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Fédié et Alet - Rennes-le-Château Archive

Louis Fédié, historien     2/2
Le diocèse d'Alet

Rennes‑Le‑Château ou l'histoire d'un grand secret

 

 

 

   On cite régulièrement Louis Fédié  dans les différentes recherches historiques autour de Rennes‑Le‑Château. Mais qui était‑il en réalité ?

 

    C'était avant tout, un notable audois de la fin du 19siècle, originaire de Couiza, érudit et passionné d'Histoire. Licencié en lettres, latiniste, et ancien conseiller général de l’Aude, Louis Fédié fut certainement une personnalité qui marqua son époque et les ouvrages qu'il publia sur l'histoire ancienne du Razès connurent un réel succès.

 

    Louis Fédié était également un membre éminent de la S.E.SA. Société des Arts et des Sciences de Carcassonne. Il profitait des séances pour communiquer ses recherches et ses hypothèses. En 1876 il commença quelques présentations de ses travaux sur le Razès dont la plus célèbre fut celle consacrée à Rhedae (Rennes‑Le‑Château), un petit village jusqu'alors méconnu.

 

 


L'ancienne abbaye d'Alet‑Les‑Bains
A l'arrière, l'église d'Alet où l'on entrevoit ses vitraux en forme de
croix de Salomon

 

    La thèse de Louis Fédié sur l'histoire du comté du Razès, l'ancien Rhedesium, est principalement axée autour de Rhedae (Rennes‑Le‑Château). Selon toute vraisemblance, cette cité fut une place forte wisigothique très importante, avant d'être un centre politique et militaire dès l'époque carolingienne. Alet, aujourd'hui Alet‑Les‑Bains, semble aussi avoir eu une importance toute particulière, mais surtout pour son aspect religieux. La présence de ruines d'une très ancienne et volumineuse abbaye bénédictine en témoigne. Au XIe siècle le comté du Razès fut annexé à celui de Carcassonne et Rhedae perdit son prestige politique et stratégique.

  

    Au XIVsiècle Alet reprit de l'importance en accueillant un siège épiscopal mais ce fut transitoire. La croisade des Albigeois redistribua les terres du Razès au profit du roi de France, des responsables religieux et des barons nordiques. Alet perdit également son prestige et son titre de chef‑lieu du Razès, au profit de Limoux.

 

   Cette étude présentée par Fédié, fut longtemps critiquée pour son côté caricatural et simplificateur. Son texte, qui était à l'origine un simple rapport historique devint par la suite suspect du fait de l'importance qu'il donnait à Rhedae. Car d'autres historiens amateurs ouvrirent aussi d'autres pistes comme celle portant sur La Rennes Celtique, un curieux ouvrage écrit par Henri Boudet.

 

   Les Wisigoths sont‑ils à Fédié ce que les Celtes sont à Boudet ? Tous les ingrédients d'un mythe fondateur étaient alors en place.

 

   Ce fut bien plus tard l'entrée en scène d'un autre historien prestigieux, René Descadeillas,  auteur de "Rennes et ses derniers seigneurs" qui, voulant balayer les écrits du 19e siècle, concluait : "Le bourg fortifié de Rennes ne date que de l'époque carolingienne"...

 

   Nous savons depuis que cette conclusion est fausse et que l'Histoire de la région est bien plus complexe. Des traces et des chroniques rapportent que les Wisigoths étaient bien présents et se seraient emparés de Carcassonne en 440. De même la présence de Celtes dans le Razès n'est aujourd'hui plus mise en doute.

 

   Durant plus d'un siècle Fédié et Boudet furent critiqués pour différentes raisons et peut être pour leur intuition. Bien sûr des erreurs existent, mais il est amusant de constater que le temps leur donne peu à peu raison...

 

Vous trouverez ici la notice de Louis Fédié parue en 1880 "Histoire du comté de Razès et du diocèse d'Alet". Celle‑ci est est divisée en deux parties :

 

   Rhedae ‑ La cité des chariots

   Le comté de Razès et le diocèse d'Alet

Sommaire


 

LE COMTE DE RAZES

et le

DIOCESE D’ALET

 

Notices historiques par

 

LOUIS FEDIE

 

Membres de la Société des Arts et Sciences de Carcassonne

Ancien conseiller général de l’Aude

 

L’édition originale de cet ouvrage a été réalisée par Lajoux Frères

à Carcassonne en 1880

 

ALET    Alektha. Aletha. Aleth

 

I


 

Alet sous les Romains

 

    Alet se recommande, à divers titres, à l’attention du savant comme à celle du simple touriste. La nature semble s’être plu à faire de ce coin de terre un site privilégié. Longé par le cours de l’Aude, abrité de tous côtés par de hautes montagnes, le territoire sur lequel la ville d’Alet a été édifiée forme un bassin presque circulaire où s’épanchent les bienfaits d’une Naïade qui lui prodigue, à la fois, les eaux fraîches du Théron et les eaux thermales, qui jaillissent sur deux points différents. Ce sol, qui produit les cultures maraîchères de toute espèce et les fruits les plus savoureux, a dû être, dès la plus haute Antiquité, un lieu de prédilection pour les habitants de la vallée de l’Aude. Nous n’hésitons pas, par conséquent, à considérer Alet comme ayant été un oppidum gallo‑celtique. L’un des clans de cette tribu de Gaulois Atacins, qui habitaient les bords du fleuve sacré, fondèrent, à une époque très reculée et longtemps avant l’invasion romaine, le bourg d’Alekhta.

 

    Si nous cherchons des preuves à l’appui de notre opinion, nous en trouvons dans la découverte de débris de poteries dont l’origine ne saurait être contestée et qui ont été exhumés à des profondeurs du sol à diverses reprises. Nous en trouvons aussi dans les restes d’une galerie souterraine que l’on a mis à jour en faisant des travaux de terrassement dans le parc qui avoisine l’établissement thermal. Cette vaste excavation murée et voûtée était peut‑être un silo, et peut‑être, aussi, une de ces cavernes artificielles qui, en temps de guerre, servaient de refuge à ces premiers habitants de la vallée. Nous devons mentionner, enfin, les nombreux Peulvans en pierres levées qui existent sur divers points du territoire, aux approches d’Alet.

 

Si les populations indigènes qui habitaient, il y a vingt siècles, les bords de l’Aude ont laissé peu de traces de leur séjour à Alektha, nous pouvons, en revanche, y constater d’une manière complète l’occupation romaine. Les piles indestructibles d’un pont, dit le Pont du Diable, des restes de constructions en ciment et en briques à crochets trouvés, il ya quelques années, à proximité de la source dite les Escaoudos (NB :les chaudes), enfin les médailles et monnaies romaines découvertes dans l’intérieur de la ville ne laissent aucun doute sur ce point.

    Nous allons essayer de préciser quelles ont pu être la nature et l’importance des établissements qui se rattachent à la conquête romaine.

 

    Le bassin d’Alet forme le débouché de ce défilé qui s’appelle les Gorges d’Alet, et c’est sur ce point que se rejoignaient deux routes militaires, l’une venant du pays de Kerkorbz (le Chalabrais), l’autre venant du Roussillon et de la haute vallée de l’Aude. C’est sur la rive gauche, presque à la tête du pont actuel, que les deux lignes se soudaient pour ne former qu’une seule voie qui, après avoir franchi l’Aude, longeait les flancs de la rive droite, escaladait les hauteurs, et par le col ou passage de Saint‑Polycarpe se dirigeait vers le Narbonnais.

 

    Les Romains durent trouver insuffisant le pont en bois qui servait à franchir le fleuve, et le remplacèrent par le magnifique pont en maçonnerie, détruit en partie depuis un temps immémorial, et dont on admire encore les piles qui paraissent indestructibles. Ce pont a formé le sujet de deux légendes, l’une reposant à faux, il est vrai, sur une donnée historique, l’autre engendrée par les idées superstitieuses du Moyen‑âge. C’est à ce moment des temps antiques que quelques annalistes ont appliqué ce passage des Commentaires de César dans lequel il est fait mention d’un pont sur le fleuve Atax qui fut bâti en un jour. Or des esprits simples et crédules, tout en admettant cette version, ne purent croire que la main de l’homme eût suffi pour mener à bonne fin cette œuvre gigantesque dans l’espace de vingt‑quatre heures, et trouvèrent plus commode de faire intervenir l’esprit malin pour expliquer ce fait miraculeux. Voilà comment le pont Romain d’Alektha fut appelé le Pont du Diable.

 

    Quand on examine avec attention les restes du Pont du Diable, on est frappé des règles qui ont présidé à sa construction, et l’on remarque que les ingénieurs romains ont donné à ce monument un caractère exclusivement stratégique. Ce n’est pas pour relier la ville d’Alet à la rive gauche du fleuve que ce pont a été édifié. On ne s’est préoccupé que d’établir un passage pour une nombreuse armée et de relier par un pont très solide les deux rives de l’Aude sur un point où se réunissaient d’importantes voies de communication. En effet, alors que partout ailleurs, comme aux rochers de Cascastel, à Limoux, à Quillan les ponts sur l’Atax consistaient en des ponts qui avaient pour tablier des poutres et des madriers reposant sur des bancs de rochers ou sur des piles informes, ici nous remarquons que les piles et les culées, aussi bien que les arches, sont en pierre de taille reliée par un ciment de premier choix. On remarque surtout que le pont, au lieu d’être placé sur l’axe de la rivière, est construit en faux équerre et en diagonale, ainsi que le prouvent les amorces des arches et que la tête du pont sur la rive droite, au lieu d’être dirigée vers Alet, suit une direction opposée. Cela ne prouverait‑il pas que l’oppidum d’Alektha n’avait alors que peu d’importance ?

 

    Le pont une fois construit, les romains jugèrent à propos d’y établir des moyens de défense qui devaient protéger les chemins stratégiques débouchant dans la vallée. Ils firent d’Alektha un de ces postes militaires appelés Mansiones, c’est à dire stations d’étape, qui étaient semés le long des voies prétoriennes. Le créateur de ce poste militaire avait encore un autre but, celui de pourvoir à la sécurité des riches familles gallo‑romaines qui fréquentaient les thermes de l’ancien oppidum.

 

    Quelle a pu être l’importance d’Alektha pendant le cycle romain ? Cette question a divisé les chroniqueurs et les annalistes. Nous n’hésitons pas à nous ranger parmi ceux qui pensent que l’ancien village gaulois demeura un simple village quand les Romains eurent conquis la Gaule Narbonnaise, et voici quels sont les éléments de notre appréciation. Dans sa géographie historique, Pline ne fait aucune mention d’Alektha en parlant des villes de cette province. Après cet éminent historien, les chroniqueurs du Moyen‑âge appellent Alet vicum, bourg. D’un autre côté, aucun monument, aucun édifice civil ou religieux d’origine romaine n’a été découvert à Alet, qui soit de nature à faire croire que l’antique oppidum eut été transformé, soit en cité, soit en simple ville. On a cru trouver à Alet les vestiges d’un ancien temple de Diane sur l’emplacement qu’occupent les ruines de l’ancienne cathédrale de Sainte‑Marie ; mais rien ne prouve que cette assertion soit fondée. On a voulu rattacher à l’existence de ce temple païen la découverte d’un cippe ou autel votif trouvé à Alet, et sur lequel figure l’inscription suivante :

 

MATRI DEUM

CN POMP. PROBUS

CURATOR TEM

PLI. V.S.L.M

 

    Nous ferons remarquer qu’il y a une grande similitude entre cette inscription et celle qui figure sur une plaque de grès découverte aux Bains de Rennes, il y a plus d’un siècle, dans un pan de vieux mur avoisinant la source de la Reine. Voici cette inscription :

 

C.POMPEIUS QUARTUS. P .A.M.SVO.

 

    La contexture presque identique de ces deux inscriptions nous amène à croire qu’elles sont l’œuvre d’un même personnage, et que Cneius Pompeius était simultanément fermier des thermes de Rennes et des thermes d’Alet. D’un autre côté, nous savons que les Romains avaient l’habitude de créer, à proximité de toutes les stations balnéaires, un petit temple, souvent même un simple sacellum, dédié à la déesse Hygie ou à la nymphe Thermona qui présidait aux eaux minérales.

 

    Nous résumons donc notre opinion sur cette phase de l’existence historique d’Alet de la façon suivante : les Romains, après avoir, suivant l’usage qu’ils avaient adopté, changé le nom d’Alektha en celui d’Aletha, créèrent dans cette localité un poste militaire et un établissement balnéaire avec l’adjonction d’un petit édifice religieux, spécial à ces sortes d’établissements publics. Sous leur domination, l’oppidum gallo‑celtique n’augmenta pas d’importance et demeura ce que les Romains appelaient une villaria, un village.

 

    Nous croyons devoir compléter cet exposé de la situation d’Alet, sous les Romains, en relevant l’erreur commise jusqu’à ce jour par divers historiens qui prétendent que le nom primitif de cette ville fut Electa. Nous nous croyons fondé à soutenir que le véritable nom donné par les Romains à cette ville fut Aletha, et nous pouvons invoquer à l’appui de cette opinion un passage de Catel et une citation de Scaliger qui, commentant les anciens auteurs appellent Alet tantôt castrum Aletense, c’est‑à‑dire château et bourg fortifié d’Alet, et tantôt civitas Aletensis, ville d’Alet ; car on donnait, quelquefois, au Moyen‑âge, le nom de civitas à toute localité ceinte de murailles, ce qui fut le cas du bourg d’Alet , sinon du temps des Romains, ce qui est très douteux, du moins sous la domination wisigothe, quand le bourg d’Alet eut été fortifié. Ce ne fut que sous le règne de Charlemagne, quand l’abbaye d’Alet eut acquis plus d’importance, que les religieux de cette abbaye adoptèrent pour le bourg qu’ils possédaient le nom de Vicum Electum, d’où est venu le nom d’Electa, qui a duré jusqu’au jour où la langue française ayant détrôné le latin barbare du Moyen‑âge, on vit apparaître dans les documents officiels l’appellation primitive d’Aletha francisée et traduite par Aleth.

 

 

II


 

Alet au temps des Wisigoths

 

    Quand les Wisigoths furent maîtres de la Gaule Narbonnaise, ils fréquentèrent, comme les Romains leurs prédécesseurs, les thermes d’Alet. Puis, lorsqu’ils furent refoulés sur la rive droite de l’Aude (*), ils firent d ‘Alet un de leurs points de défense dans ce pays de frontières. A cet effet, ils construisirent sur les bords d’un profond ravin qui, du levant au couchant, coupe la plaine en deux parties presque égales, une forteresse dont on peut encore reconnaître les vestiges. Lorsque, quatre siècles plus tard, la ville d’Alet fut entourée de la ligne de remparts qui sont encore en partie debout, le château wisigoth servit de défense à la porte principale qui donnait accès dans la ville. Cette porte faisant face au nord existe encore. Elle porte le nom de Porte de Cadène, et l’on peut remarquer qu’elle est flanquée des restes d’un château fort, ainsi que le prouvent les pans de murs percés de meurtrières, et dont l’épaisseur et la solidité ne laissent aucun doute sur leur origine. Du reste une simple inspection suffit pour prouver que l’arrangement, la coupe et la pose des pierres diffèrent dans la construction du château et dans celle des remparts. Le château est donc bien antérieur aux murailles de la ville.

 

    Les forteresses wisigothes avaient sous leurs murs un établissement religieux qu’on appelait Cella, chapelle. C’était une maison conventuelle habitée par trois ou cinq religieux, et renfermant un édifice public consacré au culte catholique.(NB : Culte arien jusqu’en 589) Ce monastère et cette église n’étaient jamais renfermés, au septième siècle, dans l’enceinte des châteaux‑forts, parce qu’ils étaient destinés à devenir le centre d’une agglomération, la première assise d’une villaria qui ne tardait pas à se développer sous la protection de la forteresse. Les religieux de ces prieurés, tout en attirant des habitants autour de leurs pieuses retraites, exerçaient leur ministère dans l’enceinte du fort et y prodiguaient, en même temps, leurs soins aux malades. Ils étaient à la fois les chapelains, les médecins, les infirmiers et les maîtres d’école dans le village et dans le château‑fort.

 

    Sur plusieurs points du Rhedesium la forteresse wisigothe devint, aux neuvième et dixième siècles, un manoir féodal qui absorba le monastère, et finit par faire disparaître, dépouillant ainsi les établissements religieux de leurs terres et de leurs revenus, et leur enlevant les villages qu’ils avaient fondés. Il n’en fut pas ainsi d’Alet, où le monastère, avant de devenir une puissante abbaye, absorba la forteresse, et en fit à son profit un moyen de défense.

 

    Dans son histoire des Ducs de Narbonne (*), Besse reproduit un document qui nous fait connaître quelle était la situation d’Alet au huitième siècle. Il cite un acte de 796 portant que, antérieurement à cette époque, les moines du monastère d’Alet avaient restauré les fortifications et rétabli le mur d’enceinte qui, à un époque déjà reculée, protégeait le village. Ce document prouve que dans le courant du septième siècle le château‑fort existait déjà, et que le monastère et le bourg d’Alet étaient, en outre, défendus par un mur d’enceinte tel qu’on les construisait à cette époque, et consistant en un assemblage de blocs de pierre énormes reliés entre eux sans ciment et sans mortier, et surmontés d’un épaulement en terre durcie.

 

III


 

Alet abbaye

 

    C’est sous le règne de Louis‑le‑Débonnaire, en 813, que le comte Béra 1° et le comtesse Romille son épouse transformèrent le monastère d’Alet, qui depuis un demi‑siècle avait été érigé en abbaye. Béra, qui était comte de Razés et Marquis de Gothie, fut secondé dans cette œuvre pieuse par de riches Espagnols réfugiés de ce côté des Pyrénées.

 

    La charte d’investiture porte que ce monastère sera uni à l’église Saint‑Pierre de Rome, sous la condition d’une redevance consistant en une livre d’argent payable tous les trois ans. Dans le même acte le comte Béra sollicite du pape Léon III le don d’un fragment de la Vraie Croix en faveur de la dite abbaye. Cette relique fut accordée, et elle prit place dans le trésor de l’église. La formule de soumission et d’investiture porte cette mention : Vicum Electum et Monasterium Santæ Mariæ.

 

    Nous croyons devoir faire remarquer que cette locution " Vicum electum ", bourg choisi, fut employée alors pour la première fois, en remplacement du nom de Aletha, qui fut repris seulement au seizième siècle. Les religieux, désignèrent Alet sous cette qualification de bourg d’élite, bourg privilégié que leur avait conféré la cour de Rome en dotant leur église d’une relique très précieuse. Quoi qu’il en soit, ce qualificatif devint, à dater de cette époque et pendant six cents ans, le nom sous lequel fut désigné le village d ‘Alet. Du reste, ainsi que cela avait eu lieu sous la conquête romaine, le changement de nom des villages fut fréquent pendant le Moyen‑âge, car les corporations religieuses tenaient à effacer tous les souvenirs du paganisme.

 

    En plaçant l’établissement religieux d’Alet sous la domination directe du pape, le comte Béra se prémunissait contre les atteintes des abbés de Lagrassse et de l’archevêque de Narbonne toujours avides d’annexions. D’un autre côté, en dotant richement cette abbaye et en lui concédant de grands privilèges, il consolidait son pouvoir dans cette vallée de l’Aude qui mettait en communication le pays de Carcassonne avec les Pyrénées et une partie des Corbières.

 

    Les religieux de l’abbaye d’Alet suivaient les règles de Saint‑Benoît. Ils remplissaient avec zèle la mission complexe que s’imposaient les moines de cet ordre célèbre. A l’étude, à la prière et à la prédication ils ajoutaient les soins de l’hospitalité à donner aux voyageurs. Ils étendaient leur sollicitude aux malades qui venaient chercher un remède à leurs maux dans les eaux bienfaisantes des piscines romaines.

 

    Leur maison était bien réellement un lieu de refuge et d’assistance. Dans ce temps de prosélytisme chrétien ils mettaient d’autant plus d’ardeur à la propagation du dogme catholique que leur ministère s’exerçait dans une contrée où existaient des vestiges de pratiques religieuses d’origine diverse. Dans l’esprit de cette population mélangée, les rites druidiques avaient survécu et se confondaient avec des restes du polythéisme romain et des croyances sarrasines; et ce n’était pas une œuvre peu importante et peu méritoire que de moraliser et civiliser des êtres simples, farouches, tristes épaves pour la plupart, des bandes armées qui, depuis quatre siècles, avaient constamment piétiné ce sol.

 

    A peine transformée, l’abbaye acquit une grande importance. Quelques années après que le comte Béra l’eut si libéralement dotée, son fils Willemont unit cette abbaye à celle de Saint‑Polycarpe (*). C’était le meilleur moyen pour couper court aux prétentions des abbés de Lagrasse qui depuis longtemps convoitaient ce monastère. L’union d’Alet et de Saint‑Polycarpe, séparés par une très petite distance, était dictée par leur situation topographique. Elle répondait aussi aux vœux de quelques riches Espagnols qui, réfugiés dans le Rhedesium, pour échapper à la tyrannie des sarrasins maîtres de leur patrie, consacraient une partie de leur fortune à l’entretien des établissements religieux, et qui témoignaient une préférence marquée pour Saint‑Polycarpe, fondé par un de leurs compatriotes, et pour Aletha qui devait en partie sa splendeur à des émigrés de leur nationalité.

 

    Une des causes qui contribuaient aussi au développement de la puissance de l’abbaye d’Alet consistait dans l’immense étendue de territoire qui dépendait, et qui dépend encore, de cet ancien oppidum gallo‑gothique. Fondée à une époque où la contrée était presque déserte, Alet put se tailler un immense domaine qui couvre une superficie d’environ quatre mille hectares. Nous trouvons là une des preuves les plus concluantes en faveur de l’ancienneté très reculée d’Alet. Aussi, dès que le monastère eut pris rang dans la province, les prieurs de cet établissement eurent le soin d’affirmer leur possession et d’éviter les empiètements des seigneurs terriers du voisinage, en créant des ermitages et des églises champêtres sur le territoire de la communauté, afin d’y former ce qu’il est convenu d’appeler, de nos jours, des sections de communes. C’est ce qui explique pourquoi la commune d’Alet compte aujourd’hui trois hameaux assez importants, et vingt‑deux métairies , et c’est ce qui explique aussi l’existence, sur divers points de ce vaste territoire, de ruines très intéressantes qui sont des restes de chapelles champêtres.

 

    Avec de pareils éléments de prospérité, l’abbaye d’Alet ne tarda pas à rivaliser avec celle de Lagrasse et à occuper une place des plus marquées parmi les dix‑neuf monastères existant dans la Septimanie, et dont le dénombrement fut fait, en 817, dans le statut rédigé par le Concile d’Aix‑la‑Chapelle, que le roi Louis‑le‑Débonnaire avait convoqué pour s’occuper de la réforme du clergé séculier et régulier.

 

    Les données que nous possédons sur la phase que traversa l’abbaye d’Alet, pendant les premières années du cycle carlovingien, sont assez vagues. Cette époque nous apparaît entourée de légendes et de récits poétiques qui ne sont pas, à proprement parler, de l’histoire. L’un des ouvrages les plus complets que nous possédons, l’Histoire du Languedoc de dom Vaissette, ne nous éclaire que très imparfaitement sur le sujet. Les documents authentiques, puisés dans le annales du neuvième siècle, établissent même une certaine confusion au milieu de laquelle il est difficile de se reconnaître, quand on étudie le passé historique des abbayes de Lagrasse, d’Alet, de Saint‑Polycarpe, et de Saint‑Martin‑de‑Lis, situées dans le Rhedesium. Les rois Charles‑le‑Chauve, Carloman et Eudes avaient délivré, en faveur de chacun de ces monastères, des chartes ou des diplômes confirmant les dons et privilèges concédés antérieurement, mais sans préciser en quoi consistaient ces privilèges et ces possessions. D’un autre côté, les comtes suzerains de Carcassonne, de Rhedae et de Barcelone, comme aussi les archevêques de Narbonne, ne tenaient pas toujours compte des actes émanant de la puissance royale. Ainsi, pour ce qui concerne Alet, ce n’est qu’avec beaucoup de difficultés que nous sommes parvenu à reconstituer son passé à cette époque tourmentée pendant laquelle elle fut en rivalité et en lutte avec l’abbaye de Lagrasse. Cette lutte éclata, surtout, à l’occasion de l’union du monastère de Saint‑Polycarpe à l’abbaye d’Alet.

 

    Lorsque le comte Willemond, fils de Béra, délivra aux abbés le droit de possession de Saint‑Polycarpe il se fonda sur deux considérations. En premier lieu, il croyait agir dans la plénitude de ses pouvoirs de seigneur suzerain du Rhedesium, et en second lieu il prétendait exécuter une décision du roi Charlemagne. Les abbés de Lagrasse, qui avaient dans leur dépendance le monastère de Saint‑Polycarpe, refusèrent de se dessaisir de cet établissement, en prétendant qu’il était compris dans l’assignat consenti en leur faveur par le grand empereur.

 

    La lutte dura plus de deux siècles, et ne prit fin que lorsque, par une bulle en date de 1117, le pape Pascal II ordonna que l’abbaye de Lagrasse restituerait à l’abbaye d’Alet le monastère de Saint‑Polycarpe dont lui avait fait don l’empereur Charlemagne, et que les moines de Lagrasse avaient usurpé. Cette bulle constatait aussi que la donation faite par cet empereur avait été confirmée par une charte du roi Charles‑le‑Chauve.

 

    La rivalité des moines de Lagrasse n’avait pas entravé, pendant le dixième et le onzième siècle, le développement de la puissance de l’abbaye d’Alet, qui avait obtenu des comtes suzerains et des riches seigneurs du Rhedesium des bénéfices considérables. C’est pendant cette période que les moines d’Alet fondèrent divers prieurés et plusieurs églises. Ils résistèrent efficacement aux tentatives d’usurpation de quelques barons terriers qui voulaient agrandir leurs domaines aux dépens de l’abbaye.

 

    En 1059, un événement des plus graves vint rompre la bonne harmonie qui existait entre l’abbé d’Alet et le comte de Razès. Béranger, vicomte de Narbonne et Guifred, archevêque de cette ville, avaient pris les armes et luttaient pour se disputer la possession de quelques fiefs. Pierre Raymond, comte de Razès, avait pris parti pour l’archevêque. La Trêve de Dieu qui avait été décidée dans une assemblée tenue à Toulouges, petit village du Roussillon, vint suspendre la lutte. Cette trêve fut violée par le comte Pierre‑Raymond, qui enleva de l’église Notre‑Dame d’Alet deux chevaliers qui y avaient cherché asile, et qui étaient innocents. Après quoi il fit pendre l’un d’eux qui était un proche parent du vicomte de Narbonne. Ce fait est consigné dans la plainte qui fut portée, la même année, devant un concile. Le vicomte de Narbonne fit ressortir, dans son plaidoyer, cette circonstance aggravante que l’église abbatiale d’Alet offrait un asile d’autant plus inviolable qu’elle renfermait un fragment de la Vraie Croix, " mirificum lignum dominicum ". Nous croyons devoir faire remarquer, à propos de cette pieuse relique, que les Bénédictins d’Alet avaient tenu à avoir une église qui fut digne de la contenir. Aussi, en 1013, quand l’abbaye déjà très florissante, eut encore été enrichie par les libéralités que lui avait values le redoublement de piété provoqué par la crainte de la fin du monde prédite pour l’an mil, les religieux ne purent se contenter de leur ancienne maison conventuelle et de l’église en dépendant. C’est à cette époque que fut construite la magnifique église dont on admire encore les ruines. Dans les siècles suivants cet édifice religieux fut modifié dans quelques unes de ses parties. Le sanctuaire, notamment, accuse, par ses conditions architecturales, une création qui date du quinzième ou du seizième siècle, mais c’est, comme nous venons de le dire, au commencement de l’onzième siècle que fut érigé le monument grandiose dont les ruines sont encore de nos jours un juste sujet d’admiration.

 

A la suite de la bulle du pape Pascal II, une autre bulle de son successeur, Calixte II, vint six ans plus tard, en 1123, confirmer en faveur de l’abbaye d’Alet la possession des églises, châteaux et villages dont voici le dénombrement :

 

Monastère de Saint‑Polycarpe avec toutes ses dépendances.

Monastère de Saint‑Paul de Fenouillet.

Eglise se Sainte‑Colombe sur l’Hers.

Eglise de Villeneuve (Cassaigne).

Eglise de Saint‑Martin de Celles (Villereglan).

Eglise de Payra.

Eglise de Castelreng.

Eglise Sainte‑Marie d’Espéraza.

Eglises de Verzeille (2)

Village de Flacian.

Château et village de Cornanel.

Château et village de Blanchefort.

Eglise Notre‑Dame d’Orbieu. (Aujourd’hui chapelle des Busquets, près d’Auriac.)

Monastère de Saint‑Papoul avec toutes ses dépendances.

 

   Ce qui contribua à accroître la puissance des abbés d’Alet, c’est qu’ils trouvaient un appui dans la politique des comtes du Razès, lesquels avaient tout intérêt à user de l’influence religieuse pour résister aux empiètements des barons de la contrée, toujours turbulents en ambitieux. Ainsi c’est grâce à l’appui du clergé que le vicomte Bernard Aton parvint, en 1124, à soumettre les nobles rebelles du Razès. Le pape Calixte II avait, avec juste raison, limé les dents de ces lions, en leur enlevant des parcelles de leurs fiefs indûment agrandis au détriment des abbayes d’Alet, de Saint‑Polycarpe et de Saint‑Papoul.

 

   Du reste, les restitutions dont bénéficia l’abbaye d’Alet ne furent pas un acte isolé de la part de la Cour de Rome. Le pape Calixte II travailla activement à reconstituer le domaine de l’église, en luttant contre les usurpations des barons terriers. Cette doctrine fut inaugurée au Concile de Reims, en 1119 ; mais ce fut au Concile œcuménique de Latran, en 1123, que furent décidés les canons destinés à consolider les conquêtes de l’Eglise. Il est à remarquer que dans ce concile, le nombre des abbés mitrés fut plus considérable que celui des évêques.

 

   Soutenus dans leurs luttes contre la féodalité par le pouvoir supérieur des comtes suzerains de Razès, les abbés mitrés d’Alet pouvaient compter aussi sur l’appui de la Cour de Rome. En 1196, le pape Urbain II, après avoir visité Toulouse et Carcassonne, se rendit à l’abbaye d’Alet où il arriva le 18 juin, et le lendemain il officia pontificalement dans l’église de Notre‑Dame. En quittant Alet, le pape se dirigea sur Saint‑Pons, sans visiter les autres abbayes de la contrée. Cette visite du Souverain Pontife prouva combien les abbés étaient puissants à Rome.

 

   L’abbaye d’Alet parvint à l’apogée de sa puissance sous la direction de l’abbé Pons d’Amély qui, vers 1160, fit clore de murs la ville d’Alet. Les fortifications qu’avait fait élever Gayraud, deuxième prieur de ce monastère, en 796, étaient demeurées inachevées et n’avaient pas été entretenues avec soin. Pons d’Amély prit si bien ses mesures et il disposait de ressources telles qu’il put entourer sa ville d’une ceinture murale garnie de tours et de bastions. Une partie de ces remparts existe encore, et sur certains points ils sont dans un tel état de conservation, qu’ils nous offrent un spécimen très remarquable de l’architecture militaire de cette époque. L’ancien château wisigoth servit de défense à la porte principale qui fait face au nord et qu’on appelle, en patois – Porto dé Cadéno‑ porte de chaîne. Une poterne appelée Porte d’Aude s’ouvrait aussi du côté du nord, sur les bords de la rivière. Deux autres portes étaient placées du côté du midi : l’une, appelée Porte Sainte‑Marie, existe encore ; l’autre, désignée sous le nom de Porte de Roumanou, a disparu depuis quelques années.

 

Sauf la trouée qui a été faite pour le percement de la route et qui a supprimé les portes d’Aude et de Roumanou, la ligne de circonvallation d’Alet n’offre pas de solution de continuité. Le mur est écrêté, démoli en partie sur certains points. Les meurtrières sont bouchées, mais l’ensemble des remparts existe encore après sept cents ans, et depuis deux siècles on n’a rien fait pour leur conservation. La forteresse wisigothique, devenue le château‑fort de la ville pendant le Moyen‑âge, est conservée en partie. On remarque encore de nos jours, à côté de la Porte de Cadéno, cette importante masse qui servait de défense à cette porte principale. Les murs d’une grande épaisseur sont conservés en grande partie, et on peut encore visiter une ancienne salle d’armes voûtée qui a été transformée en remise ou magasin.

 

      En mettant en défense sa ville abbatiale, Pons d’Amély n’avait pas eu la prétention d’en faire une place forte et d’adopter un système de fortifications comme il en existait à Carcassonne et à Rhedae. D’un autre côté, il n’avait pas voulu se borner à faire une simple clôture en maçonnerie comme il en existait autour de plusieurs bourgs et villages de la contrée et que l’on appelait des bastides. Il prit un moyen terme et il adopta un ensemble de fortifications qui mettait la ville à l’abri d’un coup de main et qui la protégeait contre les bandes de routiers qui infestaient la province. Elle pouvait même résister à une armée qui n’aurait pas été munie des engins de siège qu’on employait à cette époque.

 

    Le comte Raymond‑Roger, à peine instruit du projet qu’avait l’abbé d’Alet de fortifier sa ville, mit tout en œuvre pour s’y opposer. Mais Pons d’Amély résista à son suzerain et il fut soutenu par les comtés de Foix. Il prétendit avec juste raison qu’il ne faisait qu’exercer un droit acquis ; attendu que dans le courant du VII° siècle, la ville possédait une ceinture de murailles qui furent détruites par les Sarrasins, et qu’il ne faisait que rétablir en les complétant les anciennes défenses de la ville. Il fit valoir, surtout, que s’il entourait sa ville d’une ceinture de remparts c’était pour la mettre à l’abri des atteintes du roi d’Aragon qui venait de s’emparer du Fenouillèdes, et qui convoitait le pays de Rhedae. Les événements donnèrent raison à l’abbé d’Alet. Quelques années plus tard les troupes du roi d’Aragon s’emparèrent de la ville basse de Rhedae et vinrent jusqu’aux portes d’Alet. La paix qui survint en 1192 entre le roi d’Aragon et le comte Raymond‑Roger mit fin à cette guerre et préserva la ville d’Alet.

 

    Le ligne de remparts qui entoure Alet de tous côtés offre un aspect des plus pittoresques. Les assises des moellons de calcaire et de grès, fortement cimentées, ont une teinte jaunâtre qui tranche vivement, en été, au milieu des arbres verdoyants. En voyant l’antique cité d’Alet encadrée de ses jardins baignés d’un côté par les eaux du fleuve et de l’autre escaladant avec ses remparts, la crête de la butte ou du mamelon auquel elle est adossée, on croit voir l’une de ces villes de l’Herzégovine qui ont conservé encore de nos jours l’antique physionomie de cités guerrières.

 

 

IV


 

Le Couvent

 

    A l’époque où Pons d’Amély fit restaurer l’antique château et entourer de fortifications la ville d’Alet, il élargit considérablement du côté du levant et du midi le ligne de circonvallation qu’embrassait la muraille de défense qui protégeait la ville à l’époque mérovingienne, et qui avait été détruite à l’époque des Maures. La ville avait plus d’étendue et bien plus d’importance. La maison religieuse dont il était le supérieur avait pris alors tout son développement, et cet édifice était l’un des établissements monastiques les plus importants de la Septimanie. On ne peut aujourd’hui que se faire une faible idée des dimensions grandioses de cette construction. Les nombreuses donations faites pendant le onzième et le douzième siècle aux maisons religieuses avaient permis aux Bénédictins d’Alet de consacrer des sommes considérables à l’agrandissement de leur résidence et à la reconstruction de l’église qui en dépendait.

 

    Le monastère avait la forme et l’aspect des établissements religieux que l’on trouve encore dans l’Asie Mineure. C’était plutôt une forteresse qu’un couvent. Il occupait une grande partie de l’emplacement que couvre aujourd’hui la petite ville. Longeant du côté du couchant le cours de l’Aude et du nord un profond ravin, il se reliait de ce côté au château, à cette ancienne forteresses wisigothe que les moines avaient conservée et entretenue en bon état de défense. Au levant et au midi de hautes murailles servaient de clôture, et dans cette enceinte ainsi protégée on trouvait une église, des chapelles, des jardins et de nombreux bâtiments ayant chacun sa destination.

 

    La partie centrale du couvent, c’est à dire le préau, entouré de toutes parts par les galeries du cloître, était placée au nord de l’église. On peut encore se rendre compte de sa situation par un reste de portique encore debout, consistant en une rangée de pilastres supportant quatre arceaux à plein cintre qui, quoique recouverts de badigeon, ont conservé leur caractère primitif et formaient en partie la galerie du côté du levant. Comme dans toutes les maisons monastiques, le cloître était en relation directe avec l’église sur cette partie des ruines que l’on appelle encore le cloître. C’est autour du cloître que se trouvaient la salle capitulaire, les salles de conférence, les cellules et le réfectoire des moines.

 

    Du côté du nord et du levant, le cloître se reliait à une cour intérieure réservée aux frères et aux domestiques. Puis, au delà de cette cour privée existaient, du côté du nord, les magasins, les granges, les étables entourant une vaste cour commune pour le service extérieur de la maison. Ces bâtiments et leurs dépendances s’étendaient jusqu’au rempart et, par conséquent, jusqu’à la Porte d’Aude placée sur cette partie des fortifications qui avoisinaient la rivière. Puis, formant retour du côté du couchant, ces bâtiments longeaient le mur de défense bâti le long de l’Aude, et se rattachait aux jardins du couvent qui formaient une terrasse le long de l’eau.

 

    Du côté du levant, il est difficile de préciser la ligne de démarcation du couvent et de ses annexes. Tout ce qu’on peut affirmer c’est que le couvent ne communiquant que de ce côté avec la ville, c’est là que se trouvait la grande porte d’entrée de la maison religieuse ouvrant par une rue qui communiquait avec l’extérieur de la cité par deux grandes portes appelées Porte d’Aude et Porte de Roumanou. Dès avoir franchi le grand portail du couvent, et avant d’arriver aux bâtiments destinés à la vie claustrale, on trouvait les salles des hôtes, le réfectoire et les logements destinés aux voyageurs et aux indigents; car les maisons religieuses exerçaient une large hospitalité, surtout lorsque, comme à Alet, elles comptaient une nombreuse clientèle.

 

    Le pont qui reliait Alet avec la rive gauche de l’Aude avait sa tête à la Porte d’Aude, et était situé à une très petite distance en amont du pont actuel, qui ne date que du siècle dernier.

 

     Lorsqu’Alet fut devenu le siège d’un évêché, le couvent et ses dépendances furent modifiés pour être appropriés à leur nouvelle destination, et une partie de la maison monastique fut transformée en palais épiscopal. Néanmoins, comme le chapitre ne fut sécularisé que deux siècles plus tard, le couvent des Bénédictins conserva, encore, jusqu’à un certain point, sa physionomie et son caractère primitifs.

 

    Que reste‑t‑il aujourd’hui de l’antique abbaye d’Alet ? Une partie de la galerie du cloître que nous avons signalée, quelques pans de mur, les débris de pilastres d’une porte cintrée avec leurs chapiteaux sculptés; en un mot, quelques lambeaux de ruines. Ce sont là, avec la désignation de cloître que portent ces ruines, tout autant de jalons épars qui peuvent aider à reconstruire, par la pensée, le magnifique établissement qui servait de retraite aux Bénédictins.

 

V


 

L'église abbatiale de Sainte‑Marie

 

    La construction de l’église abbatiale pourrait remonter au onzième ou douzième siècle, et elle dut être terminée quand l’abbaye fut parvenue à l’apogée de sa puissance. Les restes de cet édifice nous offrent les caractères principaux de l’architecture romane parvenue au plus haut degré de perfection. On peut en juger par la richesse de l’ornementation et par leur exécution correcte.

 

    C’était une basilique à trois nefs. La nef centrale était séparée des bas‑côtés par d’élégants piliers soutenant des arceaux à plein cintre. On peut voir encore debout une partie de ces arceaux et de ces piliers dans un état de conservation suffisant pour qu’on puisse se rendre compte de la grandeur et de la majesté de cette construction. Les assises sont formées de magnifiques grès quartzeux d’Alet, dont le grain est si fin et dont la couleur jaunâtre prend sous l’action du soleil une magnifique teinte dorée.

 

    Les murs collatéraux sont conservés en grande partie. Leur architecture est simple, et comporte peu d’ornements, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

 

    Deux tours étaient placées latéralement, encastrées dans le mur du nord qui touchait au couvent. Elles correspondaient avec le milieu de la nef. L’une de ces tours est rasée au dessus du premier étage. L’autre, qui était encore debout il y a une quarantaine d’années s’écroula, en partie, en 1840 ou 1841. Par une nuit d’hiver toute la paroi du côté du midi se détacha tout d’une pièce avec un bruit terrible, depuis le faîte jusqu’à la base, et laissa debout l’autre moitié. On dirait que, à l’instar du rocher de Roland, cette tour a été partagée par le tranchant de Durandal, l’épée légendaire du preux chevalier, neveu de Charlemagne. La partie demeurée debout se soutient par un miracle d’équilibre, et on peut ainsi se rendre compte de l’architecture des deux tours. Elles étaient carrées, et chacun des angles était garni de colonnettes avec des chapiteaux de feuillages. Comme toutes les tours accolées aux église de style roman, elles étaient couronnées par une pyramide en charpente à quatre pans et très obtuse. Une porte, sobre d’ornementation et placée près des deux tours, mettait l’église en communication avec le couvent.

 

Sur le mur collatéral, faisant face au midi, s’ouvrait une autre porte avec une archivolte couverte de sculptures. On remarque encore les vestiges de deux lions qui accompagnaient cette archivolte.

 

Enfin, du côté du couchant se trouvait l’entrée principale, ainsi que cela existe généralement dans les églises ayant la forme d’une croix.

 

      L’abside, placée du côté du levant, était la partie la plus remarquable de cet édifice. On peut encore admirer ses belles proportions et son style riche ; car elle était dans un état de conservation suffisant pour faire apprécier son mérite, bien qu’elle soit masquée à l’extérieur par les constructions qui la séparent de la route. Elle est ornée de quatre colonnes de grès gris, uni et fin comme de la pierre ponce. Les chapiteaux feuillus qui surmontent une corniche élégante qui, malheureusement, tend à se délabrer de jour en jour. Quelques auteurs semblent disposés à admettre que cette église aurait été construite sur les ruines d’un ancien temple de Diane ; mais c’est encore une de ces erreurs si communes dans une contrée où la légende fantaisiste a souvent pris la place de l’histoire. L’érection d’un temple païen à Alet n’aurait pu être amenée que par la création d’une ville d’origine hellénique ou romaine. Or, malgré les recherches les plus actives, aucun historien n’a pu trouver à Alet la trace d’un établissement fondé par les Grecs ou les Phéniciens du littoral méditerranéen. D’au autre côté, aucun auteur latin, ni aucun chroniqueur du Moyen‑âge n’ont fait mention d’aucune ville romaine à côté des thermes d’Alet. Nous n’hésitons pas, par conséquent, à admettre que l’église de Sainte‑Marie d’Alet fut édifiée par les Bénédictins sur les ruines d’un ancien édifice religieux qui n’était autre que l’église primitive du couvent. En effet, le premier soin des moines d’Alet fut de bâtir un édifice consacré au culte catholique en même temps que l’on posait la première pierre du monastère. Après trois ou quatre siècles, l’abbaye ayant acquis plus d’importance, et s’étant enrichie de donations pieuses du clergé et de la noblesse, et d’un autre côté le village d’Alet étant devenu une ville assez peuplée, l’église primitive devint insuffisante. Elle dut donc être démolie et l’on éleva sur son emplacement la basilique dont nous venons de faire la description.

 

 

VI


 

Alet après la croisade contre les Albigeois

 

    La croisade contre les Albigeois porta un rude coup à l’abbaye d’Alet. Pons d’Amély étant mort en 1197, les religieux se montrèrent divisés sur le choix de son successeur. Les uns, dévoués aux intérêts du jeune fils de Roger II, vicomte de Béziers, Carcassonne et du Razès, à peine âgé alors de douze ans, tenaient pour Boson. Les autres, en majorité, élevèrent à la dignité abbatiale Bernard de Saint‑Ferréol, syndic du monastère de Saint‑Polycarpe.

 

    Bertrand de Saissac qui, d’après le testament de Roger II, était tuteur du jeune Raymond‑Roger ne voulut pas ratifier ce choix. La majeure partie des moines ayant résisté à ses injonctions, Bertrand de Saissac se rendit à Alet avec une troupe d’hommes d’armes, chassa de son siège Bernard de Saint‑Ferréol, et le tint en prison pendant trois jours. Puis il fit procéder à une nouvelle élection en présence du cadavre de Pons d’Amély, qu’il avait fait installer sur sa chaire abbatiale, et Boson fut proclamé abbé.

 

    Boson demeura fidèle à Raymond‑Roger, et quand les croisés se furent emparés de Carcassonne, il se mit sous la protection du comte de Foix. Le cardinal Conrad porta plainte contre lui au Concile du Puy, et les prélats réunis dans ce concile donnèrent raison au légat. On décida que Boson serait dégradé, et que les moines d’Alet seraient chassés de leur monastère, et remplacés par des prêtres séculiers. En outre, l’abbaye avec toutes ses dépendances passerait au pouvoir de l’église de Saint‑Just de Narbonne. Le Pape confirma cette sentence.

 

   Les Bénédictins d’Alet n’acceptèrent pas cette condamnation imméritée, et ne se résignèrent point à à la spoliation dont ils étaient victimes. Ils entamèrent en cour de Rome un procès qui dura plus de dix ans. Enfin en 1233, à la suite d’une enquête ordonnée par le Pape Grégoire IX, et qui prouva, entre autres choses, que la mesure violente décrétée contre les moines d’Alet avait causé une grande irritation dans le comté de Razès, la sentence d’excommunication fut levée. L’abbaye d’Alet fut reconstituée et les Bénédictins rentrèrent en possession de leur monastère ; mais leur domaine fut considérablement réduit. La cour de Rome les obligea à céder une partie de leurs biens à la cathédrale de Narbonne. D’un autre côté, ils perdirent les monastères de Saint‑Polycarpe et de Saint‑Papoul. Enfin, ils furent dépouillés de quelques prieurés et plusieurs villages au profit des lieutenants de Simon de Montfort.

 

Voici, au sujet de cette spoliation, un détail qui offre un certain intérêt. Après avoir perdu les plus beaux fleurons de sa couronne la corporation d’Alet fut dépouillée d’une partie de ses revenus mobiliers, et notamment de la leude sur le sel et du droit de péage sur les radeaux – fustæ aquæ ‑ qui passait sous les murs de la ville. Le bénéfice de ces taxes fut donné par Simon de Montfort à l’un de ses sénéchaux.

 

    L’abbaye d’Alet se trouva donc bien amoindrie, et considérablement appauvrie ; car la plupart de ses feudataires, petits gentilshommes ou bourgeois, avaient été pressurés et même ruinés par les armées des croisés. Sa puissance se trouva aussi diminuée dans le comté de Razès, par suite de l’affermissement des prérogatives royales. Dans cette situation, le prieur et les religieux sous ses ordres ne formèrent plus qu’une modeste corporation. Enfin, le dernier coup fut porté à la célèbre abbaye lorsqu’après la mort de Simon de Montfort, le pape Honoré confirma son fils Amaury dans tous ses titres, biens et dignités. Celui‑ci éleva Limoux au rang de cité, de simple bourg fortifié qu’il était jusqu’alors, et en fit la capitale du Pays de Razès, titre auquel avait droit la ville d’Alet après la chute et la destruction de Rhedae.

 

    C’était en 1218 que la ville d’Alet avait subi un aussi triste sort. Ce fut en 1318, un siècle après, qu’elle fut appelée à de nouvelles destinées. Une bulle du pape Jean XXII créait un évêché dont Alet était le siège, et dont la juridiction ecclésiastique s’étendait sur tout l’ancien comté de Razès, et embrassait cent‑onze paroisses.

 

    Le premier évêque fut l’abbé en exercice, Barthélémy, qui fut choisi par les moines de l’abbaye auxquels s’adjoignirent, pour la circonstance solennelle les religieux des monastères de Saint‑Paul –de‑Fenouillet, qui était demeuré dépendance de l’abbaye.

 

    Un document authentique nous donne la mesure de l’importance qu’avait à cette époque la ville d’Alet. A l’Assemblée des Etats du Languedoc, qui fut tenue en 1304 pour accorder au roi les subsides nécessaires pour la guerre des Flandres, les consuls des communautés ou paroisses chargées de la répartition de l’impôt sur le tiers‑état, taxèrent chaque ville à raison d’une quotité déterminée suivant le nombre de feux. Alet comptait cinq cents feux taillables, et dut payer un subside de 280 livres tournois.

 

    La ville d’Alet avait le rang de cité depuis la fondation de son abbaye, c’est à dire depuis le règne de Charlemagne. Elle devint ville royale dès qu’elle fut érigée en siège épiscopal.

 

   Cinq siècles se sont écoulés depuis que le dernier prieur de l’abbaye d’Alet fit place au premier évêque d’un nouveau diocèse, et rien, sauf quelques vestiges de ruines, ne semble rappeler aux générations nouvelles l’ère si longue de prospérité de l’un des établissements monastiques les plus florissants de la province de Septimanie. Cependant les Bénédictins d’Alet ont laissé un double souvenir qui s’est conservé, à travers les âges, après l’extinction de leur maison conventuelle.

 

    On ne saurait oublier, en effet, que les abbés d’Alet firent de larges concessions à leurs vassaux, et se montrèrent toujours prêts à résister aux excès et aux empiètements du régime féodal. Ils en furent récompensés lorsque, frappés d’excommunication après la guerre des Albigeois, ils furent soutenus dans leur lutte conte Rome et Simon de Montfort non seulement par la bourgeoisie, mais encore par la population entière de leur domaine ecclésiastique. D’un autre côté, les historiens les signalent au même rang que les abbés de Lagrasse comme étant demeurés étrangers aux querelle ardentes de la scholastique qui passionnèrent certains esprits dans le clergé, au onzième et douzième siècles, et comme ayant approuvé et pratiqué la doctrine de l’abbé Suger, l’habile ministre du roi Louis‑le‑Jeune, en ce qui touche la conduite des peuples et l’organisation de la société.

 

    Dans un autre ordre d’idées, il existe dans l’ancien diocèse d’Alet un souvenir qui se rattache à l’exercice du culte, et qui remonte peut‑être jusqu’à ces temps reculés où les Bénédictins habitaient leur maison conventuelle d’Alet. N’est‑ce pas, en effet, à ces religieux qu’il faudrait attribuer la création de la magnifique liturgie qui, jusqu’à ces dernières années, fut en vigueur dans le diocèse d’Alet ? Quoi qu’il en soit, et que l’honneur de cette création doive revenir aux anciens prieurs de l’abbaye, ou bien à l’un des premiers évêques qui leur succédèrent, nous croyons devoir consigner ici l’impression qui est demeurée dans l’esprit des populations de la contrée. Cette impression se traduit par un sentiment d’admiration pour certains chants du rituel de l’ancien diocèse. Si nous devons admettre l’opinion de Châteaubriand sur l’origine de quelques uns des chants de l’Eglise Catholique, et qui, d’après cet éminent écrivain, auraient été inspirés par le mode rythmique employé dans les chœurs dans l’ancienne tragédie grecque,  il faut reconnaître que le rituel d’Alet était de ceux qui semblèrent se rattacher le plus à cette intéressante source. C’est surtout dans les nocturnes, que l’on chantait dans les cérémonies funèbres, que l’on retrouve un caractère émouvant et grandiose traduisant les accents les plus expressifs de la douleur humaine.

 

 

VII


 

Alet Evêché

 

    L’histoire d’Alet ne nous offre rien de bien remarquable pendant les premières années qui suivirent l’institution de l’Evêché. Si la ville ne perdit pas de l’importance qu’elle avait acquise sous l’administration des religieux, elle n’augmenta pas en population ni en puissance. La plupart des évêques ne résidaient pas dans le diocèse et n’y faisaient que de rares apparitions. D’un côté, le pouvoir royal se consolidait et, surtout, se manifestait d’une manière de jour en jour plus efficace dans le Languedoc. D’un autre côté, la bourgeoisie prenait corps et se montrait quelquefois peu soumise, quand on portait atteinte à ses droits et à ses prérogatives. Dans le courant du quinzième siècle, un conflit éclata entre cette bourgeoisie et le pouvoir épiscopal. L’évêque dut renouveler en faveur des bourgeois et manants d’Alet les droits et les privilèges que leur avaient concédés, antérieurement, les Bénédictins.

 

    Nous croyons devoir relever ici une singulière erreur accréditée dans la contrée. On rattache l’époque où florissait la ville d’Alet à cette phase de son histoire où elle était devenue le siège d’un évêché. Nous tenons à rétablir l’exacte vérité et à démontrer que ce fut, surtout, au douzième siècle, c’est à dire sous l’administration des Bénédictins, qu’Alet avait acquis droit de cité, et joua un rôle marquant dans la province. Sous ses évêques, Alet avait un titre retentissant, comme chef‑lieu d’un évêché, mais dans le fait son lustre et son importance n’en furent point augmentés.

 

    Il n’en fut pas de même pour le territoire qui formait le diocèse. L’action prépondérante des évêques produisit sur cette vaste étendue de pays une heureuse influence en réprimant l’action toujours envahissante du pouvoir féodal. Tel châtelain puissant, ou tel petit gentilhomme, qui était tenté d’exercer une autorité trop despotique sur ses vassaux, n’osait résister à l’évêque comte d’Alet quand il intervenait ; et il intervenait souvent, pour faire rendre justice aux malheureux vassaux.

  

 

VIII


 

La Guerre des Calvinistes

 

    Vingt‑quatre évêques avaient occupé le siège, les uns dans la plénitude de leurs fonctions, quelques autres en commande, quand les Guerres de Religion vinrent porter la désolation dans la contrée. Les Calvinistes des Cévennes et du Pays Castrais franchirent la Montagne Noire, et se réunirent à leurs co‑religionnaires du Bas‑Razès et du Haut‑Razès, pour se répandre dans le diocèse d’Alet. Ils comptaient de nombreux partisans dans la contrée et, à deux reprises, en 1573 et 1577, ils s’emparèrent de la ville d’Alet. Les membres du clergé et les catholiques laïques furent chassés. Plusieurs maisons furent incendiées. La ville garda toujours les traces de la dévastation dont elle fut victime à cette époque. Une partie des remparts fut démolie, et la ceinture murale d’Alet, l’œuvre du célèbre abbé Pons d’Amély, subit de nombreuses brèches, fut écrêtée et réduite à l’état de délabrement où on la voit de nos jours. Les quatre portes qui fermaient l’entrée de la ville furent brûlées, et les bastions qui les défendaient furent endommagés. Toutes les églises furent détruites, ainsi que le couvent et le palais épiscopal. La belle cathédrale de Santa‑Maria Electensis attira surtout la rage des démolisseurs, et sa ruine fut aussi complète qu’elle l’est aujourd’hui.

 

    La seconde église, l’église de Saint‑André, ne fut pas plus respectée que la cathédrale, mais elle fut reconstruite peu de temps après, et il est probable que l’architecte la rétablit dans son style primitif. Ce qui prouverait, du reste, que la dévastation de cet édifice religieux fut presque complète, c’est que pendant des années l’une des salles voûtées de l’ancien couvent, servant de salle du chapitre, dut être transformée en église cathédrale pour la célébration des cérémonies du culte.

 

    Les historiens racontent que, lors de la première attaque dirigée contre Alet, les catholiques vaincus par les religionnaires quittèrent la ville et se réfugièrent dans un moulin fortifié, où ils se défendirent avec un grand courage. Ce moulin était situé sur la rive droite de l’Aude, en aval de la ville, et à une distance d’environ deux kilomètres. On remarque encore ses murs garnis de meurtrières qui ont résisté aux plus fortes crues de la rivière.

 

    Les ruines d’Alet ont eu cette bonne fortune, fort rare de nos jours, d’avoir conservé intacte la physionomie qu’elles avaient il y a trois siècles. Si on n’a rien fait pour en assurer la conservation, d’un autre côté on n’a rien tenté pour les supprimer ou pour les défigurer en les utilisant. La ville a gardé son caractère historique, son cachet d’antiquité. On dirait une cité qui s’est endormie dans sa ceinture murale le lendemain de ce grand désastre qui démolit, en grande partie, ses remparts et ses monuments. Elle apparaît, de loin, comprimée entre le fleuve et les montagnes qui la cernent, et comme noyée dans un lac de verdure. Rien de pittoresque comme ces pans de murs crénelés escaladant le mamelon auquel elle est adossée, et transformés en clôtures de jardins ornés de fruitiers en espalier et de cordons de vigne. On ne peut se défendre d’un sentiment de tristesse et d’admiration devant le squelette de la haute tour à moitié démolie.

 

    Après ces malheureuses guerres de religion qui, pendant la seconde moitié du seizième siècle avaient porté la désolation, dans le diocèse d’Alet et dans sa capitale, l’évêché fut possédé par cinq évêques commanditaires qui, pendant leurs visites dans le diocèse, résidaient au château de Cornanel. Un seul d’entre eux, Pierre de Polverel, se fit remarquer par sa piété et sa charité.

 

    Enfin, en 1637, le siège épiscopal fut confié à Mgr Nicolas Pavillon, le saint évêque dont la mémoire, après plus de deux siècles, s’est conservée avec les sentiments de profonde vénération dans la contrée. Sous sa paternelle administration, la ville d’Alet sembla, pour ainsi dire, renaître de ses cendres. Il fit réparer l’église de Saint‑André qui devint la cathédrale. Il fit construire le nouveau palais épiscopal. Il dota Alet du magnifique canal d’irrigation et d’alimentation qui amène à la ville les eaux du Théron, après avoir arrosé les jardins potagers qui couvrent toute la petite plaine. Enfin, c’est à Mgr Pavillon que l’on doit le bassin de captation de la source thermale appelée les Eaux‑Chaudes, aujourd’hui détruit en partie et qui sert de lavoir public. Mais là ne se bornent pas les œuvres du pieux prélat. Il siégeait à titre de comte, titre attaché à la dignité épiscopale d’Alet, aux Etats de la province, et il défendait avec soin les intérêts de son diocèse. Appelé à présider souvent, en l’absence du commissaire royal, l’Assiette du diocèse, il donna une vigoureuse impulsion aux travaux publics. C’est à lui, notamment, que l’on doit la construction du chemin d’Alet à Quillan par Espéraza qui, entre autres travaux d’art, comptait le pont sur l’Aude à Couiza. Le pieux prélat qui, pendant sa longue carrière, donna tant de marques de sollicitude aux habitants de son diocèse, semble encore les protéger et les bénir après sa mort, car il repose au milieu de ses anciens administrés, et on vénère encore de nos jours son tombeau qui est placé au milieu du cimetière de la ville dont il fut si longtemps le pasteur.

 

    Six prélats succédèrent à Mgr Pavillon jusqu’à la Révolution. L’un d’eux, Nicolas de Fontaine, fut le modèle des vertus chrétiennes, et mourut en 1708.

 

    Le dernier évêque fut Mgr Charles de Lacropte de Chanterac qui s’intéressa vivement à son diocèse et y fit beaucoup de bien. C’est sous son administration que fut construite la partie de la route de Paris à Mont‑Louis qui traverse le diocèse et qui amena le percement des gorges d’Alet sur la rive gauche de l’Aude et la construction du pont d’Alet.

 

IX


 

Les Thermes d'Alet

 

    Pour compléter notre étude sur la ville d’Alet, après avoir passé en revue les monuments historiques, nous devrions retracer les phases historiques de ses thermes que nous avons signalés au début de notre notice comme ayant été fréquentés pendant l’occupation romaine. Mais la tradition locale est à peu près muette sur cette question. Quelle a été l’importance de la station balnéaire d’Alet pendant le Moyen‑âge ? C’est ce qu’il est très difficile d’apprécier. Nous sommes cependant disposés à croire que les eaux d’Alet, comme celles de Rennes et de Campagne, ont été bien délaissées, non seulement pendant le Moyen‑âge et la Renaissance, mais encore pendant le siècle dernier. La source dite Las Escaoudos (NB : Les Chaudes) n’offre aucune trace de constructions, à part les débris des thermes gallo‑romains que nous avons signalés. On remarque, il est vrai, de nos jours, les restes d’un travail de captation et de concentration consistant en un bassin circulaire qui a dû être une piscine ; mais actuellement ce bassin est devenu un simple lavoir. Quant à l’établissement de bains actuel, il consistait naguère en une modeste construction qui ne paraît pas avoir de passé historique. Ce n’est que du moment que les sources sont passées entre les mains du propriétaire actuel que la station d’Alet a acquis une importance bien justifiée. Rien n’a été négligé pour que les baigneurs trouvent dans cet établissement tout le confort et tous les agréments qu’ils peuvent désirer.

 

    Mais si dans cette revue rétrospective des siècles passés nous n’avons rien à dire sur les thermes d’Alet, il n’en est pas de même en ce qui concerne la ville. Ses antiques monuments ont à peu près disparu, mais elle offre encore un intéressant sujet d’étude, quand on l’examine en détail.

 

    Après avoir franchi les Portes de Cadène et de Calvière, on s’engage dans un labyrinthe de rues étroites. Puis à chaque pas ce sont des restes d’architecture ancienne, tantôt une porte dont le linteau est orné de sculptures, tantôt une croisée avec ses meneaux finement travaillés. Plus loin on trouve une rangée d’arcades, aujourd’hui bouchées avec de la maçonnerie, et qui faisaient partie d’une galerie servant de promenoir. Il n’est pas rare de retrouver des maisons en torchis dans chaque étage fait saillie avec ses poutrelles ouvragées et qui s’avancent sur la voie publique.

 

    Si on examine l’intérieur de certaines maisons, on est tout surpris de trouver dans une demeure, souvent très modeste, un magnifique escalier en pierre de taille avec sa rampe en fer. Beaucoup de logis renferment encore de vastes salles garnies de hautes boiseries. Certaines habitations sont séparées de la rue par une petite cour complantée d’arbustes ou garnie de beaux arbres baignant leurs pieds dans un mince filet d’eau ; car c’est encore l’un des agréments de la ville d’Alet que d’avoir l’eau courante dans les rues, grâce à la bienfaisante source du Théron. Aussi, quand on parcourt cette ville, qui a su conserver son ancien caractère, qui n’est pas encore modernisée, on croirait se trouver dans une antique cité espagnole, tant il ya a de noblesse dans ses édifices déchus.

 

    En examinant ces fières demeures qui semblent vouloir conserver leur passé historique, on pense à cette ancienne bourgeoisie d’Alet qui, vivant côte à côte avec un pouvoir ecclésiastique très puissant, sut toujours défendre et conserver ses privilèges. Reconnaissants des droits et immunités que les Bénédictins leur avaient concédés, les habitants d’Alet soutinrent énergiquement ces religieux, en 1228, dans leur lutte contre la Cour de Rome quand l’abbaye avait été mise en interdit. Plus tard, après l’institution de l’évêché, la bourgeoisie d’Alet sut, au quatorzième siècle, obtenir la confirmation des droits et privilèges considérables que les moines leur avaient concédés . Enfin, à une époque plus récente, quand la division créée par les Guerres de Religion eut pris fin, la bourgeoisie d’Alet prit une part active aux tentatives que fit le Tiers‑Etat pour conquérir sa place dans les affaires du diocèse.

Nous bornons là le résultat de nos recherches historiques sur la ville d’Alet. Nous n’avons d’autre ambition que d’exhumer des limbes du passé les origines et les destinées des monuments qui ont un caractère historique, et de conserver le souvenir de ces témoins du passé et de la ville dont ils sont l’ornement.

 

    Aussi, pour remplir autant que possible le programme que nous nous sommes tracé, nous croyons devoir signaler les ruines d’un ancien prieuré qui était situé sur le territoire d’Alet, et qui dépendait directement de l’abbaye et plus tard de l’évêché.

 

X


 

L'église de Sainte‑Croix

 

    A une courte distance en amont d’Alet, près des roches de Cascabel, existait au Moyen‑âge une église avec un petit prieuré desservi par les Bénédictins. Cet édifice religieux s’élevait sur la rive gauche de l’Aude, dans un petit vallon fertile, fermé de tous côtés par de hautes montagnes, et baigné du côté du levant par la rivière. On l’appelait l’église de Sainte‑Croix. Un petit hameau s’élevait à côté de l’église, qui était une chapelle votive rattachée à l’église abbatiale d’Alet. C’était, selon toute probabilité, un lieu de pèlerinage, comme il en existait tant à cette époque, et comme on en voit encore de nos jours surtout dans le Roussillon. Un pont, dont il reste encore quelques vestiges, reliait cette église champêtre avec le chemin qui, sur la rive droite, se dirigeait vers Alet.

 

    Lorsque, en 1577, les Calvinistes, maîtres d’Alet, s’emparèrent des villages qui l’environnaient, ils n’épargnèrent pas Sainte‑Croix. Un document authentique, qui figure dans les archives de la commune d’Antugnac, nous apprend qu’après avoir inutilement assiégé l’église d’Antugnac, défendue avec succès par les catholiques de la localité, un parti de religionnaires se dirigea sur Sainte‑Croix et détruisit complètement l’église et les habitations qui l’entouraient.

 

    Il ne reste aujourd’hui de cet édifice religieux que quelques débris de maçonnerie épars sur le sol.

 

    Le pont qui reliait Sainte‑Croix avec la route fut également détruit, et les piles furent rasées à fleur d’eau. On a récemment utilisé les fondements de ces piles pour construire une passerelle destinée au service du chemin de fer. Le tracé de la ligne passe entre les ruines de l’église et la tête du pont.

 

   A une très petite distance de cette église on découvrit, il y a une vingtaine d’années, plusieurs tombeaux de l’espèce dite tombeaux wisigothiques, composés de dalles grossièrement équarries posées de champs et recouvertes entièrement d’une autre dalle posée à plat. Ces tombeaux, que nous avons pu visiter, ne contenaient aucun objet symbolique, aucun attribut, soit religieux, soit profane. Nous n’hésitons pas à croire que ce sont tout autant de sépultures où reposent les restes des religieux bénédictins qui desservaient l’église de Sainte‑Croix.

 

    Là, comme sur d’autres points de la contrée, nous avons reconnu que les tombeaux dits wisigothiques, qui étaient une imitation des tombeaux mérovingiens, ont été un mode de sépulture spécial et exclusif adopté pour les religieux de divers ordres dans notre contrée, pendant le Moyen‑âge et la Renaissance.

 

    A part les ruines de Sainte‑Croix, les hameaux dépendant du territoire d’Alet n’offrent rien de remarquable au point de vue historique et archéologique. Ces hameaux ou sections de communes sont au nombre de trois. Le plus important, le hameau de Véraza, possède une église et a été récemment érigé en succursale.

 

    Le voyageur qui visite les environs d’Alet se demande ce que signifie ce massif de maçonnerie situé vis à vis la pointe de l’île, entre la route et la rivière, et qui à la forme d’une pile de pont. Ce pilastre à pans réguliers, avec revêtement en pierre de taille, percé d’une petite fenêtre à sa face nord, est tout ce qui reste d’un édifice très ancien, qu’on appelait l’ermitage de Saint‑Benoît. C’était peut‑être la maison des champs des religieux de l’abbaye, ou tout au moins un lieu de paisible retraite pour les prieurs et les officiers du monastère. L’histoire ni la tradition ne nous apprennent rien sur la destination réelle de cet édifice.

 

 

XI


 

Droits et coutumes d'Alet

 

    Alet, comme ville royale et chef lieu de diocèse, avait le droit d’être représentée aux Etats du Languedoc par son premier consul. Le diocèse était, en outre, représenté à cette assemblée provinciale par un député élu à tour de rôle par diverses villes et bourgs de la région dont nous aurons l’occasion de parler.

 

    Le diocèse avait aussi son assemblée particulière qu’on appelait l’Assiette du diocèse, et qui tous les ans se réunissait à Alet, sous la présidence de l’évêque ou de son grand vicaire. Le consul de la ville faisait, de droit, partie de l’Assiette et y figurait immédiatement après les députés nobles.

 

    Alet était le siège d’une cour bannerette, chargée de juger les affaires civiles et criminelles du ressort. Or, ce ressort ne comprenait que la ville et ses dépendances et un petit nombre des paroisses des environs. Ce nombre, qui était de neuf, fut réduit à six quand Espéraza fut devenu siège de justice. Néanmoins, la cour d’Alet conserva ses privilèges dont le plus remarquable était le droit pour ses membres de figurer en corps dans les cérémonies publiques, en se faisant précéder d’une bannière armoriée. Cette cour était composée d’un juge‑mage, d’un procureur juridictionnel, d’un greffier, et de deux assesseurs du juge.

 

    L’administration municipale de la ville se composait du viguier ou juge‑mage de la cour et de quatre consuls, dont le premier avait le titre de maire. Ces consuls étaient choisis dans les diverses classes de la société. Ils étaient assistés d’un conseil communal composé de douze membres.

 

    Les coutumes et privilèges d’Alet étaient considérables. Les Bénédictins avaient fait aux habitants de grandes faveurs et des concessions de diverses sortes : droits de voirie, droits d’affouage et de forestage ; etc. Une charte de l’un des prieurs ou abbés appelé Bertrand, et délivrée après la croisade contre les Albigeois, portait confirmation de tous les droits et privilèges concédés par ses prédécesseurs.

 

    A côté de la juridiction locale et du corps municipal fonctionnaient les agents du roi et l’autorité diocésaine. L’Evêque était en même temps seigneur et comte d’Alet et, à ce titre, il avait une large part dans l’administration de la ville et du diocèse. Cette organisation complexe ne pouvait qu’amener assez souvent des froissements et même des conflits ; mais il faut rendre cette justice aux consuls qu’ils ne laissèrent jamais amoindrir les droits et les privilèges de leur bonne ville d’Alet. D’un autre côté, les prélats qui furent placés tour à tour à la tête du diocèse, se montrèrent généralement de bonne composition et ne cherchèrent pas à abuser de leur pouvoir et de leur influence.

 

    Pendant les premières années de la Révolution, la ville d’Alet devint chef‑lieu de canton. Ce dédommagement lui était bien dû, comme une faible compensation du rôle important qu’elle avait joué jusqu’alors. Mais bientôt Alet perdit ce titre par suite da la suppression de plusieurs justices de paix dans le département.

 

Les armoiries d’Alet sont :

D’azur, à la croix pattée, accotée de deux étoiles et posée sur une vergette, le tout d’or ; la vergette brochante sur un vol abaissé d’argent, soutenue d’une foi de même (deux mains étreintes). L’écu accolé de deux palmes de sinople liées d’azur.

L’armorial général de D’Hozier, dressé en vertu de l’édit de 1696 et déposé en manuscrit à la Bibliothèque Nationale, a été publié, il ya deux ans seulement à Carcassonne par M.A.C.P., pour la partie du Languedoc qui se rapporte à notre département. Nous y trouvons les nouvelles armes qui, aux termes de cet édit, étaient concédées à la ville d’Alet :

" La communauté des habitants du lieu d’Alet "

" De sable à un sautoir d’or accompagné de quatre losanges d’argent. "

Les consuls d’Alet n’adoptèrent pas, à ce qu’il paraît, ce nouveau blason et tinrent à conserver leurs antiques armoiries.

 

 

Dictionnaire Sabarthès 

 

ALET : Commune, canton de Limoux ; église paroissiale dédiée à St André.

Vicus Electum et monasterium Sanctæ Mariæ , 813 (HL., II, pr. 23)

Monasterium Beatæ Mariæ virginis quod vocatur Elettus, 1050 (Gall.Christ. VI, Instr.c, 106)

Eleit, 1082 (H.L. V) ; Alestum, 1099. Ordon. XI) ; Allect, 1572 (Archiv Aude) ; Alet, 1585, (H.L. XII)

Ville et cytté d’Alet, 1594, (Archiv, Aude) ; Alecta, 1739 (Gall. Christ)

L’église d’Alet, dédiée à la Vierge et à saint Pierre, fut originellement une abbaye de l’ordre de saint Benoît, fondée vers l’an 813 ; elle fut érigée en cathédrale en 1318 par le pape Jaen XXII. Le nouveau diocèse fut démembré de celui de Narbonne dont il était suffragant. L’évêque de ce siège prenait le nom de comte d’Alet, dont il était d’ailleurs le seigneur temporel.

 

 

Tableau chronologique des abbés d'Alet


 

Dom Vaissette nous donne une liste des prieurs qui ont occupé le siège abbatial d’Alet ; mais cette liste est incomplète, car elle commence à Oliba qui était contemporain de Béra. Or avant Oliba, Alet avait eu deux abbés.

760    (vers) X.. Le nom de ce premier abbé est inconnu

785    Gayraud , qui dans un acte authentique s’intitule secundus abbas.

810    Oliba I.

845    Oliba II

X...     Inconnu

X...     Inconnu

X...     Inconnu

966    Benoît ; abbé général de cinq monastères

X...     Inconnu

X...     Inconnu

1040  Grégoire Géraud

X...     Inconnu

1108  Raynaud I

1168  Bernard I

1173  Pons d’Amély

1206  Bernard de Saint‑Férréol

1206  Boson ( Sans doute erreur de date)

1232  Udalger d’Aniort (Célèbre famille occitane qui défendit la cause cathare)

1267  Raynau II

1284  Bertrand

1303  Pierre

1312  Barthélémy, dernier abbé

                

1. 1318 Barthélémy. En 1324, le pape l’envoya comme missionnaire sur les bords du Danube.

2. 1336 Guillaume 1°. Natif d’Alzonne, abbé de Lagrasse.

3. 1345 Guillaume II. Ne résida pas à Alet.

4. 1362 Arnaud de Villeroi. Assista au Synode de Lavaur et au Concile de Narbonne.

5. 1376 Pierre de Rabat.N’a pas résidé dans sa ville épiscopale et ne garda le titre qu’un an. Il fut nommé à Saint‑Pons.

6. 1377 Robert de Bosc. Ne résida pas à Alet.

7. 1390 Henri 1°.

8. 1399 Pierre II. Ne fit que passer sans résider.

9. 1400 Nicolas 1°. Moine de l’ordre des frères‑prêcheurs.

10. 1409 Henri II

11. 1419 Pierre III d’Assalit. Religieux nommé par le pape. Il se trouva à Rome dans deux circonstances remarquables. Il était né à Limoux.

12. 1441 Antoine de Saint‑Etienne. Assista aux Etats du Languedoc réunis à Montauban sous Charles VII.

13. 1443 Pierre IV. N’occupa le siège que peu de temps.

14. 1448 Hélias de Pompadour. Puissant à la Cour. Il n’occupa probablement le siège qu’en commande.

15. 1454 Louis d’Aubusson.Moine bénédictin.

16. 1455. Ambroise de Camérato.

17. 1461 Antoine Gaubert.

18. 1464 Guillaume d’Olivier.

19. 1485 Pierre V. Se démit de ses fonctions au bout de deux ans.

20. 1487 Guillaume IV de Rochefort. Abbé de Montolieu.

21. 1508 Pierre‑Raymond de Guibert. Devient évêque de Lavaur en 1521.

22. 1525 Egidius.

23. ? Guillaume de Joyeuse. Fils (sans doute frère) du vicomte Jean de Joyeuse (seigneur de Couiza), fut pourvu de la charge d’évêque à l’âge de 14 ans. Il n’entra jamais dans les ordres.

24. 1540 François de Lestang. Mourut en 1564.

25. 1564 Antoine Dacqs, ou de Dax. Il mourut en 1579, après que les Calvinistes eurent sacagé sa ville, démoli le palais épiscopal et détruit la magnifique cathédrale Sainte‑Marie.

26. 1581( ?) Christophe de Lestang. Il tenait l’évêché en commande pour François de Joyeuse.

27. 1603 Pierre de Polverel. Se fit remarquer par sa grande piété. Il fut appelé à la Cour du Roi Louis XIII et nommé grand aumônier de la reine‑mère Marie de Médicis.

28. 1622 Etienne de Polver el. Frère du précédent.

29. 1637 Nicolas de Pavillon. Prélat d’une grande piété, l’ami du pauvre, le bienfaiteur de sa ville épiscopale et de son diocèse. (erreur de Fédié sur la particule car il n’était pas noble : c’était un robin)

30. 1677 Louis‑Adolphe de Valbelle. Passa à un autre siège sept ans après.

31. 1684 Victor‑Augustin de Melian.

32. 1698 Charles‑Nicolas de Fontaine. Mourut à Alet en odeur de sainteté en 1708.

33. 1708. Jacques Maboul. Ce prélat, homme de grand talent, prononça à la Cour de France, en 1712, l’oraison funèbre du grand Dauphin, fils de Louis XIV. Il mourut en 1723.

34. 1724 François de Boucaud. Mourut en 1762.

35. 1762 Charles de Lacropte de Chanterac. Ce fut le trente‑cinquième et dernier évêque d’Alet, et il clot dignement le liste des prélats de ce diocèse. Il fut le bienfaiteur de la contrée. Il mourut en exil en 1793 à Barcelone.

 

 

L'abbaye de Saint‑Polycarpe et ses dépendances


 

L’Abbaye de Saint‑Polycarpe est l’un des plus anciens monastères du pays de Rhedez. Sa création est néanmoins postérieure à la fondation de celle d’Alet, dont elle est voisine. Un noble espagnol du nom d’Attala quitta sa patrie envahie par les Sarrasins (*), vint s’établir dans le Rhedesium, et se retira dans un petit monastère, presque un simple ermitage, situé sur les bords du ruisseau dit Rieugrand, et qui portait le nom de monastère de Saint‑Polycarpe. Attala devint prieur de cette maison conventuelle et, grâce à ses richesses, la dota largement. Charlemagne accorda à l’abbé Attala certains privilèges qui furent confirmés et augmentés par ses successeurs, Charles‑le‑Chauve et Louis‑le‑Débonnaire. Néanmoins ce n’est, si nous pouvons parler ainsi, qu’à titre gracieux que l’on donna au couvent de Saint‑Polycarpe le nom d’abbaye. Ce ne fut qu’un simple prieuré qui, malgré les compétitions réitérées des abbés de Lagrasse, demeura toujours sous la dépendance de l’abbaye d’Alet. Du reste, jusqu’en 1090, les supérieurs de ce monastère ne portèrent que le titre de prieur qui fut remplacé à cette époque par celui d’abbé, sans cependant que les droits et privilèges du couvent fussent augmentés, et surtout sans que l’abbaye d’Alet renonçât à sa domination. En effet, dans un concile tenu à Toulouse, en 1119, sous la présidence du pape Calixte II, les seuls abbés qui eurent le droit d’assister à cette assemblée, concurremment avec les évêques de la région, furent ceux de Lagrasse, d’Aniane et d’Alet. Par conséquent, les supérieurs des autres monastères de la contrée n’étaient que de simples syndics ou prieurs. Ce fut précisément dans ce concile que fut confirmée, au profit de l’abbaye d’Alet, la possession des monastères de Saint‑Polycarpe et de Saint‑Paul‑de‑Fenouillet.

 

    Enclavé, pour ainsi dire, entre l’abbaye d’Alet, celle de Lagrasse et celle de Saint‑Hilaire, le prieuré de Saint‑Polycarpe ne pouvait élargir son domaine qu’en créant des villages en dehors de sa circonscription, et en transformant certains oppidums wisigothiques perdus dans les montagnes. C’est une justice à rendre aux religieux de cette maison que de constater la grande part qu’ils prirent au développement moral et matériel des populations. On leur doit la fondation des villages de Gaja et Malras dans le Bas‑Razès, du hameau de Salles, près de Limoux, de Luc‑sur‑Aude , Terroles, Peyrolles et Cassaignes dans le Haut‑Razès. On leur doit aussi l’agrandissement des villages de Bugarach et de Cornanel. Une charte du roi Eudes ou Odon, que nous avons déjà citée, datée du mois de juin 898, confirme en faveur du prieuré de Saint‑Polycarpe la possession de ces divers villages qui étaient depuis longtemps sa propriété. L’œuvre de ces religieux, qui furent de vrais pionniers et de vrais missionnaires dans un pays presque sauvage, ne leur profita guère ; car, par suite des usurpations des seigneurs voisins, le couvent fut dépouillé de la majeure partie de ses possessions, et ce ne fut que par suite de sa soumission à l’abbaye d’Alet qu’il conserva une maigre partie de son domaine.

 

    Ce serait nous écarter des limites que nous nous sommes tracées que de refaire après d’autres écrivains l’histoire de la grandeur et de la décadence du couvent de Saint‑Polycarpe, pendant dix siècles de durée jusqu'en 1773 date de la fin tragique du dernier religieux, de celui qui, après la mort et le départ de ses frères, avait voulu demeurer seul comme une vivante épave d’un grand désastre. Ce sujet a été traité par un écrivain anonyme, dans un livre remontant à un siècle et demi, intitulé Histoire de Saint‑Polycarpe, et ceux qui sont venus après lui n’ont fait que reproduire ce récit. Trente‑six abbés supérieurs avaient dirigé le monastère, mais à partir de 1525 la plupart d’entre eux le régirent sur commande.

 

    Une petite partie des constructions de l’abbaye de Saint‑Polycarpe est encore debout. On remarque notamment quelques arceaux de galeries claustrales qui donnent une idée des conditions architecturales du cloître, lequel se rapprochait de celui de Saint‑Hilaire qui est encore debout dans sa forme et ses dimensions. L’église seule du couvent a été conservée et est devenue l’église paroissiale du village. Son porche est surmonté d’un clocher de forme carrée se terminant par une toiture pyramidale comme celui de Campagne‑sur‑Aude.

 

    Près du village de Saint‑Polycarpe on trouve du côté du midi le hameau d’Arque, et sur un terrain avoisinant on trouve les ruines d’un vieux château auquel se rattachent quelques souvenirs historiques. Les seigneurs d’Arque jouèrent souvent un rôle assez marquant parmi les nobles de la contrée feudataires des comtes de Rhedez, et qui étaient souvent en rébellion contre leur souverain. Le château d’Arque fut démoli lors de la guerre des Albigeois.

 

On a trouvé aux environs de Saint‑Polycarpe des haches en silex et d’autres traces de l’époque gallo‑celtique.

Dictionnaire Sabarthès :

 

    Saint‑Polycarpe ; Commune ; canton de Saint‑Hilaire. Eglise Paroissiale dédiée à la Vierge ; on en voit les ruines au nord de l’église actuelle qui fut l’église abbatiale. Ancienne abbaye des Bénédictins (sous le vocable de Saint‑Polycarpe), fondée en 780 par Attala ; elle fut successivement soumise à l’abbaye d’Alet et à l’abbaye de Lagrasse. En 1756, l’archevêque de Narbonne refusa d’unir à l’hôpital de Limoux la mense conventuelle (archiv. Com. Limoux, AA, 56) ; ses biens furent unis au séminaire de Narbonne, 1771 (Arch. Com. Narbonne ;BB ; Invent. Somm., II ; p 330)

Monasterium Sancti Policarpi, situm in pago Redensi, 884 (HL. II) ; Monasterium Sancti Policarpi…., super fluviam Rivograndi, 889, (ibid) ; Ad locum Sancti Policarpi, 1082, (ibid) ; Villa Sancti Policarpi, 1108, (Arch. Aude) ; Ecclesia Sancti Policarpi, 1119 (HL, V) ; Castrum de Rivo Grandi, 1324 (Arch. Aude) ; Castrum de Rivo Grandi prope Limosum, 1351 (Mah. II, 331) ; Sainct Policarpy, 1594 (Arch. Aude) ; Saint Policarpe, 1781 (C. dioc. Narb.).

 

 

Terres du domaine de l'archevêque de Narbonne

 

ARQUES  Archae

 

I


 

Le château. Le Prieuré

 

   Par suite de  la division territoriale qui, à la suite de la guerre des Albigeois, fut organisée vers la fin du treizième siècle, dans le pays qui portait le nom de Rhedez, Arques devint concurremment avec Couiza le chef‑lieu d’une importante seigneurie. Il convient conséquemment de consacrer à cette localité une notice particulière dans le résultat de nos recherches sur le passé historique de cette contrée. D’un autre côté, Arques possédant un château encore debout, qui et un magnifique spécimen de l’architecture militaire du Mo    yen‑Age, se recommande, à ce titre, à l’attention des archéologues.

 

    On a beaucoup écrit sur le château d’Arques, mais nul historien n’a parlé du prieuré qui fut le berceau du village et dont on remarque encore quelques vestiges. Outre cette lacune, nous avons à signaler une confusion regrettable qui s’est établie par suite de la similitude des noms entre les lieux d’Arques et d‘Arquettes‑en‑Val, désignés tous deux dans les anciennes chartes sous l’appellation de Archæ, Archas. Telles sont les causes qui ont induit en erreur les historiens et les chroniqueurs quand ils s’accordent tous à ne faire remonter qu’à la fin du treizième siècle la fondation du village d’Arques. Nous sommes loin de partager cette opinion, et nous avons tout lieu de croire que, comme Alet, Couiza, Axat et bien d’autres localités, la création d’Arques date du septième siècle. Notre devoir d’historiographe est de citer, aussi brièvement que possible, les preuves sur lesquelles nous nous appuyons en avançant cette assertion.

 

II


   La vallée d’Arques a été pendant dix siècles ce qu’on peut appeler le sentier de la guerre, à partir de l’invasion des Wisigoths, jusqu’aux excursions des bandes errantes qui, sous le drapeau des Religionnaires, ravagèrent ce malheureux pays, il y a à peine trois cents ans. Cette vallée historique a son point de départ sur les hauts plateaux des Corbières, qui forment la ligne divisoire entre la plateau de Termes et le Pays de Rhedez ou Razés. Elle aboutit à Couiza où elle rejoint la vallée de l’Aude..

 

   Après avoir fondé la cité de Rhedae, au sixième siècle, les Wisigoths entourèrent cette ville de forteresses pour en défendre les approches. L’un de ces châteaux‑forts fut construit à Arques. On l’appelait Arces, mot latin traduit du grec qui signifie commandement. On retrouve quelques restes des substructions de cet édifice dans le fondement des hautes murailles qui entourent le donjon actuel.

 

    Un document très important qui faisait partie des archives d’Arques avant la Révolution, et dont il nous a été donné de constater l’existence faisait mention du château‑fort construit au septième siècle dans la vallée d’Arques et le Réalsés.

 

    A trois cents mètres environ de distance du château, on trouve le village d’Arques dont la création remonte à l’époque de la fondation de la forteresse. Une cella, desservie comme à Alet par trois religieux, s’élevait à l’entrée du village. On peut encore, de nos jours, se rendre compte de l’emplacement qu’occupait ce petit prieuré, car il existe des vestiges de cet établissement dans le jardin du presbytère.

 

    Il y a quelques années à peine, en faisant des travaux de tranchée sur le côté nord de la place du village, qui est contiguë à l’église et à l’ancienne cella, on a exhumé plusieurs tombeaux mérovingiens en pierre de taille, d’une seule pièce. C’étaient les tombes des premiers syndics du petit monastère.

 

    L’église, ainsi que le prieuré d’Arques étaient placés sous l’invocation de Saint‑Jean‑Baptiste. Nous en trouvons la preuve dans ce fait que l’église d’Arques, tout en étant placée sous le vocable de Sainte‑Anne, a Saint‑Jean‑Baptiste pour son premier patron. Du reste, il est facile de reconnaître que cet édifice religieux remonte à la plus haute antiquité, malgré les remaniements successifs qui en ont altéré le caractère.

 

    Au commencement du IX° siècle, après l’investiture par Charlemagne du premier comte de Razès, comme l’un de ses grands vassaux, le château d’Arques, considéré comme une forteresse dépendant de la couronne, passa au pouvoir du comte Guillaume et de son fils Béra qui devaient le garder pour le roi de France. En même temps, le prieuré et l’église firent partie du domaine dont Charlemagne dota l’abbaye de Lagrasse. Mais l’abbaye de Saint‑Polycarpe prétendit avoir des droits antérieurs, attendu que le prieuré était desservi par des religieux qui faisaient partie de sa corporation. Le conflit se dénoua au bénéfice de l’abbaye de Lagrasse, qui devint propriétaire de l’établissement religieux d’Arques et qui, en outre, exerçait certains droits sur le château et les terres qui en dépendaient. A dater de cette époque, les comtes de Razès purent disposer du château d’Arques, mais sous la réserve des droits du roi de France et des privilèges des abbés de Lagrasse.

 

    L’un des successeurs du comte Béra donna en arrière fief, et sous les réserves que nous venons de mentionner, la château d’Arques à l’un des seigneurs de sa cour. Nous voyons figurer, au XI° siècle, un Béranger d’Arques parmi les nobles du comté.

 

 

III


   Au commencement du XII° siècle, un grand changement s’opéra dans les destinées du village d’Arques. Le vicomte Bernard Aton, qui possédait divers châteaux et villages dans le Razès, à titre de fiefs dépendant de l’abbaye de Lagrasse, devait en sa qualité de feudataire, rendre foi et hommage au nouvel abbé, appelé Léon, qui avait succédé en 1110 à l’abbé Robert. Le vicomte n’essaya pas de s’affranchir de cet acte de reconnaissance qui était obligatoire pour les comtes de Razès, vis à vis de tout abbé entrant en fonctions. Mais là ne se bornait pas cet acte de soumission. Après avoir fait leur visite au grand dignitaire crossé et mitré dans la salle d’honneur de l’abbaye, les comtes de Razès étaient tenus, quand le nouvel abbé faisait son entrée dans la cité de Carcassonne, de lui tenir l’étrier, de le faire escorter, de le défrayer pendant son séjour dans cette ville et de défrayer aussi les deux cents chevaliers qui formaient sa suite.

 

    D’un autre côté, Bernard Aton chercha, à la même époque, à se rendre favorable au comte de Foix, en renonçant à l’hommage que celui‑ci devait lui rendre pour diverses terres du Razès. Cet hommage consistait en la remise de trois chevaliers, cum tres eminas de civada, ce qui signifie, en langue romane : avec trois hémines d’avoine. L’hémine, usitée encore dans les Corbières, équivaut à quarante litres.

 

    Bernard Aton pensait ainsi se créer des alliés dans la lutte qu’il allait avoir à soutenir contre plusieurs seigneurs du Carcassez et du Razès. Mais il fut trompé dans ses prévisions, car l’abbé de Lagrasse et le comte de Foix soutinrent les nobles rebelles.

 

    Parmi ceux‑ci figuraient plusieurs barons du Razès que nous allons citer. C’étaient les seigneurs d’Arques, de Latour, de Caramany, de Puylaurens, de Roquefort, de Rebenty ou Able, de Pech Saint‑Hilaire, de Pieussan, de Blanchefort, de Caderone, de Bezu, de Montazels, de Soulatge, de Tournebouix et de Cassaignes.

 

    Quand Bernard Aton eut vaincu les révoltés et fut devenu le maître de la situation, il obtint la soumission du plus grand nombre de ces nobles et il confisqua la terre de ceux qui continuaient la lutte. Le châtelain d’Arques fut dépouillé de son domaine qui fut inféodé au seigneur de Termes. Or ce que la maison de Termes tenait, elle le gardait bien.

 

   Après s’être ainsi vengé du baron d’Arques, Bernard Aton chercha aussi à se venger de l’abbé de Lagrasse qui avait, paraît‑il, encouragé la révolte. Il enleva à l’abbaye le prieuré et l’église d’Arques, ainsi que les terres qui en dépendaient. Dans un testament, en date de 1118, et qui est déposé aux archives de Montpellier, il inscrivit la disposition suivante :

 

" Ego……concedo et dimitto domino deo et Sancto Roberto de casa dei…..quid habeo vel habere il villa quæ dicitur Archas, et ecclesiam ejus villæ. Et proecipio ut Rotgerius filiis meus deliberet istam ecclesiam totam monachis domus dei ut habeant eam liberam……

castellum novum quid cognosminatur Arri actum est hoc testamentum anno 1118, regnante Ludovico VI, rege francorum. "

 

(Je cède et abandonne au Seigneur Dieu et à Saint–Robert de la Chaise‑Dieu tout ce que je possède et dois posséder dans le bourg qui est appelé Arques, ainsi que l’église du bourg. Et j’ordonne que Roger, mon fils, délivre cette église tout entière aux moines de la Chaise‑Dieu pour qu’ils la possèdent libre. A château neuf appelé d’Arry a été fait ce testament en 1118, régnant Louis VI, roi des Francs)

Cette donation, qui est mentionnée dans le Vie de Saint‑Robert, produisit son effet et le monastère de la Chaise‑Dieu posséda l’église d’Arques

 

 

IV


    Grâce aux libéralités de Bernard Aton dont il était devenu le fidèle allié, Guillaume de Termes avait considérablement agrandi son domaine. Ses possessions s’étendaient jusqu’aux bords de l’Aude. Par un acte de 1154, il rendit hommage à Raymond Trencavel, successeur de Bernard Aton, pour le bourg d’Arques et huit autres villages qui composaient son nouveau fief. Dès cette époque Arques ne fut plus une villaria, un village ; on l’appela castrum, bourg fortifié, car il était entouré d’une ligne de fortifications, comme Couiza.

 

    Guillaume de Termes est mort en 1163. Ses trois enfants : Raymond, Guillaume et Rhitivinde, épouse de Bernard de Montesquieu, ne purent se mettre d’accord pour le partage de la succession. Ils s’adressèrent au vicomte Raymond Trencavel qui prononça une sentence dans laquelle il est dit que les deux frères possèderont, chacun pour moitié, le château d’Arques.

 

    A la suite de l’invasion du Comté de Razès par les armées de Simon‑de‑Montfort, tous les châteaux et les villages appartenant au seigneur de Termes furent mis en état de défense. Après s’être emparé à la longue et malgré la plus vive résistance, du château de Termes, le croisés attaquèrent Arques et s’en rendirent maîtres. Le château fut complètement détruit et le bourg eut le même sort. Un document authentique nous apprend que les maisons furent incendiées et démolies. L’église et le prieuré furent seuls conservés. C’est une bien triste et bien sanglante page dans les annales d’Arques que le récit du sort qui fut fait aux malheureux habitants de ce bourg. On ne leur laissa pas même la consolation de pleurer sur les ruines de leurs demeures et d’essayer de les relever. Chassés hors de l’enceinte du village, il durent fuir dans les vastes forêts du voisinage, n’emportant avec eux que ce qu’ils purent charger sur leurs épaules. Ils eurent un sort aussi triste que celui qui fut fait, d’après Du Mège – le commentateur de dom Vaissette,‑ aux habitants de Coustaussa. Ce qui le prouve, c’est que dans l’apanage qui fut créé en faveur de Pierre de Voisins figure le droit d’affouage et de forestage dont jouissaient les feudataires d’Arques. Donc, Arques n’existait plus.

 

    Que devinrent ces malheureux proscrits forcés d’abandonner leurs maisons en ruine ? L’histoire ne nous le dit pas mais nous le présumons, d’après un événement des plus dramatiques qui se passa sur la grande place de ce bourg quelques années plus tard.

Olivier de Termes avait fait, en 1247, sa soumission au roi de France et s’était dessaisi, en faveur de son souverain, de tout ce qu’il possédait dans le pays de Rhedae, à l’exception de deux ou trois petits villages. Tout ce vaste territoire fut ajouté au riche apanage que possédait déjà Pierre de Voisins, et celui‑ci fut ainsi dédommagé de l’abandon des droits seigneuriaux qu’il avait sur la ville de Limoux.

 

    Nommé aux fonctions de sénéchal de Carcassonne et investi du droit de haute et basse justice sur son vaste domaine, Pierre de Voisins se rendit, en 1265, sur les terres de sa seigneurie pour exercer des poursuites contre ses vassaux dont il avait à se plaindre. Voici, d’après dom Vaissette, le récit d’une sentence qu’il rendit à Arques contre une femme accusée de sorcellerie :

 

" Anno domini 1265, Petrus de Vicinis, miles comitatus cum suis assessoribus totam suam senescalium visitavit et multos sortilegas  ultimo supplicio multavit, inter quos fuit una foemina quoe dicebatur Angela, loco de Labartha ætis 60. "

 

(L’an du seigneur 1265, Pierre de Voisins chevalier comte visita toute sa sénéchaussée avec ses assesseurs, et punit du dernier supplice plusieurs sorciers et sorcières ; et parmi celles‑ci se trouvait une femme qui s’appelait Angèle, du lieu de Labarthe, agée de 60 ans.)

La malheureuse Angèle fut brûlée vive sur la place d’Arques, car la métairie de Labarthe où elle résidait est située à une petite distance de cette commune. On se demande quel était le crime de ces pauvres gens accusés de sorcellerie et condamnés au bûcher. Le roi Saint‑Louis douta de leur culpabilité, car en apprenant leur exécution, il ordonna au sénéchal de ne plus avoir à connaître des ces sortes d’accusations, réservant à ses officiers de la justice royale la poursuite des crimes de sorcellerie. Pierre de Voisins, le grand justicier, avait voulu par un acte de cruauté frapper un grand coup et essayer de rétablir le calme sur les terres de sa baronnie.

 

    Les anciens habitants d’Arques, et peut‑être avec eux d’autres proscrits, erraient sans asile et sans pain dans les vastes forêts qui couvraient les Corbières. Souvent, pendant les nuits sombres, des feux s’allumaient sur le Cardou et sur d’autres pics dominant les montagnes. Les sons lents et macabres de la conque marine et du cornet à bouquin retentissaient au fond des vallées. C’étaient autant de signaux et autant d’appels réitérés. Et alors, à travers les sentiers perdus, des groupes compacts arrivant de tous les points de l’horizon, se réunissaient sur une de ces grandes landes qui couronnent les hauteurs voisines d’Arques. Une foule immense stationnait sur ce point pendant de longues heures, écoutant tantôt les incantations d’un fanatique, tantôt les prédications d’une femme illuminée qui, comme la sibylle antique, récitait ses oracles. On maudissait les vainqueurs, les francimans ; on se lamentait sur les ruines qui couvraient le sol ; on pleurait le village détruit et la cabane incendiée.

 

    Au lieu de prendre en pitié ces parias, ces misérables vivant comme des fauves et devenus presque sauvages, Pierre de Voisins voulut les dompter par la terreur comme il les avait déjà vaincus par le fer et par le feu. Et c’est ainsi que des exécutions sanglantes décimèrent cette population désespérée.

Le souvenir de ces scènes terribles s’est perpétué dans la contrée sous la forme de la légende rythmée. Si on interroge des vieillards, on entend réciter l’antique complainte, Le Roman, alternant ses strophes sans nombre, les unes en langue française, les autres en langue romane, comme une mélopée des temps d’Homère.

 

    Après la mort de Pierre de Voisins ses domaines furent partagés entre ses quatre fils. Le troisième d’entre‑eux Egidius de Vicinis – Gilles de Voisins,‑ eut pour son lot la baronnie d’Arques et de Couiza. Après avoir abandonné le manoir seigneurial de Couiza que son père avait fait bâtir à côté du moulin et qui était situé à l’extrémité de ses terres, il fixa sa résidence à Arques qui se trouvait au centre de son domaine. L’ancien prieuré devint sa demeure, grâce à quelques travaux d’appropriation dont il reste encore des traces sur le côté ouest de la place. Son premier soin fut de reconstruire le village tel qu’il se trouve de nos jours avec sa magnifique rue que bien des villes pourraient lui envier. Puis il mit tout en œuvre pour y attirer de nouveau les anciens habitants et faire oublier le souvenir odieux de son père. Il donna en emphythéose des maisons et des terres. Il concéda à ses vassaux des droits d’affouage et de forestage plus amples que ceux qu’avait accordés le seigneur de Termes. Il y ajouta le droit de couper dans ses forêts des arbres pour réparer les maisons, comme aussi pour faire des instruments aratoires et des ustensiles de ménage. (Note de Fédié ; Archives de la mairie d’Arques)

 

   Si nous avions besoin d’une preuve pour établir que le village d’Arques avait été détruit et qu’il fut réédifié à cette époque, nous la trouverions dans l’acte de création et de confirmation des droits consentis en faveur des habitants par Gilles de Voisins. En voici le texte :

 

" Cum nova fuit bastida oedificata, ego, Egidius de Vicinis….. "

" Quand la nouvelle bastide a été construite, moi Gilles de Voisins… "

On appela bastides, au XIII° siècle, les villages et bourgs qui furent reconstruits en grand nombre. Gilles de Voisin mourut en 1290.

 

 

V


    C’est vers la fin du XIII° siècle que, après la mort de Gilles de Voisins, son fils Gilles II termina la construction du château d’Arques que son père avait commencée. Nous en trouvons la preuve dans le contenu d’une transaction, faite en 1301, entre ce seigneur et les habitants d’Arques. Aux termes de cet acte, que nous analyserons plus loin, parmi les terres que Gilles de Voisins donnait en emphytéose, il se réservait les terres situées autour du château.

 

    La contrée dont nous esquissons l’histoire subit à cette époque une grande transformation. Le roi Louis IX, et après lui Philippe‑le‑Hardi, avaient converti en forteresses royales plusieurs châteaux féodaux, afin de protéger contre les Espagnols ce pays frontière, et aussi afin de tenir en respect les nouveaux maîtres du sol, les châtelains qui étaient pour la plupart des chefs des Croisés enrichis par Simon de Montfort. Plusieurs villes et villages furent créés. Les seigneurs imitèrent le souverain. Comme lui ils construisirent de nouveaux châteaux, et ils multiplièrent autour de leurs manoirs les moyens de défense. Etait‑ce pour résister, au besoin, aux officiers du roi, ou bien voulaient‑ils se prémunir contre la rébellion de leurs vassaux ? Nous pensons que c’est dans ce double but que la contrée se trouva bientôt couverte de châteaux‑forts et de villages fortifiés que l’on appela des bastides.

 

    Le seigneur d’Arques suivit l’impulsion, et fut peut‑être l’un des promoteurs de cette manifestation de la puissance féodale. Le château qu'il fonda fut l'un des plus beaux spécimens de l’architecture militaire de cette époque, et il est probable que c’est en s’inspirant du souvenir de l’ancienne forteresse wisigothe que Gilles de Voisins éleva ce monument grandiose sur les ruines de cette forteresse. Bien que le donjon seul soit actuellement debout avec quelques lambeaux de remparts, on peut se rendre compte du plan général qui avait été adopté.

 

    Le château, distant de quatre cents mètres environ du village s’élevait sur un mamelon bordé de trois côtés par des pentes peu élevées, et se reliant du côté du couchant par un terre‑plein à la montagne voisine. On remarque la même disposition de terrain pour les autres forteresses wisigothes de la contrée. Ce mamelon est couronné par un plateau assez étendu sur lequel on remarque les ruines de vastes constructions ayant la forme d’un quadrilatère allongé. Du côté du levant et du côté du couchant se dressait une ligne de solides remparts dont une partie est encore debout. Sur le côté nord s’élevaient des bâtiments destinés à divers services. C’est là que se trouvaient les magasins, les étables et tout ce qui se rattachait à l’exploitation du domaine seigneurial. La partie du château faisant face au midi renfermait le logement du seigneur, la chapelle et la salle de justice. Elle se composait d’un bâtiment central et de deux ailes formant chacune une tour carrée. L’une de ces tours a été convertie en maison moderne. L’autre est encore debout mais inhabitée. Sa partie inférieure est convertie en bâtiment rural ; on y remarque encore une salle voûtée en bon état de conservation. Entre les deux tours carrées et au centre de cette façade du midi s’ouvre la porte d’entrée du château qui était défendue par des herses, des mâchicoulis et un pont‑levis. Une autre porte, munie également de moyens de défense, s’ouvrait du côté du couchant.

 

    Un large fossé entourait le château, et était alimenté, d’un côté par un ruisseau qui ne tarit jamais et qu’on appelle le Ruisseau du Bosquet, et d’un autre côté par les eaux du Réalsès. Le donjon, complètement isolé, touchait presque aux remparts du levant auxquels il se reliait par des travaux de défense. Il était séparé par un préau des bâtiments et des fortifications garnissant les trois autres côtés de l’enceinte.

 

    Le donjon, qui excite de nos jours l’admiration des archéologues et des touristes, consiste en une tour carrée flanquée à chacun de ses angles d’une tourelle ronde reposant sur une élégante corniche comme sur une console. Cette tour aux formes élégantes et élancées est un des plus beaux spécimens de l’art gothique appliqué à l’architecture militaire. Elle est percée sur plusieurs points de meurtrières et garnie de mâchicoulis. Quelques fenêtres gothiques à riches encadrements sont percées sur les quatre faces. Le bois, ni le fer, n’entrent pour rien dans cette construction qui, sous une forme si délicate, cache une solidité à l’épreuve des ravages du temps.

 

    La porte d’entrée prenant jour du côté du midi est très étroite et se termine par une ogive aiguë. Elle donne accès dans un rez‑de‑chaussée d’une seule pièce qui prend jour par cette ouverture. Un escalier à hélice, très étroit au point de ne donner passage qu’à une seule personne, s’enroule dans une des tourelles et dessert les deux étages de l’édifice. Le premier étage se compose, comme le rez‑de‑chaussée, d’une seule pièce. C’est une salle portant encore des traces de décorations et qui communique avec les quatre tourelles. Sur l’un des côtés de cette salle correspondant au nord, on remarque une haute cheminée à large manteau. En face s’ouvre une fenêtre jumelle surmontée de deux ogives tréflées et d’une acuité bien prononcée. Le pavé de cette salle se compose d’un assemblage de dalles si bien cimentées qu’elles semblent ne former qu’une seule pièce. Ce pavé, d’une épaisseur de cinquante centimètres environ, est percé en son centre d’une ouverture ou trappe ronde qui a une circonférence de près de trois mètres, et qui servait à mettre le premier étage en communication avec le rez‑de‑chaussée au moyen d’une échelle.

 

    La salle du deuxième étage est dans un état de délabrement complet.

 

On remarque sur la partie haute du donjon des créneaux et des meurtrières qui en formaient le couronnement, mais qui sont presque entièrement démolis, car la toiture a disparu depuis longtemps.

 

    Ce donjon qui s’appelait Turris de Archis, la tour d’Arques, était un véritable fort dans la citadelle : c’était une immense ruche en granit destinée à offrir toutes les conditions d’une résistance efficace contre de nombreux ennemis. Il serait bien à désirer que ce monument si remarquable de l’architecture militaire du Moyen‑âge fut classé au rang des monuments historiques, et qu’on y fit des travaux de restauration et de conservation nécessaires.

 

    A part le donjon que nous venons de décrire, les autres bâtiments formant bordure au midi et au nord du château n’offrent rien de remarquable au point de vue de l’architecture. Autant qu’on peut en juger par les lambeaux de murailles qui sont encore debout, ces ruines semblent accuser trois époques différentes, ainsi qu’on le remarque pour les vestiges des remparts de Rhedae. Les soubassements de certaines parties pourraient bien être des substructions appartenant à l’antique forteresse wisigothe. La porte d’entrée seule a un caractère déterminé. On remarque sur les restes du fronton circulaire qui la couronne des traces des armoiries de la famille de Voisins qui se composaient de trois fusées ou losanges. A propos de ce signe héraldique nous croyons devoir faire une remarque qui a échappé jusqu’ici aux historiens. Elle consiste en ce que les armes des de Voisins étaient des armes parlantes. Leur écu était chargé de trois losanges, que l’on a qualifiés mal à propos de fusées, attendu que les deux angles obtus ne sont pas arrondis mais conservent une certaine acuité. Ces trois losanges se composent chacun, d’après nous, de deux V superposés en sens inverse, de façon que le losange signifie la lettre V deux fois répétée. Or cette lettre est le monogramme de la famille de Voisins ‑ Vicinis – par conséquent nous nous croyons fondé à soutenir que la famille de Voisins avait choisi pour ses armes son monogramme ainsi disposé.

 

    Après Gilles II, son fils Gérant – ou Guirand – agrandit son domaine dans les Corbières, tout en conservant Arques comme chef‑lieu de sa seigneurie, et c’est à Arques qu’était le centre de sa juridiction. D’après un dénombrement qui fut fait vers 1340, le nombre de feux était de 263 dans la seigneurie d’Arques et Couizan que possédait alors Guillaume II de Voisins.

 

    On ne cite rien de remarquable, intéressant la commune d’Arques, sous les successeurs de Guillaume II de Voisins, lesquels continuèrent d’habiter le château jusqu’au jour où Françoise de Voisins, fille de Jean IV de Voisins et de Paule de Foix‑Rabat, épousa Jean de Joyeuse et fixa sa résidence à Couiza.

 

 

VI


    Nous avons vu, dans notre notice sur Couiza, que dès le commencement de XVI° siècle la branche des Voisins d’Arques s’éteignit et que la seigneurie passa aux mains de la famille de Joyeuse qui fixa sa résidence à Couiza. A dater de cette époque, l’histoire du village d’Arques n’offre rien d’intéressant. Il ne nous reste, par conséquent, qu’à dire quelques mots du château.

 

    Comme bien d’autres manoirs, le château d’Arques fut en butte aux armées des Religionnaires, vers 1575. Les compagnies qui parcouraient les Corbières, et qui y exercèrent tant de ravages, se ruèrent surtout, avec fureur, sur tout ce qui appartenait au domaine de Guillaume de Joyeuse qui était le chef de l’armée catholique. C’est à cette époque que le château d’Arques fut presque entièrement détruit. Seul le donjon résista aux attaques des capitaines Rascles et Castelrens. Les Joyeuses, les Rébé, les du Poulpry qui ont tour à tour possédé la seigneurie de Couiza et Arques ne songèrent jamais à faire de ce donjon un lieu de résidence ; car ce n’était qu’un fort, un poste militaire sans importance et sans utilité. Ils conservèrent seulement, après l’avoir restaurée, l’aile qui s’étendait du côté du midi et qui servait de résidence aux agents du seigneur.

 

    Pendant la Révolution, le domaine seigneurial d’Arques fut vendu comme bien national. Les parties du château qui étaient conservées subirent le même sort et passèrent entre les mains de trois ou quatre habitants de la commune qui en approprièrent une partie pour leur usage personnel et démolirent le reste, du moins en grande partie.

 

    Le donjon seul ne fut pas aliéné par le Domaine, et il est toujours resté, depuis lors, au pouvoir de l’Etat. Cette considération milite en faveur du vœu que nous avons émis en demandant que la Tour d’Arques, si remarquable du point de vue archéologique, soit classée parmi les monuments historiques du département.

 

    Le bourg d’Arques fut érigé en chef‑lieu de canton dans les premières années de la Révolution. Mais par suite d’une nouvelle organisation, le chef‑lieu fut transféré peu de temps après à Couiza.

 

    D’après l’armorial de d’Hozier, publié par M.A.C.P., les armoiries d’Arques sont :  " De sinople coupé d’argent, chapé chaussé de l’un en l’autre "

Dictionnaire Sabarthès :

Arques. Commune, canton de Couiza ; église paroissiale dédiée à saint Jean‑Baptiste ; sénéchaussée de Limoux.

Villa de Archis,1260 (Doat , 48) ; Per vallem de Arquis, 1320 (Ordon.I, 721) ;Arcas,1538 (Arch. Aude) ; Arques,1781 (C ;Dioc. Alet) ; Arquos (vulg.)

 

Roquetaillade

 

A huit kilomètres de Limoux, au midi de cette ville et à l’ouest d’Alet, au sommet d’une colline qui prend naissance dans un étroit vallon où coule la rivière de la Corneilla, se trouve bâti le vieux manoir de Roquetaillade. Avant les guerres de Religion, Roquetaillade qui tire son nom de ces roches que l’on dirait taillées par le ciseau était divisé en trois sections, à savoir : le Casal, Saint‑Etienne et le Château.

 

Le château

 

    Le château de Roquetaillade était un véritable château féodal avec son donjon très élevé, où se nichent encore quelques oiseaux de proie, avec sa tour carrée, son fossé qu’alimentaient les eaux du Pech, son pont‑levis, sa herse et enfin son fort avec ses portes fermées. On devine sans peine que le château n’eut pas à redouter la présence des protestants devant ses murs et que ceux‑ci, découragés par la défense héroïque du seigneur et de ses hommes, assouvirent leur haine contre les catholiques en incendiant l’église et le village de St‑Eienne.

 

    On ignore quel fut le fondateur du château de Roquetaillade. Après la guerre des Albigeois, le village de St‑Etienne et les villages voisins furent inféodés par Simon de Montfort en faveur de l’un de ses lieutenants, Lambert de Tury, dont la seigneurie comprenait la ville de Limoux en partie, un grand lambeau du Bas‑Razès, et tout le pâté de montagnes qui, des bords de l’Aude, touchait au grand fief dont fut investi Guy de Lévis de Mirepoix. Les héritiers de Lambert de Tury créèrent de petits fiefs dans leur grand domaine, et c’est ainsi que, au quatorzième siècle, prirent naissance les seigneuries de Roquetaillade, de Castelrenc (l’ancien castrum Resindum), de Tournebouix et de bien d’autres.

 

    Le château et les terres de Roquetaillade furent inféodés à un seigneur du nom de Jean de la Rivière qui, en 1319, figure dans la réunion des nobles de Carcassonne et du Rhedez, assemblés à Carcassonne pour faire acte de foi. Les registres de l’Inquisition faisaient mention du serment solennel prêté à cette occasion sur la place du marché, et contenait la liste des seigneurs qui figurèrent à cette cérémonie.

 

    Le domaine seigneurial de Jean de la Rivière passa plus tard aux mains d’un seigneur du nom de Montfaucon.

 

    Il est constaté sur les registres d’état‑civil de Roquetaillade que le seigneur de Montfaucon obtint de l’évêque d’Alet, en 1620, l’autorisation d’inhumer sa fille dans l’église de Roquetaillade.

 

    La famille de Montfaucon de Roquetaillade donna le jour à un homme que le département de l’Aude s’honore de compter parmi ses illustrations, et dont le portrait figure dans le salon iconographique du Musée de Carcassonne. Nous voulons parler de dom Bernard de Montfaucon, fils de Timoléon de Montfaucon, seigneur de Roquetaillade, de Conilhac et de Laprade. Dom Bernard naquit, en 1655, au château de Soulatge qui appartenait à la famille de sa mère. Bénédictin, savant antiquaire, membre de l’Académie des Inscriptions, il composa deux ouvrages qui sont de vrais monuments : l’Antiquité expliquée et Les Monuments de la Monarchie Française. Il mourut en 1741, à l’abbaye de Saint‑Germain.

 

 

LA SEIGNEURIE DE RENNES


     La seigneurie de Rennes fut créée vers la fin du treizième siècle, au profit de Pierre, ou Perrot, de Voisins, à la suite d’un partage du vaste fief qui avait été donné en assignat à Pierre de Voisins, sénéchal de Simon de Montfort. Cette baronnie comprenait, outre son chef‑lieu, l’ancienne cité de Rhedae, devenue le village de Rennes‑le‑Château, divers bourgs et villages dont quelques‑uns ont un passé historique intéressant.

 

 

I


CADERONE

 

    Le château et le village de Caderone existaient au XIe siècle. Il est souvent question des seigneurs de ce nom dans l’histoire du Languedoc. Pierre Arnaud de Caderone vivait en 1111. Il paraît qu’il demeura toujours fidèle à Bernard Aton, comte de Carcassonne et du Rhedez, car il ne figure pas parmi les nobles rebelles qui, en 1124, firent leur soumission par un acte authentique de foi et hommage.

 

    Son petit‑fils Hugues ou Ugo de Caderone jura, en 1172, l’assistance à Pierre de Vilar, viguier de Rhedae. C’est probablement à lui que la légende attribue le distique suivant :

 

Ugo, Seignou de Catarouno

Nou craignis rés hors lé qué trouno

(Ugo, Seigneur de Caderone

Ne craint rien hors celui qui tonne (Dieu))

 

    Son fils Hugues ou Ugo II fut, lors de la guerre des Albigeois, l’un des plus vaillants défenseurs du comte Raymond‑Roger. Après la croisade ses biens furent confisqués. Cette famille dut s’éteindre à cette époque, car l’histoire n’en fait plus mention. Quelque drame terrible se passa peut‑être derrière les remparts de ce château qui amena l’anéantissement de la vaillante race des seigneurs de Caderone.

 

    Le château de Caderone ne fut pas détruit par l’armée de la croisade. Il paraît que Pierre ou Perrot de Voisins l’avait conservé comme manoir seigneurial où il résidait au commencement du quatorzième siècle, peut‑être en attendant que le château de Rennes fut restauré. Il existe, en effet, un acte de 1307 consistant en une transaction passée au château de Caderone, entre les syndics de Bugarach et Perrot de Voisins qui portait le titre de dominus de Rhedes, de Albeduno et de Bugaraggio ‑ seigneur de Rhedes, du Bézu et de Bugarach. Le village fut également conservé.

 

    En 1357, les compagnies de routiers firent les plus grands ravages dans le Languedoc, elles détruisirent plusieurs châteaux et villages du Rhedesium. Il est à peu près certain que c’est à ces bandes redoutables que le château et le village de Caderone doivent leur destruction ; car, à partir de cette époque, il n’en est plus question dans les documents relatifs au Rhedesium. Caderone ne figure pas parmi les paroisses de l’évêché d’Alet. L’ancien fief seigneurial de Caderone devint un simple domaine dans la mouvance des seigneurs de Rhedae.

 

    Il est difficile de préciser le point sur lequel était édifié le château féodal de Caderone. Il s’élevait probablement aux bords de l’Aude sur une masse rocheuse qui s’avance sur le fleuve, à une petite distance de la résidence du propriétaire actuel de ce domaine. Quant au village, la place qu’il occupait est marquée par une propriété en culture qui porte une désignation significative : elle s’appelle le Cimetière. Ce nom semble conservé pour perpétuer le souvenir d’une grande catastrophe.

 

 

Dictionnaire Sabarthès

Caderonne, hameau. château moderne et moulin surl’ Aude ; commune d’Espéraza ; ancienne propriété du marquis de Roquefort.

Cadarona,1185 (arch. Malte.Magrie) ; Villa de Cadarona, 1231 (HL,VIII) ; Caderonne, y ayant la marque d’un chasteau ruiné, une metterie bastié à neuf, 1594 (arch. Aude) ;Caderone, 1807 (ibid). Le compoix de 1714 mentionne l’ancien cimetière et l’ancienne église qui était primitivement unie à celle de Campagne. Sanctus Stephanus de Cadarona, 1294 (arch. Malte, Magrie) ; Rector de Campanha et Cadarona, 1347 (arch. Vat. Coll.) ; Catarouno (vulg.)

 

 

II


 

BLANCHEFORT   Blancafortax

 

    A l’entrée de la vallée pittoresque qui, des bords du Réalsès conduit à Rennes‑les‑Bains, on remarque d’un côté la montagne dite de Cardou qui domine toute la contrée, et en face du Cardou on voit une masse rocheuse de couleur blanchâtre appelée le Roc de Blanchefort. Il y a quelques années à peine on remarquait aux abords de ce rocher des vestiges de maçonnerie que le temps a émiettés et dispersés. C’était tout ce qui restait du château de Blanchefort.

 

    Ancienne forteresse wisigothe chargée de garder les approches de la cité de Rhedae, Blanchefort fut inféodé, au XIe siècle, à l’un des grands vassaux des comtes de Rhedez. Le village qui dépendait de ce château était bâti du côté du midi, sur un large plateau légèrement ondulé.

 

    Les seigneurs de Blanchefort ont leur place marquée dans l’histoire du Rhedesium. Au commencement du douzième siècle, Bernard de Blanchefort se met avec d’autres seigneurs de la contrée en révolte ouverte contre Bernard Aton, vicomte du Rhedez. Comme plusieurs autres châtelains, les seigneurs de Blanchefort possédaient un château relevant du domaine des vicomtes, mais le village avait été fondé par les moines bénédictins de Saint‑Polycarpe, et les terres avoisinantes avaient été mises en culture par ces religieux. L’abbaye d’Alet qui exerçait les droits de celle de Saint‑Polycarpe, revendiqua la possession de Blanchefort et une bulle du pape Calixte II, datée de 1119, confirma, en faveur de l’abbé d’Alet, la possession de Blanchefort : castrum de Blancafort.

 

    Bernard de Blanchefort refusa de se soumettre à cette décision et, aidé de plusieurs autres seigneurs, il eut recours à la lutte armée contre l’abbé d’Alet et contre le comte Bernard Aton, pour conserver son domaine. Il y réussit, et c’est à cette condition qu’il déposa les armes en 1124. Quand l’armée des Croisés envahit le Rhedesium, le seigneur de Blanchefort lutta en loyal chevalier sous la bannière du comte Raymond‑Roger. Après la défaite, il subit le sort de la plupart des châtelains de la contrée. Son château fut détruit, et ses biens confisqués passèrent entre les mains de Pierre de Voisins. La destruction du village date de cette époque.

 

    Une légende du pays attribue à la reine Blanche la fondation du château de Blanchefort. Il suffit, pour prouver la futilité de cette tradition, de constater que l’antique forteresse était détruite depuis assez longtemps quand cette princesse se rendit aux thermes de Rennes.

 

   Une autre légende, aussi fantaisiste, nous apprend que les souterrains de ce château renfermaient une partie du fameux trésor des Wisigoths. Pour expliquer l’origine de cette fable nous allons citer un passage des Mémoires de l’Histoire du Languedoc par Catel, conseiller au Parlement de Toulouse. Voici ce passage extrait du volume édité en 1633 :

 

" Près des Bains de Regnes, il y a eu des mines d’or et d’argent, et on voit encore aujourd’hui de grandes cavernes et carrières d’où les anciens en ont tiré. Si nous n’en trouvons pas en si grande quantité, c’est que la dépense a été trop grande et que nous n’avons pas l’industrie de savoir le tirer. C’est pourquoi nos ancêtres avaient coutume d’aller chercher de grandes troupes comme des colonies d’Allemands pour tirer ces précieux métaux."

 

   Nous devons ajouter que le puits principal qui donnait accès dans les mines était creusé au pied des murailles de Blanchefort. On peut encore, de nos jours, voir ce puits qui descend jusqu’à une certaine profondeur. Les populations du Moyen‑âge croyaient que les métaux précieux extraits de cette mine provenaient, non d’un gisement incrusté dans le sol, mais d’un dépôt d’or et d’argent en lingots enfoui dans les caves de la forteresse par ses premiers maîtres les rois wisigoths.

 

    En face de Blanchefort se dresse le pic appelé Le Cardou qui était célèbre, il y a trois siècles par une carrière de kaolin qui fut exploitée pendant de longues années.

 

Dictionnaire Sabarthès :

Blanchefort . ferme, ancien château ruiné, commune de Rennes‑les‑Bains.

Castrum Blancafort, 1119 (H.L. V) ; Castrum Blancaforte,1162 (Gall. Christ. VI) ; Blanchafort, 1231 (H.L, VIII) ; La Borde de Blanchefort, 1807 (arch. Aude)

 

 

III


 

LE BEZU   Albedunum

 

    Le château du Bézu, dont on peut encore admirer les ruines majestueuses, était comme Blanchefort, une forteresse wisigothe. Il défendait le chemin stratégique qui allait de Rhedae en Espagne. Rhedae au couchant et le Bézu au levant, gardaient la vaste plaine du Lauzet qui a dû être le terrain de bien des luttes.

 

    Le château du Bézu, qui s’appelait au Moyen‑Age tantôt Albefuvum et tantôt Albedunum, est désigné par dom Vaissette sous le nom d’Albedunum.

 

    Le Bézu fut inféodé par l’un des comtes du Rhedez à un seigneur dont nous ne connaissons pas le nom. C’était un simple chevalier à qui son suzerain donna sa forteresse. Il en prit le nom est se nomma : Dominus de Albedunum. Nous voyons figurer les châtelains du Bézu dans plusieurs actes, et l’un d’eux fit partie des nobles qui se rebellèrent contre Bernard Aton.

Dom Vaissette rapporte, mais sans entrer dans le détail, que le château nommé Albedun fut assiégé par l’une des armées de Simon de Montfort qui parvint à s’en assurer et le détruisit complètement. Les ruines de ce château féodal, qui ne fut jamais reconstruit, sont très intéressantes à visiter.

 

    Le village du Bézu et sa petite église, abritée derrière un pli de terrain à une petite distance des ruines du château, sont placées dans une situation des plus pittoresques.

 

    A une petite distance des ruines de la forteresse du Bézu on remarque, du côté du levant et le long de l‘ancienne voie romaine, un manoir du quinzième siècle ayant appartenu au seigneur de Rennes. Ce manoir appelé château des Tipliés, fut détruit en partie par les Calvinistes en 1573. On n’y trouve que quelques pans de murs et des restes de deux tourelles.

 

Dictionnaire Sabarthès.

 

Bezu (Le). Ruines de l’ancien château féodal ; commune de Sain‑Juste et Le Bézu.

Albezunum, 1231 (H.L. VIII) ; Castrum de Albesune, 1262 (H.L. VII) ;Vallis de Albedino, 1307 (Fonds‑Lamothe) ; De Albeduno, 1344 (H.L. X) ; Albezou, 1338‑1500 (arch. Aude) ; Albezu, 1406 (bibl. Carcas. 9551) ; Un fort nommé Le Behuc, 1579 (H.L. XII) ; Albodinco, 1371‑1587 (bibl. Carcas. 9551) ; Le Bezu,….où y a un vieux chasteau ruiné au sommet d’un roc et une esglise aussi ruinée, 1594 (arch. Aude) ; Le Besseu, 1647 (ibid) ; Ce lieu était aussi une paroisse : Rector de Albeduno, 1347 (Arch. Vat. Collect)

 

 

IV


 

RENNES‑LES‑BAINS

 

    On a beaucoup écrit sur Rennes‑les‑Bains, et l’un des derniers venus parmi les écrivains qui se sont occupés de cette station thermale et Mr le docteur J. Gourdon qui, dans son livre intitulé : Stations Thermales de l’Aude, nous a laissé une étude assez complètes sur ce sujet intéressant.

 

    Un seul point est demeuré obscur pour Mr le docteur Gourdon comme aussi pour les historiens ou commentateurs qui l’ont précédé. Nous voulons parler du nom primitif de Rennes‑les‑Bains, et c’est vers ce sujet que nous avons cru devoir porter nos investigations. Cet écrivain, d’accord sur ce point avec d’autres auteurs, constate qu’il n’existe jusqu’à présent aucune indication précise à cet égard. Néanmoins, il admet, non sans quelque hésitation, que cette localité est l’antique Redda, ou plutôt la primitive Redda, dont le nom fut attribué plus tard, dit‑il, à la l’oppidum construit sur la montagne voisine (Rennes‑le‑Château).

 

    Aucune charte ni aucun diplôme n’applique ce nom de Redda aux thermes de Rennes, pas plus qu’au village de Rennes‑les‑Bains. Cette localité est désignée dans les titres seigneuriaux tantôt sous le nom de Villaria de Balneis, tantôt sous celui de Bains de Montferran, du nom du village de Montferran qui est contigu. Mais ces désignations sont d’origine relativement récente puisqu’elles étaient employées au XI° et au XII° siècle. Ce n’est qu’au XVI° siècle que les thermes de Rennes, qui ne formaient pas encore un village mais un simple hameau dépendant de la communauté de Montferran, subirent ce changement. La châtellenie de Rhedae, ou de Rhedez, fut morcelée et partagée entre les descendants de Perrot de Voisins. L’un d’eux, représentant la branche aînée, eut dans son lot une seigneurie composée des villages de Rhedae, le Bézu, Saint‑Just, Montferran et les Bains. C’est à cette époque que les thermes, dont nous esquissons la monographie, reprirent leur nom primitif, le nom qu’ils portaient à l’époque gallo‑romaine, et ce nom, qui s’est conservé jusqu’à nos jours, est celui de Rennes qu’on écrivait Règnes ou Reynes (en patois Reynès). Voici sur quoi repose notre opinion.

 

    Les sources thermales, dans ces temps reculés, étaient toutes désignées par un nom composé dans lequel figurait comme première lettre ou comme terminaison le monosyllabe " ès ", qui en langue celtique et plus tard en langue wisigothe signifiait eaux. Ainsi nous pouvons citer Caudiès, Thuès, Reynès, Espira dans les Pyrénées Orientales, Escouloubre dans l’aude, qui étaient autant de sources thermales. Les sources de Rennes reçurent donc, dans ces temps primitifs, comme la source similaire située au pied des Albères dans le Roussillon, le nom de Reynès qui signifiait eaux royales. Il nous reste maintenant à expliquer comment le nom primitif de Rennes ou, d’après nous, Reynès, a été rétabli à une époque relativement récente et a été conservé depuis lors.

 

    Dans le dénombrement des seigneurs qui figurèrent le 25 mai 1529 à la revue passée à Caunes‑Minervois par le connétable Anne de Montmorency, se trouvait Gaufred ou Godefroi d’Hautpoul, baron de Rennes, qui est ainsi qualifié : " Le seigneur de Reynes et le Besum, un homme d’armes et deux archers. " Le nom de Rennes et créé ou plutôt retiré d’un long oubli.

 

    Tous les écrivains qui se sont occupés de recherches sur les thermes de Rennes s’accordent à signaler les résultats de nombreuses découvertes faites sur deux points de cette commune. D’après un mémoire lu en 1746 à l’Académie des Sciences de Toulouse, on avait déjà constaté depuis plusieurs années l’existence aux abords de la source de la Reine des restes d’une piscine en marbre et des vestiges d’un édifice ressemblant aux thermes dont on voit les ruines à Rome. D’un autre côté, on a découvert à diverses reprises, dans la petite plaine qui s’étend entre le village et le hameau du Cercle, des débris de sculpture et des matériaux d’architecture qui pourraient bien être les restes d’un temple. On a recueilli sur le même point deux statuettes, des vases, des lampes en terre cuite, comme aussi beaucoup de médailles de types variés avec des effigies de divers empereurs. De l’ensemble de ces découvertes on a conclu que les thermes de Rennes avaient acquis une certaine importance sous la domination romaine ; mais nous pensons qu’on a été trop exclusif, et qu’il convenait de faire une part aux Wisigoths dans la possession et l’usage de ces divers objets de collection. Le voisinage de la cité de Rhedae nous prouve que les familles marquantes de cette nation devaient fréquenter les thermes de Rennes. D’un autre côté, on a retrouvé dans les ruines des châteaux d’Arques et du Bezu des objets pareils à ceux que les fouilles faites à Rennes ont mis à jour. Enfin, personne n’ignore que les Wisigoths possédaient en quantité des médailles romaines d’or et de bronze.

 

    Mais avant les Wisigoths et avant les Romains, les sources chaudes de Rennes existaient, et les Gaulois Atacins ont dû connaître et fréquenter ce territoire, après lui avoir donné un nom, le nom de Reynès. Nous en trouvons la preuve dans un travail de recherches auquel nous nous sommes livré dans ces derniers temps.

 

    Il existe sur la rive gauche de la rivière, au dessus de la source de la Reine, un amas de cendres mêlées de détritus de diverse nature que l’on avait cru jusqu’à présent être un amas de décombres provenant de la démolition d’une maison romaine écrasée par la chute d’une énorme rocher. Mais nous avons constaté que nous nous trouvions en présence d’un tumulus remontant au temps des Gaulois. Voici en quoi consiste ce tumulus de l’espèce appelée motte ou éminence. Des travaux de tranchée opérés en face de l’Hôtel de la Reine, sur le flanc de la montagne, ont mis à jour, jusqu’au niveau de la route, une couche de cendres pétries de charbons, d’ossements de poulets et de lapins, d’arêtes de poissons, et d’écailles d’huitres de l’Océan. Parmi ces débris de substances alimentaires figuraient quelques briques à crochets et quelques fragments de poterie. Cette couche cendreuse a quatre mètres environ de largeur sur une épaisseur uniforme de quarante ou cinquante centimètres. Elle forme une tranche horizontale tassée entre deux couches de terre végétale. La croûte supérieure de cette terre a une épaisseur de près de deux mètres et est couverte d’un bois des taillis de chêne.

 

    Parmi les trois sources thermales de Rennes, la plus célèbre au point de vue historique, la seule dont nous avons à nous occuper, est celle que l’on appelle Bain de la Reine. Une vieille chronique passée à l’état de légende, nous apprend que ce nom lui fut donné par une reine du nom de Blanche. Nous devons constater que d’après les recherches auxquelles nous nous sommes livré, nous avons acquis la certitude que la légende est ici de l’histoirs. La princesse de sang royal qui a donné son nom à la source de la Reine, est Blanche de Bourgogne devenue reine de Castille par son mariage avec Pierre‑le‑Cruel. La reine Blanche ayant fait un long séjour au château de Pierre‑Pertuse (NB: aujourd’hui Peyrepertuse), son histoire la lie plus intimement avec ce château qu’avec celle de Rennes. Et c’est dans notre monographie de Pierre‑Pertuse que nos lecteurs trouveront une notice sur cette malheureuse princesse, et le récit de sa station à Rennes‑les‑Bains.

 

    A part sa fréquentation au temps des Romains, dans des conditions qui nous sont presque inconnues, le village de Rennes‑le‑Bains n’a pas d’histoire. Ce n’est guère que depuis un siècle que cette station balnéaire, trop peu connue jusqu’alors, a acquis une importance qui va en grandissant de jour en jour et qui est amplement justifiée.

 

    On remarque sur le territoire de Rennes‑les‑Bains les hameaux de Montferran et Lavaldieu, auxquels se rattachent quelques souvenirs historiques.

 

    A proximité de Rennes est le village de Sougraigne, l’antique Sogravia, qui appartenait aux moines de Saint‑Polycarpe. La Salz, ou rivière salée, prend sa source au dessus de Sougraigne.

 

Armoiries de Rennes‑les‑Bains d’après de D’Hozier :

" De gueules, à une croix alaizée d’or. "

 

Dictionnaire Sabarthès.

Rennes‑les‑Bains : commune, canton de Couiza ; église paroissiale dédiée à saint Nazaire et saint Celse ; la cure était unie au chapitre d’Alet ; station d’eaux thermales ; : cinq sources, dont trois sont thermales, ferrugineuses, bicarbonatées ; deux froides, chlorurées, sodiques.

Ecclesia Sancti Nazarii de Aquis calidis, 1162 (Gall. Christ. VI) ; Balnei, 1307 (Fonds‑Lamothe) ; Rector de Balneis Montisferrandi, 1347 (arch. Vat. Collect.) ; Locus de Monteferando et Balneis, 1377 (Ordon. VI, 269) ; Regnes les Bains, 1406 (BibL. Carcas .) ; Locus de Balneriis, 1371‑1589 (ibid) ; Les Baingts,1594 (arch. Aude) ; Bains de Montferrand, 1632 (Gall. Christ, VI) ; Les Bans, 1647 (Arch. Aude) ; Les Bains de Monferran, 1781 (c. dioc. Alet) ; Les Bains, 1807 (Arch. Aude) ; Rènnos, les Bans de Rènnos (vulg.)

 

 

Annexe


 

Livre IV

 

Châtellenie de Perre‑Pertuse (fragment)

 

Cette forteresse fut renforcée par Saint‑Louis car, comme sa proche voisine Quéribus, elle était située sur la frontière de l’Aragon. Des maçons du nord édifièrent dès lors, sur le point sommital, le donjon San Jordi où l’on accède par un escalier vertigineux ; celui‑ci est taillé dans le roc, au sommet et en en bordure de la falaise, qui est à cet endroit surplomb de 80 mètres au dessus du vide. Du sommet, quelquefois balayé par la Tramontane, on découvre un panorama superbe allant du château de Quéribus, à l’est, au Pech de Bugarach (1231 mètres), à l’ouest. Peyrepertuse demeura une place forte royale, servie par une petite garnison, jusqu’au Traité des Pyrénées de 1659, qui céda le Roussillon à la France.

 

Avec son voisin le château de Quéribus, et les Gorges de Galamus toutes proches, Peyrepertuse constitue le but d’une magnifique randonnée. Pour les amateurs de légendes et de forteresses aériennes et romantiques, c’est un site à voir absolument car il laisse à tous ses visiteurs un souvenu durable et même, pour certains, impérissable.

 

 

LA LEGENDE DE LA REINE BLANCHE

 


    Comme beaucoup d’anciens châteaux, Pierre‑Pertuse a sa légende, la légende de la reine Blanche. Dans notre monographie de Rennes‑les‑Bains, nous avons raconté sommairement que la femme de Pierre‑le‑Cruel, roi de Castille, avait trouvé sa guérison aux thermes de Rennes, et que depuis cette époque la source dans laquelle elle s’était baignée avait porté son nom et s’était appelée la Source ou le Bain de la Reine. Il nous reste à faire connaître à nos lecteurs les circonstances qui amenèrent cette malheureuse princesse à se réfugier en France, à y chercher un abri dans le château de Pierre‑Pertuse, et à franchir la courte distance qui séparait cette forteresse royale des thermes de Rennes, pour aller chercher dans ces eaux bienfaisantes la guérison de la maladie dont elle était atteinte.

 

    Les habitants de la contrée qui avoisine les ruines de Pierre‑Pertuse, ont conservé la tradition du séjour de cette reine déchue derrière les remparts du vieux château, et en font le sujet d’un récit des plus poétiques. Voici le conte populaire tel que nous l’avons recueilli dans les villages de Rouffiac et de Duilhac.

 

    A une époque qui remonte bien loin dans le passé une reine d’Espagne, appelée Blanche de Castille (NB : à ne pas confondre avec la mère de Saint‑Louis), s’était réfugiée au château de Pierre‑Pertuse pour échapper aux dangers qui menaçaient son existence. Traitée par le gouverneur de la forteresse avec tous les égards dus à son rang et à ses malheurs, elle passait ses tristes journées tantôt priant dans la chapelle, tantôt se promenant dans la campagne, à proximité du château. Les habitants des villages voisins la vénéraient comme une sainte et la contemplaient de loin avec une curiosité mêlée du plus grand respect quand elle descendait à la fontaine qui coule au pied des remparts. Et là, assise sous un vieux saule pleureur, dont les branches se penchaient sur le cristal des eaux, elle passait de longues heures à exhaler ses plaintes d’exilée et à pleurer sur sa destinée de femme sans époux et de reine sans couronne. Un jour, distraite par ses douloureux souvenirs, elle laissa glisser de sa main un gobelet d’argent qui roula dans un précipice et fut retrouvé longtemps après par un berger qui le vendit au seigneur de Rouffiac. Ce gobelet, marqué d’un écusson aux armes de la Castille était, avant la Révolution, au pouvoir du Trésorier Royal du pays de Fenouillèdes résidant à Caudiès, qui le gardait comme une relique des plus précieuses.

 

    Pendant le séjour qu’elle fit à Pierre‑Pertuse, et qui eut une durée de cinq ou six ans, la reine Blanche entendant vanter les vertus curatives des sources de Rennes, se rendit à cette station thermale en litière, et accompagnée d’une nombreuse escorte. Elle passa à Rennes toute une saison et n’en repartit que complètement guérie de la maladie dont elle était atteinte, et qui n’était autre que les écrouelles. C’est en considération de son souvenir et de sa guérison que la source dans laquelle elle s’était baignée porta son nom, à dater de cette époque, et s’appelle encore de nos jours la Source de la Reine.

 

    Rentrée à Pierre‑Pertuse, Blanche de Castille y fit encore un long séjour. Puis elle rentra dans ses états où elle mourut de mort violente peu de temps après son arrivée.

 

    Telle est la légende de la reine Blanche, tel est, dans toute sa naïveté, le récit qui nous a mis à même de compléter la biographie de cette malheureuse princesse, en relatant un épisode que les historiographes ont ignoré ou voulu passer sous silence. C’est ici que la tradition locale est bien véritablement ce que Cicéron appelait nuntia vetustatis, la messagère de l’antiquité.

 

Voici, en effet, ce que nous apprennent les historiens espagnols :

 

    En 1350, Pierre‑le‑Cruel succéda, à l’âge de seize ans, à Alphonse XI sur le trône de Castille. En janvier 1352, il épousa Blanche, fille de Pierre 1er, duc de Bourgogne, âgée de dix‑huit ans. Trois jours après le mariage, il l’abandonna pour vivre avec Maria Padilla, sa favorite, et il la fit enfermer dans la forteresse d’Illuca. Déjà irrités contre lui parce qu’il avait fait égorger sans motifs plusieurs gentilshommes de sa cour, les grands du royaume prirent parti pour la reine et se mirent en révolte ouverte. La mère du roi, ainsi que son frère Frédéric et son frère naturel, Henri de Transtamare, étaient à la tête des révoltés. Pendant la campagne qui s’ouvrit, Pierre‑le‑Cruel, après plusieurs engagements dans lesquels il fut tantôt vainqueur, tantôt vaincu, finit par gagner la grande bataille de Najera. Cette journée assura, pour quelque temps du moins, le triomphe de Pierre‑le‑Cruel qui fit égorger son frère Frédéric, deux infants d’Aragon et plusieurs seigneurs faits prisonniers pendant la bataille. Le comte Henri de Transtamare, qui commandait en chef les troupes liguées contre le roi, parvint à se sauver, mais n’ayant plus d’armée et abandonné par les siens, il fut obligé de quitter le royaume.

 

    Nous détachons de L’Histoire du Languedoc de Dom Vaissette le passage suivant relatif à la fuite du prince :

" Zurita, historien d’Aragon, dit que Henri, comte de Transtamare, ayant perdu la bataille de Najera, s’enfuit à cheval en Aragon, et que le gouverneur du château d’Illuca le conduisit , sans qu’il fut reconnu, jusqu’à ce qu’il fut en sûreté dans le château de Pierre‑Pertuse, d’où il se rendit à Toulouse. "

 

    Ces lignes ont à peine besoin d’être commentées pour nous donner l’explication de la légende de Pierre‑Pertuse. Le complot formé par Henri de Transtamare et le gouverneur d’Illuca ne pouvait avoir pour but que de délivrer la reine et de l’arracher à une mort certaine. Mais cette entreprise était un crime de lèse‑majesté ; car la terrible formule ‑ Ne touchez pas à la reine – était plus qu’une étiquette de cour : c’était une loi de l’Etat de Castille que nul ne pouvait enfreindre, en dehors des règles établies, sans s’exposer aux peines les plus sévères. Or, l’historien d’Aragon écrivait à une époque où le culte des prérogatives de la Couronne était un si grand honneur, que nul n’aurait osé parler d’une entreprise pouvant porter atteinte au prestige de la royauté. C’est ce qui semble expliquer la réserve qu’il s’est imposée.

 

    Grâce à la protection de Jean de France, duc de Berry, qui commandait en Languedoc, Blanche de Castille jouissait dans le château de Pierre‑Pertuse d’une sécurité complète, et on lui rendait tous les honneurs dus à son rang. Néanmoins, elle attendait avec impatience que le sort lui fût favorable et lui permît de rentrer dans ses Etats. Elle crut le moment venu lorsque, en 1361, l’armée du comte de Transtamare, jointe aux compagnies qu’avait amenées Duguesclin, eurent remporté quelques succès. Se croyant entourée d’une protection efficace, trompée peut‑être par quelques fausses promesses du roi, elle quitta la terre de l’exil pour rentrer en Castille. Mais Pierre‑le‑Cruel la fit incarcérer quelques jours après son arrivée, et bientôt la malheureuse princesse mourût empoisonnée dans sa prison.

 

Dictionnaire Sabarthès

Peyrepertuse. Ancien château féodal ruiné, commune de Duilhac ; il donna son nom à une subdivision du Razés et devint chef‑lieu d’une châtellenie. L’église, sous le vocable de Notre‑Dame, fut unie en 1215 au chapitre Saint‑Just de Narbonne ; la présentation du recteur appartenait, en 1404, au prieur de Serrabona, diocèse d’Elne ; au XVIII° siècle, ce fut une simple chapelle, dépendant de la paroisse de Duilhac.

 

Castellum quem dicunt Petrapertusa, 1050 (Mahul, IV, 581) ; Ecclesia Sanctae Mariae de Petrapertusa, 1115 (Doat, 55) ; Rochapertusa, 1338 (Bull. Comm. Archeo . Narbonne, VIII) ; Petrapertusia, 1343 (arch. Aude) ; Capella Beatae Mariae de Petrapertusa, in castro regis Francorum, 1404 (Mahul,IV, 588) ; Castrum de Petrapertusa, 1247‑1494 (Arch. Aude) ; Peyra Pertusa, 1538 (ibid) ; Pierre Pertuise, XVI° siècle (Arch. Nat. J 961) ; Nostre Dame de Peyrepertuze, 1639 ( Arch. Comm. Narbonne. Invent. Roques, II, 443) ; Peyre Pertuze, chapelle, 1706 (Estat du dioc. de Narbonne) ;

 

Peyrepertusès (Le). Territoire que les documents désignent tantôt comme un pagus distinct, tantôt comme un suburbium du Razés ou du Narbonnais. Il comprenait notamment les châteaux‑forts de Peyrepertuse, d’Aguilar et de Quéribus ; il était borné à l’est par le Narbonnais, au sud par le Fenouillèdes et au nord par le Termenès.

Pagus Petrepertuse, 842 (H.L. II) ; Territorium Petra Pertusense, 876 (ibid) ; In Pago Redensi…in suburbio Petrapertusense, 899 (H.L. V) ; Territorium Petraepertusensis….in pago Narbonensi, 1073 (ibid, V).

 

Après quez le château de Peyrepertuse fut devenu un fief royal (vers 1242), le Peyrapertusès devint une viguerie royale qui comprenait Duilhac, Rouffiac‑des‑Corbières,Padern,Mouillet,Soulatge, Camps, Cucugnan, Palayrac, Paza et Cubières. En 1370, il comptait 150 feux, réduits à 63 en 1387.

 

Prepositure de Petra Pertusa, 1347 (Arch. Vat. Collect.) ; La chastellenie de Pierrrepertuse ,1370 (H.L. X) ; Petrapertusensis, 1521 (Cros‑Mayre. Hist. Comt. Carcas.)