LE COMTE DE RAZES
et le
DIOCESE D’ALET
Notices historiques par
LOUIS FEDIE
Membres de la Société des Arts et Sciences de
Carcassonne
Ancien conseiller général de l’Aude
L’édition originale de cet ouvrage a été
réalisée par Lajoux Frères
à Carcassonne en 1880
ALET Alektha. Aletha. Aleth
I
Alet sous les Romains
Alet se
recommande, à divers titres, à l’attention du savant comme à
celle du simple touriste. La nature semble s’être plu à faire de
ce coin de terre un site privilégié. Longé par le cours de
l’Aude, abrité de tous côtés par de hautes montagnes, le
territoire sur lequel la ville d’Alet a été édifiée forme un
bassin presque circulaire où s’épanchent les bienfaits d’une
Naïade qui lui prodigue, à la fois, les eaux fraîches du Théron
et les eaux thermales, qui jaillissent sur deux points
différents. Ce sol, qui produit les cultures maraîchères de
toute espèce et les fruits les plus savoureux, a dû être, dès la
plus haute Antiquité, un lieu de prédilection pour les habitants
de la vallée de l’Aude. Nous n’hésitons pas, par conséquent, à
considérer Alet comme ayant été un oppidum gallo‑celtique. L’un
des clans de cette tribu de Gaulois Atacins, qui habitaient les
bords du fleuve sacré, fondèrent, à une époque très reculée et
longtemps avant l’invasion romaine, le bourg d’Alekhta.
Si nous
cherchons des preuves à l’appui de notre opinion, nous en
trouvons dans la découverte de débris de poteries dont l’origine
ne saurait être contestée et qui ont été exhumés à des
profondeurs du sol à diverses reprises. Nous en trouvons aussi
dans les restes d’une galerie souterraine que l’on a mis à jour
en faisant des travaux de terrassement dans le parc qui avoisine
l’établissement thermal. Cette vaste excavation murée et voûtée
était peut‑être un silo, et peut‑être, aussi, une de ces
cavernes artificielles qui, en temps de guerre, servaient de
refuge à ces premiers habitants de la vallée. Nous devons
mentionner, enfin, les nombreux Peulvans en pierres levées qui
existent sur divers points du territoire, aux approches d’Alet.
Si les
populations indigènes qui habitaient, il y a vingt siècles, les
bords de l’Aude ont laissé peu de traces de leur séjour à
Alektha, nous pouvons, en revanche, y constater d’une manière
complète l’occupation romaine. Les piles indestructibles d’un
pont, dit le Pont du Diable, des restes de constructions en
ciment et en briques à crochets trouvés, il ya quelques années,
à proximité de la source dite les Escaoudos (NB :les chaudes),
enfin les médailles et monnaies romaines découvertes dans
l’intérieur de la ville ne laissent aucun doute sur ce point.
Nous allons
essayer de préciser quelles ont pu être la nature et
l’importance des établissements qui se rattachent à la conquête
romaine.
Le bassin
d’Alet forme le débouché de ce défilé qui s’appelle les
Gorges d’Alet, et c’est sur ce point que se rejoignaient
deux routes militaires, l’une venant du pays de Kerkorbz
(le Chalabrais), l’autre venant du Roussillon et de la haute
vallée de l’Aude. C’est sur la rive gauche, presque à la tête du
pont actuel, que les deux lignes se soudaient pour ne former
qu’une seule voie qui, après avoir franchi l’Aude, longeait les
flancs de la rive droite, escaladait les hauteurs, et par le col
ou passage de Saint‑Polycarpe se dirigeait vers le Narbonnais.
Les Romains
durent trouver insuffisant le pont en bois qui servait à
franchir le fleuve, et le remplacèrent par le magnifique pont en
maçonnerie, détruit en partie depuis un temps immémorial, et
dont on admire encore les piles qui paraissent indestructibles.
Ce pont a formé le sujet de deux légendes, l’une reposant à
faux, il est vrai, sur une donnée historique, l’autre engendrée
par les idées superstitieuses du Moyen‑âge. C’est à ce moment
des temps antiques que quelques annalistes ont appliqué ce
passage des Commentaires de César dans lequel il est fait
mention d’un pont sur le fleuve Atax qui fut bâti en un jour. Or
des esprits simples et crédules, tout en admettant cette
version, ne purent croire que la main de l’homme eût suffi pour
mener à bonne fin cette œuvre gigantesque dans l’espace de
vingt‑quatre heures, et trouvèrent plus commode de faire
intervenir l’esprit malin pour expliquer ce fait miraculeux.
Voilà comment le pont Romain d’Alektha fut appelé le
Pont du
Diable.
Quand on
examine avec attention les restes du Pont du Diable, on est
frappé des règles qui ont présidé à sa construction, et l’on
remarque que les ingénieurs romains ont donné à ce monument un
caractère exclusivement stratégique. Ce n’est pas pour relier la
ville d’Alet à la rive gauche du fleuve que ce pont a été
édifié. On ne s’est préoccupé que d’établir un passage pour une
nombreuse armée et de relier par un pont très solide les deux
rives de l’Aude sur un point où se réunissaient d’importantes
voies de communication. En effet, alors que partout ailleurs,
comme aux rochers de Cascastel, à Limoux, à Quillan les ponts
sur l’Atax consistaient en des ponts qui avaient pour tablier
des poutres et des madriers reposant sur des bancs de rochers ou
sur des piles informes, ici nous remarquons que les piles et les
culées, aussi bien que les arches, sont en pierre de taille
reliée par un ciment de premier choix. On remarque surtout que
le pont, au lieu d’être placé sur l’axe de la rivière, est
construit en faux équerre et en diagonale, ainsi que le prouvent
les amorces des arches et que la tête du pont sur la rive
droite, au lieu d’être dirigée vers Alet, suit une direction
opposée. Cela ne prouverait‑il pas que l’oppidum d’Alektha
n’avait alors que peu d’importance ?
Le pont une
fois construit, les romains jugèrent à propos d’y établir des
moyens de défense qui devaient protéger les chemins stratégiques
débouchant dans la vallée. Ils firent d’Alektha un de ces postes
militaires appelés Mansiones, c’est à dire stations
d’étape, qui étaient semés le long des voies prétoriennes. Le
créateur de ce poste militaire avait encore un autre but, celui
de pourvoir à la sécurité des riches familles gallo‑romaines qui
fréquentaient les thermes de l’ancien oppidum.
Quelle a pu
être l’importance d’Alektha pendant le cycle romain ? Cette
question a divisé les chroniqueurs et les annalistes. Nous
n’hésitons pas à nous ranger parmi ceux qui pensent que l’ancien
village gaulois demeura un simple village quand les Romains
eurent conquis la Gaule Narbonnaise, et voici quels sont les
éléments de notre appréciation. Dans sa géographie historique,
Pline ne fait aucune mention d’Alektha en parlant des villes de
cette province. Après cet éminent historien, les chroniqueurs du
Moyen‑âge appellent Alet vicum, bourg. D’un autre côté,
aucun monument, aucun édifice civil ou religieux d’origine
romaine n’a été découvert à Alet, qui soit de nature à faire
croire que l’antique oppidum eut été transformé, soit en cité,
soit en simple ville. On a cru trouver à Alet les vestiges d’un
ancien temple de Diane sur l’emplacement qu’occupent les ruines
de l’ancienne cathédrale de Sainte‑Marie ; mais rien ne prouve
que cette assertion soit fondée. On a voulu rattacher à
l’existence de ce temple païen la découverte d’un cippe ou autel
votif trouvé à Alet, et sur lequel figure l’inscription
suivante :
MATRI DEUM
CN POMP. PROBUS
CURATOR TEM
PLI. V.S.L.M
Nous ferons
remarquer qu’il y a une grande similitude entre cette
inscription et celle qui figure sur une plaque de grès
découverte aux Bains de Rennes, il y a plus d’un siècle, dans un
pan de vieux mur avoisinant la source de la Reine. Voici cette
inscription :
C.POMPEIUS QUARTUS. P .A.M.SVO.
La
contexture presque identique de ces deux inscriptions nous amène
à croire qu’elles sont l’œuvre d’un même personnage, et que Cneius Pompeius était simultanément fermier des thermes de
Rennes et des thermes d’Alet. D’un autre côté, nous savons que
les Romains avaient l’habitude de créer, à proximité de toutes
les stations balnéaires, un petit temple, souvent même un simple
sacellum, dédié à la déesse Hygie ou à la nymphe
Thermona qui présidait aux eaux minérales.
Nous
résumons donc notre opinion sur cette phase de l’existence
historique d’Alet de la façon suivante : les Romains, après
avoir, suivant l’usage qu’ils avaient adopté, changé le nom d’Alektha
en celui d’Aletha, créèrent dans cette localité un poste
militaire et un établissement balnéaire avec l’adjonction d’un
petit édifice religieux, spécial à ces sortes d’établissements
publics. Sous leur domination, l’oppidum gallo‑celtique
n’augmenta pas d’importance et demeura ce que les Romains
appelaient une villaria, un village.
Nous croyons
devoir compléter cet exposé de la situation d’Alet, sous les
Romains, en relevant l’erreur commise jusqu’à ce jour par divers
historiens qui prétendent que le nom primitif de cette ville fut
Electa. Nous nous croyons fondé à soutenir que le véritable nom
donné par les Romains à cette ville fut Aletha, et nous pouvons
invoquer à l’appui de cette opinion un passage de Catel et une
citation de Scaliger qui, commentant les anciens auteurs
appellent Alet tantôt castrum Aletense, c’est‑à‑dire
château et bourg fortifié d’Alet, et tantôt civitas Aletensis,
ville d’Alet ; car on donnait, quelquefois, au Moyen‑âge, le nom
de civitas à toute localité ceinte de murailles, ce qui fut le
cas du bourg d’Alet , sinon du temps des Romains, ce qui est
très douteux, du moins sous la domination wisigothe, quand le
bourg d’Alet eut été fortifié. Ce ne fut que sous le règne de
Charlemagne, quand l’abbaye d’Alet eut acquis plus d’importance,
que les religieux de cette abbaye adoptèrent pour le bourg
qu’ils possédaient le nom de Vicum Electum, d’où est venu le nom
d’Electa, qui a duré jusqu’au jour où la langue française ayant
détrôné le latin barbare du Moyen‑âge, on vit apparaître dans
les documents officiels l’appellation primitive d’Aletha
francisée et traduite par Aleth.
II
Alet au temps des Wisigoths
Quand les
Wisigoths furent maîtres de la Gaule Narbonnaise, ils
fréquentèrent, comme les Romains leurs prédécesseurs, les
thermes d’Alet. Puis, lorsqu’ils furent refoulés sur la rive
droite de l’Aude (*), ils firent d ‘Alet un de leurs points de
défense dans ce pays de frontières. A cet effet, ils
construisirent sur les bords d’un profond ravin qui, du levant
au couchant, coupe la plaine en deux parties presque égales, une
forteresse dont on peut encore reconnaître les vestiges.
Lorsque, quatre siècles plus tard, la ville d’Alet fut entourée
de la ligne de remparts qui sont encore en partie debout, le
château wisigoth servit de défense à la porte principale qui
donnait accès dans la ville. Cette porte faisant face au nord
existe encore. Elle porte le nom de Porte de Cadène, et
l’on peut remarquer qu’elle est flanquée des restes d’un château
fort, ainsi que le prouvent les pans de murs percés de
meurtrières, et dont l’épaisseur et la solidité ne laissent
aucun doute sur leur origine. Du reste une simple inspection
suffit pour prouver que l’arrangement, la coupe et la pose des
pierres diffèrent dans la construction du château et dans celle
des remparts. Le château est donc bien antérieur aux murailles
de la ville.
Les
forteresses wisigothes avaient sous leurs murs un établissement
religieux qu’on appelait Cella, chapelle. C’était une
maison conventuelle habitée par trois ou cinq religieux, et
renfermant un édifice public consacré au culte catholique.(NB :
Culte arien jusqu’en 589) Ce monastère et cette église n’étaient
jamais renfermés, au septième siècle, dans l’enceinte des
châteaux‑forts, parce qu’ils étaient destinés à devenir le
centre d’une agglomération, la première assise d’une villaria
qui ne tardait pas à se développer sous la protection de la
forteresse. Les religieux de ces prieurés, tout en attirant des
habitants autour de leurs pieuses retraites, exerçaient leur
ministère dans l’enceinte du fort et y prodiguaient, en même
temps, leurs soins aux malades. Ils étaient à la fois les
chapelains, les médecins, les infirmiers et les maîtres d’école
dans le village et dans le château‑fort.
Sur
plusieurs points du Rhedesium la forteresse wisigothe devint,
aux neuvième et dixième siècles, un manoir féodal qui absorba le
monastère, et finit par faire disparaître, dépouillant ainsi les
établissements religieux de leurs terres et de leurs revenus, et
leur enlevant les villages qu’ils avaient fondés. Il n’en fut
pas ainsi d’Alet, où le monastère, avant de devenir une
puissante abbaye, absorba la forteresse, et en fit à son profit
un moyen de défense.
Dans son
histoire des Ducs de Narbonne (*), Besse reproduit un document
qui nous fait connaître quelle était la situation d’Alet au
huitième siècle. Il cite un acte de 796 portant que,
antérieurement à cette époque, les moines du monastère d’Alet
avaient restauré les fortifications et rétabli le mur d’enceinte
qui, à un époque déjà reculée, protégeait le village. Ce
document prouve que dans le courant du septième siècle le
château‑fort existait déjà, et que le monastère et le bourg
d’Alet étaient, en outre, défendus par un mur d’enceinte tel
qu’on les construisait à cette époque, et consistant en un
assemblage de blocs de pierre énormes reliés entre eux sans
ciment et sans mortier, et surmontés d’un épaulement en terre
durcie.
III
Alet abbaye
C’est sous
le règne de Louis‑le‑Débonnaire, en 813, que le comte Béra 1° et
le comtesse Romille son épouse transformèrent le monastère
d’Alet, qui depuis un demi‑siècle avait été érigé en abbaye.
Béra, qui était comte de Razés et Marquis de Gothie, fut secondé
dans cette œuvre pieuse par de riches Espagnols réfugiés de ce
côté des Pyrénées.
La charte
d’investiture porte que ce monastère sera uni à l’église
Saint‑Pierre de Rome, sous la condition d’une redevance
consistant en une livre d’argent payable tous les trois ans.
Dans le même acte le comte Béra sollicite du pape Léon III le
don d’un fragment de la Vraie Croix en faveur de la dite abbaye.
Cette relique fut accordée, et elle prit place dans le trésor de
l’église. La formule de soumission et d’investiture porte cette
mention : Vicum Electum et Monasterium Santæ Mariæ.
Nous croyons
devoir faire remarquer que cette locution " Vicum electum ",
bourg choisi, fut employée alors pour la première fois, en
remplacement du nom de Aletha, qui fut repris seulement au
seizième siècle. Les religieux, désignèrent Alet sous cette
qualification de bourg d’élite, bourg privilégié que leur avait
conféré la cour de Rome en dotant leur église d’une relique très
précieuse. Quoi qu’il en soit, ce qualificatif devint, à dater
de cette époque et pendant six cents ans, le nom sous lequel fut
désigné le village d ‘Alet. Du reste, ainsi que cela avait eu
lieu sous la conquête romaine, le changement de nom des villages
fut fréquent pendant le Moyen‑âge, car les corporations
religieuses tenaient à effacer tous les souvenirs du paganisme.
En plaçant
l’établissement religieux d’Alet sous la domination directe du
pape, le comte Béra se prémunissait contre les atteintes des
abbés de Lagrassse et de l’archevêque de Narbonne toujours
avides d’annexions. D’un autre côté, en dotant richement cette
abbaye et en lui concédant de grands privilèges, il consolidait
son pouvoir dans cette vallée de l’Aude qui mettait en
communication le pays de Carcassonne avec les Pyrénées et une
partie des Corbières.
Les
religieux de l’abbaye d’Alet suivaient les règles de
Saint‑Benoît. Ils remplissaient avec zèle la mission complexe
que s’imposaient les moines de cet ordre célèbre. A l’étude, à
la prière et à la prédication ils ajoutaient les soins de
l’hospitalité à donner aux voyageurs. Ils étendaient leur
sollicitude aux malades qui venaient chercher un remède à leurs
maux dans les eaux bienfaisantes des piscines romaines.
Leur maison
était bien réellement un lieu de refuge et d’assistance. Dans ce
temps de prosélytisme chrétien ils mettaient d’autant plus
d’ardeur à la propagation du dogme catholique que leur ministère
s’exerçait dans une contrée où existaient des vestiges de
pratiques religieuses d’origine diverse. Dans l’esprit de cette
population mélangée, les rites druidiques avaient survécu et se
confondaient avec des restes du polythéisme romain et des
croyances sarrasines; et ce n’était pas une œuvre peu importante
et peu méritoire que de moraliser et civiliser des êtres
simples, farouches, tristes épaves pour la plupart, des bandes
armées qui, depuis quatre siècles, avaient constamment piétiné
ce sol.
A peine
transformée, l’abbaye acquit une grande importance. Quelques
années après que le comte Béra l’eut si libéralement dotée, son
fils Willemont unit cette abbaye à celle de Saint‑Polycarpe (*).
C’était le meilleur moyen pour couper court aux prétentions des
abbés de Lagrasse qui depuis longtemps convoitaient ce
monastère. L’union d’Alet et de Saint‑Polycarpe, séparés par une
très petite distance, était dictée par leur situation
topographique. Elle répondait aussi aux vœux de quelques riches
Espagnols qui, réfugiés dans le Rhedesium, pour échapper à la
tyrannie des sarrasins maîtres de leur patrie, consacraient une
partie de leur fortune à l’entretien des établissements
religieux, et qui témoignaient une préférence marquée pour
Saint‑Polycarpe, fondé par un de leurs compatriotes, et pour
Aletha qui devait en partie sa splendeur à des émigrés de leur
nationalité.
Une des
causes qui contribuaient aussi au développement de la puissance
de l’abbaye d’Alet consistait dans l’immense étendue de
territoire qui dépendait, et qui dépend encore, de cet ancien
oppidum gallo‑gothique. Fondée à une époque où la contrée était
presque déserte, Alet put se tailler un immense domaine qui
couvre une superficie d’environ quatre mille hectares. Nous
trouvons là une des preuves les plus concluantes en faveur de
l’ancienneté très reculée d’Alet. Aussi, dès que le monastère
eut pris rang dans la province, les prieurs de cet établissement
eurent le soin d’affirmer leur possession et d’éviter les
empiètements des seigneurs terriers du voisinage, en créant des
ermitages et des églises champêtres sur le territoire de la
communauté, afin d’y former ce qu’il est convenu d’appeler, de
nos jours, des sections de communes. C’est ce qui explique
pourquoi la commune d’Alet compte aujourd’hui trois hameaux
assez importants, et vingt‑deux métairies , et c’est ce qui
explique aussi l’existence, sur divers points de ce vaste
territoire, de ruines très intéressantes qui sont des restes de
chapelles champêtres.
Avec de
pareils éléments de prospérité, l’abbaye d’Alet ne tarda pas à
rivaliser avec celle de Lagrasse et à occuper une place des plus
marquées parmi les dix‑neuf monastères existant dans la
Septimanie, et dont le dénombrement fut fait, en 817, dans le
statut rédigé par le Concile d’Aix‑la‑Chapelle, que le roi
Louis‑le‑Débonnaire avait convoqué pour s’occuper de la réforme
du clergé séculier et régulier.
Les données
que nous possédons sur la phase que traversa l’abbaye d’Alet,
pendant les premières années du cycle carlovingien, sont assez
vagues. Cette époque nous apparaît entourée de légendes et de
récits poétiques qui ne sont pas, à proprement parler, de
l’histoire. L’un des ouvrages les plus complets que nous
possédons, l’Histoire du Languedoc de dom Vaissette, ne
nous éclaire que très imparfaitement sur le sujet. Les documents
authentiques, puisés dans le annales du neuvième siècle,
établissent même une certaine confusion au milieu de laquelle il
est difficile de se reconnaître, quand on étudie le passé
historique des abbayes de Lagrasse, d’Alet, de Saint‑Polycarpe,
et de Saint‑Martin‑de‑Lis, situées dans le Rhedesium. Les rois
Charles‑le‑Chauve, Carloman et Eudes avaient délivré, en faveur
de chacun de ces monastères, des chartes ou des diplômes
confirmant les dons et privilèges concédés antérieurement, mais
sans préciser en quoi consistaient ces privilèges et ces
possessions. D’un autre côté, les comtes suzerains de
Carcassonne, de Rhedae et de Barcelone, comme aussi les
archevêques de Narbonne, ne tenaient pas toujours compte des
actes émanant de la puissance royale. Ainsi, pour ce qui
concerne Alet, ce n’est qu’avec beaucoup de difficultés que nous
sommes parvenu à reconstituer son passé à cette époque
tourmentée pendant laquelle elle fut en rivalité et en lutte
avec l’abbaye de Lagrasse. Cette lutte éclata, surtout, à
l’occasion de l’union du monastère de Saint‑Polycarpe à l’abbaye
d’Alet.
Lorsque le
comte Willemond, fils de Béra, délivra aux abbés le droit de
possession de Saint‑Polycarpe il se fonda sur deux
considérations. En premier lieu, il croyait agir dans la
plénitude de ses pouvoirs de seigneur suzerain du Rhedesium, et
en second lieu il prétendait exécuter une décision du roi
Charlemagne. Les abbés de Lagrasse, qui avaient dans leur
dépendance le monastère de Saint‑Polycarpe, refusèrent de se
dessaisir de cet établissement, en prétendant qu’il était
compris dans l’assignat consenti en leur faveur par le grand
empereur.
La lutte
dura plus de deux siècles, et ne prit fin que lorsque, par une
bulle en date de 1117, le pape Pascal II ordonna que l’abbaye de
Lagrasse restituerait à l’abbaye d’Alet le monastère de
Saint‑Polycarpe dont lui avait fait don l’empereur Charlemagne,
et que les moines de Lagrasse avaient usurpé. Cette bulle
constatait aussi que la donation faite par cet empereur avait
été confirmée par une charte du roi Charles‑le‑Chauve.
La rivalité
des moines de Lagrasse n’avait pas entravé, pendant le dixième
et le onzième siècle, le développement de la puissance de
l’abbaye d’Alet, qui avait obtenu des comtes suzerains et des
riches seigneurs du Rhedesium des bénéfices considérables. C’est
pendant cette période que les moines d’Alet fondèrent divers
prieurés et plusieurs églises. Ils résistèrent efficacement aux
tentatives d’usurpation de quelques barons terriers qui
voulaient agrandir leurs domaines aux dépens de l’abbaye.
En 1059, un
événement des plus graves vint rompre la bonne harmonie qui
existait entre l’abbé d’Alet et le comte de Razès. Béranger,
vicomte de Narbonne et Guifred, archevêque de cette ville,
avaient pris les armes et luttaient pour se disputer la
possession de quelques fiefs. Pierre Raymond, comte de Razès,
avait pris parti pour l’archevêque. La Trêve de Dieu qui
avait été décidée dans une assemblée tenue à Toulouges, petit
village du Roussillon, vint suspendre la lutte. Cette trêve fut
violée par le comte Pierre‑Raymond, qui enleva de l’église
Notre‑Dame d’Alet deux chevaliers qui y avaient cherché asile,
et qui étaient innocents. Après quoi il fit pendre l’un d’eux
qui était un proche parent du vicomte de Narbonne. Ce fait est
consigné dans la plainte qui fut portée, la même année, devant
un concile. Le vicomte de Narbonne fit ressortir, dans son
plaidoyer, cette circonstance aggravante que l’église abbatiale
d’Alet offrait un asile d’autant plus inviolable qu’elle
renfermait un fragment de la Vraie Croix, " mirificum lignum
dominicum ". Nous croyons devoir faire remarquer, à propos
de cette pieuse relique, que les Bénédictins d’Alet avaient tenu
à avoir une église qui fut digne de la contenir. Aussi, en 1013,
quand l’abbaye déjà très florissante, eut encore été enrichie
par les libéralités que lui avait values le redoublement de
piété provoqué par la crainte de la fin du monde prédite pour
l’an mil, les religieux ne purent se contenter de leur ancienne
maison conventuelle et de l’église en dépendant. C’est à cette
époque que fut construite la magnifique église dont on admire
encore les ruines. Dans les siècles suivants cet édifice
religieux fut modifié dans quelques unes de ses parties. Le
sanctuaire, notamment, accuse, par ses conditions
architecturales, une création qui date du quinzième ou du
seizième siècle, mais c’est, comme nous venons de le dire, au
commencement de l’onzième siècle que fut érigé le monument
grandiose dont les ruines sont encore de nos jours un juste
sujet d’admiration.
A la suite de la
bulle du pape Pascal II, une autre bulle de son successeur,
Calixte II, vint six ans plus tard, en 1123, confirmer en faveur
de l’abbaye d’Alet la possession des églises, châteaux et
villages dont voici le dénombrement :
Monastère de Saint‑Polycarpe avec toutes ses dépendances.
Monastère de Saint‑Paul de Fenouillet.
Eglise se Sainte‑Colombe sur l’Hers.
Eglise de Villeneuve (Cassaigne).
Eglise de Saint‑Martin de Celles (Villereglan).
Eglise de Payra.
Eglise de Castelreng.
Eglise Sainte‑Marie d’Espéraza.
Eglises de Verzeille (2)
Village de Flacian.
Château et village de Cornanel.
Château et village de Blanchefort.
Eglise Notre‑Dame d’Orbieu. (Aujourd’hui chapelle des Busquets,
près d’Auriac.)
Monastère de Saint‑Papoul avec toutes ses dépendances.
Ce qui
contribua à accroître la puissance des abbés d’Alet, c’est
qu’ils trouvaient un appui dans la politique des comtes du
Razès, lesquels avaient tout intérêt à user de l’influence
religieuse pour résister aux empiètements des barons de la
contrée, toujours turbulents en ambitieux. Ainsi c’est grâce à
l’appui du clergé que le vicomte Bernard Aton parvint, en 1124,
à soumettre les nobles rebelles du Razès. Le pape Calixte II
avait, avec juste raison, limé les dents de ces lions, en leur
enlevant des parcelles de leurs fiefs indûment agrandis au
détriment des abbayes d’Alet, de Saint‑Polycarpe et de
Saint‑Papoul.
Du reste, les
restitutions dont bénéficia l’abbaye d’Alet ne furent pas un
acte isolé de la part de la Cour de Rome. Le pape Calixte II
travailla activement à reconstituer le domaine de l’église, en
luttant contre les usurpations des barons terriers. Cette
doctrine fut inaugurée au Concile de Reims, en 1119 ; mais ce
fut au Concile œcuménique de Latran, en 1123, que furent décidés
les canons destinés à consolider les conquêtes de l’Eglise. Il
est à remarquer que dans ce concile, le nombre des abbés mitrés
fut plus considérable que celui des évêques.
Soutenus dans
leurs luttes contre la féodalité par le pouvoir supérieur des
comtes suzerains de Razès, les abbés mitrés d’Alet pouvaient
compter aussi sur l’appui de la Cour de Rome. En 1196, le pape
Urbain II, après avoir visité Toulouse et Carcassonne, se rendit
à l’abbaye d’Alet où il arriva le 18 juin, et le lendemain il
officia pontificalement dans l’église de Notre‑Dame. En quittant
Alet, le pape se dirigea sur Saint‑Pons, sans visiter les autres
abbayes de la contrée. Cette visite du Souverain Pontife prouva
combien les abbés étaient puissants à Rome.
L’abbaye
d’Alet parvint à l’apogée de sa puissance sous la direction de
l’abbé Pons d’Amély qui, vers 1160, fit clore de murs la ville
d’Alet. Les fortifications qu’avait fait élever Gayraud,
deuxième prieur de ce monastère, en 796, étaient demeurées
inachevées et n’avaient pas été entretenues avec soin. Pons d’Amély
prit si bien ses mesures et il disposait de ressources telles
qu’il put entourer sa ville d’une ceinture murale garnie de
tours et de bastions. Une partie de ces remparts existe encore,
et sur certains points ils sont dans un tel état de
conservation, qu’ils nous offrent un spécimen très remarquable
de l’architecture militaire de cette époque. L’ancien château
wisigoth servit de défense à la porte principale qui fait face
au nord et qu’on appelle, en patois – Porto dé Cadéno‑ porte de
chaîne. Une poterne appelée Porte d’Aude s’ouvrait aussi du côté
du nord, sur les bords de la rivière. Deux autres portes étaient
placées du côté du midi : l’une, appelée Porte Sainte‑Marie,
existe encore ; l’autre, désignée sous le nom de Porte de
Roumanou, a disparu depuis quelques années.
Sauf la trouée
qui a été faite pour le percement de la route et qui a supprimé
les portes d’Aude et de Roumanou, la ligne de circonvallation
d’Alet n’offre pas de solution de continuité. Le mur est écrêté,
démoli en partie sur certains points. Les meurtrières sont
bouchées, mais l’ensemble des remparts existe encore après sept
cents ans, et depuis deux siècles on n’a rien fait pour leur
conservation. La forteresse wisigothique, devenue le
château‑fort de la ville pendant le Moyen‑âge, est conservée en
partie. On remarque encore de nos jours, à côté de la Porte de
Cadéno, cette importante masse qui servait de défense à cette
porte principale. Les murs d’une grande épaisseur sont conservés
en grande partie, et on peut encore visiter une ancienne salle
d’armes voûtée qui a été transformée en remise ou magasin.
En mettant
en défense sa ville abbatiale, Pons d’Amély n’avait pas eu la
prétention d’en faire une place forte et d’adopter un système de
fortifications comme il en existait à Carcassonne et à Rhedae.
D’un autre côté, il n’avait pas voulu se borner à faire une
simple clôture en maçonnerie comme il en existait autour de
plusieurs bourgs et villages de la contrée et que l’on appelait
des bastides. Il prit un moyen terme et il adopta un ensemble de
fortifications qui mettait la ville à l’abri d’un coup de main
et qui la protégeait contre les bandes de routiers qui
infestaient la province. Elle pouvait même résister à une armée
qui n’aurait pas été munie des engins de siège qu’on employait à
cette époque.
Le comte
Raymond‑Roger, à peine instruit du projet qu’avait l’abbé d’Alet
de fortifier sa ville, mit tout en œuvre pour s’y opposer. Mais
Pons d’Amély résista à son suzerain et il fut soutenu par les
comtés de Foix. Il prétendit avec juste raison qu’il ne faisait
qu’exercer un droit acquis ; attendu que dans le courant du VII°
siècle, la ville possédait une ceinture de murailles qui furent
détruites par les Sarrasins, et qu’il ne faisait que rétablir en
les complétant les anciennes défenses de la ville. Il fit
valoir, surtout, que s’il entourait sa ville d’une ceinture de
remparts c’était pour la mettre à l’abri des atteintes du roi
d’Aragon qui venait de s’emparer du Fenouillèdes, et qui
convoitait le pays de Rhedae. Les événements donnèrent raison à
l’abbé d’Alet. Quelques années plus tard les troupes du roi
d’Aragon s’emparèrent de la ville basse de Rhedae et vinrent
jusqu’aux portes d’Alet. La paix qui survint en 1192 entre le
roi d’Aragon et le comte Raymond‑Roger mit fin à cette guerre et
préserva la ville d’Alet.
Le ligne de
remparts qui entoure Alet de tous côtés offre un aspect des plus
pittoresques. Les assises des moellons de calcaire et de grès,
fortement cimentées, ont une teinte jaunâtre qui tranche
vivement, en été, au milieu des arbres verdoyants. En voyant
l’antique cité d’Alet encadrée de ses jardins baignés d’un côté
par les eaux du fleuve et de l’autre escaladant avec ses
remparts, la crête de la butte ou du mamelon auquel elle est
adossée, on croit voir l’une de ces villes de l’Herzégovine qui
ont conservé encore de nos jours l’antique physionomie de cités
guerrières.
IV
Le Couvent
A l’époque
où Pons d’Amély fit restaurer l’antique château et entourer de
fortifications la ville d’Alet, il élargit considérablement du
côté du levant et du midi le ligne de circonvallation
qu’embrassait la muraille de défense qui protégeait la ville à
l’époque mérovingienne, et qui avait été détruite à l’époque des
Maures. La ville avait plus d’étendue et bien plus d’importance.
La maison religieuse dont il était le supérieur avait pris alors
tout son développement, et cet édifice était l’un des
établissements monastiques les plus importants de la Septimanie.
On ne peut aujourd’hui que se faire une faible idée des
dimensions grandioses de cette construction. Les nombreuses
donations faites pendant le onzième et le douzième siècle aux
maisons religieuses avaient permis aux Bénédictins d’Alet de
consacrer des sommes considérables à l’agrandissement de leur
résidence et à la reconstruction de l’église qui en dépendait.
Le monastère
avait la forme et l’aspect des établissements religieux que l’on
trouve encore dans l’Asie Mineure. C’était plutôt une forteresse
qu’un couvent. Il occupait une grande partie de l’emplacement
que couvre aujourd’hui la petite ville. Longeant du côté du
couchant le cours de l’Aude et du nord un profond ravin, il se
reliait de ce côté au château, à cette ancienne forteresses
wisigothe que les moines avaient conservée et entretenue en bon
état de défense. Au levant et au midi de hautes murailles
servaient de clôture, et dans cette enceinte ainsi protégée on
trouvait une église, des chapelles, des jardins et de nombreux
bâtiments ayant chacun sa destination.
La partie
centrale du couvent, c’est à dire le préau, entouré de toutes
parts par les galeries du cloître, était placée au nord de
l’église. On peut encore se rendre compte de sa situation par un
reste de portique encore debout, consistant en une rangée de
pilastres supportant quatre arceaux à plein cintre qui, quoique
recouverts de badigeon, ont conservé leur caractère primitif et
formaient en partie la galerie du côté du levant. Comme dans
toutes les maisons monastiques, le cloître était en relation
directe avec l’église sur cette partie des ruines que l’on
appelle encore le cloître. C’est autour du cloître que se
trouvaient la salle capitulaire, les salles de conférence, les
cellules et le réfectoire des moines.
Du côté du
nord et du levant, le cloître se reliait à une cour intérieure
réservée aux frères et aux domestiques. Puis, au delà de cette
cour privée existaient, du côté du nord, les magasins, les
granges, les étables entourant une vaste cour commune pour le
service extérieur de la maison. Ces bâtiments et leurs
dépendances s’étendaient jusqu’au rempart et, par conséquent,
jusqu’à la Porte d’Aude placée sur cette partie des
fortifications qui avoisinaient la rivière. Puis, formant retour
du côté du couchant, ces bâtiments longeaient le mur de défense
bâti le long de l’Aude, et se rattachait aux jardins du couvent
qui formaient une terrasse le long de l’eau.
Du côté du
levant, il est difficile de préciser la ligne de démarcation du
couvent et de ses annexes. Tout ce qu’on peut affirmer c’est que
le couvent ne communiquant que de ce côté avec la ville, c’est
là que se trouvait la grande porte d’entrée de la maison
religieuse ouvrant par une rue qui communiquait avec l’extérieur
de la cité par deux grandes portes appelées Porte d’Aude et
Porte de Roumanou. Dès avoir franchi le grand portail du
couvent, et avant d’arriver aux bâtiments destinés à la vie
claustrale, on trouvait les salles des hôtes, le réfectoire et
les logements destinés aux voyageurs et aux indigents; car les
maisons religieuses exerçaient une large hospitalité, surtout
lorsque, comme à Alet, elles comptaient une nombreuse clientèle.
Le pont qui
reliait Alet avec la rive gauche de l’Aude avait sa tête à la
Porte d’Aude, et était situé à une très petite distance en amont
du pont actuel, qui ne date que du siècle dernier.
Lorsqu’Alet
fut devenu le siège d’un évêché, le couvent et ses dépendances
furent modifiés pour être appropriés à leur nouvelle
destination, et une partie de la maison monastique fut
transformée en palais épiscopal. Néanmoins, comme le chapitre ne
fut sécularisé que deux siècles plus tard, le couvent des
Bénédictins conserva, encore, jusqu’à un certain point, sa
physionomie et son caractère primitifs.
Que
reste‑t‑il aujourd’hui de l’antique abbaye d’Alet ? Une partie
de la galerie du cloître que nous avons signalée, quelques pans
de mur, les débris de pilastres d’une porte cintrée avec leurs
chapiteaux sculptés; en un mot, quelques lambeaux de ruines. Ce
sont là, avec la désignation de cloître que portent ces ruines,
tout autant de jalons épars qui peuvent aider à reconstruire,
par la pensée, le magnifique établissement qui servait de
retraite aux Bénédictins.
V
L'église abbatiale de Sainte‑Marie
La
construction de l’église abbatiale pourrait remonter au onzième
ou douzième siècle, et elle dut être terminée quand l’abbaye fut
parvenue à l’apogée de sa puissance. Les restes de cet édifice
nous offrent les caractères principaux de l’architecture romane
parvenue au plus haut degré de perfection. On peut en juger par
la richesse de l’ornementation et par leur exécution correcte.
C’était une
basilique à trois nefs. La nef centrale était séparée des
bas‑côtés par d’élégants piliers soutenant des arceaux à plein
cintre. On peut voir encore debout une partie de ces arceaux et
de ces piliers dans un état de conservation suffisant pour qu’on
puisse se rendre compte de la grandeur et de la majesté de cette
construction. Les assises sont formées de magnifiques grès
quartzeux d’Alet, dont le grain est si fin et dont la couleur
jaunâtre prend sous l’action du soleil une magnifique teinte
dorée.
Les murs
collatéraux sont conservés en grande partie. Leur architecture
est simple, et comporte peu d’ornements, tant à l’intérieur qu’à
l’extérieur.
Deux tours
étaient placées latéralement, encastrées dans le mur du nord qui
touchait au couvent. Elles correspondaient avec le milieu de la
nef. L’une de ces tours est rasée au dessus du premier étage.
L’autre, qui était encore debout il y a une quarantaine d’années
s’écroula, en partie, en 1840 ou 1841. Par une nuit d’hiver
toute la paroi du côté du midi se détacha tout d’une pièce avec
un bruit terrible, depuis le faîte jusqu’à la base, et laissa
debout l’autre moitié. On dirait que, à l’instar du rocher de
Roland, cette tour a été partagée par le tranchant de Durandal,
l’épée légendaire du preux chevalier, neveu de Charlemagne. La
partie demeurée debout se soutient par un miracle d’équilibre,
et on peut ainsi se rendre compte de l’architecture des deux
tours. Elles étaient carrées, et chacun des angles était garni
de colonnettes avec des chapiteaux de feuillages. Comme toutes
les tours accolées aux église de style roman, elles étaient
couronnées par une pyramide en charpente à quatre pans et très
obtuse. Une porte, sobre d’ornementation et placée près des deux
tours, mettait l’église en communication avec le couvent.
Sur le mur
collatéral, faisant face au midi, s’ouvrait une autre porte avec
une archivolte couverte de sculptures. On remarque encore les
vestiges de deux lions qui accompagnaient cette archivolte.
Enfin, du côté
du couchant se trouvait l’entrée principale, ainsi que cela
existe généralement dans les églises ayant la forme d’une croix.
L’abside,
placée du côté du levant, était la partie la plus remarquable de
cet édifice. On peut encore admirer ses belles proportions et
son style riche ; car elle était dans un état de conservation
suffisant pour faire apprécier son mérite, bien qu’elle soit
masquée à l’extérieur par les constructions qui la séparent de
la route. Elle est ornée de quatre colonnes de grès gris, uni et
fin comme de la pierre ponce. Les chapiteaux feuillus qui
surmontent une corniche élégante qui, malheureusement, tend à se
délabrer de jour en jour. Quelques auteurs semblent disposés à
admettre que cette église aurait été construite sur les ruines
d’un ancien temple de Diane ; mais c’est encore une de ces
erreurs si communes dans une contrée où la légende fantaisiste a
souvent pris la place de l’histoire. L’érection d’un temple
païen à Alet n’aurait pu être amenée que par la création d’une
ville d’origine hellénique ou romaine. Or, malgré les recherches
les plus actives, aucun historien n’a pu trouver à Alet la trace
d’un établissement fondé par les Grecs ou les Phéniciens du
littoral méditerranéen. D’au autre côté, aucun auteur latin, ni
aucun chroniqueur du Moyen‑âge n’ont fait mention d’aucune ville
romaine à côté des thermes d’Alet. Nous n’hésitons pas, par
conséquent, à admettre que l’église de Sainte‑Marie d’Alet fut
édifiée par les Bénédictins sur les ruines d’un ancien édifice
religieux qui n’était autre que l’église primitive du couvent.
En effet, le premier soin des moines d’Alet fut de bâtir un
édifice consacré au culte catholique en même temps que l’on
posait la première pierre du monastère. Après trois ou quatre
siècles, l’abbaye ayant acquis plus d’importance, et s’étant
enrichie de donations pieuses du clergé et de la noblesse, et
d’un autre côté le village d’Alet étant devenu une ville assez
peuplée, l’église primitive devint insuffisante. Elle dut donc
être démolie et l’on éleva sur son emplacement la basilique dont
nous venons de faire la description.
VI
Alet après la croisade contre les Albigeois
La croisade
contre les Albigeois porta un rude coup à l’abbaye d’Alet. Pons
d’Amély étant mort en 1197, les religieux se montrèrent divisés
sur le choix de son successeur. Les uns, dévoués aux intérêts du
jeune fils de Roger II, vicomte de Béziers, Carcassonne et du
Razès, à peine âgé alors de douze ans, tenaient pour Boson. Les
autres, en majorité, élevèrent à la dignité abbatiale Bernard de
Saint‑Ferréol, syndic du monastère de Saint‑Polycarpe.
Bertrand de
Saissac qui, d’après le testament de Roger II, était tuteur du
jeune Raymond‑Roger ne voulut pas ratifier ce choix. La majeure
partie des moines ayant résisté à ses injonctions, Bertrand de
Saissac se rendit à Alet avec une troupe d’hommes d’armes,
chassa de son siège Bernard de Saint‑Ferréol, et le tint en
prison pendant trois jours. Puis il fit procéder à une nouvelle
élection en présence du cadavre de Pons d’Amély, qu’il avait
fait installer sur sa chaire abbatiale, et Boson fut proclamé
abbé.
Boson
demeura fidèle à Raymond‑Roger, et quand les croisés se furent
emparés de Carcassonne, il se mit sous la protection du comte de
Foix. Le cardinal Conrad porta plainte contre lui au Concile du
Puy, et les prélats réunis dans ce concile donnèrent raison au
légat. On décida que Boson serait dégradé, et que les moines
d’Alet seraient chassés de leur monastère, et remplacés par des
prêtres séculiers. En outre, l’abbaye avec toutes ses
dépendances passerait au pouvoir de l’église de Saint‑Just de
Narbonne. Le Pape confirma cette sentence.
Les
Bénédictins d’Alet n’acceptèrent pas cette condamnation
imméritée, et ne se résignèrent point à à la spoliation dont ils
étaient victimes. Ils entamèrent en cour de Rome un procès qui
dura plus de dix ans. Enfin en 1233, à la suite d’une enquête
ordonnée par le Pape Grégoire IX, et qui prouva, entre autres
choses, que la mesure violente décrétée contre les moines d’Alet
avait causé une grande irritation dans le comté de Razès, la
sentence d’excommunication fut levée. L’abbaye d’Alet fut
reconstituée et les Bénédictins rentrèrent en possession de leur
monastère ; mais leur domaine fut considérablement réduit. La
cour de Rome les obligea à céder une partie de leurs biens à la
cathédrale de Narbonne. D’un autre côté, ils perdirent les
monastères de Saint‑Polycarpe et de Saint‑Papoul. Enfin, ils
furent dépouillés de quelques prieurés et plusieurs villages au
profit des lieutenants de Simon de Montfort.
Voici, au sujet
de cette spoliation, un détail qui offre un certain intérêt.
Après avoir perdu les plus beaux fleurons de sa couronne la
corporation d’Alet fut dépouillée d’une partie de ses revenus
mobiliers, et notamment de la leude sur le sel et du droit de
péage sur les radeaux – fustæ aquæ ‑ qui passait sous les
murs de la ville. Le bénéfice de ces taxes fut donné par Simon
de Montfort à l’un de ses sénéchaux.
L’abbaye
d’Alet se trouva donc bien amoindrie, et considérablement
appauvrie ; car la plupart de ses feudataires, petits
gentilshommes ou bourgeois, avaient été pressurés et même ruinés
par les armées des croisés. Sa puissance se trouva aussi
diminuée dans le comté de Razès, par suite de l’affermissement
des prérogatives royales. Dans cette situation, le prieur et les
religieux sous ses ordres ne formèrent plus qu’une modeste
corporation. Enfin, le dernier coup fut porté à la célèbre
abbaye lorsqu’après la mort de Simon de Montfort, le pape Honoré
confirma son fils Amaury dans tous ses titres, biens et
dignités. Celui‑ci éleva Limoux au rang de cité, de simple bourg
fortifié qu’il était jusqu’alors, et en fit la capitale du Pays
de Razès, titre auquel avait droit la ville d’Alet après la
chute et la destruction de Rhedae.
C’était en
1218 que la ville d’Alet avait subi un aussi triste sort. Ce fut
en 1318, un siècle après, qu’elle fut appelée à de nouvelles
destinées. Une bulle du pape Jean XXII créait un évêché dont
Alet était le siège, et dont la juridiction ecclésiastique
s’étendait sur tout l’ancien comté de Razès, et embrassait
cent‑onze paroisses.
Le premier
évêque fut l’abbé en exercice, Barthélémy, qui fut choisi par
les moines de l’abbaye auxquels s’adjoignirent, pour la
circonstance solennelle les religieux des monastères de
Saint‑Paul –de‑Fenouillet, qui était demeuré dépendance de
l’abbaye.
Un document
authentique nous donne la mesure de l’importance qu’avait à
cette époque la ville d’Alet. A l’Assemblée des Etats du
Languedoc, qui fut tenue en 1304 pour accorder au roi les
subsides nécessaires pour la guerre des Flandres, les consuls
des communautés ou paroisses chargées de la répartition de
l’impôt sur le tiers‑état, taxèrent chaque ville à raison d’une
quotité déterminée suivant le nombre de feux. Alet comptait cinq
cents feux taillables, et dut payer un subside de 280 livres
tournois.
La ville
d’Alet avait le rang de cité depuis la fondation de son abbaye,
c’est à dire depuis le règne de Charlemagne. Elle devint ville
royale dès qu’elle fut érigée en siège épiscopal.
Cinq siècles
se sont écoulés depuis que le dernier prieur de l’abbaye d’Alet
fit place au premier évêque d’un nouveau diocèse, et rien, sauf
quelques vestiges de ruines, ne semble rappeler aux générations
nouvelles l’ère si longue de prospérité de l’un des
établissements monastiques les plus florissants de la province
de Septimanie. Cependant les Bénédictins d’Alet ont laissé un
double souvenir qui s’est conservé, à travers les âges, après
l’extinction de leur maison conventuelle.
On ne
saurait oublier, en effet, que les abbés d’Alet firent de larges
concessions à leurs vassaux, et se montrèrent toujours prêts à
résister aux excès et aux empiètements du régime féodal. Ils en
furent récompensés lorsque, frappés d’excommunication après la
guerre des Albigeois, ils furent soutenus dans leur lutte conte
Rome et Simon de Montfort non seulement par la bourgeoisie, mais
encore par la population entière de leur domaine ecclésiastique.
D’un autre côté, les historiens les signalent au même rang que
les abbés de Lagrasse comme étant demeurés étrangers aux
querelle ardentes de la scholastique qui passionnèrent certains
esprits dans le clergé, au onzième et douzième siècles, et comme
ayant approuvé et pratiqué la doctrine de l’abbé Suger, l’habile
ministre du roi Louis‑le‑Jeune, en ce qui touche la conduite des
peuples et l’organisation de la société.
Dans un
autre ordre d’idées, il existe dans l’ancien diocèse d’Alet un
souvenir qui se rattache à l’exercice du culte, et qui remonte
peut‑être jusqu’à ces temps reculés où les Bénédictins
habitaient leur maison conventuelle d’Alet. N’est‑ce pas, en
effet, à ces religieux qu’il faudrait attribuer la création de
la magnifique liturgie qui, jusqu’à ces dernières années, fut en
vigueur dans le diocèse d’Alet ? Quoi qu’il en soit, et que
l’honneur de cette création doive revenir aux anciens prieurs de
l’abbaye, ou bien à l’un des premiers évêques qui leur
succédèrent, nous croyons devoir consigner ici l’impression qui
est demeurée dans l’esprit des populations de la contrée. Cette
impression se traduit par un sentiment d’admiration pour
certains chants du rituel de l’ancien diocèse. Si nous devons
admettre l’opinion de Châteaubriand sur l’origine de quelques
uns des chants de l’Eglise Catholique, et qui, d’après cet
éminent écrivain, auraient été inspirés par le mode rythmique
employé dans les chœurs dans l’ancienne tragédie grecque, il
faut reconnaître que le rituel d’Alet était de ceux qui
semblèrent se rattacher le plus à cette intéressante source.
C’est surtout dans les nocturnes, que l’on chantait dans les
cérémonies funèbres, que l’on retrouve un caractère émouvant et
grandiose traduisant les accents les plus expressifs de la
douleur humaine.
VII
Alet Evêché
L’histoire
d’Alet ne nous offre rien de bien remarquable pendant les
premières années qui suivirent l’institution de l’Evêché. Si la
ville ne perdit pas de l’importance qu’elle avait acquise sous
l’administration des religieux, elle n’augmenta pas en
population ni en puissance. La plupart des évêques ne résidaient
pas dans le diocèse et n’y faisaient que de rares apparitions.
D’un côté, le pouvoir royal se consolidait et, surtout, se
manifestait d’une manière de jour en jour plus efficace dans le
Languedoc. D’un autre côté, la bourgeoisie prenait corps et se
montrait quelquefois peu soumise, quand on portait atteinte à
ses droits et à ses prérogatives. Dans le courant du quinzième
siècle, un conflit éclata entre cette bourgeoisie et le pouvoir
épiscopal. L’évêque dut renouveler en faveur des bourgeois et
manants d’Alet les droits et les privilèges que leur avaient
concédés, antérieurement, les Bénédictins.
Nous croyons
devoir relever ici une singulière erreur accréditée dans la
contrée. On rattache l’époque où florissait la ville d’Alet à
cette phase de son histoire où elle était devenue le siège d’un
évêché. Nous tenons à rétablir l’exacte vérité et à démontrer
que ce fut, surtout, au douzième siècle, c’est à dire sous
l’administration des Bénédictins, qu’Alet avait acquis droit de
cité, et joua un rôle marquant dans la province. Sous ses
évêques, Alet avait un titre retentissant, comme chef‑lieu d’un
évêché, mais dans le fait son lustre et son importance n’en
furent point augmentés.
Il n’en fut
pas de même pour le territoire qui formait le diocèse. L’action
prépondérante des évêques produisit sur cette vaste étendue de
pays une heureuse influence en réprimant l’action toujours
envahissante du pouvoir féodal. Tel châtelain puissant, ou tel
petit gentilhomme, qui était tenté d’exercer une autorité trop
despotique sur ses vassaux, n’osait résister à l’évêque comte
d’Alet quand il intervenait ; et il intervenait souvent, pour
faire rendre justice aux malheureux vassaux.
VIII
La Guerre des Calvinistes
Vingt‑quatre
évêques avaient occupé le siège, les uns dans la plénitude de
leurs fonctions, quelques autres en commande, quand les Guerres
de Religion vinrent porter la désolation dans la contrée. Les
Calvinistes des Cévennes et du Pays Castrais franchirent la
Montagne Noire, et se réunirent à leurs co‑religionnaires du
Bas‑Razès et du Haut‑Razès, pour se répandre dans le diocèse
d’Alet. Ils comptaient de nombreux partisans dans la contrée et,
à deux reprises, en 1573 et 1577, ils s’emparèrent de la ville
d’Alet. Les membres du clergé et les catholiques laïques furent
chassés. Plusieurs maisons furent incendiées. La ville garda
toujours les traces de la dévastation dont elle fut victime à
cette époque. Une partie des remparts fut démolie, et la
ceinture murale d’Alet, l’œuvre du célèbre abbé Pons d’Amély,
subit de nombreuses brèches, fut écrêtée et réduite à l’état de
délabrement où on la voit de nos jours. Les quatre portes qui
fermaient l’entrée de la ville furent brûlées, et les bastions
qui les défendaient furent endommagés. Toutes les églises furent
détruites, ainsi que le couvent et le palais épiscopal. La belle
cathédrale de Santa‑Maria Electensis attira surtout la rage des
démolisseurs, et sa ruine fut aussi complète qu’elle l’est
aujourd’hui.
La seconde
église, l’église de Saint‑André, ne fut pas plus respectée que
la cathédrale, mais elle fut reconstruite peu de temps après, et
il est probable que l’architecte la rétablit dans son style
primitif. Ce qui prouverait, du reste, que la dévastation de cet
édifice religieux fut presque complète, c’est que pendant des
années l’une des salles voûtées de l’ancien couvent, servant de
salle du chapitre, dut être transformée en église cathédrale
pour la célébration des cérémonies du culte.
Les
historiens racontent que, lors de la première attaque dirigée
contre Alet, les catholiques vaincus par les religionnaires
quittèrent la ville et se réfugièrent dans un moulin fortifié,
où ils se défendirent avec un grand courage. Ce moulin était
situé sur la rive droite de l’Aude, en aval de la ville, et à
une distance d’environ deux kilomètres. On remarque encore ses
murs garnis de meurtrières qui ont résisté aux plus fortes crues
de la rivière.
Les ruines
d’Alet ont eu cette bonne fortune, fort rare de nos jours,
d’avoir conservé intacte la physionomie qu’elles avaient il y a
trois siècles. Si on n’a rien fait pour en assurer la
conservation, d’un autre côté on n’a rien tenté pour les
supprimer ou pour les défigurer en les utilisant. La ville a
gardé son caractère historique, son cachet d’antiquité. On
dirait une cité qui s’est endormie dans sa ceinture murale le
lendemain de ce grand désastre qui démolit, en grande partie,
ses remparts et ses monuments. Elle apparaît, de loin, comprimée
entre le fleuve et les montagnes qui la cernent, et comme noyée
dans un lac de verdure. Rien de pittoresque comme ces pans de
murs crénelés escaladant le mamelon auquel elle est adossée, et
transformés en clôtures de jardins ornés de fruitiers en
espalier et de cordons de vigne. On ne peut se défendre d’un
sentiment de tristesse et d’admiration devant le squelette de la
haute tour à moitié démolie.
Après ces
malheureuses guerres de religion qui, pendant la seconde moitié
du seizième siècle avaient porté la désolation, dans le diocèse
d’Alet et dans sa capitale, l’évêché fut possédé par cinq
évêques commanditaires qui, pendant leurs visites dans le
diocèse, résidaient au château de Cornanel. Un seul d’entre eux,
Pierre de Polverel, se fit remarquer par sa piété et sa charité.
Enfin, en
1637, le siège épiscopal fut confié à Mgr Nicolas Pavillon, le
saint évêque dont la mémoire, après plus de deux siècles, s’est
conservée avec les sentiments de profonde vénération dans la
contrée. Sous sa paternelle administration, la ville d’Alet
sembla, pour ainsi dire, renaître de ses cendres. Il fit réparer
l’église de Saint‑André qui devint la cathédrale. Il fit
construire le nouveau palais épiscopal. Il dota Alet du
magnifique canal d’irrigation et d’alimentation qui amène à la
ville les eaux du Théron, après avoir arrosé les jardins
potagers qui couvrent toute la petite plaine. Enfin, c’est à
Mgr Pavillon que l’on doit le bassin de captation de la
source thermale appelée les Eaux‑Chaudes, aujourd’hui détruit en
partie et qui sert de lavoir public. Mais là ne se bornent pas
les œuvres du pieux prélat. Il siégeait à titre de comte, titre
attaché à la dignité épiscopale d’Alet, aux Etats de la
province, et il défendait avec soin les intérêts de son diocèse.
Appelé à présider souvent, en l’absence du commissaire royal,
l’Assiette du diocèse, il donna une vigoureuse impulsion aux
travaux publics. C’est à lui, notamment, que l’on doit la
construction du chemin d’Alet à Quillan par Espéraza qui, entre
autres travaux d’art, comptait le pont sur l’Aude à Couiza. Le
pieux prélat qui, pendant sa longue carrière, donna tant de
marques de sollicitude aux habitants de son diocèse, semble
encore les protéger et les bénir après sa mort, car il repose au
milieu de ses anciens administrés, et on vénère encore de nos
jours son tombeau qui est placé au milieu du cimetière de la
ville dont il fut si longtemps le pasteur.
Six prélats
succédèrent à Mgr Pavillon jusqu’à la Révolution. L’un
d’eux, Nicolas de Fontaine, fut le modèle des vertus
chrétiennes, et mourut en 1708.
Le dernier
évêque fut Mgr Charles de Lacropte de Chanterac qui s’intéressa
vivement à son diocèse et y fit beaucoup de bien. C’est sous son
administration que fut construite la partie de la route de Paris
à Mont‑Louis qui traverse le diocèse et qui amena le percement
des gorges d’Alet sur la rive gauche de l’Aude et la
construction du pont d’Alet.
IX
Les Thermes d'Alet
Pour
compléter notre étude sur la ville d’Alet, après avoir passé en
revue les monuments historiques, nous devrions retracer les
phases historiques de ses thermes que nous avons signalés au
début de notre notice comme ayant été fréquentés pendant
l’occupation romaine. Mais la tradition locale est à peu près
muette sur cette question. Quelle a été l’importance de la
station balnéaire d’Alet pendant le Moyen‑âge ? C’est ce qu’il
est très difficile d’apprécier. Nous sommes cependant disposés à
croire que les eaux d’Alet, comme celles de Rennes et de
Campagne, ont été bien délaissées, non seulement pendant le
Moyen‑âge et la Renaissance, mais encore pendant le siècle
dernier. La source dite Las Escaoudos (NB : Les Chaudes) n’offre
aucune trace de constructions, à part les débris des thermes
gallo‑romains que nous avons signalés. On remarque, il est vrai,
de nos jours, les restes d’un travail de captation et de
concentration consistant en un bassin circulaire qui a dû être
une piscine ; mais actuellement ce bassin est devenu un simple
lavoir. Quant à l’établissement de bains actuel, il consistait
naguère en une modeste construction qui ne paraît pas avoir de
passé historique. Ce n’est que du moment que les sources sont
passées entre les mains du propriétaire actuel que la station
d’Alet a acquis une importance bien justifiée. Rien n’a été
négligé pour que les baigneurs trouvent dans cet établissement
tout le confort et tous les agréments qu’ils peuvent désirer.
Mais si dans
cette revue rétrospective des siècles passés nous n’avons rien à
dire sur les thermes d’Alet, il n’en est pas de même en ce qui
concerne la ville. Ses antiques monuments ont à peu près
disparu, mais elle offre encore un intéressant sujet d’étude,
quand on l’examine en détail.
Après avoir
franchi les Portes de Cadène et de Calvière, on s’engage dans un
labyrinthe de rues étroites. Puis à chaque pas ce sont des
restes d’architecture ancienne, tantôt une porte dont le linteau
est orné de sculptures, tantôt une croisée avec ses meneaux
finement travaillés. Plus loin on trouve une rangée d’arcades,
aujourd’hui bouchées avec de la maçonnerie, et qui faisaient
partie d’une galerie servant de promenoir. Il n’est pas rare de
retrouver des maisons en torchis dans chaque étage fait saillie
avec ses poutrelles ouvragées et qui s’avancent sur la voie
publique.
Si on
examine l’intérieur de certaines maisons, on est tout surpris de
trouver dans une demeure, souvent très modeste, un magnifique
escalier en pierre de taille avec sa rampe en fer. Beaucoup de
logis renferment encore de vastes salles garnies de hautes
boiseries. Certaines habitations sont séparées de la rue par une
petite cour complantée d’arbustes ou garnie de beaux arbres
baignant leurs pieds dans un mince filet d’eau ; car c’est
encore l’un des agréments de la ville d’Alet que d’avoir l’eau
courante dans les rues, grâce à la bienfaisante source du
Théron. Aussi, quand on parcourt cette ville, qui a su conserver
son ancien caractère, qui n’est pas encore modernisée, on
croirait se trouver dans une antique cité espagnole, tant il ya
a de noblesse dans ses édifices déchus.
En examinant
ces fières demeures qui semblent vouloir conserver leur passé
historique, on pense à cette ancienne bourgeoisie d’Alet qui,
vivant côte à côte avec un pouvoir ecclésiastique très puissant,
sut toujours défendre et conserver ses privilèges.
Reconnaissants des droits et immunités que les Bénédictins leur
avaient concédés, les habitants d’Alet soutinrent énergiquement
ces religieux, en 1228, dans leur lutte contre la Cour de Rome
quand l’abbaye avait été mise en interdit. Plus tard, après
l’institution de l’évêché, la bourgeoisie d’Alet sut, au
quatorzième siècle, obtenir la confirmation des droits et
privilèges considérables que les moines leur avaient concédés .
Enfin, à une époque plus récente, quand la division créée par
les Guerres de Religion eut pris fin, la bourgeoisie d’Alet prit
une part active aux tentatives que fit le Tiers‑Etat pour
conquérir sa place dans les affaires du diocèse.
Nous bornons là
le résultat de nos recherches historiques sur la ville d’Alet.
Nous n’avons d’autre ambition que d’exhumer des limbes du passé
les origines et les destinées des monuments qui ont un caractère
historique, et de conserver le souvenir de ces témoins du passé
et de la ville dont ils sont l’ornement.
Aussi, pour
remplir autant que possible le programme que nous nous sommes
tracé, nous croyons devoir signaler les ruines d’un ancien
prieuré qui était situé sur le territoire d’Alet, et qui
dépendait directement de l’abbaye et plus tard de l’évêché.
X
L'église de Sainte‑Croix
A une courte
distance en amont d’Alet, près des roches de Cascabel, existait
au Moyen‑âge une église avec un petit prieuré desservi par les
Bénédictins. Cet édifice religieux s’élevait sur la rive gauche
de l’Aude, dans un petit vallon fertile, fermé de tous côtés par
de hautes montagnes, et baigné du côté du levant par la rivière.
On l’appelait l’église de Sainte‑Croix. Un petit hameau
s’élevait à côté de l’église, qui était une chapelle votive
rattachée à l’église abbatiale d’Alet. C’était, selon toute
probabilité, un lieu de pèlerinage, comme il en existait tant à
cette époque, et comme on en voit encore de nos jours surtout
dans le Roussillon. Un pont, dont il reste encore quelques
vestiges, reliait cette église champêtre avec le chemin qui, sur
la rive droite, se dirigeait vers Alet.
Lorsque, en
1577, les Calvinistes, maîtres d’Alet, s’emparèrent des villages
qui l’environnaient, ils n’épargnèrent pas Sainte‑Croix. Un
document authentique, qui figure dans les archives de la commune
d’Antugnac, nous apprend qu’après avoir inutilement assiégé
l’église d’Antugnac, défendue avec succès par les catholiques de
la localité, un parti de religionnaires se dirigea sur
Sainte‑Croix et détruisit complètement l’église et les
habitations qui l’entouraient.
Il ne reste
aujourd’hui de cet édifice religieux que quelques débris de
maçonnerie épars sur le sol.
Le pont qui
reliait Sainte‑Croix avec la route fut également détruit, et les
piles furent rasées à fleur d’eau. On a récemment utilisé les
fondements de ces piles pour construire une passerelle destinée
au service du chemin de fer. Le tracé de la ligne passe entre
les ruines de l’église et la tête du pont.
A une très
petite distance de cette église on découvrit, il y a une
vingtaine d’années, plusieurs tombeaux de l’espèce dite tombeaux
wisigothiques, composés de dalles grossièrement équarries posées
de champs et recouvertes entièrement d’une autre dalle posée à
plat. Ces tombeaux, que nous avons pu visiter, ne contenaient
aucun objet symbolique, aucun attribut, soit religieux, soit
profane. Nous n’hésitons pas à croire que ce sont tout autant de
sépultures où reposent les restes des religieux bénédictins qui
desservaient l’église de Sainte‑Croix.
Là, comme
sur d’autres points de la contrée, nous avons reconnu que les
tombeaux dits wisigothiques, qui étaient une imitation des
tombeaux mérovingiens, ont été un mode de sépulture spécial et
exclusif adopté pour les religieux de divers ordres dans notre
contrée, pendant le Moyen‑âge et la Renaissance.
A part les
ruines de Sainte‑Croix, les hameaux dépendant du territoire
d’Alet n’offrent rien de remarquable au point de vue historique
et archéologique. Ces hameaux ou sections de communes sont au
nombre de trois. Le plus important, le hameau de Véraza, possède
une église et a été récemment érigé en succursale.
Le voyageur
qui visite les environs d’Alet se demande ce que signifie ce
massif de maçonnerie situé vis à vis la pointe de l’île, entre
la route et la rivière, et qui à la forme d’une pile de pont. Ce
pilastre à pans réguliers, avec revêtement en pierre de taille,
percé d’une petite fenêtre à sa face nord, est tout ce qui reste
d’un édifice très ancien, qu’on appelait l’ermitage de
Saint‑Benoît. C’était peut‑être la maison des champs des
religieux de l’abbaye, ou tout au moins un lieu de paisible
retraite pour les prieurs et les officiers du monastère.
L’histoire ni la tradition ne nous apprennent rien sur la
destination réelle de cet édifice.
XI
Droits
et coutumes d'Alet
Alet, comme
ville royale et chef lieu de diocèse, avait le droit d’être
représentée aux Etats du Languedoc par son premier consul. Le
diocèse était, en outre, représenté à cette assemblée
provinciale par un député élu à tour de rôle par diverses villes
et bourgs de la région dont nous aurons l’occasion de parler.
Le diocèse
avait aussi son assemblée particulière qu’on appelait l’Assiette
du diocèse, et qui tous les ans se réunissait à Alet, sous la
présidence de l’évêque ou de son grand vicaire. Le consul de la
ville faisait, de droit, partie de l’Assiette et y figurait
immédiatement après les députés nobles.
Alet était
le siège d’une cour bannerette, chargée de juger les affaires
civiles et criminelles du ressort. Or, ce ressort ne comprenait
que la ville et ses dépendances et un petit nombre des paroisses
des environs. Ce nombre, qui était de neuf, fut réduit à six
quand Espéraza fut devenu siège de justice. Néanmoins, la cour
d’Alet conserva ses privilèges dont le plus remarquable était le
droit pour ses membres de figurer en corps dans les cérémonies
publiques, en se faisant précéder d’une bannière armoriée. Cette
cour était composée d’un juge‑mage, d’un procureur
juridictionnel, d’un greffier, et de deux assesseurs du juge.
L’administration municipale de la ville se composait du viguier
ou juge‑mage de la cour et de quatre consuls, dont le premier
avait le titre de maire. Ces consuls étaient choisis dans les
diverses classes de la société. Ils étaient assistés d’un
conseil communal composé de douze membres.
Les coutumes
et privilèges d’Alet étaient considérables. Les Bénédictins
avaient fait aux habitants de grandes faveurs et des concessions
de diverses sortes : droits de voirie, droits d’affouage et de
forestage ; etc. Une charte de l’un des prieurs ou abbés appelé
Bertrand, et délivrée après la croisade contre les Albigeois,
portait confirmation de tous les droits et privilèges concédés
par ses prédécesseurs.
A côté de la
juridiction locale et du corps municipal fonctionnaient les
agents du roi et l’autorité diocésaine. L’Evêque était en même
temps seigneur et comte d’Alet et, à ce titre, il avait une
large part dans l’administration de la ville et du diocèse.
Cette organisation complexe ne pouvait qu’amener assez souvent
des froissements et même des conflits ; mais il faut rendre
cette justice aux consuls qu’ils ne laissèrent jamais amoindrir
les droits et les privilèges de leur bonne ville d’Alet. D’un
autre côté, les prélats qui furent placés tour à tour à la tête
du diocèse, se montrèrent généralement de bonne composition et
ne cherchèrent pas à abuser de leur pouvoir et de leur
influence.
Pendant les
premières années de la Révolution, la ville d’Alet devint
chef‑lieu de canton. Ce dédommagement lui était bien dû, comme
une faible compensation du rôle important qu’elle avait joué
jusqu’alors. Mais bientôt Alet perdit ce titre par suite da la
suppression de plusieurs justices de paix dans le département.
Les armoiries
d’Alet sont :
D’azur, à la
croix pattée, accotée de deux étoiles et posée sur une vergette,
le tout d’or ; la vergette brochante sur un vol abaissé
d’argent, soutenue d’une foi de même (deux mains étreintes).
L’écu accolé de deux palmes de sinople liées d’azur.
L’armorial
général de D’Hozier, dressé en vertu de l’édit de 1696 et déposé
en manuscrit à la Bibliothèque Nationale, a été publié, il ya
deux ans seulement à Carcassonne par M.A.C.P., pour la partie du
Languedoc qui se rapporte à notre département. Nous y trouvons
les nouvelles armes qui, aux termes de cet édit, étaient
concédées à la ville d’Alet :
" La communauté
des habitants du lieu d’Alet "
" De sable à un
sautoir d’or accompagné de quatre losanges d’argent. "
Les consuls
d’Alet n’adoptèrent pas, à ce qu’il paraît, ce nouveau blason et
tinrent à conserver leurs antiques armoiries.
Dictionnaire
Sabarthès
ALET : Commune,
canton de Limoux ; église paroissiale dédiée à St André.
Vicus Electum
et monasterium Sanctæ Mariæ , 813 (HL., II, pr. 23)
Monasterium
Beatæ Mariæ virginis quod vocatur Elettus, 1050 (Gall.Christ.
VI, Instr.c, 106)
Eleit, 1082 (H.L.
V) ; Alestum, 1099.
Ordon. XI) ; Allect,
1572 (Archiv Aude) ; Alet, 1585, (H.L. XII)
Ville et
cytté d’Alet, 1594, (Archiv, Aude) ; Alecta, 1739
(Gall. Christ)
L’église d’Alet,
dédiée à la Vierge et à saint Pierre, fut originellement une
abbaye de l’ordre de saint Benoît, fondée vers l’an 813 ; elle
fut érigée en cathédrale en 1318 par le pape Jaen XXII. Le
nouveau diocèse fut démembré de celui de Narbonne dont il était
suffragant. L’évêque de ce siège prenait le nom de comte d’Alet,
dont il était d’ailleurs le seigneur temporel.
Tableau chronologique des abbés d'Alet
Dom Vaissette
nous donne une liste des prieurs qui ont occupé le siège
abbatial d’Alet ; mais cette liste est incomplète, car elle
commence à Oliba qui était contemporain de Béra. Or avant Oliba,
Alet avait eu deux abbés.
760 (vers) X..
Le nom de ce premier abbé est inconnu
785 Gayraud ,
qui dans un acte authentique s’intitule secundus abbas.
810 Oliba I.
845 Oliba II
X... Inconnu
X... Inconnu
X... Inconnu
966 Benoît ;
abbé général de cinq monastères
X... Inconnu
X... Inconnu
1040 Grégoire
Géraud
X... Inconnu
1108 Raynaud I
1168 Bernard I
1173 Pons
d’Amély
1206 Bernard de Saint‑Férréol
1206 Boson (
Sans doute erreur de date)
1232 Udalger
d’Aniort (Célèbre famille occitane qui défendit la
cause cathare)
1267 Raynau II
1284 Bertrand
1303 Pierre
1312 Barthélémy,
dernier abbé
1. 1318
Barthélémy. En 1324, le pape l’envoya comme missionnaire sur les
bords du Danube.
2. 1336
Guillaume 1°. Natif d’Alzonne, abbé de Lagrasse.
3. 1345
Guillaume II. Ne résida pas à Alet.
4. 1362 Arnaud
de Villeroi. Assista au Synode de Lavaur et au Concile de
Narbonne.
5. 1376 Pierre
de Rabat.N’a pas résidé dans sa ville épiscopale et ne garda le
titre qu’un an. Il fut nommé à Saint‑Pons.
6. 1377 Robert
de Bosc. Ne résida pas à Alet.
7. 1390 Henri
1°.
8. 1399 Pierre
II. Ne fit que passer sans résider.
9. 1400 Nicolas
1°. Moine de l’ordre des frères‑prêcheurs.
10. 1409 Henri
II
11. 1419 Pierre
III d’Assalit. Religieux nommé par le pape. Il se trouva à Rome
dans deux circonstances remarquables. Il était né à Limoux.
12. 1441 Antoine
de Saint‑Etienne. Assista aux Etats du Languedoc réunis à
Montauban sous Charles VII.
13. 1443 Pierre
IV. N’occupa le siège que peu de temps.
14. 1448 Hélias
de Pompadour. Puissant à la Cour. Il n’occupa probablement le
siège qu’en commande.
15. 1454 Louis
d’Aubusson.Moine bénédictin.
16. 1455.
Ambroise de Camérato.
17. 1461 Antoine
Gaubert.
18. 1464
Guillaume d’Olivier.
19. 1485 Pierre
V. Se démit de ses fonctions au bout de deux ans.
20. 1487
Guillaume IV de Rochefort. Abbé de Montolieu.
21. 1508
Pierre‑Raymond de Guibert. Devient évêque de Lavaur en 1521.
22. 1525
Egidius.
23. ? Guillaume
de Joyeuse. Fils (sans doute frère) du vicomte Jean de
Joyeuse (seigneur de Couiza), fut pourvu de la charge
d’évêque à l’âge de 14 ans. Il n’entra jamais dans les ordres.
24. 1540
François de Lestang. Mourut en 1564.
25. 1564 Antoine
Dacqs, ou de Dax. Il mourut en 1579, après que les Calvinistes
eurent sacagé sa ville, démoli le palais épiscopal et détruit la
magnifique cathédrale Sainte‑Marie.
26. 1581( ?)
Christophe de Lestang. Il tenait l’évêché en commande pour
François de Joyeuse.
27. 1603 Pierre
de Polverel. Se fit remarquer par sa grande piété. Il
fut appelé à la Cour du Roi Louis XIII et nommé grand aumônier
de la reine‑mère Marie de Médicis.
28. 1622 Etienne
de Polver el. Frère du précédent.
29. 1637 Nicolas
de Pavillon. Prélat d’une grande piété, l’ami du pauvre, le
bienfaiteur de sa ville épiscopale et de son diocèse. (erreur de Fédié sur la particule car il n’était pas noble :
c’était un robin)
30. 1677
Louis‑Adolphe de Valbelle. Passa à un autre siège sept ans
après.
31. 1684
Victor‑Augustin de Melian.
32. 1698
Charles‑Nicolas de Fontaine. Mourut à Alet en odeur de sainteté
en 1708.
33. 1708.
Jacques Maboul. Ce prélat, homme de grand talent, prononça à la
Cour de France, en 1712, l’oraison funèbre du grand Dauphin,
fils de Louis XIV. Il mourut en 1723.
34. 1724
François de Boucaud. Mourut en 1762.
35. 1762 Charles
de Lacropte de Chanterac. Ce fut le trente‑cinquième et dernier
évêque d’Alet, et il clot dignement le liste des prélats de ce
diocèse. Il fut le bienfaiteur de la contrée. Il mourut en exil
en 1793 à Barcelone.
L'abbaye de Saint‑Polycarpe et ses
dépendances
L’Abbaye de
Saint‑Polycarpe est l’un des plus anciens monastères du pays de
Rhedez. Sa création est néanmoins postérieure à la fondation de
celle d’Alet, dont elle est voisine. Un noble espagnol du nom d’Attala
quitta sa patrie envahie par les Sarrasins (*), vint s’établir
dans le Rhedesium, et se retira dans un petit monastère, presque
un simple ermitage, situé sur les bords du ruisseau dit
Rieugrand, et qui portait le nom de monastère de
Saint‑Polycarpe. Attala devint prieur de cette maison
conventuelle et, grâce à ses richesses, la dota largement.
Charlemagne accorda à l’abbé Attala certains privilèges qui
furent confirmés et augmentés par ses successeurs,
Charles‑le‑Chauve et Louis‑le‑Débonnaire. Néanmoins ce n’est, si
nous pouvons parler ainsi, qu’à titre gracieux que l’on donna au
couvent de Saint‑Polycarpe le nom d’abbaye. Ce ne fut qu’un
simple prieuré qui, malgré les compétitions réitérées des abbés
de Lagrasse, demeura toujours sous la dépendance de l’abbaye
d’Alet. Du reste, jusqu’en 1090, les supérieurs de ce monastère
ne portèrent que le titre de prieur qui fut remplacé à cette
époque par celui d’abbé, sans cependant que les droits et
privilèges du couvent fussent augmentés, et surtout sans que
l’abbaye d’Alet renonçât à sa domination. En effet, dans un
concile tenu à Toulouse, en 1119, sous la présidence du pape
Calixte II, les seuls abbés qui eurent le droit d’assister à
cette assemblée, concurremment avec les évêques de la région,
furent ceux de Lagrasse, d’Aniane et d’Alet. Par conséquent, les
supérieurs des autres monastères de la contrée n’étaient que de
simples syndics ou prieurs. Ce fut précisément dans ce concile
que fut confirmée, au profit de l’abbaye d’Alet, la possession
des monastères de Saint‑Polycarpe et de
Saint‑Paul‑de‑Fenouillet.
Enclavé,
pour ainsi dire, entre l’abbaye d’Alet, celle de Lagrasse et
celle de Saint‑Hilaire, le prieuré de Saint‑Polycarpe ne pouvait
élargir son domaine qu’en créant des villages en dehors de sa
circonscription, et en transformant certains oppidums
wisigothiques perdus dans les montagnes. C’est une justice à
rendre aux religieux de cette maison que de constater la grande
part qu’ils prirent au développement moral et matériel des
populations. On leur doit la fondation des villages de Gaja et
Malras dans le Bas‑Razès, du hameau de Salles, près de Limoux,
de Luc‑sur‑Aude , Terroles, Peyrolles et Cassaignes dans le
Haut‑Razès. On leur doit aussi l’agrandissement des villages de
Bugarach et de Cornanel. Une charte du roi Eudes ou Odon, que
nous avons déjà citée, datée du mois de juin 898, confirme en
faveur du prieuré de Saint‑Polycarpe la possession de ces divers
villages qui étaient depuis longtemps sa propriété. L’œuvre de
ces religieux, qui furent de vrais pionniers et de vrais
missionnaires dans un pays presque sauvage, ne leur profita
guère ; car, par suite des usurpations des seigneurs voisins, le
couvent fut dépouillé de la majeure partie de ses possessions,
et ce ne fut que par suite de sa soumission à l’abbaye d’Alet
qu’il conserva une maigre partie de son domaine.
Ce serait
nous écarter des limites que nous nous sommes tracées que de
refaire après d’autres écrivains l’histoire de la grandeur et de
la décadence du couvent de Saint‑Polycarpe, pendant dix siècles
de durée jusqu'en 1773 date de la fin tragique du dernier
religieux, de celui qui, après la mort et le départ de ses
frères, avait voulu demeurer seul comme une vivante épave d’un
grand désastre. Ce sujet a été traité par un écrivain anonyme,
dans un livre remontant à un siècle et demi, intitulé
Histoire de Saint‑Polycarpe, et ceux qui sont venus après
lui n’ont fait que reproduire ce récit. Trente‑six abbés
supérieurs avaient dirigé le monastère, mais à partir de 1525 la
plupart d’entre eux le régirent sur commande.
Une petite
partie des constructions de l’abbaye de Saint‑Polycarpe est
encore debout. On remarque notamment quelques arceaux de
galeries claustrales qui donnent une idée des conditions
architecturales du cloître, lequel se rapprochait de celui de
Saint‑Hilaire qui est encore debout dans sa forme et ses
dimensions. L’église seule du couvent a été conservée et est
devenue l’église paroissiale du village. Son porche est surmonté
d’un clocher de forme carrée se terminant par une toiture
pyramidale comme celui de Campagne‑sur‑Aude.
Près du
village de Saint‑Polycarpe on trouve du côté du midi le hameau
d’Arque, et sur un terrain avoisinant on trouve les ruines d’un
vieux château auquel se rattachent quelques souvenirs
historiques. Les seigneurs d’Arque jouèrent souvent un rôle
assez marquant parmi les nobles de la contrée feudataires des
comtes de Rhedez, et qui étaient souvent en rébellion contre
leur souverain. Le château d’Arque fut démoli lors de la guerre
des Albigeois.
On a trouvé aux
environs de Saint‑Polycarpe des haches en silex et d’autres
traces de l’époque gallo‑celtique.
Dictionnaire
Sabarthès :
Saint‑Polycarpe ; Commune ; canton de Saint‑Hilaire. Eglise
Paroissiale dédiée à la Vierge ; on en voit les ruines au nord
de l’église actuelle qui fut l’église abbatiale. Ancienne abbaye
des Bénédictins (sous le vocable de Saint‑Polycarpe), fondée en
780 par Attala ; elle fut successivement soumise à l’abbaye
d’Alet et à l’abbaye de Lagrasse. En 1756, l’archevêque de
Narbonne refusa d’unir à l’hôpital de Limoux la mense
conventuelle (archiv. Com. Limoux, AA, 56) ; ses biens furent
unis au séminaire de Narbonne, 1771 (Arch. Com. Narbonne ;BB ;
Invent. Somm., II ; p 330)
Monasterium
Sancti Policarpi, situm in pago Redensi, 884 (HL. II) ;
Monasterium Sancti Policarpi…., super fluviam Rivograndi,
889, (ibid) ; Ad locum Sancti Policarpi, 1082, (ibid) ;
Villa Sancti Policarpi, 1108, (Arch. Aude) ;
Ecclesia Sancti Policarpi, 1119 (HL, V) ; Castrum de
Rivo Grandi, 1324 (Arch. Aude) ; Castrum de Rivo
Grandi prope Limosum, 1351 (Mah. II, 331) ; Sainct
Policarpy, 1594 (Arch. Aude) ; Saint Policarpe, 1781
(C. dioc. Narb.).
Terres du domaine de l'archevêque de Narbonne
ARQUES Archae
I
Le château. Le Prieuré
Par suite de la
division territoriale qui, à la suite de la guerre des
Albigeois, fut organisée vers la fin du treizième siècle, dans
le pays qui portait le nom de Rhedez, Arques devint
concurremment avec Couiza le chef‑lieu d’une importante
seigneurie. Il convient conséquemment de consacrer à cette
localité une notice particulière dans le résultat de nos
recherches sur le passé historique de cette contrée. D’un autre
côté, Arques possédant un château encore debout, qui et un
magnifique spécimen de l’architecture militaire du Mo
yen‑Age, se recommande, à ce titre, à l’attention des
archéologues.
On a
beaucoup écrit sur le château d’Arques, mais nul historien n’a
parlé du prieuré qui fut le berceau du village et dont on
remarque encore quelques vestiges. Outre cette lacune, nous
avons à signaler une confusion regrettable qui s’est établie par
suite de la similitude des noms entre les lieux d’Arques et
d‘Arquettes‑en‑Val, désignés tous deux dans les anciennes
chartes sous l’appellation de Archæ, Archas. Telles sont
les causes qui ont induit en erreur les historiens et les
chroniqueurs quand ils s’accordent tous à ne faire remonter qu’à
la fin du treizième siècle la fondation du village d’Arques.
Nous sommes loin de partager cette opinion, et nous avons tout
lieu de croire que, comme Alet, Couiza, Axat et bien d’autres
localités, la création d’Arques date du septième siècle. Notre
devoir d’historiographe est de citer, aussi brièvement que
possible, les preuves sur lesquelles nous nous appuyons en
avançant cette assertion.
II
La vallée
d’Arques a été pendant dix siècles ce qu’on peut appeler le
sentier de la guerre, à partir de l’invasion des Wisigoths,
jusqu’aux excursions des bandes errantes qui, sous le drapeau
des Religionnaires, ravagèrent ce malheureux pays, il y a à
peine trois cents ans. Cette vallée historique a son point de
départ sur les hauts plateaux des Corbières, qui forment la
ligne divisoire entre la plateau de Termes et le Pays de Rhedez
ou Razés. Elle aboutit à Couiza où elle rejoint la vallée de
l’Aude..
Après avoir
fondé la cité de Rhedae, au sixième siècle, les Wisigoths
entourèrent cette ville de forteresses pour en défendre les
approches. L’un de ces châteaux‑forts fut construit à Arques. On
l’appelait Arces, mot latin traduit du grec qui signifie
commandement. On retrouve quelques restes des substructions de
cet édifice dans le fondement des hautes murailles qui entourent
le donjon actuel.
Un document
très important qui faisait partie des archives d’Arques avant la
Révolution, et dont il nous a été donné de constater l’existence
faisait mention du château‑fort construit au septième siècle
dans la vallée d’Arques et le Réalsés.
A trois
cents mètres environ de distance du château, on trouve le
village d’Arques dont la création remonte à l’époque de la
fondation de la forteresse. Une cella, desservie comme à
Alet par trois religieux, s’élevait à l’entrée du village. On
peut encore, de nos jours, se rendre compte de l’emplacement
qu’occupait ce petit prieuré, car il existe des vestiges de cet
établissement dans le jardin du presbytère.
Il y a
quelques années à peine, en faisant des travaux de tranchée sur
le côté nord de la place du village, qui est contiguë à l’église
et à l’ancienne cella, on a exhumé plusieurs tombeaux
mérovingiens en pierre de taille, d’une seule pièce. C’étaient
les tombes des premiers syndics du petit monastère.
L’église,
ainsi que le prieuré d’Arques étaient placés sous l’invocation
de Saint‑Jean‑Baptiste. Nous en trouvons la preuve dans ce fait
que l’église d’Arques, tout en étant placée sous le vocable de
Sainte‑Anne, a Saint‑Jean‑Baptiste pour son premier patron. Du
reste, il est facile de reconnaître que cet édifice religieux
remonte à la plus haute antiquité, malgré les remaniements
successifs qui en ont altéré le caractère.
Au
commencement du IX° siècle, après l’investiture par Charlemagne
du premier comte de Razès, comme l’un de ses grands vassaux, le
château d’Arques, considéré comme une forteresse dépendant de la
couronne, passa au pouvoir du comte Guillaume et de son fils
Béra qui devaient le garder pour le roi de France. En même
temps, le prieuré et l’église firent partie du domaine dont
Charlemagne dota l’abbaye de Lagrasse. Mais l’abbaye de
Saint‑Polycarpe prétendit avoir des droits antérieurs, attendu
que le prieuré était desservi par des religieux qui faisaient
partie de sa corporation. Le conflit se dénoua au bénéfice de
l’abbaye de Lagrasse, qui devint propriétaire de l’établissement
religieux d’Arques et qui, en outre, exerçait certains droits
sur le château et les terres qui en dépendaient. A dater de
cette époque, les comtes de Razès purent disposer du château
d’Arques, mais sous la réserve des droits du roi de France et
des privilèges des abbés de Lagrasse.
L’un des
successeurs du comte Béra donna en arrière fief, et sous les
réserves que nous venons de mentionner, la château d’Arques à
l’un des seigneurs de sa cour. Nous voyons figurer, au XI°
siècle, un Béranger d’Arques parmi les nobles du comté.
III
Au commencement
du XII° siècle, un grand changement s’opéra dans les destinées
du village d’Arques. Le vicomte Bernard Aton, qui possédait
divers châteaux et villages dans le Razès, à titre de fiefs
dépendant de l’abbaye de Lagrasse, devait en sa qualité de
feudataire, rendre foi et hommage au nouvel abbé, appelé Léon,
qui avait succédé en 1110 à l’abbé Robert. Le vicomte n’essaya
pas de s’affranchir de cet acte de reconnaissance qui était
obligatoire pour les comtes de Razès, vis à vis de tout abbé
entrant en fonctions. Mais là ne se bornait pas cet acte de
soumission. Après avoir fait leur visite au grand dignitaire
crossé et mitré dans la salle d’honneur de l’abbaye, les comtes
de Razès étaient tenus, quand le nouvel abbé faisait son entrée
dans la cité de Carcassonne, de lui tenir l’étrier, de le faire
escorter, de le défrayer pendant son séjour dans cette ville et
de défrayer aussi les deux cents chevaliers qui formaient sa
suite.
D’un autre
côté, Bernard Aton chercha, à la même époque, à se rendre
favorable au comte de Foix, en renonçant à l’hommage que
celui‑ci devait lui rendre pour diverses terres du Razès. Cet
hommage consistait en la remise de trois chevaliers, cum tres
eminas de civada, ce qui signifie, en langue romane : avec
trois hémines d’avoine. L’hémine, usitée encore dans les
Corbières, équivaut à quarante litres.
Bernard Aton
pensait ainsi se créer des alliés dans la lutte qu’il allait
avoir à soutenir contre plusieurs seigneurs du Carcassez et du
Razès. Mais il fut trompé dans ses prévisions, car l’abbé de
Lagrasse et le comte de Foix soutinrent les nobles rebelles.
Parmi
ceux‑ci figuraient plusieurs barons du Razès que nous allons
citer. C’étaient les seigneurs d’Arques, de Latour, de Caramany,
de Puylaurens, de Roquefort, de Rebenty ou Able, de Pech
Saint‑Hilaire, de Pieussan, de Blanchefort, de Caderone, de Bezu,
de Montazels, de Soulatge, de Tournebouix et de Cassaignes.
Quand
Bernard Aton eut vaincu les révoltés et fut devenu le maître de
la situation, il obtint la soumission du plus grand nombre de
ces nobles et il confisqua la terre de ceux qui continuaient la
lutte. Le châtelain d’Arques fut dépouillé de son domaine qui
fut inféodé au seigneur de Termes. Or ce que la maison de Termes
tenait, elle le gardait bien.
Après s’être
ainsi vengé du baron d’Arques, Bernard Aton chercha aussi à se
venger de l’abbé de Lagrasse qui avait, paraît‑il, encouragé la
révolte. Il enleva à l’abbaye le prieuré et l’église d’Arques,
ainsi que les terres qui en dépendaient. Dans un testament, en
date de 1118, et qui est déposé aux archives de Montpellier, il
inscrivit la disposition suivante :
" Ego……concedo
et dimitto domino deo et Sancto Roberto de casa dei…..quid habeo
vel habere il villa quæ dicitur Archas, et ecclesiam ejus villæ.
Et proecipio ut Rotgerius filiis meus deliberet istam ecclesiam
totam monachis domus dei ut habeant eam liberam……
castellum
novum quid cognosminatur Arri actum est hoc testamentum anno
1118, regnante Ludovico VI, rege francorum. "
(Je cède et
abandonne au Seigneur Dieu et à Saint–Robert de la Chaise‑Dieu
tout ce que je possède et dois posséder dans le bourg qui est
appelé Arques, ainsi que l’église du bourg. Et j’ordonne que
Roger, mon fils, délivre cette église tout entière aux moines de
la Chaise‑Dieu pour qu’ils la possèdent libre. A château neuf
appelé d’Arry a été fait ce testament en 1118, régnant Louis VI,
roi des Francs)
Cette donation,
qui est mentionnée dans le Vie de Saint‑Robert, produisit son
effet et le monastère de la Chaise‑Dieu posséda l’église
d’Arques
IV
Grâce aux
libéralités de Bernard Aton dont il était devenu le fidèle
allié, Guillaume de Termes avait considérablement agrandi son
domaine. Ses possessions s’étendaient jusqu’aux bords de l’Aude.
Par un acte de 1154, il rendit hommage à Raymond Trencavel,
successeur de Bernard Aton, pour le bourg d’Arques et huit
autres villages qui composaient son nouveau fief. Dès cette
époque Arques ne fut plus une villaria, un village ; on l’appela
castrum, bourg fortifié, car il était entouré d’une ligne de
fortifications, comme Couiza.
Guillaume de
Termes est mort en 1163. Ses trois enfants : Raymond, Guillaume
et Rhitivinde, épouse de Bernard de Montesquieu, ne purent se
mettre d’accord pour le partage de la succession. Ils
s’adressèrent au vicomte Raymond Trencavel qui prononça une
sentence dans laquelle il est dit que les deux frères
possèderont, chacun pour moitié, le château d’Arques.
A la suite
de l’invasion du Comté de Razès par les armées de
Simon‑de‑Montfort, tous les châteaux et les villages appartenant
au seigneur de Termes furent mis en état de défense. Après
s’être emparé à la longue et malgré la plus vive résistance, du
château de Termes, le croisés attaquèrent Arques et s’en
rendirent maîtres. Le château fut complètement détruit et le
bourg eut le même sort. Un document authentique nous apprend que
les maisons furent incendiées et démolies. L’église et le
prieuré furent seuls conservés. C’est une bien triste et bien
sanglante page dans les annales d’Arques que le récit du sort
qui fut fait aux malheureux habitants de ce bourg. On ne leur
laissa pas même la consolation de pleurer sur les ruines de
leurs demeures et d’essayer de les relever. Chassés hors de
l’enceinte du village, il durent fuir dans les vastes forêts du
voisinage, n’emportant avec eux que ce qu’ils purent charger sur
leurs épaules. Ils eurent un sort aussi triste que celui qui fut
fait, d’après Du Mège – le commentateur de dom Vaissette,‑ aux
habitants de Coustaussa. Ce qui le prouve, c’est que dans
l’apanage qui fut créé en faveur de Pierre de Voisins figure le
droit d’affouage et de forestage dont jouissaient les
feudataires d’Arques. Donc, Arques n’existait plus.
Que
devinrent ces malheureux proscrits forcés d’abandonner leurs
maisons en ruine ? L’histoire ne nous le dit pas mais nous le
présumons, d’après un événement des plus dramatiques qui se
passa sur la grande place de ce bourg quelques années plus tard.
Olivier de
Termes avait fait, en 1247, sa soumission au roi de France et
s’était dessaisi, en faveur de son souverain, de tout ce qu’il
possédait dans le pays de Rhedae, à l’exception de deux ou trois
petits villages. Tout ce vaste territoire fut ajouté au riche
apanage que possédait déjà Pierre de Voisins, et celui‑ci fut
ainsi dédommagé de l’abandon des droits seigneuriaux qu’il avait
sur la ville de Limoux.
Nommé aux
fonctions de sénéchal de Carcassonne et investi du droit de
haute et basse justice sur son vaste domaine, Pierre de Voisins
se rendit, en 1265, sur les terres de sa seigneurie pour exercer
des poursuites contre ses vassaux dont il avait à se plaindre.
Voici, d’après dom Vaissette, le récit d’une sentence qu’il
rendit à Arques contre une femme accusée de sorcellerie :
" Anno domini
1265, Petrus de Vicinis, miles comitatus cum suis assessoribus
totam suam senescalium visitavit et multos sortilegas ultimo
supplicio multavit, inter quos fuit una foemina quoe dicebatur
Angela, loco de Labartha ætis 60. "
(L’an du
seigneur 1265, Pierre de Voisins chevalier comte visita toute sa
sénéchaussée avec ses assesseurs, et punit du dernier supplice
plusieurs sorciers et sorcières ; et parmi celles‑ci se trouvait
une femme qui s’appelait Angèle, du lieu de Labarthe, agée de 60
ans.)
La malheureuse
Angèle fut brûlée vive sur la place d’Arques, car la métairie de
Labarthe où elle résidait est située à une petite distance de
cette commune. On se demande quel était le crime de ces pauvres
gens accusés de sorcellerie et condamnés au bûcher. Le roi
Saint‑Louis douta de leur culpabilité, car en apprenant leur
exécution, il ordonna au sénéchal de ne plus avoir à connaître
des ces sortes d’accusations, réservant à ses officiers de la
justice royale la poursuite des crimes de sorcellerie. Pierre de
Voisins, le grand justicier, avait voulu par un acte de cruauté
frapper un grand coup et essayer de rétablir le calme sur les
terres de sa baronnie.
Les anciens
habitants d’Arques, et peut‑être avec eux d’autres proscrits,
erraient sans asile et sans pain dans les vastes forêts qui
couvraient les Corbières. Souvent, pendant les nuits sombres,
des feux s’allumaient sur le Cardou et sur d’autres pics
dominant les montagnes. Les sons lents et macabres de la conque
marine et du cornet à bouquin retentissaient au fond des
vallées. C’étaient autant de signaux et autant d’appels
réitérés. Et alors, à travers les sentiers perdus, des groupes
compacts arrivant de tous les points de l’horizon, se
réunissaient sur une de ces grandes landes qui couronnent les
hauteurs voisines d’Arques. Une foule immense stationnait sur ce
point pendant de longues heures, écoutant tantôt les
incantations d’un fanatique, tantôt les prédications d’une femme
illuminée qui, comme la sibylle antique, récitait ses oracles.
On maudissait les vainqueurs, les francimans ; on se lamentait
sur les ruines qui couvraient le sol ; on pleurait le village
détruit et la cabane incendiée.
Au lieu de
prendre en pitié ces parias, ces misérables vivant comme des
fauves et devenus presque sauvages, Pierre de Voisins voulut les
dompter par la terreur comme il les avait déjà vaincus par le
fer et par le feu. Et c’est ainsi que des exécutions sanglantes
décimèrent cette population désespérée.
Le souvenir de
ces scènes terribles s’est perpétué dans la contrée sous la
forme de la légende rythmée. Si on interroge des vieillards, on
entend réciter l’antique complainte, Le Roman, alternant
ses strophes sans nombre, les unes en langue française, les
autres en langue romane, comme une mélopée des temps d’Homère.
Après la
mort de Pierre de Voisins ses domaines furent partagés entre ses
quatre fils. Le troisième d’entre‑eux Egidius de Vicinis –
Gilles de Voisins,‑ eut pour son lot la baronnie d’Arques et de
Couiza. Après avoir abandonné le manoir seigneurial de Couiza
que son père avait fait bâtir à côté du moulin et qui était
situé à l’extrémité de ses terres, il fixa sa résidence à Arques
qui se trouvait au centre de son domaine. L’ancien prieuré
devint sa demeure, grâce à quelques travaux d’appropriation dont
il reste encore des traces sur le côté ouest de la place. Son
premier soin fut de reconstruire le village tel qu’il se trouve
de nos jours avec sa magnifique rue que bien des villes
pourraient lui envier. Puis il mit tout en œuvre pour y attirer
de nouveau les anciens habitants et faire oublier le souvenir
odieux de son père. Il donna en emphythéose des maisons et des
terres. Il concéda à ses vassaux des droits d’affouage et de
forestage plus amples que ceux qu’avait accordés le seigneur de
Termes. Il y ajouta le droit de couper dans ses forêts des
arbres pour réparer les maisons, comme aussi pour faire des
instruments aratoires et des ustensiles de ménage. (Note de
Fédié ; Archives de la mairie d’Arques)
Si nous avions
besoin d’une preuve pour établir que le village d’Arques avait
été détruit et qu’il fut réédifié à cette époque, nous la
trouverions dans l’acte de création et de confirmation des
droits consentis en faveur des habitants par Gilles de Voisins.
En voici le texte :
" Cum nova
fuit bastida oedificata, ego, Egidius de Vicinis….. "
" Quand la
nouvelle bastide a été construite, moi Gilles de Voisins… "
On appela
bastides, au XIII° siècle, les villages et bourgs qui furent
reconstruits en grand nombre. Gilles de Voisin mourut en 1290.
V
C’est vers
la fin du XIII° siècle que, après la mort de Gilles de Voisins,
son fils Gilles II termina la construction du château d’Arques
que son père avait commencée. Nous en trouvons la preuve dans le
contenu d’une transaction, faite en 1301, entre ce seigneur et
les habitants d’Arques. Aux termes de cet acte, que nous
analyserons plus loin, parmi les terres que Gilles de Voisins
donnait en emphytéose, il se réservait les terres situées
autour du château.
La contrée
dont nous esquissons l’histoire subit à cette époque une grande
transformation. Le roi Louis IX, et après lui Philippe‑le‑Hardi,
avaient converti en forteresses royales plusieurs châteaux
féodaux, afin de protéger contre les Espagnols ce pays
frontière, et aussi afin de tenir en respect les nouveaux
maîtres du sol, les châtelains qui étaient pour la plupart des
chefs des Croisés enrichis par Simon de Montfort. Plusieurs
villes et villages furent créés. Les seigneurs imitèrent le
souverain. Comme lui ils construisirent de nouveaux châteaux, et
ils multiplièrent autour de leurs manoirs les moyens de défense.
Etait‑ce pour résister, au besoin, aux officiers du roi, ou bien
voulaient‑ils se prémunir contre la rébellion de leurs vassaux ?
Nous pensons que c’est dans ce double but que la contrée se
trouva bientôt couverte de châteaux‑forts et de villages
fortifiés que l’on appela des bastides.
Le seigneur
d’Arques suivit l’impulsion, et fut peut‑être l’un des
promoteurs de cette manifestation de la puissance féodale. Le
château qu'il fonda fut l'un des plus beaux spécimens de
l’architecture militaire de cette époque, et il est probable que
c’est en s’inspirant du souvenir de l’ancienne forteresse
wisigothe que Gilles de Voisins éleva ce monument grandiose sur
les ruines de cette forteresse. Bien que le donjon seul soit
actuellement debout avec quelques lambeaux de remparts, on peut
se rendre compte du plan général qui avait été adopté.
Le château,
distant de quatre cents mètres environ du village s’élevait sur
un mamelon bordé de trois côtés par des pentes peu élevées, et
se reliant du côté du couchant par un terre‑plein à la montagne
voisine. On remarque la même disposition de terrain pour les
autres forteresses wisigothes de la contrée. Ce mamelon est
couronné par un plateau assez étendu sur lequel on remarque les
ruines de vastes constructions ayant la forme d’un quadrilatère
allongé. Du côté du levant et du côté du couchant se dressait
une ligne de solides remparts dont une partie est encore debout.
Sur le côté nord s’élevaient des bâtiments destinés à divers
services. C’est là que se trouvaient les magasins, les étables
et tout ce qui se rattachait à l’exploitation du domaine
seigneurial. La partie du château faisant face au midi
renfermait le logement du seigneur, la chapelle et la salle de
justice. Elle se composait d’un bâtiment central et de deux
ailes formant chacune une tour carrée. L’une de ces tours a été
convertie en maison moderne. L’autre est encore debout mais
inhabitée. Sa partie inférieure est convertie en bâtiment
rural ; on y remarque encore une salle voûtée en bon état de
conservation. Entre les deux tours carrées et au centre de cette
façade du midi s’ouvre la porte d’entrée du château qui était
défendue par des herses, des mâchicoulis et un pont‑levis. Une
autre porte, munie également de moyens de défense, s’ouvrait du
côté du couchant.
Un large
fossé entourait le château, et était alimenté, d’un côté par un
ruisseau qui ne tarit jamais et qu’on appelle le Ruisseau du
Bosquet, et d’un autre côté par les eaux du Réalsès. Le donjon,
complètement isolé, touchait presque aux remparts du levant
auxquels il se reliait par des travaux de défense. Il était
séparé par un préau des bâtiments et des fortifications
garnissant les trois autres côtés de l’enceinte.
Le donjon,
qui excite de nos jours l’admiration des archéologues et des
touristes, consiste en une tour carrée flanquée à chacun de ses
angles d’une tourelle ronde reposant sur une élégante corniche
comme sur une console. Cette tour aux formes élégantes et
élancées est un des plus beaux spécimens de l’art gothique
appliqué à l’architecture militaire. Elle est percée sur
plusieurs points de meurtrières et garnie de mâchicoulis.
Quelques fenêtres gothiques à riches encadrements sont percées
sur les quatre faces. Le bois, ni le fer, n’entrent pour rien
dans cette construction qui, sous une forme si délicate, cache
une solidité à l’épreuve des ravages du temps.
La porte
d’entrée prenant jour du côté du midi est très étroite et se
termine par une ogive aiguë. Elle donne accès dans un
rez‑de‑chaussée d’une seule pièce qui prend jour par cette
ouverture. Un escalier à hélice, très étroit au point de ne
donner passage qu’à une seule personne, s’enroule dans une des
tourelles et dessert les deux étages de l’édifice. Le premier
étage se compose, comme le rez‑de‑chaussée, d’une seule pièce.
C’est une salle portant encore des traces de décorations et qui
communique avec les quatre tourelles. Sur l’un des côtés de
cette salle correspondant au nord, on remarque une haute
cheminée à large manteau. En face s’ouvre une fenêtre jumelle
surmontée de deux ogives tréflées et d’une acuité bien
prononcée. Le pavé de cette salle se compose d’un assemblage de
dalles si bien cimentées qu’elles semblent ne former qu’une
seule pièce. Ce pavé, d’une épaisseur de cinquante centimètres
environ, est percé en son centre d’une ouverture ou trappe ronde
qui a une circonférence de près de trois mètres, et qui servait
à mettre le premier étage en communication avec le
rez‑de‑chaussée au moyen d’une échelle.
La salle du
deuxième étage est dans un état de délabrement complet.
On remarque sur
la partie haute du donjon des créneaux et des meurtrières qui en
formaient le couronnement, mais qui sont presque entièrement
démolis, car la toiture a disparu depuis longtemps.
Ce donjon
qui s’appelait Turris de Archis, la tour d’Arques, était un
véritable fort dans la citadelle : c’était une immense ruche en
granit destinée à offrir toutes les conditions d’une résistance
efficace contre de nombreux ennemis. Il serait bien à désirer
que ce monument si remarquable de l’architecture militaire du
Moyen‑âge fut classé au rang des monuments historiques, et qu’on
y fit des travaux de restauration et de conservation
nécessaires.
A part le
donjon que nous venons de décrire, les autres bâtiments formant
bordure au midi et au nord du château n’offrent rien de
remarquable au point de vue de l’architecture. Autant qu’on peut
en juger par les lambeaux de murailles qui sont encore debout,
ces ruines semblent accuser trois époques différentes, ainsi
qu’on le remarque pour les vestiges des remparts de Rhedae. Les
soubassements de certaines parties pourraient bien être des
substructions appartenant à l’antique forteresse wisigothe. La
porte d’entrée seule a un caractère déterminé. On remarque sur
les restes du fronton circulaire qui la couronne des traces des
armoiries de la famille de Voisins qui se composaient de trois
fusées ou losanges. A propos de ce signe héraldique nous croyons
devoir faire une remarque qui a échappé jusqu’ici aux
historiens. Elle consiste en ce que les armes des de Voisins
étaient des armes parlantes. Leur écu était chargé de trois
losanges, que l’on a qualifiés mal à propos de fusées, attendu
que les deux angles obtus ne sont pas arrondis mais conservent
une certaine acuité. Ces trois losanges se composent chacun,
d’après nous, de deux V superposés en sens inverse, de façon que
le losange signifie la lettre V deux fois répétée. Or cette
lettre est le monogramme de la famille de Voisins ‑ Vicinis –
par conséquent nous nous croyons fondé à soutenir que la famille
de Voisins avait choisi pour ses armes son monogramme ainsi
disposé.
Après Gilles
II, son fils Gérant – ou Guirand – agrandit son domaine dans les
Corbières, tout en conservant Arques comme chef‑lieu de sa
seigneurie, et c’est à Arques qu’était le centre de sa
juridiction. D’après un dénombrement qui fut fait vers 1340, le
nombre de feux était de 263 dans la seigneurie d’Arques et
Couizan que possédait alors Guillaume II de Voisins.
On ne cite
rien de remarquable, intéressant la commune d’Arques, sous les
successeurs de Guillaume II de Voisins, lesquels continuèrent
d’habiter le château jusqu’au jour où Françoise de Voisins,
fille de Jean IV de Voisins et de Paule de Foix‑Rabat, épousa
Jean de Joyeuse et fixa sa résidence à Couiza.
VI
Nous avons
vu, dans notre notice sur Couiza, que dès le commencement de
XVI° siècle la branche des Voisins d’Arques s’éteignit et que la
seigneurie passa aux mains de la famille de Joyeuse qui fixa sa
résidence à Couiza. A dater de cette époque, l’histoire du
village d’Arques n’offre rien d’intéressant. Il ne nous reste,
par conséquent, qu’à dire quelques mots du château.
Comme bien
d’autres manoirs, le château d’Arques fut en butte aux armées
des Religionnaires, vers 1575. Les compagnies qui parcouraient
les Corbières, et qui y exercèrent tant de ravages, se ruèrent
surtout, avec fureur, sur tout ce qui appartenait au domaine de
Guillaume de Joyeuse qui était le chef de l’armée catholique.
C’est à cette époque que le château d’Arques fut presque
entièrement détruit. Seul le donjon résista aux attaques des
capitaines Rascles et Castelrens. Les Joyeuses, les Rébé, les du
Poulpry qui ont tour à tour possédé la seigneurie de Couiza et
Arques ne songèrent jamais à faire de ce donjon un lieu de
résidence ; car ce n’était qu’un fort, un poste militaire sans
importance et sans utilité. Ils conservèrent seulement, après
l’avoir restaurée, l’aile qui s’étendait du côté du midi et qui
servait de résidence aux agents du seigneur.
Pendant la
Révolution, le domaine seigneurial d’Arques fut vendu comme bien
national. Les parties du château qui étaient conservées subirent
le même sort et passèrent entre les mains de trois ou quatre
habitants de la commune qui en approprièrent une partie pour
leur usage personnel et démolirent le reste, du moins en grande
partie.
Le donjon
seul ne fut pas aliéné par le Domaine, et il est toujours resté,
depuis lors, au pouvoir de l’Etat. Cette considération milite en
faveur du vœu que nous avons émis en demandant que la Tour
d’Arques, si remarquable du point de vue archéologique, soit
classée parmi les monuments historiques du département.
Le bourg
d’Arques fut érigé en chef‑lieu de canton dans les premières
années de la Révolution. Mais par suite d’une nouvelle
organisation, le chef‑lieu fut transféré peu de temps après à
Couiza.
D’après
l’armorial de d’Hozier, publié par M.A.C.P., les armoiries
d’Arques sont : " De sinople coupé d’argent, chapé chaussé de
l’un en l’autre "
Dictionnaire
Sabarthès :
Arques. Commune,
canton de Couiza ; église paroissiale dédiée à saint
Jean‑Baptiste ; sénéchaussée de Limoux.
Villa de
Archis,1260 (Doat , 48) ; Per vallem de Arquis, 1320
(Ordon.I, 721) ;Arcas,1538 (Arch. Aude) ; Arques,1781
(C ;Dioc. Alet) ; Arquos (vulg.)
Roquetaillade
A huit
kilomètres de Limoux, au midi de cette ville et à l’ouest
d’Alet, au sommet d’une colline qui prend naissance dans un
étroit vallon où coule la rivière de la Corneilla, se trouve
bâti le vieux manoir de Roquetaillade. Avant les guerres de
Religion, Roquetaillade qui tire son nom de ces roches que l’on
dirait taillées par le ciseau était divisé en trois sections, à
savoir : le Casal, Saint‑Etienne et le Château.
Le château
Le château
de Roquetaillade était un véritable château féodal avec son
donjon très élevé, où se nichent encore quelques oiseaux de
proie, avec sa tour carrée, son fossé qu’alimentaient les eaux
du Pech, son pont‑levis, sa herse et enfin son fort avec ses
portes fermées. On devine sans peine que le château n’eut pas à
redouter la présence des protestants devant ses murs et que
ceux‑ci, découragés par la défense héroïque du seigneur et de
ses hommes, assouvirent leur haine contre les catholiques en
incendiant l’église et le village de St‑Eienne.
On ignore
quel fut le fondateur du château de Roquetaillade. Après la
guerre des Albigeois, le village de St‑Etienne et les villages
voisins furent inféodés par Simon de Montfort en faveur de l’un
de ses lieutenants, Lambert de Tury, dont la seigneurie
comprenait la ville de Limoux en partie, un grand lambeau du
Bas‑Razès, et tout le pâté de montagnes qui, des bords de
l’Aude, touchait au grand fief dont fut investi Guy de Lévis de
Mirepoix. Les héritiers de Lambert de Tury créèrent de petits
fiefs dans leur grand domaine, et c’est ainsi que, au
quatorzième siècle, prirent naissance les seigneuries de
Roquetaillade, de Castelrenc (l’ancien castrum Resindum), de
Tournebouix et de bien d’autres.
Le château
et les terres de Roquetaillade furent inféodés à un seigneur du
nom de Jean de la Rivière qui, en 1319, figure dans la réunion
des nobles de Carcassonne et du Rhedez, assemblés à Carcassonne
pour faire acte de foi. Les registres de l’Inquisition faisaient
mention du serment solennel prêté à cette occasion sur la place
du marché, et contenait la liste des seigneurs qui figurèrent à
cette cérémonie.
Le domaine
seigneurial de Jean de la Rivière passa plus tard aux mains d’un
seigneur du nom de Montfaucon.
Il est
constaté sur les registres d’état‑civil de Roquetaillade que le
seigneur de Montfaucon obtint de l’évêque d’Alet, en 1620,
l’autorisation d’inhumer sa fille dans l’église de Roquetaillade.
La famille
de Montfaucon de Roquetaillade donna le jour à un homme que le
département de l’Aude s’honore de compter parmi ses
illustrations, et dont le portrait figure dans le salon
iconographique du Musée de Carcassonne. Nous voulons parler de
dom Bernard de Montfaucon, fils de Timoléon de Montfaucon,
seigneur de Roquetaillade, de Conilhac et de Laprade. Dom
Bernard naquit, en 1655, au château de Soulatge qui appartenait
à la famille de sa mère. Bénédictin, savant antiquaire, membre
de l’Académie des Inscriptions, il composa deux ouvrages qui
sont de vrais monuments : l’Antiquité expliquée et Les
Monuments de la Monarchie Française. Il mourut en 1741, à
l’abbaye de Saint‑Germain.
LA SEIGNEURIE DE RENNES
La
seigneurie de Rennes fut créée vers la fin du treizième siècle,
au profit de Pierre, ou Perrot, de Voisins, à la suite d’un
partage du vaste fief qui avait été donné en assignat à Pierre
de Voisins, sénéchal de Simon de Montfort. Cette baronnie
comprenait, outre son chef‑lieu, l’ancienne cité de Rhedae,
devenue le village de Rennes‑le‑Château, divers bourgs et
villages dont quelques‑uns ont un passé historique intéressant.
I
CADERONE
Le château
et le village de Caderone existaient au XIe siècle. Il est
souvent question des seigneurs de ce nom dans l’histoire du
Languedoc. Pierre Arnaud de Caderone vivait en 1111. Il paraît
qu’il demeura toujours fidèle à Bernard Aton, comte de
Carcassonne et du Rhedez, car il ne figure pas parmi les nobles
rebelles qui, en 1124, firent leur soumission par un acte
authentique de foi et hommage.
Son
petit‑fils Hugues ou Ugo de Caderone jura, en 1172, l’assistance
à Pierre de Vilar, viguier de Rhedae. C’est probablement à lui
que la légende attribue le distique suivant :
Ugo, Seignou de Catarouno
Nou craignis rés hors lé qué trouno
(Ugo, Seigneur de Caderone
Ne
craint rien hors celui qui tonne (Dieu))
Son fils
Hugues ou Ugo II fut, lors de la guerre des Albigeois, l’un des
plus vaillants défenseurs du comte Raymond‑Roger. Après la
croisade ses biens furent confisqués. Cette famille dut
s’éteindre à cette époque, car l’histoire n’en fait plus
mention. Quelque drame terrible se passa peut‑être derrière les
remparts de ce château qui amena l’anéantissement de la
vaillante race des seigneurs de Caderone.
Le château
de Caderone ne fut pas détruit par l’armée de la croisade. Il
paraît que Pierre ou Perrot de Voisins l’avait conservé comme
manoir seigneurial où il résidait au commencement du quatorzième
siècle, peut‑être en attendant que le château de Rennes fut
restauré. Il existe, en effet, un acte de 1307 consistant en une
transaction passée au château de Caderone, entre les syndics de
Bugarach et Perrot de Voisins qui portait le titre de dominus
de Rhedes, de Albeduno et de Bugaraggio ‑ seigneur de Rhedes,
du Bézu et de Bugarach. Le village fut également conservé.
En 1357, les
compagnies de routiers firent les plus grands ravages dans le
Languedoc, elles détruisirent plusieurs châteaux et villages du
Rhedesium. Il est à peu près certain que c’est à ces bandes
redoutables que le château et le village de Caderone doivent
leur destruction ; car, à partir de cette époque, il n’en est
plus question dans les documents relatifs au Rhedesium.
Caderone ne figure pas parmi les paroisses de
l’évêché d’Alet. L’ancien fief seigneurial de Caderone devint un
simple domaine dans la mouvance des seigneurs de Rhedae.
Il est
difficile de préciser le point sur lequel était édifié le
château féodal de Caderone. Il s’élevait probablement aux bords
de l’Aude sur une masse rocheuse qui s’avance sur le fleuve, à
une petite distance de la résidence du propriétaire actuel de ce
domaine. Quant au village, la place qu’il occupait est marquée
par une propriété en culture qui porte une désignation
significative : elle s’appelle le Cimetière. Ce nom
semble conservé pour perpétuer le souvenir d’une grande
catastrophe.
Dictionnaire
Sabarthès
Caderonne,
hameau. château moderne et moulin surl’ Aude ; commune
d’Espéraza ; ancienne propriété du marquis de Roquefort.
Cadarona,1185
(arch. Malte.Magrie) ; Villa de Cadarona, 1231 (HL,VIII) ;
Caderonne, y ayant la marque d’un chasteau ruiné, une
metterie bastié à neuf, 1594 (arch. Aude) ;Caderone, 1807 (ibid).
Le compoix de 1714 mentionne l’ancien cimetière et l’ancienne
église qui était primitivement unie à celle de Campagne.
Sanctus Stephanus de Cadarona,
1294 (arch. Malte, Magrie) ; Rector de Campanha et Cadarona,
1347 (arch. Vat. Coll.) ; Catarouno (vulg.)
II
BLANCHEFORT Blancafortax
A l’entrée
de la vallée pittoresque qui, des bords du Réalsès conduit à
Rennes‑les‑Bains, on remarque d’un côté la montagne dite de
Cardou qui domine toute la contrée, et en face du Cardou on
voit une masse rocheuse de couleur blanchâtre appelée le Roc
de Blanchefort. Il y a quelques années à peine on remarquait
aux abords de ce rocher des vestiges de maçonnerie que le temps
a émiettés et dispersés. C’était tout ce qui restait du château
de Blanchefort.
Ancienne
forteresse wisigothe chargée de garder les approches de la cité
de Rhedae, Blanchefort fut inféodé, au XIe siècle, à l’un des
grands vassaux des comtes de Rhedez. Le village qui dépendait de
ce château était bâti du côté du midi, sur un large plateau
légèrement ondulé.
Les
seigneurs de Blanchefort ont leur place marquée dans l’histoire
du Rhedesium. Au commencement du douzième siècle, Bernard de
Blanchefort se met avec d’autres seigneurs de la contrée en
révolte ouverte contre Bernard Aton, vicomte du Rhedez. Comme
plusieurs autres châtelains, les seigneurs de Blanchefort
possédaient un château relevant du domaine des vicomtes, mais le
village avait été fondé par les moines bénédictins de
Saint‑Polycarpe, et les terres avoisinantes avaient été mises en
culture par ces religieux. L’abbaye d’Alet qui exerçait les
droits de celle de Saint‑Polycarpe, revendiqua la possession de
Blanchefort et une bulle du pape Calixte II, datée de 1119,
confirma, en faveur de l’abbé d’Alet, la possession de
Blanchefort : castrum de Blancafort.
Bernard de
Blanchefort refusa de se soumettre à cette décision et, aidé de
plusieurs autres seigneurs, il eut recours à la lutte armée
contre l’abbé d’Alet et contre le comte Bernard Aton, pour
conserver son domaine. Il y réussit, et c’est à cette condition
qu’il déposa les armes en 1124. Quand l’armée des Croisés
envahit le Rhedesium, le seigneur de Blanchefort lutta en loyal
chevalier sous la bannière du comte Raymond‑Roger. Après la
défaite, il subit le sort de la plupart des châtelains de la
contrée. Son château fut détruit, et ses biens confisqués
passèrent entre les mains de Pierre de Voisins. La destruction
du village date de cette époque.
Une légende
du pays attribue à la reine Blanche la fondation du château de
Blanchefort. Il suffit, pour prouver la futilité de cette
tradition, de constater que l’antique forteresse était détruite
depuis assez longtemps quand cette princesse se rendit aux
thermes de Rennes.
Une autre
légende, aussi fantaisiste, nous apprend que les souterrains de
ce château renfermaient une partie du fameux trésor des
Wisigoths. Pour expliquer l’origine de cette fable nous allons
citer un passage des Mémoires de l’Histoire du Languedoc
par Catel, conseiller au Parlement de Toulouse. Voici ce passage
extrait du volume édité en 1633 :
" Près des
Bains de Regnes, il y a eu des mines d’or et d’argent, et on
voit encore aujourd’hui de grandes cavernes et carrières d’où
les anciens en ont tiré. Si nous n’en trouvons pas en si grande
quantité, c’est que la dépense a été trop grande et que nous
n’avons pas l’industrie de savoir le tirer. C’est pourquoi nos
ancêtres avaient coutume d’aller chercher de grandes troupes
comme des colonies d’Allemands pour tirer ces précieux métaux."
Nous devons
ajouter que le puits principal qui donnait accès dans les mines
était creusé au pied des murailles de Blanchefort. On peut
encore, de nos jours, voir ce puits qui descend jusqu’à une
certaine profondeur. Les populations du Moyen‑âge croyaient que
les métaux précieux extraits de cette mine provenaient, non d’un
gisement incrusté dans le sol, mais d’un dépôt d’or et d’argent
en lingots enfoui dans les caves de la forteresse par ses
premiers maîtres les rois wisigoths.
En face de
Blanchefort se dresse le pic appelé Le Cardou qui était
célèbre, il y a trois siècles par une carrière de kaolin qui fut
exploitée pendant de longues années.
Dictionnaire
Sabarthès :
Blanchefort .
ferme, ancien château ruiné, commune de Rennes‑les‑Bains.
Castrum Blancafort,
1119 (H.L. V) ; Castrum Blancaforte,1162 (Gall.
Christ. VI) ; Blanchafort, 1231 (H.L, VIII) ; La Borde
de Blanchefort, 1807 (arch. Aude)
III
LE BEZU Albedunum
Le château
du Bézu, dont on peut encore admirer les ruines majestueuses,
était comme Blanchefort, une forteresse wisigothe. Il défendait
le chemin stratégique qui allait de Rhedae en Espagne. Rhedae au
couchant et le Bézu au levant, gardaient la vaste plaine du
Lauzet qui a dû être le terrain de bien des luttes.
Le château
du Bézu, qui s’appelait au Moyen‑Age tantôt Albefuvum et tantôt
Albedunum, est désigné par dom Vaissette sous le nom
d’Albedunum.
Le Bézu fut
inféodé par l’un des comtes du Rhedez à un seigneur dont nous ne
connaissons pas le nom. C’était un simple chevalier à qui son
suzerain donna sa forteresse. Il en prit le nom est se nomma :
Dominus de Albedunum. Nous voyons figurer les châtelains du Bézu
dans plusieurs actes, et l’un d’eux fit partie des nobles qui se
rebellèrent contre Bernard Aton.
Dom Vaissette
rapporte, mais sans entrer dans le détail, que le château nommé
Albedun fut assiégé par l’une des armées de Simon de Montfort
qui parvint à s’en assurer et le détruisit complètement. Les
ruines de ce château féodal, qui ne fut jamais reconstruit, sont
très intéressantes à visiter.
Le village
du Bézu et sa petite église, abritée derrière un pli de terrain
à une petite distance des ruines du château, sont placées dans
une situation des plus pittoresques.
A une petite
distance des ruines de la forteresse du Bézu on remarque, du
côté du levant et le long de l‘ancienne voie romaine, un manoir
du quinzième siècle ayant appartenu au seigneur de Rennes. Ce
manoir appelé château des Tipliés, fut détruit en partie par les
Calvinistes en 1573. On n’y trouve que quelques pans de murs et
des restes de deux tourelles.
Dictionnaire
Sabarthès.
Bezu (Le).
Ruines de l’ancien château féodal ; commune de Sain‑Juste et Le
Bézu.
Albezunum, 1231 (H.L.
VIII) ; Castrum de Albesune, 1262 (H.L. VII) ;Vallis
de Albedino, 1307 (Fonds‑Lamothe) ; De Albeduno, 1344
(H.L. X) ; Albezou, 1338‑1500 (arch.
Aude) ;
Albezu, 1406 (bibl. Carcas. 9551) ; Un fort nommé Le
Behuc, 1579 (H.L. XII) ; Albodinco, 1371‑1587 (bibl.
Carcas. 9551) ; Le Bezu,….où y a un vieux chasteau ruiné au
sommet d’un roc et une esglise aussi ruinée, 1594 (arch.
Aude) ; Le Besseu, 1647 (ibid) ; Ce lieu était aussi une
paroisse : Rector de Albeduno, 1347 (Arch. Vat. Collect)
IV
RENNES‑LES‑BAINS
On a
beaucoup écrit sur Rennes‑les‑Bains, et l’un des derniers venus
parmi les écrivains qui se sont occupés de cette station
thermale et Mr le docteur J. Gourdon qui, dans son livre
intitulé : Stations Thermales de l’Aude, nous a laissé
une étude assez complètes sur ce sujet intéressant.
Un seul
point est demeuré obscur pour Mr le docteur Gourdon comme aussi
pour les historiens ou commentateurs qui l’ont précédé. Nous
voulons parler du nom primitif de Rennes‑les‑Bains, et c’est
vers ce sujet que nous avons cru devoir porter nos
investigations. Cet écrivain, d’accord sur ce point avec
d’autres auteurs, constate qu’il n’existe jusqu’à présent aucune
indication précise à cet égard. Néanmoins, il admet, non sans
quelque hésitation, que cette localité est l’antique Redda, ou
plutôt la primitive Redda, dont le nom fut attribué plus tard,
dit‑il, à la l’oppidum construit sur la montagne voisine
(Rennes‑le‑Château).
Aucune
charte ni aucun diplôme n’applique ce nom de Redda aux thermes
de Rennes, pas plus qu’au village de Rennes‑les‑Bains. Cette
localité est désignée dans les titres seigneuriaux tantôt sous
le nom de Villaria de Balneis, tantôt sous celui de
Bains de Montferran, du nom du village de Montferran qui est
contigu. Mais ces désignations sont d’origine relativement
récente puisqu’elles étaient employées au XI° et au XII° siècle.
Ce n’est qu’au XVI° siècle que les thermes de Rennes, qui ne
formaient pas encore un village mais un simple hameau dépendant
de la communauté de Montferran, subirent ce changement. La
châtellenie de Rhedae, ou de Rhedez, fut morcelée et partagée
entre les descendants de Perrot de Voisins. L’un d’eux,
représentant la branche aînée, eut dans son lot une seigneurie
composée des villages de Rhedae, le Bézu, Saint‑Just, Montferran
et les Bains. C’est à cette époque que les thermes, dont nous
esquissons la monographie, reprirent leur nom primitif, le nom
qu’ils portaient à l’époque gallo‑romaine, et ce nom, qui s’est
conservé jusqu’à nos jours, est celui de Rennes qu’on écrivait
Règnes ou Reynes (en patois Reynès). Voici sur quoi
repose notre opinion.
Les sources
thermales, dans ces temps reculés, étaient toutes désignées par
un nom composé dans lequel figurait comme première lettre ou
comme terminaison le monosyllabe " ès ", qui en langue
celtique et plus tard en langue wisigothe signifiait eaux.
Ainsi nous pouvons citer Caudiès, Thuès, Reynès, Espira dans les
Pyrénées Orientales, Escouloubre dans l’aude, qui étaient autant
de sources thermales. Les sources de Rennes reçurent donc, dans
ces temps primitifs, comme la source similaire située au pied
des Albères dans le Roussillon, le nom de Reynès qui signifiait
eaux royales. Il nous reste maintenant à expliquer
comment le nom primitif de Rennes ou, d’après nous, Reynès, a
été rétabli à une époque relativement récente et a été conservé
depuis lors.
Dans le
dénombrement des seigneurs qui figurèrent le 25 mai 1529 à la
revue passée à Caunes‑Minervois par le connétable Anne de
Montmorency, se trouvait Gaufred ou Godefroi d’Hautpoul, baron
de Rennes, qui est ainsi qualifié : " Le seigneur de Reynes
et le Besum, un homme d’armes et deux archers. " Le nom de
Rennes et créé ou plutôt retiré d’un long oubli.
Tous les
écrivains qui se sont occupés de recherches sur les thermes de
Rennes s’accordent à signaler les résultats de nombreuses
découvertes faites sur deux points de cette commune. D’après un
mémoire lu en 1746 à l’Académie des Sciences de Toulouse, on
avait déjà constaté depuis plusieurs années l’existence aux
abords de la source de la Reine des restes d’une piscine en
marbre et des vestiges d’un édifice ressemblant aux thermes dont
on voit les ruines à Rome. D’un autre côté, on a découvert à
diverses reprises, dans la petite plaine qui s’étend entre le
village et le hameau du Cercle, des débris de sculpture et des
matériaux d’architecture qui pourraient bien être les restes
d’un temple. On a recueilli sur le même point deux statuettes,
des vases, des lampes en terre cuite, comme aussi beaucoup de
médailles de types variés avec des effigies de divers empereurs.
De l’ensemble de ces découvertes on a conclu que les thermes de
Rennes avaient acquis une certaine importance sous la domination
romaine ; mais nous pensons qu’on a été trop exclusif, et qu’il
convenait de faire une part aux Wisigoths dans la possession et
l’usage de ces divers objets de collection. Le voisinage de la
cité de Rhedae nous prouve que les familles marquantes de cette
nation devaient fréquenter les thermes de Rennes. D’un autre
côté, on a retrouvé dans les ruines des châteaux d’Arques et du
Bezu des objets pareils à ceux que les fouilles faites à Rennes
ont mis à jour. Enfin, personne n’ignore que les Wisigoths
possédaient en quantité des médailles romaines d’or et de
bronze.
Mais avant
les Wisigoths et avant les Romains, les sources chaudes de
Rennes existaient, et les Gaulois Atacins ont dû connaître et
fréquenter ce territoire, après lui avoir donné un nom, le nom
de Reynès. Nous en trouvons la preuve dans un travail de
recherches auquel nous nous sommes livré dans ces derniers
temps.
Il existe
sur la rive gauche de la rivière, au dessus de la source de la
Reine, un amas de cendres mêlées de détritus de diverse nature
que l’on avait cru jusqu’à présent être un amas de décombres
provenant de la démolition d’une maison romaine écrasée par la
chute d’une énorme rocher. Mais nous avons constaté que nous
nous trouvions en présence d’un tumulus remontant au temps des
Gaulois. Voici en quoi consiste ce tumulus de l’espèce appelée
motte ou éminence. Des travaux de tranchée opérés
en face de l’Hôtel de la Reine, sur le flanc de la montagne, ont
mis à jour, jusqu’au niveau de la route, une couche de cendres
pétries de charbons, d’ossements de poulets et de lapins,
d’arêtes de poissons, et d’écailles d’huitres de l’Océan. Parmi
ces débris de substances alimentaires figuraient quelques
briques à crochets et quelques fragments de poterie. Cette
couche cendreuse a quatre mètres environ de largeur sur une
épaisseur uniforme de quarante ou cinquante centimètres. Elle
forme une tranche horizontale tassée entre deux couches de terre
végétale. La croûte supérieure de cette terre a une épaisseur de
près de deux mètres et est couverte d’un bois des taillis de
chêne.
Parmi les
trois sources thermales de Rennes, la plus célèbre au point de
vue historique, la seule dont nous avons à nous occuper, est
celle que l’on appelle Bain de la Reine. Une vieille chronique
passée à l’état de légende, nous apprend que ce nom lui fut
donné par une reine du nom de Blanche. Nous devons constater que
d’après les recherches auxquelles nous nous sommes livré, nous
avons acquis la certitude que la légende est ici de l’histoirs.
La princesse de sang royal qui a donné son nom à la source de la
Reine, est Blanche de Bourgogne devenue reine de Castille par
son mariage avec Pierre‑le‑Cruel. La reine Blanche ayant fait un
long séjour au château de Pierre‑Pertuse (NB: aujourd’hui
Peyrepertuse), son histoire la lie plus intimement avec ce
château qu’avec celle de Rennes. Et c’est dans notre monographie
de Pierre‑Pertuse que nos lecteurs trouveront une notice sur
cette malheureuse princesse, et le récit de sa station à
Rennes‑les‑Bains.
A part sa
fréquentation au temps des Romains, dans des conditions qui nous
sont presque inconnues, le village de Rennes‑le‑Bains n’a pas
d’histoire. Ce n’est guère que depuis un siècle que cette
station balnéaire, trop peu connue jusqu’alors, a acquis une
importance qui va en grandissant de jour en jour et qui est
amplement justifiée.
On remarque
sur le territoire de Rennes‑les‑Bains les hameaux de Montferran
et Lavaldieu, auxquels se rattachent quelques souvenirs
historiques.
A proximité
de Rennes est le village de Sougraigne, l’antique Sogravia, qui
appartenait aux moines de Saint‑Polycarpe. La Salz, ou rivière
salée, prend sa source au dessus de Sougraigne.
Armoiries de
Rennes‑les‑Bains d’après de D’Hozier :
" De gueules, à
une croix alaizée d’or. "
Dictionnaire
Sabarthès.
Rennes‑les‑Bains : commune, canton de Couiza ; église
paroissiale dédiée à saint Nazaire et saint Celse ; la cure
était unie au chapitre d’Alet ; station d’eaux thermales ; :
cinq sources, dont trois sont thermales, ferrugineuses,
bicarbonatées ; deux froides, chlorurées, sodiques.
Ecclesia Sancti Nazarii de Aquis calidis,
1162 (Gall. Christ. VI) ; Balnei, 1307
(Fonds‑Lamothe) ; Rector de Balneis Montisferrandi, 1347
(arch. Vat. Collect.) ; Locus de Monteferando et Balneis,
1377 (Ordon. VI, 269) ; Regnes les Bains, 1406 (BibL.
Carcas .) ; Locus de Balneriis, 1371‑1589 (ibid) ;
Les Baingts,1594 (arch. Aude) ; Bains de Montferrand,
1632 (Gall. Christ, VI) ; Les Bans, 1647 (Arch. Aude) ;
Les Bains de Monferran, 1781 (c. dioc. Alet) ; Les
Bains, 1807 (Arch. Aude) ; Rènnos, les Bans de Rènnos
(vulg.)
Annexe
Livre IV
Châtellenie de Perre‑Pertuse (fragment)
Cette forteresse
fut renforcée par Saint‑Louis car, comme sa proche voisine
Quéribus, elle était située sur la frontière de l’Aragon. Des
maçons du nord édifièrent dès lors, sur le point sommital, le
donjon San Jordi où l’on accède par un escalier vertigineux ;
celui‑ci est taillé dans le roc, au sommet et en en bordure de
la falaise, qui est à cet endroit surplomb de 80 mètres au
dessus du vide. Du sommet, quelquefois balayé par la Tramontane,
on découvre un panorama superbe allant du château de Quéribus, à
l’est, au Pech de Bugarach (1231 mètres), à l’ouest.
Peyrepertuse demeura une place forte royale, servie par une
petite garnison, jusqu’au Traité des Pyrénées de 1659, qui céda
le Roussillon à la France.
Avec son voisin
le château de Quéribus, et les Gorges de Galamus toutes proches,
Peyrepertuse constitue le but d’une magnifique randonnée. Pour
les amateurs de légendes et de forteresses aériennes et
romantiques, c’est un site à voir absolument car il laisse à
tous ses visiteurs un souvenu durable et même, pour certains,
impérissable.
LA LEGENDE DE LA REINE BLANCHE
Comme
beaucoup d’anciens châteaux, Pierre‑Pertuse a sa légende, la
légende de la reine Blanche. Dans notre monographie de
Rennes‑les‑Bains, nous avons raconté sommairement que la femme
de Pierre‑le‑Cruel, roi de Castille, avait trouvé sa guérison
aux thermes de Rennes, et que depuis cette époque la source dans
laquelle elle s’était baignée avait porté son nom et s’était
appelée la Source ou le Bain de la Reine. Il nous reste à faire
connaître à nos lecteurs les circonstances qui amenèrent cette
malheureuse princesse à se réfugier en France, à y chercher un
abri dans le château de Pierre‑Pertuse, et à franchir la courte
distance qui séparait cette forteresse royale des thermes de
Rennes, pour aller chercher dans ces eaux bienfaisantes la
guérison de la maladie dont elle était atteinte.
Les
habitants de la contrée qui avoisine les ruines de
Pierre‑Pertuse, ont conservé la tradition du séjour de cette
reine déchue derrière les remparts du vieux château, et en font
le sujet d’un récit des plus poétiques. Voici le conte populaire
tel que nous l’avons recueilli dans les villages de Rouffiac et
de Duilhac.
A une époque
qui remonte bien loin dans le passé une reine d’Espagne, appelée
Blanche de Castille (NB : à ne pas confondre avec la mère de
Saint‑Louis), s’était réfugiée au château de Pierre‑Pertuse
pour échapper aux dangers qui menaçaient son existence. Traitée
par le gouverneur de la forteresse avec tous les égards dus à
son rang et à ses malheurs, elle passait ses tristes journées
tantôt priant dans la chapelle, tantôt se promenant dans la
campagne, à proximité du château. Les habitants des villages
voisins la vénéraient comme une sainte et la contemplaient de
loin avec une curiosité mêlée du plus grand respect quand elle
descendait à la fontaine qui coule au pied des remparts. Et là,
assise sous un vieux saule pleureur, dont les branches se
penchaient sur le cristal des eaux, elle passait de longues
heures à exhaler ses plaintes d’exilée et à pleurer sur sa
destinée de femme sans époux et de reine sans couronne. Un jour,
distraite par ses douloureux souvenirs, elle laissa glisser de
sa main un gobelet d’argent qui roula dans un précipice et fut
retrouvé longtemps après par un berger qui le vendit au seigneur
de Rouffiac. Ce gobelet, marqué d’un écusson aux armes de la
Castille était, avant la Révolution, au pouvoir du Trésorier
Royal du pays de Fenouillèdes résidant à Caudiès, qui le gardait
comme une relique des plus précieuses.
Pendant le
séjour qu’elle fit à Pierre‑Pertuse, et qui eut une durée de
cinq ou six ans, la reine Blanche entendant vanter les vertus
curatives des sources de Rennes, se rendit à cette station
thermale en litière, et accompagnée d’une nombreuse escorte.
Elle passa à Rennes toute une saison et n’en repartit que
complètement guérie de la maladie dont elle était atteinte, et
qui n’était autre que les écrouelles. C’est en considération de
son souvenir et de sa guérison que la source dans laquelle elle
s’était baignée porta son nom, à dater de cette époque, et
s’appelle encore de nos jours la Source de la Reine.
Rentrée à
Pierre‑Pertuse, Blanche de Castille y fit encore un long séjour.
Puis elle rentra dans ses états où elle mourut de mort violente
peu de temps après son arrivée.
Telle est la
légende de la reine Blanche, tel est, dans toute sa naïveté, le
récit qui nous a mis à même de compléter la biographie de cette
malheureuse princesse, en relatant un épisode que les
historiographes ont ignoré ou voulu passer sous silence. C’est
ici que la tradition locale est bien véritablement ce que
Cicéron appelait nuntia vetustatis, la messagère de
l’antiquité.
Voici, en effet,
ce que nous apprennent les historiens espagnols :
En 1350,
Pierre‑le‑Cruel succéda, à l’âge de seize ans, à Alphonse XI sur
le trône de Castille. En janvier 1352, il épousa Blanche, fille
de Pierre 1er, duc de Bourgogne, âgée de dix‑huit ans. Trois
jours après le mariage, il l’abandonna pour vivre avec Maria Padilla, sa favorite, et il la fit enfermer dans la forteresse
d’Illuca. Déjà irrités contre lui parce qu’il avait fait égorger
sans motifs plusieurs gentilshommes de sa cour, les grands du
royaume prirent parti pour la reine et se mirent en révolte
ouverte. La mère du roi, ainsi que son frère Frédéric et son
frère naturel, Henri de Transtamare, étaient à la tête des
révoltés. Pendant la campagne qui s’ouvrit, Pierre‑le‑Cruel,
après plusieurs engagements dans lesquels il fut tantôt
vainqueur, tantôt vaincu, finit par gagner la grande bataille de
Najera. Cette journée assura, pour quelque temps du moins, le
triomphe de Pierre‑le‑Cruel qui fit égorger son frère Frédéric,
deux infants d’Aragon et plusieurs seigneurs faits prisonniers
pendant la bataille. Le comte Henri de Transtamare, qui
commandait en chef les troupes liguées contre le roi, parvint à
se sauver, mais n’ayant plus d’armée et abandonné par les siens,
il fut obligé de quitter le royaume.
Nous
détachons de L’Histoire du Languedoc de Dom Vaissette le passage
suivant relatif à la fuite du prince :
" Zurita,
historien d’Aragon, dit que Henri, comte de Transtamare, ayant
perdu la bataille de Najera, s’enfuit à cheval en Aragon, et que
le gouverneur du château d’Illuca le conduisit , sans qu’il fut
reconnu, jusqu’à ce qu’il fut en sûreté dans le château de
Pierre‑Pertuse, d’où il se rendit à Toulouse. "
Ces lignes
ont à peine besoin d’être commentées pour nous donner
l’explication de la légende de Pierre‑Pertuse. Le complot formé
par Henri de Transtamare et le gouverneur d’Illuca ne pouvait
avoir pour but que de délivrer la reine et de l’arracher à une
mort certaine. Mais cette entreprise était un crime de
lèse‑majesté ; car la terrible formule ‑ Ne touchez pas à la
reine – était plus qu’une étiquette de cour : c’était une loi de
l’Etat de Castille que nul ne pouvait enfreindre, en dehors des
règles établies, sans s’exposer aux peines les plus sévères. Or,
l’historien d’Aragon écrivait à une époque où le culte des
prérogatives de la Couronne était un si grand honneur, que nul
n’aurait osé parler d’une entreprise pouvant porter atteinte au
prestige de la royauté. C’est ce qui semble expliquer la réserve
qu’il s’est imposée.
Grâce à la
protection de Jean de France, duc de Berry, qui commandait en
Languedoc, Blanche de Castille jouissait dans le château de
Pierre‑Pertuse d’une sécurité complète, et on lui rendait tous
les honneurs dus à son rang. Néanmoins, elle attendait avec
impatience que le sort lui fût favorable et lui permît de
rentrer dans ses Etats. Elle crut le moment venu lorsque, en
1361, l’armée du comte de Transtamare, jointe aux compagnies
qu’avait amenées Duguesclin, eurent remporté quelques succès. Se
croyant entourée d’une protection efficace, trompée peut‑être
par quelques fausses promesses du roi, elle quitta la terre de
l’exil pour rentrer en Castille. Mais Pierre‑le‑Cruel la fit
incarcérer quelques jours après son arrivée, et bientôt la
malheureuse princesse mourût empoisonnée dans sa prison.
Dictionnaire
Sabarthès
Peyrepertuse.
Ancien château féodal ruiné, commune de Duilhac ; il donna son
nom à une subdivision du Razés et devint chef‑lieu d’une
châtellenie. L’église, sous le vocable de Notre‑Dame, fut unie
en 1215 au chapitre Saint‑Just de Narbonne ; la présentation du
recteur appartenait, en 1404, au prieur de Serrabona, diocèse
d’Elne ; au XVIII° siècle, ce fut une simple chapelle, dépendant
de la paroisse de Duilhac.
Castellum
quem dicunt Petrapertusa, 1050 (Mahul, IV, 581) ;
Ecclesia Sanctae Mariae de Petrapertusa, 1115 (Doat, 55) ;
Rochapertusa, 1338 (Bull. Comm. Archeo . Narbonne,
VIII) ; Petrapertusia, 1343 (arch. Aude) ;
Capella Beatae Mariae de Petrapertusa, in castro regis
Francorum, 1404 (Mahul,IV, 588) ; Castrum de Petrapertusa,
1247‑1494 (Arch. Aude) ; Peyra Pertusa, 1538 (ibid) ;
Pierre Pertuise, XVI° siècle (Arch. Nat. J 961) ;
Nostre Dame de Peyrepertuze, 1639 ( Arch. Comm. Narbonne.
Invent. Roques, II, 443) ; Peyre Pertuze, chapelle, 1706
(Estat du dioc. de Narbonne) ;
Peyrepertusès
(Le). Territoire que les documents désignent tantôt comme un
pagus distinct, tantôt comme un suburbium du Razés ou du
Narbonnais. Il comprenait notamment les châteaux‑forts de
Peyrepertuse, d’Aguilar et de Quéribus ; il était borné à l’est
par le Narbonnais, au sud par le Fenouillèdes et au nord par le
Termenès.
Pagus Petrepertuse,
842 (H.L. II) ; Territorium Petra Pertusense, 876 (ibid) ;
In Pago Redensi…in suburbio Petrapertusense, 899 (H.L.
V) ; Territorium Petraepertusensis….in pago Narbonensi,
1073 (ibid, V).
Après quez le
château de Peyrepertuse fut devenu un fief royal (vers 1242), le
Peyrapertusès devint une viguerie royale qui comprenait Duilhac,
Rouffiac‑des‑Corbières,Padern,Mouillet,Soulatge, Camps,
Cucugnan, Palayrac, Paza et Cubières. En 1370, il comptait 150
feux, réduits à 63 en 1387.
Prepositure
de Petra Pertusa, 1347 (Arch. Vat. Collect.) ; La
chastellenie de Pierrrepertuse ,1370 (H.L. X) ;
Petrapertusensis, 1521 (Cros‑Mayre. Hist. Comt. Carcas.)
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