NOTICE BIOGRAPHIQUE
Sur
Mgr BILLARD, Feu Évêque de Carcassonne
Notre
diocèse de Carcassonne vient de perdre, ce 3 décembre 1901,
son Évêque Mgr BILLARD Félix Arsène. La lettre capitulaire
annonçant cette nouvelle, appelle cette mort un affreux
malheur. Ce malheur pourrait être affreux pour les créatures
de Mgr BILLARD si le nouvel Évêque voulait réparer les
bévues de son prédécesseur ; mais pour le diocèse qui avec
son Évêque malade depuis dix ans était administré à la
diable, on ne voit pas très bien que ce malheur puisse être
affreux ; je dis plus : le diocèse peut même regarder cette
mort comme une heureuse délivrance.
On a appelé
Mgr BILLARD l’Évêque du Rosaire : on a voulu, par cette
dénomination , berner le public ; car pendant les visites
pastorales qu’il a faites dans les paroisses, comme pendant
les retraites sacerdotales, on n’a jamais vu cet Évêque,
dans ses moments de loisir, réciter un seul chapelet. Léon
XIII, à cause de ses Encycliques nombreuses sur la Sainte
Vierge a été appelé le Pape du Rosaire : alors il est venu à
la pensée des flatteurs de notre Évêque défunt d’appeler Mgr
BILLARD l’Évêque du Rosaire ; et aussi sans doute, parce que
Prouille qui a une église du Rosaire se trouve en notre
diocèse. Le Rosaire de Mgr BILLARD est tout autre que la
louange à Marie, nous allons le démontrer amplement.
On dit qu’il
parcourait le diocèse avec un zèle infatigable : le
qualificatif est mal trouvé ; car, à la moindre fatigue, il
se plaignait avec ostentation, ce qui n'accusait pas un
zèle si infatigable ; ce zèle‑là ne se plaint jamais. Il
parcourait son Diocèse parce que, par force, il devait le
parcourir à cause des confirmations ; il le parcourait
surtout pour avoir les 2.000 francs du Gouvernement pour
frais de voyage ; et, il ne parcourait, par paresse, que les
parties du Diocèse qui lui paraissaient les moins pénibles
et les plus agréables. Le canton de Tuchan a passé sept ans
sans voir son Évêque ; et les cantons de Mouthoumet, d’Axat
et autres le voyaient fort rarement : voilà son zèle
infatigable.
On dit que
son éloquence était vigoureuse et communicative : ses
poumons seuls étaient vigoureux : car en chaire il poussait
des cris comme un geai en train d’être plumé vif ; mais il
ne communiquait guère des sentiments élevés et pieux ; il
n’avait que des accents d’un comédien qui déclame, mais qui,
loin de toucher, fait sourire. Ainsi, ses confrères en
épiscopat se gardaient bien de le faire prêcher dans leurs
Cathédrales, sachant que ses talents oratoires étaient fort
médiocres.
On a dit que le
jour de son intronisation sur le siège de Carcassonne, Mgr
BILLARD déclara que Dieu avait mis dans son cœur la
compassion et a bonté. L’Évêque voulait par là se rendre
intéressant et produire de l’effet : ce n’était là qu’une
affirmation normande
. Toutes les affaires désagréables qu’il a eues et qui ont
occasionnée en certain retentissement prouvent que c’était
un Évêque haineux et vindicatif. Il n’a jamais pardonné à un
prêtre qui lui résistait, non pour lui faire de la peine,
mais dans le but bien légitime de défendre son honneur et
son pain : ce prêtre‑là il l’a toujours mis en suspicion, en
pénitence autant qu’il le pouvait. Jésus‑Christ a dit de
pardonner sans cesse : Mgr BILLARD trouvait qu’il était plus
glorieux de ne jamais pardonner. Il regardait la vengeance
comme la passion des grandes âmes ; tandis que, d’après les
Saint‑Pères et même d’après les auteurs païens, c’est la
passion des tigres et des léopards, la passion des méchantes
bêtes.
On a parlé
enfin de ses œuvres et de ses vertus : qu’on me lise, et on
verra ce qu’il faut penser :
1° de sa piété ;
2° de ses convictions politiques
3° de son administration ;
4° de ses mœurs ;
5° de sa passion pour l’argent ;
6° des châtiments de Dieu ; car rien n’arrive sans son
ordre, ou sans sa permission.
On dira peut être
: mais cet Évêque est mort, respect à ses cendres. Il est
facile de tenir ce langage quand on n’a pas souffert de lui
cruellement ; mais pour le cœur durement meurtri, pour
l’âme irritée depuis 14 ans de ses procédés indignes, il est
intolérable de voir qu’on veut faire de cet homme un géant
de mérites et de vertus. C’est donc pour moi, dans mon état
d’âme, non une satisfaction, mais un besoin de justice de
réduire ce prétendu géant et de le ramener à la taille de
pygmée qui est la stature naturelle de Mgr BILLARD. S’il est
permis à des thuriféraires, inspirés par la reconnaissance
d’une bonne place ou de quelques repas plantureux, de
l’encenser, il doit être permis à un critique de le juger
sur ses propres actions au nom de la vérité, rien que la
vérité, comme on dit au tribunal. C’est ce que nous faisons
sans passion et sans exagération, mais pour remettre toutes
choses au point.
1° Sa piété ‑ Le bagage de sa
piété ne lui a jamais été lourd à porter ; s’il avait dû en
mourir, il aurait vieilli plus que Mathusalem. Il suffisait
pour s’en convaincre d’examiner sa tenue lorsqu’il présidait
les cérémonies religieuses ; on ne le voyait jamais en
adoration profonde devant le Tabernacle ; il se tournait à
droite, à gauche pour se distraire ; il laissait pendre sa
lèvre inférieure pour marquer son ennui profond ; sa tête et
son regard levés vers la voûte du saint édifice disaient
clairement : quand est ce que tout ça va finir ; il avait
des mouvements nerveux pour marquer son impatience ; à le
voir, on ne se serait jamais douté qu’il remplissait une
fonction sainte, on aurait cru vraiment qu’il faisait la
plus pénible des corvées.
Quand traversant un
village pendant ses visites pastorales, il passait devant
l’église paroissiale, comme à Cuxac d’Aude, Saint‑Marcel, Fraissé‑Cabardès,
Saint‑Laurent‑de‑la‑Cabrerisse, Thézan ou autres endroits,
n’ayez crainte que Mgr descendit de voiture pour faire un
acte d’adoration à son Maître. Il regardait la porte et
l’édifice ou habitait son Dieu avec la même indifférence que
l’on regarde une mairie, ou un temple protestant ; les gens
en faisaient la remarque et en étaient scandalisés; et, il
faut l’avouer, ils avaient raison. Il en était tout
autrement lorsqu’il passait devant la porte d’un châtelain ;
il s’empressait alors d’aller saluer Monsieur, saluer Madame
; mais le bon Dieu, cela n’en vaut pas la peine. Quand un
évêque a de la piété et de l’esprit de foi, il se garde bien
de laisser les paroisses vacantes sans prêtre pour y aller,
le dimanche, dire au moins une messe. Pour Mgr BILLARD,
c’était le moindre de ses soucis ; c’est ainsi qu’il a
laissé, pendant plusieurs années, Bouisse, Duilhac, Cucugnan
et plusieurs autres paroisses sans curé, sans même prier un
prêtre voisin de ces paroisses d’aller le dimanche y
célébrer au moins une messe basse pour la sanctification des
fidèles. Si on lui demandait un prêtre pour ces paroisses,
il répondait verbalement ou par écrit qu’il manquait de
sujets. Pourquoi donc laisser cinq vicaires à Saint Vincent
de Carcassonne, trois prêtres à Pezens qui n’a qu’un millier
d’âmes ? Pourquoi des vicaires dans des paroisses peu
importantes comme Pennautiers, Alet, Pexiora, Peyriac
Minervois et autres ou un curé peut suffire ? Pourquoi tant
de jeunes prêtres directeurs de chant dans les villes et qui
pourraient être remplacés par des laïques ? Parce que les
considérations humaines passent avant le salut des âmes. Les
petites paroisses de Brousse, Gramazic, Lapomarède,
Tréville, et autres petits villages, n’ont jamais manqué
d’avoir leur pasteur ; si un curé était changé, il était
immédiatement remplacé ; pourquoi ? parce que, dans ces
petites paroisses, il y a M. un Tel, Mme une Telle, M. le
Marquis de A..., Mme la Marquise de B..., M. le Comte de
Y..., Mme la Comtesse de Z... . Pour Monseigneur, les âmes
des riches étaient d’un prix infini ; les chapeaux montés et
les robes de soie avaient une valeur considérable ; quant
aux âmes des paysans, elles ne valaient pas la peine qu’on
s’en occupe. Lorsque pendant les retraites pastorales, il
nous disait : Messieurs, il faut aller au peuple, il devait
se dire en lui même avec un petit air de satisfaction : moi,
j’irai aux châteaux. Je doute fort que le bon Dieu ait
approuvé ces préférences de Mgr BILLARD pour l’âme des
riches et des puissants de ce monde.
2° Ses convictions politiques
‑ Calcul. Lors de sa nomination à l’Évêché de Carcassonne ?
Nous eûmes des appréhensions. Nous avions lu dans un
journal, Le Temps ce me semble, que M. l’abbé BILLARD avait
fait à M. DUMAY, directeur des Cultes, des promesses de
républicanisme très accentuées. Mais arrivé à Carcassonne,
il dissipa toutes nos craintes à l’occasion des écoles sans
Dieu. Au cours de ses visites pastorales, il protesta, à Lagrasse surtout, d’une façon remarquable ; c’était le
langage d’un Évêque. Ce langage ne plaisant point au
ministre des Cultes, il fut mandé à Paris : à son retour il
avait la langue coupée. Il fut converti par les remontrances
qu’on lui avait adressées ; ou plutôt, par les promesses
qu’on lui avait faites de le faire devenir archevêque, s’il
savait se taire. Il sut se taire, mais ce silence pour nous
eut son éloquence. Il fut la pierre de touche qui fit
reconnaître enfin que ce qu’on prenait en lui pour de l’or
n’était que du cuivre. Son silence fut tel que, pour être
agréable au Gouvernement, il se garda bien en 1882 de
protester contre les manuels COMPAYRE, Paul BERT, et celui
de Mme GREVILLE, destinés aux écoles publiques. S’il eut été
un bon Evêque, il aurait défendu aux Curés, par un mandement
public de donner la première communion aux enfants qui
auraient eu de tels livres entre les mains ; et il aurait
rappelé à tous les confesseurs qu’en vertu des règles de
l’Index, ils ne pouvaient absoudre ni instituteurs, ni
institutrices, ni pères ni mères de ces enfants. Mgr a‑t‑il
fait cela ? Il s’en est bien gardé : il voulait être
archevêque ; il conseilla, au contraire, aux prêtres
d’absoudre et de communier tout ce monde qui était frappé
par les règles sévères de l’Index. Il n’avait aucun droit de
parler ainsi, son langage était celui d’un prévaricateur. Et
les prêtres qui se faisaient supprimer leurs traitements
pour observer les saintes lois de l’Église, il les traitait
de maladroits « Le curé de Marcorignan, dit‑il un jour, se
monte la tête en lisant La Croix et Le Pèlerin. » Alors,
d’après Mgr, pour se le descendre, il aurait dû lire La
Dépêche et le Petit Méridional. Ce langage de Mgr BILLARD
était le langage d’un évêque assermenté. Pour si peu que
GOBLET, qui nous gouvernait alors, lui eût fait miroiter un
titre d’archevêque, Mgr aurait parlé volontiers comme
BAILLY, qui disait à M. De POURCEMONT, curé de St Sulpice, à
Paris : « Monsieur, quand la loi parle, la conscience doit
se taire ».
Malgré ces
complaisances coupables, Mgr se brouilla à nouveau avec le
ministère des Cultes. Un archevêché du Nord devint vacant,
il fît des instances pour l’obtenir, et un autre lui ayant
été préféré, il en conçut un tel dépit, qu’il bouda encore
le Ministère. Pour donner libre carrière à son ressentiment,
il voulut aller à Rome faire sa visite ad limina sans la
permission du gouvernement ; mais M. le Ministre des Cultes
ne trouva pas la plaisanterie de son goût et lui rogna une
portion de son traitement. Il fut piqué dans son avarice ;
mais pour faire bonne contenance, il répondit fièrement
qu’il préférait un peu moins d’argent et un peu plus
d’honneur. Nous verrons bientôt qu’il a préféré souvent
l’argent à l’honneur. Son honneur eût été mieux placé à
défendre avec plus de zèle les intérêts sacrés de la Sainte
Église. Il a bien écrit des Circulaires quelque peu
enflammées, mais ce n’était qu’un trompe l’œil. Si le
gouvernement avait daigné lui être agréable, il se serait
bien gardé de prendre le bélier par les cornes. Il a crié
pour déplaire au ministère et s’attirer à peu de frais
l’estime des catholiques militants. Son ambition déçue lui a
fait faire beaucoup de bruit, mais il s’est mis peu en peine
de faire beaucoup de bien.
3° son administration ‑ Un
Évêque devrait administrer en pratiquant la justice
distributive, la vérité et la charité ; c’est le contraire
qui est arrivé, Mgr, a damé le pion à toutes les
administrations civiles. Rien d’étonnant quand on a connu le
caractère impressionnable, changeant, parfois bizarre de
l’Évêque de Carcassonne.
1° La justice distributive de
notre Évêque a toujours consisté à faire plaisir d’abord au
pouvoir civil et non aux prêtres méritants. Il a passé pour
un intransigeant vis‑à‑vis du pouvoir civil, c’est une
tactique de normand. Il a voulu jeter de la poudre aux yeux.
Mgr a toujours sacrifié son indépendance aux dépens des
prêtres dignes et qui ayant vieilli dans le ministère
auraient mérités de ne pas se voir passer sur le corps par
des jeunes prêtres n’ayant d’autre mérite que l’avantage
d’avoir pour parent, ami ou allié, un député, un sénateur ou
un conseiller général. Ces représentants du Peuple voient de
près Préfets et Sous‑préfets ; ils leur demandent une belle
position pour tel prêtre. Le Préfet s’adresse à l’Évêque,
pour se faire un ami du Préfet qui peut le hisser plus haut
dans les faveurs ministérielles, l’écoute ; et, c’est ainsi
qu’il a des accommodements avec les Préfets ; et les prêtres
supportent les conséquences de ce misérable trafic.
Après le Préfet
et toute la nomenclature civile, Mgr a beaucoup aimé les
riches et toute la hiérarchie des nobles qui pour continuer
les féodales traditions, entretiennent avec l’autorité
ecclésiastique des rapports presque toujours nuisibles au
pauvre curé, à celui surtout qui mérite de l’avancement.
Sous prétexte de bonnes œuvres, les dames viennent, avec
leur charmant sourire, ouvrir largement leurs bourses à Mgr
pour que sa Grandeur y puise à son aise ; et, figurez‑vous
si Mgr BILLARD en profitait avec sa passion pour l’argent
dont nous parlerons tout à l’heure. Après de tels services
et de copieux dîners, comment voulez vous que Mgr n’écoute
pas cette noble dame qui demande un poste important pour tel
prêtre qui lui convient ? Et le prêtre méritant est mis de
côté naturellement.
Les riches et les
nobles satisfaits, Mgr songe aussi à placer ses amis
personnels, les amis de Messieurs les Vicaires généraux, de
Monsieur les Chanoines, de Messieurs les Curés de la ville;
il faut placer encore les mouchards qui pour prendre la
place des prêtres méritants, portent à Mgr les plus
inconcevables cancans ecclésiastiques contre leurs
confrères. Voilà en quoi a consisté la justice distributive
de l’Évêque de Carcassonne.
Un jour M.
AUDOUY, chanoine et président des conférences
ecclésiastiques, dit à Mgr BILLARD : « Tel prêtre fait des
rapports de conférences d’une façon admirable. » ‑ « Ne le
dites pas, répondit le Prélat avec empressement, je serais
obligé de lui donner meilleur poste. » Après une telle
réponse, on n’a qu’a tirer l’échelle : on connaît tout
l’esprit de justice de Mgr BILLARD.
2° La vérité : On serait porté à croire
que Mgr n’a jamais dit de sa vie une vérité ; il l’a quelque
peu avoué lui‑même en pleine retraite pastorale en disant à
ses prêtres : « Je suis normand et quelque peu gascon, ce
qui veut dire, je cultive quelquefois le mensonge, je suis
un tantinet comédien . » À part les préférés de sa Grandeur,
il n’est pas un prêtre dans le diocèse qui n’ait à raconter
quelque trait de comédie de la part de cet Évêque. Mgr se
croyait rusé, mais comme ses ruses étaient cousues de fil
blanc, ses prêtres le traitaient in petto de farceur. Sa
comédie prenait diverses formes, selon le sujet que l’Évêque
avait devant lui. Si sa grandeur était en présence d’un
prêtre timide qu’il voulait changer malgré lui, alors sa
grandeur criait comme un forcené ; et le prêtre, tremblant
comme une fillette, acceptait le nouveau poste par peur. Un
jeune prêtre m’a assuré que Mgr avait jeté de si hauts cris
pour lui faire accepter Camps et Cubières, ou il n’alla pas
cependant, qu’il se trouva mal et tomba à la renverse ; on
fut obligé d’avoir recours aux sels pour le faire revenir à
lui. Si Mgr avait à faire avec un prêtre ignorant, il le
trompait par des babioles à faire dormir debout et menaçait
des foudres du mandatum qui n’avait rien à voir dans la
question ; ainsi Mgr BILLARD, pour faire plaisir à un
châtelain propose un jour un poste à un prêtre qui refuse
respectueusement, mais avec la plus grande énergie. « Ah !
lui dit l’Évêque, vous refusez ; eh bien je vais vous
interdire car vous êtes allés chasser et vous savez que la
chasse est interdite dans le Diocèse sous peine de suspense.
Je maintiens cette suspense si vous n’acceptez pas. » Et le
prêtre accepta pour ne pas être suspendu
. Ce pauvre curé était trompé de façon
indigne, car ni le Mandatum de Mgr de La BOUILLERIE en 1869,
sous lequel nous vivions, ni le nouveau Mandatum de 1895,
n’ont jamais défendu la chasse sous peine de suspense. Ces
deux Mandatum disent seulement : venatione interdicimus sans
aucune sanction pénale. Si Mgr
avait à faire avec un prêtre dénoncé, alors l’Évêque
distinguait, il ne voulait pas frapper les mais ni les
protégés, il se disait à lui même : « Il y a ici fagots et
fagots ; distinguons. » Si le dénoncé était mal vu de Mgr,
alors ce curé était obligé de subir un changement ou des
enquêtes, ou des reproches ; mais si le dénoncé était une
créature de sa Grandeur, ou un fils à papa, ou un protégé
quelconque, Mgr ne tenait aucun compte de la dénonciation ;
et tous ces dénoncés étaient toujours justifiés. Ainsi
l’abbé ARRUFAT, curé de Pradelles‑en‑Val, qui avait le
cerveau malade, faisait des extravagances extraordinaires
dans sa paroisse : le maire et les autres personnes
signalaient ces faits à Mgr ; mais Mgr répondait toujours
qu’il n’en croyait rien, parce que M. ARRUFAT, disait‑il,
est un saint. Or ce saint était tellement extraordinaire,
qu’un mois après cette réponse de l’Évêque ce curé fût
interné dans une maison de fous à Toulouse. Et pour l’abbé
ANDRIEU , curé d’Escales, l’Évêque n’a jamais écouté
personne : ni Préfet, ni conseil municipal, ni les familles
les plus honnêtes d’Escales : ANDRIEU est resté à son
poste jusqu’au jour où le scandale fût complet : alors il
dût partir sous les huées d’une population qui lui aurait
fait un mauvais parti s’il avait osé rester encore. Et pour
MONIE et pour FRESQUET et pour tant d’autres, Mgr a toujours
fait la sourde oreille contre toutes sortes de réclamations.
S’ils ont abandonné leurs postes, c’est qu’ils ont bien
voulu ; mais ils n’en auraient jamais été chassés, parce que
c’était des Benjamins de l’Évêché. Nous connaissons un
prêtre du Narbonnais, à la tête d’une grande paroisse, qui
voyait assidûment une jeune personne. Le père JEAN de
Fontfroide l’avait appelé la Sirène. Les fréquentations de
ce prêtre avec cette sirène étaient devenues un scandale ;
les personnes pieuses quittaient le confessionnal, les
plaintes pleuvaient à l’Évêché. Mgr n’a jamais voulu rien
croire, il répondait chaque fois qu’on l’interrogeait que
c’était une jalousie de dévotes. Un chanoine de la ville
épiscopale n’a jamais été inquiété par l’Évêché malgré les
bruits fâcheux qui circulaient en ville sur son compte. Mgr
interrogé répondait invariablement : « Cela est faux . » Un
curé se faisait critiquer, il y a deux ou trois ans, d’une
façon incroyable, dans sa petite paroisse de 300 âmes. Tous
les soirs il se retirait d’une habitation fort
compromettante pour lui, à onze heures du soir, à minuit, et
quelquefois à une heure du matin. De temps à autre, pendant
le jour, il allait avec la dame de cette habitation déjeuner
dans une maison de campagne et rentraient tous deux, côte à
côte, traversant la place publique et tout le village sans
crainte d’offenser les mœurs publiques. Mgr savait tout
cela : voici ce qu’il fît pour le soustraire à l’indignation
des gens : il le nomma curé dans un poste de douze cents
âmes, riche paroisse du Narbonnais. Mgr donc, pour couvrir
ses Benjamins, avait toujours des réponses à côté de la
vérité, il ne les déplaçait jamais malgré eux ; et s’ils
consentaient à être changés, alors sa Grandeur, pour les
récompenser, leur donnait un grand avancement.
3° La charité : un Évêque doit être un
autre Jésus‑Christ ; la copie de ce divin modèle. Or,
comment Jésus‑Christ traitait‑il ses disciples ! Ecoutons‑le
: « Jam non dicam vos servos sed amicos. » Jésus‑Christ
traite même d’ami le mauvais prêtre qui se trouve dans le
collège apostolique : « Amice, ad quid venisti?» Mgr BILLARD
n’acceptait pas cette doctrine du divin Maître ; il
changeait amicos de place et le mettait à la place de
servos. Il n’aimait que les prêtres qui lui apportaient de
l’argent, ou qui savaient le flatter. Le bas clergé lui
était fort indifférent, et celui‑ci le payait de retour ; à
part les courtisans, on le laissait fort tranquille dans son
Evêché ; et, on ne le consultait guère, car un curé savait
que s’il avait des difficultés avec ses paroissiens, il
était sûr de les voir augmenter et s’embrouiller davantage
si l’Evêque venait à s’en occuper. N’ayez crainte qu’il
vienne au secours du prêtre dans l’affliction et le malheur
; il ne fallait pas aller à l’Évêché chercher le soutien ou
la consolation. Voici un fait qui met en pleine lumière
l’esprit de charité de Mgr BILLARD pour ses prêtres. Le
pauvre abbé DOUCET, qui est allé mourir à Cucugnan, fut mis
en prison à Carcassonne en 1889 pour une affaire de mœurs
dont il devait être innocent puisqu’il fût acquitté. A cette
époque, la banqueroute ou la bigamie, je ne sais plus quel
grief, avait amené dans les prisons de Carcassonne M. GAROU,
des Limoux, qui occupait une cellule voisine de ce pauvre
abbé DOUCET. Que fît l’Évêque ? Il jugea à propos d’aller
voir ce banqueroutier ou ce bigame, l’abbé DOUCET entendit
la voix de son Évêque ; et Mgr ne voulut pas entrer dans la
cellule du malheureux prêtre pour lui apporter un témoignage
de sympathie, une parole d’amitié et de consolation. Pour un
Évêque, quelle charité bien comprise !
L’abbé RAUFFET,
devenu curé de Davejean, dit à son Évêque qu’il se proposait
de célébrer un service funèbre pour le repos de l’âme de
l’abbé OLIVE, son prédécesseur. « Non répondit sèchement
l’Évêque ; il est mort, laissez le mort. » Voilà une
exhortation touchante pour la dévotion aux âmes du
purgatoire ! Voilà encore de la charité sacerdotale bien
comprise ! Cette réponse est une monstruosité dans la bouche
d’un Évêque : on ne refuse des prières qu’aux âmes damnées.
Était‑il sûr, Monseigneur, que l’abbé OLIVE fût damné ? Peut
être est il mort plus saintement que lui. Si Mgr prenait
l’abbé OLIVE pour un prêtre misérable, scandaleux, alors Sa
Grandeur avait bien peu de respect pour les choses saintes
en confiant à un pareil prêtre les fonctions sacrées du
Saint Ministère. Si l’abbé RAUFFET avait osé répondre, il
aurait pu lui dire : « Mgr, nolite judicare et non
judicabimini
» N’ayez crainte que jamais un prêtre ait appelé Mgr
BILLARD un bon père ; on ne l’aimait pas, parce que c’était
un Évêque sans cœur.
4° Ses mœurs ‑ Nous voulons bien croire
qu’elles furent toujours intactes, mais il aurait du en
prendre un soin plus particuliers selon la recommandation de
nos livres saints : cura de bono nomine
. De sa vie privée, je ne dirai donc
rien, ni ne la soupçonnerai même pas ; mais il me semble que
je puis parler des apparences extérieures. Il faut toujours
respecter les murs Guilloutet quand même ils seraient
démolis et criblés de brèches. Mais sa vie publique
appartient à l’histoire du diocèse et il n’est pas défendu
d’y jeter un rapide coup d’œil. Tant pis pour lui s’il a
prêté le flanc à la critique. Que de fois il ne s’est pas
gêné pour dénigrer, sur de simples apparences, des prêtres
qu’il voulait changer par pur caprice ; nous pouvons bien à
notre tour faire connaître quelques faits qui ne
mériteraient guère d’être signalés dans une vie de saints.
Ainsi, pourquoi Mgr BILLARD, lorsque Mme K... venait le voir
à Carcassonne, disait il qu’elle ne venait que pour y
accompagner sa sœur qui n’osait pas voyager toute seule ?
Si Mme K...ne venait que pour accompagner la sœur de Mgr,
pourquoi y venait‑elle lorsque cette sœur de Mgr fut morte
? Mme K... venait donc à Carcassonne pour un autre motif ?
C’était sans doute pour prendre mesure à Sa Grandeur des
soutanes qu’elle lui fournissait, car lorsque Mgr avait
besoin d’une soutane, il n’avait qu’à écrire à Paris, rue
Cherche‑Midi, 94. Pourquoi Mgr allait‑il accompagner cette
dame à Paris lorsqu’elle quittait l’Évêché de Carcassonne
pour y retourner ? Est ce qu’il ne s’étaient pas encore
assez vu ? Que signifiait cet enfantillage ? Ne pouvait elle
repartir seule, alors qu’elle était venue seule ! Pourquoi
le jour du pèlerinage des prêtres de notre diocèse à
Montmartre, après la messe, en présence de tout le monde,
monte t’il dans la voiture de son inséparable Mme K..., se
place t’il à côté d’elle pour aller évidemment déjeuner avec
elle, et pour le soir ne plus reparaître à la Basilique du
Sacré‑Cœur, et le lendemain ne pas repartir avec les
prêtres pèlerins ? Il se faisait bien rusé notre Évêque de
Carcassonne, mais, en cette circonstance, il y avait éclipse
totale ; et beaucoup de prêtres furent loin d’être édifiés.
Pourquoi, avant d’être malade, Mgr allait‑il si souvent à
Paris ? Qu’y allait‑il faire ? Pourquoi recevoir dans son
palais épiscopal tant de jeunes dames, à tel point que,
craignant d’exciter l’éveil du clergé, il ne voulut point, à
moins d’une extrême urgence, recevoir les prêtres dans la
matinée, réservée au monde select ; le bas clergé ne pouvait
visiter Sa Grandeur que dans l’après midi. Pourquoi
retourner dans le château de Mme B... de M... alors que le
lendemain du jour de la bénédiction de la chapelle, il avait
couru des bruits scandaleux sur le compte de Mgr et de
Madame ? Pourquoi recevoir dans son Évêché la trop fameuse
Mme C... de H...
qui était une déséquilibrée et dont la conduite et le
langage étaient fort équivoques ? Quand un Évêque reçoit une
pareille femme et qu’il accepte d’elle un héritage de douze
cent mille francs, il ouvre la porte à toutes les
suspicions.
Comme il était
content Mgr BILLARD, lorsqu’il recevait certaines dames ! Il
se trouvait alors guéri de tous les maux. Des prêtres
racontent, non sans quelque malice, que se trouvant en
compagnie de Mgr, il était arrivé que l’Évêque se mettait
tout à coup à geindre, à se lamenter, à se plaindre de la
tête, de l’estomac, se jetant à droite et à gauche de son
fauteuil comme pour chercher un remède à son mal. Pendant
qu’il gémissait, le domestique arrivait, disant : « Mgr,
Madame la comtesse de... vous attend dans la pièce voisine
». Voilà le remède trouvé, voilà le mal disparu ! L’Évêque
se levait aussitôt tout joyeux, donnait un coup d’œil sur
lui même, passait la main sur sa tête dénudée comme pour
arranger le reste de sa chevelure et s’en allait tout
guilleret au devant de la jeune dame.
Disons en
terminant ce chapitre des mœurs, que Mgr BILLARD qui
commettait tant d’imprudences volontaires, sans la moindre
gène, avait toutes les audaces, à la moindre critique et sur
de simples présomptions, de moraliser ses prêtres et de les
forcer à changer de poste.
5° Sa passion pour l’argent ‑ Pour avoir
de l’argent, il conférait des titres de chanoine titulaire
moyennant trente mille francs. Il ne disait pas comme Judas
: Quid vultis mihi dare et ego vobis eum tradam; mais il le faisait dire habilement. M.
PELOUS, ancien curé de Durban, M. DANTRAS, curé de Saint André et
autres ont été pressentis à ce sujet. Mgr, disait‑on, veut
fonder une prébende ; tactique fort habile de la part du
normand, mais pour le gascon facile à découvrir. Mgr était
un simoniaque, voilà tout. Simonia est voluntas emendi
vel vendendi res sacras cum effectu; or, Sa Grandeur
vendait le titre de chanoine titulaire, puisque sans les
trente mille francs il ne le conférait pas. En se livrant à
un tel trafic, Mgr avait oublié que la simonie est de sa
nature un péché mortel et un énorme sacrilège. Il aurait dû
lire l’article Simonie dans le Dictionnaire de Droit
canonique de Migne.
Pour avoir
de l’argent, il voulait faire à ses prêtres un obligation de
l’Indult, qui est purement facultatif et qui lui permettait
de prendre de l’argent des Messes supprimées et de celles du
binage. Dans sa circulaire promulguant cet Indult, il menace
avec quelque peu d’arrogance ceux qui refuseront de
l’écouter ; il frappera les rebelles d’un blâme et d’une
peine, comme celle de n’avoir ni des honneurs, ni des postes
d’avancement. Sa Grandeur objectait la nécessité des bonnes
œuvres : à bon entendeur, salut !
Pour avoir
de l’argent, il forçait les abbés du Grand Séminaire à faire
partie de la caisse de retraite. Voici la teneur de cet
article VI : « Aucun séminariste ne sera promu au
sous‑diaconat, s’il ne prend par écrit l’engagement de
souscrire à la caisse des retraites immédiatement après son
ordination. » Pour 20 francs par an, fermer la porte du
sanctuaire à un jeune lévite, c’est purement odieux et même
simoniaque ; car les chapitres 8 et 9, de Simoniâ, décident
qu’il y a simonie d’exiger de l’argent pour l’entrée en
religion.
Pour avoir de
l’argent, il s’était emparé, d’après la rumeur publique, de
trente mille francs que M. GELI, ancien supérieur du Petit
Séminaire de Narbonne avait donné à Mgr pour cet
établissement ecclésiastique. Sa grandeur ne remettant
jamais cette somme à l’économe de ce petit Séminaire et
l’établissement se trouvant dans la gène, M. AJAC, le
supérieur actuel voulut se permettre de demander ces trente
mille francs à Mgr et de les exiger, au besoin, indi irae. Aussi, à partir de
ce moment, Mgr boude M. AJAC, qui a fait respecter en brave
les droits de son Petit Séminaire. Sa Grandeur ne l’aime
pas, il ne l’a jamais nommé chanoine; mais M. l’abbé AJAC
peut s’en passer facilement, car, à part quelques
intellectuels, on ne voit que des croûtes dans cette
casserole qu’on appelle le canonicat.
Ouvrons ici une
parenthèse pour raconter de quelle manière Mgr a fait les
dernières nominations des chanoines honoraires ; on verra
avec quel esprit de sagesse, avec quel discernement de
mérites, Sa Grandeur distribuait les honneurs
ecclésiastiques. M. le curé de Sallèles‑d’Aude demande à Mgr
de lui donner pour vicaire M. BATTUT, et Sa Grandeur le lui
promet. Puis arrive M. MARIO
pour demander à Mgr ce vicaire promis qui est musicien et
dont il a besoin pour remplacer M. TRASTET. M. MARIO parla
si bien que le samedi suivant on vit paraître la nomination
de M. BATTUT à Saint Paul de Narbonne. M. LAJOUX, furieux,
va trouver Mgr à Prouille et lui fait une scène à tout
rompre. L’Evêque, pour le faire taire, lui dit : « M.
LAJOUX, je vous nomme chanoine honoraire de ma cathédrale. »
L’effet fût surprenant : M. LAJOUX lâche son vicaire, sourit
à Mgr, le remercie avec effusion, lui fait ses m’amours ; et
l’Evêque l’interrompant, lui dit : « il faudra que je nomme
aussi votre doyen à Ginestas, il serait froissé de voir
votre nomination sans voir la sienne. » Et Mgr, pensant tout
haut, dit encore : Je veux nommer aussi M. le curé d’Alzonne
; car, si je ne le nomme pas,
Mgr LE CAMUS
le nommera chanoine de sa Cathédrale
et je ne veux pas de bigarrure dans mon diocèse. Dites moi,
ajouta l’Evêque, quel est le prêtre le plus agréable à M.
CANTEGRIL ? Je le nommerai aussi pour ne pas m’attirer les
foudres de mon premier Vicaire Général, qui ne serait pas
content de voir que j’ai fait ces nominations sans lui. M.
LAJOUX lui cita le curé de Saint Hilaire et celui ci a été
nommé. Mgr a donc nommé le premier pour le faire taire, le
second pour ne pas le froisser, le troisième pour éviter la
bigarrure, le quatrième pour ne pas contrarier M. CANTEGRIL.
Je ne veux pas contester la valeur de ces quatre élus, mais
voilà comment les nominations sont inspirées par le
Saint‑Esprit.
Pour avoir de
l’argent, Mgr n’a jamais, pendant 19 ans, rendu des comptes
sur la caisse de retraites. D’après le compte rendu,
nullement exagéré, de M. le curé de Saint Marcel, qui mérite
une reconnaissance infinie de la part de tous les
souscripteurs, la caisse aurait dû posséder 1.052.121
francs. Mgr, sans raison aucune, n’a voulu, dans la réunion
du 27 octobre 1896, accuser que 568.000 francs; et encore,
sans aucune pièce justificative. Le comptable avoua
franchement qu’il n’y en avait point ; ce qui ahurit tous
les prêtres présents à cette réunion. Je ne dis pas que Mgr
ait mis ici de l’argent dans ses poches ; mais la caisse
aurait eu à sa tête un malhonnête homme d’Évêque que ce
malhonnête homme ne s’y serait pas pris autrement que l’a
fait pendant 19 ans, Sa Grandeur Mgr BILLARD. Voilà un fait
brutal qui autorise toutes les suppositions.
Pour avoir de
l’argent, il se fait donner à lui, pour le mettre dans sa
poche, l’héritage de Mme C... de H... Mgr est plus avisé que
le Pape qui ne reçoit un héritage de Mme de PLESSIS BILLIERE
que pour le donner à l’Église. Léon XIII a reçu encore en
1900 un héritage de 1.200.000 francs de la princesse
Adélaïde d’ISSEMBERG, cousine de l’Empereur d’Autriche ;
mais le Pape a reçu ce don comme Saint Pierre recevait les
dons des premiers fidèles, dons qui étaient destinés au
trésor de l’Église. Mgr BILLARD est plus pratique, il pense
à arrondir son patrimoine. Pour sen convaincre, il n’y a
qu’à lire ce seul passage du testament dont Mgr a fait
soigner la rédaction :
«
Le présent
legs fait à M. BILLARD, non pas en sa qualité d’Évêque, mais
au contraire en son propre et privé nom. Dans le cas ou
par suite de prédécès, répudiation, ou toute autre cause, M.
BILLARD ne recueillerait pas ce legs, je lui substitue M.
Jules BLIGNY, ancien notaire à Rouen, et pour ce cas, mais
pour ce cas seulement, j’institue le dit de BLIGNY pour mon
légataire universel.»
En voilà des précautions
soigneusement prises pour que Mgr puisse au moins palper les
1.200.000 francs « non en sa qualité d’Evêque, mais ne son
propre et privé nom. » Et de quelle femme Mgr consent il à
recevoir un legs ? De la part d’une folle, d’une hystérique
qui se livrait à toutes sortes d’excentricité et
d’extravagances et qui tenait des propos d’où la moralité
était souvent absente. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’a
demander au journal La Dépêche de Toulouse, le numéro du 5
novembre 1896 ou sont relatés les motifs invoqués par MM. BUSCAILLON et ALEGRE, plaidant l’insanité de la testatrice à
l’appui de leur demande en nullité. Il faut y tenir à
l’argent, et d’une façon peu délicate, surtout pour un
Evêque, pour recevoir un legs pareil, il faut en être affamé
; et, quand Mgr disait au Ministre qu’il préférait un peu
moins d’argent et un peu plus d’honneur, Mgr n’était qu’un
farceur.
6° Les châtiments de Dieu ‑ Lorsque Mme
C... de H..., la testatrice meurt d’une attaque d’apoplexie
le 15 avril 1891 et que le testament est connu, Mgr BILLARD
est frappé d’une première attaque. Lorsque le mari de Mme
C... de H... meurt et que l’Evêque va palper un premier à
compte de 500.000 francs de son argent d’affaires, Mgr est
frappé d’une seconde attaque. On dira : coïncidence, hasard
; et Saint Thomas qui dit que le hasard c’est Dieu, que la
coïncidence n’est rien ? Que répondrez‑vous ? Et moi je dis
que c’est le châtiment de Dieu. Et Monseigneur n’en est pas
à la fin de ces punitions. Le plus grand représentant de
Dieu sur la terre, le Pape, Vicaire de Jésus Christ, le
frappe à son tour. Il le frappe de trois mois de suspense pour avoir
administré de la façon la plus irrégulière les biens de son
diocèse et pour avoir contracté des dettes écrasantes, que
rien ne justifiait. Voilà ce qui se dit dans le diocèse ; on
ne peut pas l’assurer, n’ayant pas lu les termes de la
suspense ; mais ce que nous pouvons dire, c’est que Mgr n’a
pas été frappé sans cause. Le rescrit pontifical,
interdisant à Mgr BILLARD la célébration de la Sainte Messe
et tout acte de juridiction épiscopale lui arriva à Azille.
Sa grandeur reçut de Rome un pli recommandé, portant
l’interdit ; et, M. FOURNIER, un autre pli recommandé
l’informant que Sa Sainteté lui accordait l’usage de la
juridiction spirituelle sur tout le diocèse, tant du for
intérieur que du for extérieur ; car l’Évêque n’avait plus
aucun pouvoir juridictionnel. Quand l’Évêque eut lu les
termes de sa suspense, il pâlit affreusement, se déclara
malade, rentra immédiatement à Carcassonne et, pour qu’à
l’évêché les secrétaires et les domestiques ne vissent pas
qu’il ne disait pas la Messe, il partit pour Rouen,
prétextant qu’il se rétablirait plus vite dans le Nord à
cause de la fraîcheur du climat. Mais M. FOURNIER, qui avait
la langue un peu longue, raconta discrètement l’affaire à
quelques uns de ses amis, qui, à leur tour, la racontèrent
aussi avec la plus grande discrétion. On dit que Rome en lui
notifiant la suspense, l’avait en outre condamné à titre de
restitution ou réparation, à donner sur l’héritage à venir
de Mme C... de H... deux cent mille francs pour la
construction de l’Église de Prouille.
Enfin, la
dernière et suprême punition que Dieu lui ait infligé, c’est
qu’il soit mort comme un abandonné de Dieu et des hommes. A
son heure dernière, pas un prêtre à son chevet ; pas même un
domestique pour lui montrer le Crucifix, dernière espérance
des mourants. Il est mort comme un mécréant ; sans le Saint
Viatique, sans l’Extrême Onction, sans l’indulgence plénière
des agonisants, sans la moindre bénédiction, sans la plus
petite parole de soutien et de consolation. On aurait pu
avoir l’idée d’apporter un lit dans la chambre de Mgr, pour
faire coucher là un secrétaire ou un domestique en prévision
d’un évènement fatal ; mais personne dans l’Évêché n’a pensé
à une telle précaution, parce que Dieu a voulu qu’il mourût
ainsi.
Mgr est donc
descendu dans la tombe, emportant tous les regrets, car il
n’en a laissé aucun. Ce n’était pas trop tôt qu’il quittât
cette terre ; quel bien faisait‑il ici bas ? Il ne paissait
pas les brebis, il ne faisait que les tondre. Qu’il repose
en paix ! Le diocèse y reposera aussi maintenant.
Paziols, 25 décembre 1901
LABORDE, curé
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