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La notice Laborde - Rennes-le-Château Archive

La notice Laborde
ou la vie cachée de Mgr Billard

Rennes‑Le‑Château ou l'histoire d'un grand secret

 

 

 

   Quel curieux personnage que Mgr Arsène Billard. Derrière ce visage bon enfant se cache en fait un caractère complexe et à multiples facettes. Et le moins que l'on puisse dire est que cette notice rédigée par le curé Simon Laborde en 1901 ne l'épargne pas. Il est vrai que Mgr Billard ne recula devant aucune action pour s’enrichir à moindres frais : détournement d’un héritage, achat de ND de Marceille en son nom propre pour mieux perdre de futurs enquêteurs, vol de la caisse de retraite des prêtres du diocèse.

 

   Il est amusant de découvrir dans cette notice, un évêque en malade imaginaire, mais bien moins sympathique que le personnage de Molière. Simon Laborde a‑t‑il exagéré dans sa description ? Avait‑il quelques comptes à rendre avec son évêque peu scrupuleux ? Est‑ce un témoignage fidèle ? Difficile de répondre. Le ton est sévère et direct, critiquant non seulement l'homme, mais aussi l'administration diocésaine. Il est clair en tout cas que certains passages cadrent parfaitement avec la vie de ce prélat hors norme, telle que nous la connaissons selon d'autres sources.

Ce texte, rédigé quelques jours après la mort de Mgr Billard le 3 décembre 1901, est en tout cas une mine d'informations pleine d'enseignements...

 

 

   Simon Laborde naquit le 11 mars 1842, et exerça sa cure à Paziols à partir de 1888. Il fut le contemporain de Bérenger Saunière.

 

La notice LABORDE fut découverte il y a bien longtemps
et elle fut publiée dans "
Les archives de Rennes‑le‑Château" en 1988.

 


Simon Laborde


Mgr Félix‑Arsène Billard (1829‑1901)

 

NOTICE BIOGRAPHIQUE
Sur
Mgr BILLARD, Feu Évêque de Carcassonne

 

      Notre diocèse de Carcassonne vient de perdre, ce 3 décembre 1901, son Évêque Mgr BILLARD Félix Arsène. La lettre capitulaire annonçant cette nouvelle, appelle cette mort un affreux malheur. Ce malheur pourrait être affreux pour les créatures de Mgr BILLARD si le nouvel Évêque voulait réparer les bévues de son prédécesseur ; mais pour le diocèse qui avec son Évêque malade depuis dix ans était administré à la diable, on ne voit pas très bien que ce malheur puisse être affreux ; je dis plus : le diocèse peut même regarder cette mort comme une heureuse délivrance.

 

     On a appelé Mgr BILLARD l’Évêque du Rosaire : on a voulu, par cette dénomination , berner le public ; car pendant les visites pastorales qu’il a faites dans les paroisses, comme pendant les retraites sacerdotales, on n’a jamais vu cet Évêque, dans ses moments de loisir, réciter un seul chapelet. Léon XIII, à cause de ses Encycliques nombreuses sur la Sainte Vierge a été appelé le Pape du Rosaire : alors il est venu à la pensée des flatteurs de notre Évêque défunt d’appeler Mgr BILLARD l’Évêque du Rosaire ; et aussi sans doute, parce que Prouille qui a une église du Rosaire se trouve en notre diocèse. Le Rosaire de Mgr BILLARD est tout autre que la louange à Marie, nous allons le démontrer amplement.

 

    On dit qu’il parcourait le diocèse avec un zèle infatigable : le qualificatif est mal trouvé ; car, à la moindre fatigue, il se plaignait avec ostentation, ce qui n'accusait pas un zèle si infatigable ; ce zèle‑là ne se plaint jamais. Il parcourait son Diocèse parce que, par force, il devait le parcourir à cause des confirmations ; il le parcourait surtout pour avoir les 2.000 francs du Gouvernement pour frais de voyage ; et, il ne parcourait, par paresse, que les parties du Diocèse qui lui paraissaient les moins pénibles et les plus agréables. Le canton de Tuchan a passé sept ans sans voir son Évêque ; et les cantons de Mouthoumet, d’Axat et autres le voyaient fort rarement : voilà son zèle infatigable.

 

     On dit que son éloquence était vigoureuse et communicative : ses poumons seuls étaient vigoureux : car en chaire il poussait des cris comme un geai en train d’être plumé vif ; mais il ne communiquait guère des sentiments élevés et pieux ; il n’avait que des accents d’un comédien qui déclame, mais qui, loin de toucher, fait sourire. Ainsi, ses confrères en épiscopat se gardaient bien de le faire prêcher dans leurs Cathédrales, sachant que ses talents oratoires étaient fort médiocres.

 

     On a dit que le jour de son intronisation sur le siège de Carcassonne, Mgr BILLARD déclara que Dieu avait mis dans son cœur la compassion et a bonté. L’Évêque voulait par là se rendre intéressant et produire de l’effet : ce n’était là qu’une affirmation normande . Toutes les affaires désagréables qu’il a eues et qui ont occasionnée en certain retentissement prouvent que c’était un Évêque haineux et vindicatif. Il n’a jamais pardonné à un prêtre qui lui résistait, non pour lui faire de la peine, mais dans le but bien légitime de défendre son honneur et son pain : ce prêtre‑là il l’a toujours mis en suspicion, en pénitence autant qu’il le pouvait. Jésus‑Christ a dit de pardonner sans cesse : Mgr BILLARD trouvait qu’il était plus glorieux de ne jamais pardonner. Il regardait la vengeance comme la passion des grandes âmes ; tandis que, d’après les Saint‑Pères et même d’après les auteurs païens, c’est la passion des tigres et des léopards, la passion des méchantes bêtes.

 

     On a parlé enfin de ses œuvres et de ses vertus : qu’on me lise, et on verra ce qu’il faut penser :

 

1° de sa piété ;
2° de ses convictions politiques
3° de son administration ;
4° de ses mœurs ;
5° de sa passion pour l’argent ;
6° des châtiments de Dieu ; car rien n’arrive sans son ordre, ou sans sa permission.

 

    On dira peut être : mais cet Évêque est mort, respect à ses cendres. Il est facile de tenir ce langage quand on n’a pas souffert de lui cruellement ; mais pour le cœur durement meurtri, pour l’âme irritée depuis 14 ans de ses procédés indignes, il est intolérable de voir qu’on veut faire de cet homme un géant de mérites et de vertus. C’est donc pour moi, dans mon état d’âme, non une satisfaction, mais un besoin de justice de réduire ce prétendu géant et de le ramener à la taille de pygmée qui est la stature naturelle de Mgr BILLARD. S’il est permis à des thuriféraires, inspirés par la reconnaissance d’une bonne place ou de quelques repas plantureux, de l’encenser, il doit être permis à un critique de le juger sur ses propres actions au nom de la vérité, rien que la vérité, comme on dit au tribunal. C’est ce que nous faisons sans passion et sans exagération, mais pour remettre toutes choses au point.

 

1° Sa piété ‑ Le bagage de sa piété ne lui a jamais été lourd à porter ; s’il avait dû en mourir, il aurait vieilli plus que Mathusalem. Il suffisait pour s’en convaincre d’examiner sa tenue lorsqu’il présidait les cérémonies religieuses ; on ne le voyait jamais en adoration profonde devant le Tabernacle ; il se tournait à droite, à gauche pour se distraire ; il laissait pendre sa lèvre inférieure pour marquer son ennui profond ; sa tête et son regard levés vers la voûte du saint édifice disaient clairement : quand est ce que tout ça va finir ; il avait des mouvements nerveux pour marquer son impatience ; à le voir, on ne se serait jamais douté qu’il remplissait une fonction sainte, on aurait cru vraiment qu’il faisait la plus pénible des corvées.

 

    Quand traversant un village pendant ses visites pastorales, il passait devant l’église paroissiale, comme à Cuxac d’Aude, Saint‑Marcel, Fraissé‑Cabardès, Saint‑Laurent‑de‑la‑Cabrerisse, Thézan ou autres endroits, n’ayez crainte que Mgr descendit de voiture pour faire un acte d’adoration à son Maître. Il regardait la porte et l’édifice ou habitait son Dieu avec la même indifférence que l’on regarde une mairie, ou un temple protestant ; les gens en faisaient la remarque et en étaient scandalisés; et, il faut l’avouer, ils avaient raison. Il en était tout autrement lorsqu’il passait devant la porte d’un châtelain ; il s’empressait alors d’aller saluer Monsieur, saluer Madame ; mais le bon Dieu, cela n’en vaut pas la peine. Quand un évêque a de la piété et de l’esprit de foi, il se garde bien de laisser les paroisses vacantes sans prêtre pour y aller, le dimanche, dire au moins une messe. Pour Mgr BILLARD, c’était le moindre de ses soucis ; c’est ainsi qu’il a laissé, pendant plusieurs années, Bouisse, Duilhac, Cucugnan et plusieurs autres paroisses sans curé, sans même prier un prêtre voisin de ces paroisses d’aller le dimanche y célébrer au moins une messe basse pour la sanctification des fidèles. Si on lui demandait un prêtre pour ces paroisses, il répondait verbalement ou par écrit qu’il manquait de sujets. Pourquoi donc laisser cinq vicaires à Saint Vincent de Carcassonne, trois prêtres à Pezens qui n’a qu’un millier d’âmes ? Pourquoi des vicaires dans des paroisses peu importantes comme Pennautiers, Alet, Pexiora, Peyriac Minervois et autres ou un curé peut suffire ? Pourquoi tant de jeunes prêtres directeurs de chant dans les villes et qui pourraient être remplacés par des laïques ? Parce que les considérations humaines passent avant le salut des âmes. Les petites paroisses de Brousse, Gramazic, Lapomarède, Tréville, et autres petits villages, n’ont jamais manqué d’avoir leur pasteur ; si un curé était changé, il était immédiatement remplacé ; pourquoi ? parce que, dans ces petites paroisses, il y a M. un Tel, Mme une Telle, M. le Marquis de A..., Mme la Marquise de B..., M. le Comte de Y..., Mme la Comtesse de Z... . Pour Monseigneur, les âmes des riches étaient d’un prix infini ; les chapeaux montés et les robes de soie avaient une valeur considérable ; quant aux âmes des paysans, elles ne valaient pas la peine qu’on s’en occupe. Lorsque pendant les retraites pastorales, il nous disait : Messieurs, il faut aller au peuple, il devait se dire en lui même avec un petit air de satisfaction : moi, j’irai aux châteaux. Je doute fort que le bon Dieu ait approuvé ces préférences de Mgr BILLARD pour l’âme des riches et des puissants de ce monde.

 

2° Ses convictions politiques ‑ Calcul. Lors de sa nomination à l’Évêché de Carcassonne ? Nous eûmes des appréhensions. Nous avions lu dans un journal, Le Temps ce me semble, que M. l’abbé BILLARD avait fait à M. DUMAY, directeur des Cultes, des promesses de républicanisme très accentuées. Mais arrivé à Carcassonne, il dissipa toutes nos craintes à l’occasion des écoles sans Dieu. Au cours de ses visites pastorales, il protesta, à Lagrasse surtout, d’une façon remarquable ; c’était le langage d’un Évêque. Ce langage ne plaisant point au ministre des Cultes, il fut mandé à Paris : à son retour il avait la langue coupée. Il fut converti par les remontrances qu’on lui avait adressées ; ou plutôt, par les promesses qu’on lui avait faites de le faire devenir archevêque, s’il savait se taire. Il sut se taire, mais ce silence pour nous eut son éloquence. Il fut la pierre de touche qui fit reconnaître enfin que ce qu’on prenait en lui pour de l’or n’était que du cuivre. Son silence fut tel que, pour être agréable au Gouvernement, il se garda bien en 1882 de protester contre les manuels COMPAYRE, Paul BERT, et celui de Mme GREVILLE, destinés aux écoles publiques. S’il eut été un bon Evêque, il aurait défendu aux Curés, par un mandement public de donner la première communion aux enfants qui auraient eu de tels livres entre les mains ; et il aurait rappelé à tous les confesseurs qu’en vertu des règles de l’Index, ils ne pouvaient absoudre ni instituteurs, ni institutrices, ni pères ni mères de ces enfants. Mgr a‑t‑il fait cela ? Il s’en est bien gardé : il voulait être archevêque ; il conseilla, au contraire, aux prêtres d’absoudre et de communier tout ce monde qui était frappé par les règles sévères de l’Index. Il n’avait aucun droit de parler ainsi, son langage était celui d’un prévaricateur. Et les prêtres qui se faisaient supprimer leurs traitements pour observer les saintes lois de l’Église, il les traitait de maladroits « Le curé de Marcorignan, dit‑il un jour, se monte la tête en lisant La Croix et Le Pèlerin. » Alors, d’après Mgr, pour se le descendre, il aurait dû lire La Dépêche et le Petit Méridional. Ce langage de Mgr BILLARD était le langage d’un évêque assermenté. Pour si peu que GOBLET, qui nous gouvernait alors, lui eût fait miroiter un titre d’archevêque, Mgr aurait parlé volontiers comme BAILLY, qui disait à M. De POURCEMONT, curé de St Sulpice, à Paris : « Monsieur, quand la loi parle, la conscience doit se taire ».

 

    Malgré ces complaisances coupables, Mgr se brouilla à nouveau avec le ministère des Cultes. Un archevêché du Nord devint vacant, il fît des instances pour l’obtenir, et un autre lui ayant été préféré, il en conçut un tel dépit, qu’il bouda encore le Ministère. Pour donner libre carrière à son ressentiment, il voulut aller à Rome faire sa visite ad limina sans la permission du gouvernement ; mais M. le Ministre des Cultes ne trouva pas la plaisanterie de son goût et lui rogna une portion de son traitement. Il fut piqué dans son avarice ; mais pour faire bonne contenance, il répondit fièrement qu’il préférait un peu moins d’argent et un peu plus d’honneur. Nous verrons bientôt qu’il a préféré souvent l’argent à l’honneur. Son honneur eût été mieux placé à défendre avec plus de zèle les intérêts sacrés de la Sainte Église. Il a bien écrit des Circulaires quelque peu enflammées, mais ce n’était qu’un trompe l’œil. Si le gouvernement avait daigné lui être agréable, il se serait bien gardé de prendre le bélier par les cornes. Il a crié pour déplaire au ministère et s’attirer à peu de frais l’estime des catholiques militants. Son ambition déçue lui a fait faire beaucoup de bruit, mais il s’est mis peu en peine de faire beaucoup de bien.

 

3° son administration ‑ Un Évêque devrait administrer en pratiquant la justice distributive, la vérité et la charité ; c’est le contraire qui est arrivé, Mgr, a damé le pion à toutes les administrations civiles. Rien d’étonnant quand on a connu le caractère impressionnable, changeant, parfois bizarre de l’Évêque de Carcassonne.

 

1° La justice distributive de notre Évêque a toujours consisté à faire plaisir d’abord au pouvoir civil et non aux prêtres méritants. Il a passé pour un intransigeant vis‑à‑vis du pouvoir civil, c’est une tactique de normand. Il a voulu jeter de la poudre aux yeux. Mgr a toujours sacrifié son indépendance aux dépens des prêtres dignes et qui ayant vieilli dans le ministère auraient mérités de ne pas se voir passer sur le corps par des jeunes prêtres n’ayant d’autre mérite que l’avantage d’avoir pour parent, ami ou allié, un député, un sénateur ou un conseiller général. Ces représentants du Peuple voient de près Préfets et Sous‑préfets ; ils leur demandent une belle position pour tel prêtre. Le Préfet s’adresse à l’Évêque, pour se faire un ami du Préfet qui peut le hisser plus haut dans les faveurs ministérielles, l’écoute ; et, c’est ainsi qu’il a des accommodements avec les Préfets ; et les prêtres supportent les conséquences de ce misérable trafic.

 

    Après le Préfet et toute la nomenclature civile, Mgr a beaucoup aimé les riches et toute la hiérarchie des nobles qui pour continuer les féodales traditions, entretiennent avec l’autorité ecclésiastique des rapports presque toujours nuisibles au pauvre curé, à celui surtout qui mérite de l’avancement. Sous prétexte de bonnes œuvres, les dames viennent, avec leur charmant sourire, ouvrir largement leurs bourses à Mgr pour que sa Grandeur y puise à son aise ; et, figurez‑vous si Mgr BILLARD en profitait avec sa passion pour l’argent dont nous parlerons tout à l’heure. Après de tels services et de copieux dîners, comment voulez vous que Mgr n’écoute pas cette noble dame qui demande un poste important pour tel prêtre qui lui convient ? Et le prêtre méritant est mis de côté naturellement.

 

    Les riches et les nobles satisfaits, Mgr songe aussi à placer ses amis personnels, les amis de Messieurs les Vicaires généraux, de Monsieur les Chanoines, de Messieurs les Curés de la ville; il faut placer encore les mouchards qui pour prendre la place des prêtres méritants, portent à Mgr les plus inconcevables cancans ecclésiastiques contre leurs confrères. Voilà en quoi a consisté la justice distributive de l’Évêque de Carcassonne.

 

    Un jour M. AUDOUY, chanoine et président des conférences ecclésiastiques, dit à Mgr BILLARD : « Tel prêtre fait des rapports de conférences d’une façon admirable. » ‑ « Ne le dites pas, répondit le Prélat avec empressement, je serais obligé de lui donner meilleur poste. » Après une telle réponse, on n’a qu’a tirer l’échelle : on connaît tout l’esprit de justice de Mgr BILLARD.

 

2° La vérité : On serait porté à croire que Mgr n’a jamais dit de sa vie une vérité ; il l’a quelque peu avoué lui‑même en pleine retraite pastorale en disant à ses prêtres : « Je suis normand et quelque peu gascon, ce qui veut dire, je cultive quelquefois le mensonge, je suis un tantinet comédien . » À part les préférés de sa Grandeur, il n’est pas un prêtre dans le diocèse qui n’ait à raconter quelque trait de comédie de la part de cet Évêque. Mgr se croyait rusé, mais comme ses ruses étaient cousues de fil blanc, ses prêtres le traitaient in petto de farceur. Sa comédie prenait diverses formes, selon le sujet que l’Évêque avait devant lui. Si sa grandeur était en présence d’un prêtre timide qu’il voulait changer malgré lui, alors sa grandeur criait comme un forcené ; et le prêtre, tremblant comme une fillette, acceptait le nouveau poste par peur. Un jeune prêtre m’a assuré que Mgr avait jeté de si hauts cris pour lui faire accepter Camps et Cubières, ou il n’alla pas cependant, qu’il se trouva mal et tomba à la renverse ; on fut obligé d’avoir recours aux sels pour le faire revenir à lui. Si Mgr avait à faire avec un prêtre ignorant, il le trompait par des babioles à faire dormir debout et menaçait des foudres du mandatum qui n’avait rien à voir dans la question ; ainsi Mgr BILLARD, pour faire plaisir à un châtelain propose un jour un poste à un prêtre qui refuse respectueusement, mais avec la plus grande énergie. « Ah ! lui dit l’Évêque, vous refusez ; eh bien je vais vous interdire car vous êtes allés chasser et vous savez que la chasse est interdite dans le Diocèse sous peine de suspense. Je maintiens cette suspense si vous n’acceptez pas. » Et le prêtre accepta pour ne pas être suspendu . Ce pauvre curé était trompé de façon indigne, car ni le Mandatum de Mgr de La BOUILLERIE en 1869, sous lequel nous vivions, ni le nouveau Mandatum de 1895, n’ont jamais défendu la chasse sous peine de suspense. Ces deux Mandatum disent seulement : venatione interdicimus sans aucune sanction pénale. Si Mgr avait à faire avec un prêtre dénoncé, alors l’Évêque distinguait, il ne voulait pas frapper les mais ni les protégés, il se disait à lui même : « Il y a ici fagots et fagots ; distinguons. » Si le dénoncé était mal vu de Mgr, alors ce curé était obligé de subir un changement ou des enquêtes, ou des reproches ; mais si le dénoncé était une créature de sa Grandeur, ou un fils à papa, ou un protégé quelconque, Mgr ne tenait aucun compte de la dénonciation ; et tous ces dénoncés étaient toujours justifiés. Ainsi l’abbé ARRUFAT, curé de Pradelles‑en‑Val, qui avait le cerveau malade, faisait des extravagances extraordinaires dans sa paroisse : le maire et les autres personnes signalaient ces faits à Mgr ; mais Mgr répondait toujours qu’il n’en croyait rien, parce que M. ARRUFAT, disait‑il, est un saint. Or ce saint était tellement extraordinaire, qu’un mois après cette réponse de l’Évêque ce curé fût interné dans une maison de fous à Toulouse. Et pour l’abbé ANDRIEU , curé d’Escales, l’Évêque n’a jamais écouté personne : ni Préfet, ni conseil municipal, ni les familles les plus honnêtes d’Escales : ANDRIEU est resté à son poste jusqu’au jour où le scandale fût complet : alors il dût partir sous les huées d’une population qui lui aurait fait un mauvais parti s’il avait osé rester encore. Et pour MONIE et pour FRESQUET et pour tant d’autres, Mgr a toujours fait la sourde oreille contre toutes sortes de réclamations. S’ils ont abandonné leurs postes, c’est qu’ils ont bien voulu ; mais ils n’en auraient jamais été chassés, parce que c’était des Benjamins de l’Évêché. Nous connaissons un prêtre du Narbonnais, à la tête d’une grande paroisse, qui voyait assidûment une jeune personne. Le père JEAN de Fontfroide l’avait appelé la Sirène. Les fréquentations de ce prêtre avec cette sirène étaient devenues un scandale ; les personnes pieuses quittaient le confessionnal, les plaintes pleuvaient à l’Évêché. Mgr n’a jamais voulu rien croire, il répondait chaque fois qu’on l’interrogeait que c’était une jalousie de dévotes. Un chanoine de la ville épiscopale n’a jamais été inquiété par l’Évêché malgré les bruits fâcheux qui circulaient en ville sur son compte. Mgr interrogé répondait invariablement : « Cela est faux . » Un curé se faisait critiquer, il y a deux ou trois ans, d’une façon incroyable, dans sa petite paroisse de 300 âmes. Tous les soirs il se retirait d’une habitation fort compromettante pour lui, à onze heures du soir, à minuit, et quelquefois à une heure du matin. De temps à autre, pendant le jour, il allait avec la dame de cette habitation déjeuner dans une maison de campagne et rentraient tous deux, côte à côte, traversant la place publique et tout le village sans crainte d’offenser les mœurs publiques. Mgr savait tout cela : voici ce qu’il fît pour le soustraire à l’indignation des gens : il le nomma curé dans un poste de douze cents âmes, riche paroisse du Narbonnais. Mgr donc, pour couvrir ses Benjamins, avait toujours des réponses à côté de la vérité, il ne les déplaçait jamais malgré eux ; et s’ils consentaient à être changés, alors sa Grandeur, pour les récompenser, leur donnait un grand avancement.

 

3° La charité : un Évêque doit être un autre Jésus‑Christ ; la copie de ce divin modèle. Or, comment Jésus‑Christ traitait‑il ses disciples ! Ecoutons‑le : « Jam non dicam vos servos sed amicos. » Jésus‑Christ traite même d’ami le mauvais prêtre qui se trouve dans le collège apostolique : « Amice, ad quid venisti?» Mgr BILLARD n’acceptait pas cette doctrine du divin Maître ; il changeait amicos de place et le mettait à la place de servos. Il n’aimait que les prêtres qui lui apportaient de l’argent, ou qui savaient le flatter. Le bas clergé lui était fort indifférent, et celui‑ci le payait de retour ; à part les courtisans, on le laissait fort tranquille dans son Evêché ; et, on ne le consultait guère, car un curé savait que s’il avait des difficultés avec ses paroissiens, il était sûr de les voir augmenter et s’embrouiller davantage si l’Evêque venait à s’en occuper. N’ayez crainte qu’il vienne au secours du prêtre dans l’affliction et le malheur ; il ne fallait pas aller à l’Évêché chercher le soutien ou la consolation. Voici un fait qui met en pleine lumière l’esprit de charité de Mgr BILLARD pour ses prêtres. Le pauvre abbé DOUCET, qui est allé mourir à Cucugnan, fut mis en prison à Carcassonne en 1889 pour une affaire de mœurs dont il devait être innocent puisqu’il fût acquitté. A cette époque, la banqueroute ou la bigamie, je ne sais plus quel grief, avait amené dans les prisons de Carcassonne M. GAROU, des Limoux, qui occupait une cellule voisine de ce pauvre abbé DOUCET. Que fît l’Évêque ? Il jugea à propos d’aller voir ce banqueroutier ou ce bigame, l’abbé DOUCET entendit la voix de son Évêque ; et Mgr ne voulut pas entrer dans la cellule du malheureux prêtre pour lui apporter un témoignage de sympathie, une parole d’amitié et de consolation. Pour un Évêque, quelle charité bien comprise !

 

    L’abbé RAUFFET, devenu curé de Davejean, dit à son Évêque qu’il se proposait de célébrer un service funèbre pour le repos de l’âme de l’abbé OLIVE, son prédécesseur. « Non répondit sèchement l’Évêque ; il est mort, laissez le mort. » Voilà une exhortation touchante pour la dévotion aux âmes du purgatoire ! Voilà encore de la charité sacerdotale bien comprise ! Cette réponse est une monstruosité dans la bouche d’un Évêque : on ne refuse des prières qu’aux âmes damnées. Était‑il sûr, Monseigneur, que l’abbé OLIVE fût damné ? Peut être est il mort plus saintement que lui. Si Mgr prenait l’abbé OLIVE pour un prêtre misérable, scandaleux, alors Sa Grandeur avait bien peu de respect pour les choses saintes en confiant à un pareil prêtre les fonctions sacrées du Saint Ministère. Si l’abbé RAUFFET avait osé répondre, il aurait pu lui dire : « Mgr, nolite judicare et non judicabimini » N’ayez crainte que jamais un prêtre ait appelé Mgr BILLARD un bon père ; on ne l’aimait pas, parce que c’était un Évêque sans cœur.

 

4° Ses mœurs ‑ Nous voulons bien croire qu’elles furent toujours intactes, mais il aurait du en prendre un soin plus particuliers selon la recommandation de nos livres saints : cura de bono nomine . De sa vie privée, je ne dirai donc rien, ni ne la soupçonnerai même pas ; mais il me semble que je puis parler des apparences extérieures. Il faut toujours respecter les murs Guilloutet quand même ils seraient démolis et criblés de brèches. Mais sa vie publique appartient à l’histoire du diocèse et il n’est pas défendu d’y jeter un rapide coup d’œil. Tant pis pour lui s’il a prêté le flanc à la critique. Que de fois il ne s’est pas gêné pour dénigrer, sur de simples apparences, des prêtres qu’il voulait changer par pur caprice ; nous pouvons bien à notre tour faire connaître quelques faits qui ne mériteraient guère d’être signalés dans une vie de saints. Ainsi, pourquoi Mgr BILLARD, lorsque Mme K... venait le voir à Carcassonne, disait il qu’elle ne venait que pour y accompagner sa sœur qui n’osait pas voyager toute seule ? Si Mme K...ne venait que pour accompagner la sœur de Mgr, pourquoi y venait‑elle lorsque cette sœur de Mgr fut morte ? Mme K... venait donc à Carcassonne pour un autre motif ? C’était sans doute pour prendre mesure à Sa Grandeur des soutanes qu’elle lui fournissait, car lorsque Mgr avait besoin d’une soutane, il n’avait qu’à écrire à Paris, rue Cherche‑Midi, 94. Pourquoi Mgr allait‑il accompagner cette dame à Paris lorsqu’elle quittait l’Évêché de Carcassonne pour y retourner ? Est ce qu’il ne s’étaient pas encore assez vu ? Que signifiait cet enfantillage ? Ne pouvait elle repartir seule, alors qu’elle était venue seule ! Pourquoi le jour du pèlerinage des prêtres de notre diocèse à Montmartre, après la messe, en présence de tout le monde, monte t’il dans la voiture de son inséparable Mme K..., se place t’il à côté d’elle pour aller évidemment déjeuner avec elle, et pour le soir ne plus reparaître à la Basilique du Sacré‑Cœur, et le lendemain ne pas repartir avec les prêtres pèlerins ? Il se faisait bien rusé notre Évêque de Carcassonne, mais, en cette circonstance, il y avait éclipse totale ; et beaucoup de prêtres furent loin d’être édifiés. Pourquoi, avant d’être malade, Mgr allait‑il si souvent à Paris ? Qu’y allait‑il faire ? Pourquoi recevoir dans son palais épiscopal tant de jeunes dames, à tel point que, craignant d’exciter l’éveil du clergé, il ne voulut point, à moins d’une extrême urgence, recevoir les prêtres dans la matinée, réservée au monde select ; le bas clergé ne pouvait visiter Sa Grandeur que dans l’après midi. Pourquoi retourner dans le château de Mme B... de M... alors que le lendemain du jour de la bénédiction de la chapelle, il avait couru des bruits scandaleux sur le compte de Mgr et de Madame ? Pourquoi recevoir dans son Évêché la trop fameuse Mme C... de H... qui était une déséquilibrée et dont la conduite et le langage étaient fort équivoques ? Quand un Évêque reçoit une pareille femme et qu’il accepte d’elle un héritage de douze cent mille francs, il ouvre la porte à toutes les suspicions.

 

    Comme il était content Mgr BILLARD, lorsqu’il recevait certaines dames ! Il se trouvait alors guéri de tous les maux. Des prêtres racontent, non sans quelque malice, que se trouvant en compagnie de Mgr, il était arrivé que l’Évêque se mettait tout à coup à geindre, à se lamenter, à se plaindre de la tête, de l’estomac, se jetant à droite et à gauche de son fauteuil comme pour chercher un remède à son mal. Pendant qu’il gémissait, le domestique arrivait, disant : « Mgr, Madame la comtesse de... vous attend dans la pièce voisine ». Voilà le remède trouvé, voilà le mal disparu ! L’Évêque se levait aussitôt tout joyeux, donnait un coup d’œil sur lui même, passait la main sur sa tête dénudée comme pour arranger le reste de sa chevelure et s’en allait tout guilleret au devant de la jeune dame.

 

     Disons en terminant ce chapitre des mœurs, que Mgr BILLARD qui commettait tant d’imprudences volontaires, sans la moindre gène, avait toutes les audaces, à la moindre critique et sur de simples présomptions, de moraliser ses prêtres et de les forcer à changer de poste.

 

5° Sa passion pour l’argent ‑ Pour avoir de l’argent, il conférait des titres de chanoine titulaire moyennant trente mille francs. Il ne disait pas comme Judas : Quid vultis mihi dare et ego vobis eum tradam; mais il le faisait dire habilement. M. PELOUS, ancien curé de Durban, M. DANTRAS, curé de Saint André et autres ont été pressentis à ce sujet. Mgr, disait‑on, veut fonder une prébende ; tactique fort habile de la part du normand, mais pour le gascon facile à découvrir. Mgr était un simoniaque, voilà tout. Simonia est voluntas emendi vel vendendi res sacras cum effectu; or, Sa Grandeur vendait le titre de chanoine titulaire, puisque sans les trente mille francs il ne le conférait pas. En se livrant à un tel trafic, Mgr avait oublié que la simonie est de sa nature un péché mortel et un énorme sacrilège. Il aurait dû lire l’article Simonie dans le Dictionnaire de Droit canonique de Migne.

 

     Pour avoir de l’argent, il voulait faire à ses prêtres un obligation de l’Indult, qui est purement facultatif et qui lui permettait de prendre de l’argent des Messes supprimées et de celles du binage. Dans sa circulaire promulguant cet Indult, il menace avec quelque peu d’arrogance ceux qui refuseront de l’écouter ; il frappera les rebelles d’un blâme et d’une peine, comme celle de n’avoir ni des honneurs, ni des postes d’avancement. Sa Grandeur objectait la nécessité des bonnes œuvres : à bon entendeur, salut !

 

     Pour avoir de l’argent, il forçait les abbés du Grand Séminaire à faire partie de la caisse de retraite. Voici la teneur de cet article VI : « Aucun séminariste ne sera promu au sous‑diaconat, s’il ne prend par écrit l’engagement de souscrire à la caisse des retraites immédiatement après son ordination. » Pour 20 francs par an, fermer la porte du sanctuaire à un jeune lévite, c’est purement odieux et même simoniaque ; car les chapitres 8 et 9, de Simoniâ, décident qu’il y a simonie d’exiger de l’argent pour l’entrée en religion.

 

     Pour avoir de l’argent, il s’était emparé, d’après la rumeur publique, de trente mille francs que M. GELI, ancien supérieur du Petit Séminaire de Narbonne avait donné à Mgr pour cet établissement ecclésiastique. Sa grandeur ne remettant jamais cette somme à l’économe de ce petit Séminaire et l’établissement se trouvant dans la gène, M. AJAC, le supérieur actuel voulut se permettre de demander ces trente mille francs à Mgr et de les exiger, au besoin, indi irae. Aussi, à partir de ce moment, Mgr boude M. AJAC, qui a fait respecter en brave les droits de son Petit Séminaire. Sa Grandeur ne l’aime pas, il ne l’a jamais nommé chanoine; mais M. l’abbé AJAC peut s’en passer facilement, car, à part quelques intellectuels, on ne voit que des croûtes dans cette casserole qu’on appelle le canonicat.

 

    Ouvrons ici une parenthèse pour raconter de quelle manière Mgr a fait les dernières nominations des chanoines honoraires ; on verra avec quel esprit de sagesse, avec quel discernement de mérites, Sa Grandeur distribuait les honneurs ecclésiastiques. M. le curé de Sallèles‑d’Aude demande à Mgr de lui donner pour vicaire M. BATTUT, et Sa Grandeur le lui promet. Puis arrive M. MARIO pour demander à Mgr ce vicaire promis qui est musicien et dont il a besoin pour remplacer M. TRASTET. M. MARIO parla si bien que le samedi suivant on vit paraître la nomination de M. BATTUT à Saint Paul de Narbonne. M. LAJOUX, furieux, va trouver Mgr à Prouille et lui fait une scène à tout rompre. L’Evêque, pour le faire taire, lui dit : « M. LAJOUX, je vous nomme chanoine honoraire de ma cathédrale. » L’effet fût surprenant : M. LAJOUX lâche son vicaire, sourit à Mgr, le remercie avec effusion, lui fait ses m’amours ; et l’Evêque l’interrompant, lui dit : « il faudra que je nomme aussi votre doyen à Ginestas, il serait froissé de voir votre nomination sans voir la sienne. » Et Mgr, pensant tout haut, dit encore : Je veux nommer aussi M. le curé d’Alzonne ; car, si je ne le nomme pas, Mgr LE CAMUS le nommera chanoine de sa Cathédrale et je ne veux pas de bigarrure dans mon diocèse. Dites moi, ajouta l’Evêque, quel est le prêtre le plus agréable à M. CANTEGRIL ? Je le nommerai aussi pour ne pas m’attirer les foudres de mon premier Vicaire Général, qui ne serait pas content de voir que j’ai fait ces nominations sans lui. M. LAJOUX lui cita le curé de Saint Hilaire et celui ci a été nommé. Mgr a donc nommé le premier pour le faire taire, le second pour ne pas le froisser, le troisième pour éviter la bigarrure, le quatrième pour ne pas contrarier M. CANTEGRIL. Je ne veux pas contester la valeur de ces quatre élus, mais voilà comment les nominations sont inspirées par le Saint‑Esprit.

 

     Pour avoir de l’argent, Mgr n’a jamais, pendant 19 ans, rendu des comptes sur la caisse de retraites. D’après le compte rendu, nullement exagéré, de M. le curé de Saint Marcel, qui mérite une reconnaissance infinie de la part de tous les souscripteurs, la caisse aurait dû posséder 1.052.121 francs. Mgr, sans raison aucune, n’a voulu, dans la réunion du 27 octobre 1896, accuser que 568.000 francs; et encore, sans aucune pièce justificative. Le comptable avoua franchement qu’il n’y en avait point ; ce qui ahurit tous les prêtres présents à cette réunion. Je ne dis pas que Mgr ait mis ici de l’argent dans ses poches ; mais la caisse aurait eu à sa tête un malhonnête homme d’Évêque que ce malhonnête homme ne s’y serait pas pris autrement que l’a fait pendant 19 ans, Sa Grandeur Mgr BILLARD. Voilà un fait brutal qui autorise toutes les suppositions.

 

     Pour avoir de l’argent, il se fait donner à lui, pour le mettre dans sa poche, l’héritage de Mme C... de H... Mgr est plus avisé que le Pape qui ne reçoit un héritage de Mme de PLESSIS BILLIERE que pour le donner à l’Église. Léon XIII a reçu encore en 1900 un héritage de 1.200.000 francs de la princesse Adélaïde d’ISSEMBERG, cousine de l’Empereur d’Autriche ; mais le Pape a reçu ce don comme Saint Pierre recevait les dons des premiers fidèles, dons qui étaient destinés au trésor de l’Église. Mgr BILLARD est plus pratique, il pense à arrondir son patrimoine. Pour sen convaincre, il n’y a qu’à lire ce seul passage du testament dont Mgr a fait soigner la rédaction :

 

« Le présent legs fait à M. BILLARD, non pas en sa qualité d’Évêque, mais au contraire en son propre et privé nom. Dans le cas ou par suite de prédécès, répudiation, ou toute autre cause, M. BILLARD ne recueillerait pas ce legs, je lui substitue M. Jules BLIGNY, ancien notaire à Rouen, et pour ce cas, mais pour ce cas seulement, j’institue le dit de BLIGNY pour mon légataire universel.»

 

   En voilà des précautions soigneusement prises pour que Mgr puisse au moins palper les 1.200.000 francs « non en sa qualité d’Evêque, mais ne son propre et privé nom. » Et de quelle femme Mgr consent il à recevoir un legs ? De la part d’une folle, d’une hystérique qui se livrait à toutes sortes d’excentricité et d’extravagances et qui tenait des propos d’où la moralité était souvent absente. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’a demander au journal La Dépêche de Toulouse, le numéro du 5 novembre 1896 ou sont relatés les motifs invoqués par MM. BUSCAILLON et ALEGRE, plaidant l’insanité de la testatrice à l’appui de leur demande en nullité. Il faut y tenir à l’argent, et d’une façon peu délicate, surtout pour un Evêque, pour recevoir un legs pareil, il faut en être affamé ; et, quand Mgr disait au Ministre qu’il préférait un peu moins d’argent et un peu plus d’honneur, Mgr n’était qu’un farceur.

 

6° Les châtiments de Dieu ‑ Lorsque Mme C... de H..., la testatrice meurt d’une attaque d’apoplexie le 15 avril 1891 et que le testament est connu, Mgr BILLARD est frappé d’une première attaque. Lorsque le mari de Mme C... de H... meurt et que l’Evêque va palper un premier à compte de 500.000 francs de son argent d’affaires, Mgr est frappé d’une seconde attaque. On dira : coïncidence, hasard ; et Saint Thomas qui dit que le hasard c’est Dieu, que la coïncidence n’est rien ? Que répondrez‑vous ? Et moi je dis que c’est le châtiment de Dieu. Et Monseigneur n’en est pas à la fin de ces punitions. Le plus grand représentant de Dieu sur la terre, le Pape, Vicaire de Jésus Christ, le frappe à son tour. Il le frappe de trois mois de suspense pour avoir administré de la façon la plus irrégulière les biens de son diocèse et pour avoir contracté des dettes écrasantes, que rien ne justifiait. Voilà ce qui se dit dans le diocèse ; on ne peut pas l’assurer, n’ayant pas lu les termes de la suspense ; mais ce que nous pouvons dire, c’est que Mgr n’a pas été frappé sans cause. Le rescrit pontifical, interdisant à Mgr BILLARD la célébration de la Sainte Messe et tout acte de juridiction épiscopale lui arriva à Azille. Sa grandeur reçut de Rome un pli recommandé, portant l’interdit ; et, M. FOURNIER, un autre pli recommandé l’informant que Sa Sainteté lui accordait l’usage de la juridiction spirituelle sur tout le diocèse, tant du for intérieur que du for extérieur ; car l’Évêque n’avait plus aucun pouvoir juridictionnel. Quand l’Évêque eut lu les termes de sa suspense, il pâlit affreusement, se déclara malade, rentra immédiatement à Carcassonne et, pour qu’à l’évêché les secrétaires et les domestiques ne vissent pas qu’il ne disait pas la Messe, il partit pour Rouen, prétextant qu’il se rétablirait plus vite dans le Nord à cause de la fraîcheur du climat. Mais M. FOURNIER, qui avait la langue un peu longue, raconta discrètement l’affaire à quelques uns de ses amis, qui, à leur tour, la racontèrent aussi avec la plus grande discrétion. On dit que Rome en lui notifiant la suspense, l’avait en outre condamné à titre de restitution ou réparation, à donner sur l’héritage à venir de Mme C... de H... deux cent mille francs pour la construction de l’Église de Prouille.

 

     Enfin, la dernière et suprême punition que Dieu lui ait infligé, c’est qu’il soit mort comme un abandonné de Dieu et des hommes. A son heure dernière, pas un prêtre à son chevet ; pas même un domestique pour lui montrer le Crucifix, dernière espérance des mourants. Il est mort comme un mécréant ; sans le Saint Viatique, sans l’Extrême Onction, sans l’indulgence plénière des agonisants, sans la moindre bénédiction, sans la plus petite parole de soutien et de consolation. On aurait pu avoir l’idée d’apporter un lit dans la chambre de Mgr, pour faire coucher là un secrétaire ou un domestique en prévision d’un évènement fatal ; mais personne dans l’Évêché n’a pensé à une telle précaution, parce que Dieu a voulu qu’il mourût ainsi.

 

    Mgr est donc descendu dans la tombe, emportant tous les regrets, car il n’en a laissé aucun. Ce n’était pas trop tôt qu’il quittât cette terre ; quel bien faisait‑il ici bas ? Il ne paissait pas les brebis, il ne faisait que les tondre. Qu’il repose en paix ! Le diocèse y reposera aussi maintenant.

 

Paziols, 25 décembre 1901

LABORDE, curé