lui plaît.
18 janvier 1953.
Marie ne se sent pas bien, elle a chaud. Elle se découvre,
mais après elle a froid. Quand on vient la voir, à 8h du
matin, elle brûle de fièvre, le thermomètre marque 39°9.
Vite, on appelle le docteur qui diagnostique une grippe
infectieuse, il est 10h. Marie sent son cerveau s'obscurcir,
elle veut parler, dire son secret, mais c'est trop tard,
elle sombre dans l'inconscience où elle restera cinq jours
et mourra avec son secret.
Le 29 janvier 1953
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