LA VRAIE
LANGUE CELTIQUE
ET
Le Cromleck de
Rennes‑les‑Bains
PAR
l’Abbé H. BOUDET
CURÉ DE
RENNES‑LES‑BAINS (AUDE)

CARCASSONNE
I
MPRIMERIE FRANCOIS POMIÈS ,
RUE DE LA MAIRIE , 50.
Droits de traduction
et de reproduction réservés.

AVANT‑PROPOS
Le titre donné à
cet ouvrage semble, au premier abord, trop
prétentieux pour être rigoureusement exact. Il est
facile , toutefois, d'en démontrer la vérité,
puisque la langue celtique n'est point une langue
morte, disparue, mais une LANGUE VIVANTE, parlée
dans l'univers par des millions d'hommes.
Le langage d'une
nation aussi puissante que l'était la nation
Gauloise , aurait‑il pu se perdre ainsi sans laisser
aucune trace ? Est‑il bien surprenant qu'un peuple
de notre Europe se serve encore, pour exprimer ses
pensées, des termes sortis de la bouche des hommes
aux temps les plus reculés du monde? Sans
doute, ce peuple,
qui cherche aujourd'hui avec ardeur à renouer le fil
de ses traditions interrompues , ignore les diverses
migrations de ses valeureux ancêtres, mais avec le
secours de sa langue nationale, il peut se livrer à
des recherches, qui, certainement, seront couronnées
du plus heureux succès
La langue vivante,
à laquelle nous faisons allusion, nous a puissamment
aidé à découvrir le magnifique monument celtique
existant à Rennes‑les‑Bains, et, de son côté,
l'étude de ce monument nous a conduit avec sûreté à
des déductions étymologiques qui nous semblent
difficiles à réfuter.
C'est ainsi que le
Cromleck de Rennes‑les‑Bains se trouve intimement
lié à la résurrection, ou, Si l'on veut, au réveil
inattendu de la langue celtique.

OBSERVATIONS
PRELIMINAIRES
Préoccupé de mettre
par écrit quelques remarques sur la station thermale
de Rennes‑les‑Bains, où Dieu nous avait appelé à
exercer le ministère paroissial, désireux de faire
revivre d'antiques souvenirs, nous pensions, à tort
ou à raison, que le nom de Rennes, renfermant sans
doute en lui‑même l'histoire du pays dans les temps
celtiques , nous découvrirait, par une
interprétation exacte, bien des choses intéressantes
au sujet des roches aiguës qui couronnent nos
montagnes. Deux pierres branlantes, placées sur une
arête de colline, nous invitaient aussi à interroger
avec persévérance un passé, d'ailleurs, fort
ténébreux. Mais comment
2
II
pénétrer le secret
d'une histoire locale par l'interprétation d'un nom
composé dans une langue inconnue, lorsque l'histoire
de la Gaule ancienne est encore plongée dans une
obscurité désolante?
La plupart des
peuples de l'antiquité ont laissé des écrits : ils
ont eu des historiens , des poëtes, et de leurs
récits, ou fabuleux ou fortement empreints de ce
patriotisme orgueilleux qui les exagère, défaut
commun à toutes les nations, on peut dégager les
certitudes de leur origine et les phases diverses de
leur développement.
Chez les Celtes, rien
de pareil : de toutes parts une nuit profonde. Des
chercheurs intrépides , des historiens illustres ont
poussé le plus loin possible leurs investigations
passionnées. Tous les écrivains de l'antiquité ont
été interrogés. La somme des connaissances acquises
reste toujours fort incomplète. Où trouver le
" flambeau " qui dissipera ces ténèbres? N'est‑ce
pas dans le vieux langage que nos pères nous ont
légué?
" Les dialectes , dit
J. de Maistre, les noms propres d'hommes et de lieux
me semblent des
III
mines presque
intactes et dont il est possible de tirer de grandes
richesses historiques et philosophiques. " (I).
Le dialecte
languedocien parlé dans nos contrées, ne paraît pas
une voie bien sûre pour que l'on puisse en la
suivant, conserver l'espoir d'arriver à un résultat
important. Néanmoins, cette voie, nous l'avons
parcourue avec patience, dans la ferme persuasion
que la Providence Divine dirigerait nos pas et nous
permettrait d'atteindre au but de nos efforts.
Lorsque le flambeau
que nous cherchions avec anxiété, s'est montré à nos
yeux, son premier rayon est tombé sur le nom des
Tectosages, et ce rayon nous a ébloui. Il était
nécessaire toutefois de ne pas se livrer pleinement
à l'imagination, et dans l'intention de nous
convaincre nous‑même de la réalité de cette lumière,
propre à éclairer les temps gaulois, nous avons
tenté de la faire réfléchir par les miroirs des
langues hébraïque, punique, basque et celtique. Le
résultat nous a paru sérieux, et avant de nous
servir du langage des Tectosages pour expliquer la
signification des monu‑
- Soirées
de Saint‑Pétersbourg 2e
entretien.
V
ments
mégalithiques de Rennes‑les‑Bains, objet premier de
nos recherches, nous
l'avons appliqué à l'interprétation des noms propres
pris dans ces langues diverses. C'est pourquoi on
trouvera, en premier lieu, dans ce travail ces
essais d'interprétation; car ils sont destinés à
servir de preuve décisive.

CHAPITRE PREMIER.
LANGUE CELTIQUE
I
PRÉCIS DE
L'OCCUPATION PREMIÈRE
DES GAULES.
Il n'est pas sans
utilité, croyons nous, de faire précéder cette étude
d'un rapide résumé des connaissances actuelles sur
la célèbre nation Gauloise. La Gaule a été le point
central de l'établissement définitif de la famille
Celtique dans les contrées occidentales de l'Europe,
et le nom même de gaule qu'elle a conservé, témoigne
de la domination persistante, dans ce pays, de son
peuple valeureux. Elle était comprise entre l'Océan,
les Pyrénées, la Méditerranée, les Alpes et le Rhin.
La partie méridionale, depuis le golfe de gascogne
jusqu'a la Méditerranée, a été occupée d'abord par
les
– 2 –
Ibères et les Ligures
venus de la péninsule espagnole.
Les gals, descendans
de Gomer, fils de Japheth, partirent de l'Asie
Mineure à une époque que l'on ne peut préciser, se
répandirent dans la Gaule en refoulant les Ibères
vers le sud, les ligures vers l'Est, et envahissant
l'Espagne, se mêlèrent aux Ibères.
Les Aquitains, tribu
ibérienne, résistèrent aux envahissements des Gals
et conservèrent leur position entre l'Océan, les
Pyrénées et la Garonne. Vers le seizième siècle
avant Jésus Christ, les Gals étaient les maîtres
incontestés de la Gaule.
La conquête de
l'Espagne par les Gals força les Ligures à se
déplacer, et, vers l'an 1400 avant Jésus‑Christ,
après avoir franchi les Alpes, ces derniers
fondèrent en Italie la domination des Ambras ou
Ombres, 647 ans avant la fondation de Rome.
C'est à cette
première branche de la famille gauloise, que,
d'après Am. Thierry, les anciens historiens
appliquent plus particulièrement le nom de Celtes.
Les Kimris formaient
la seconde branche de la famille gauloise Les Grecs
les nommaient Kimmerioi et les Romains les
appelaient Cimbri. En l'an 631 avant Jésus‑Christ,
les peuples
– 3 –
scythiques, au
rapport d'Hérodote, fondirent sur les bords du
Palus‑Méotide et poussèrent devant eux les Kimris
qui se dirigèrent vers le soleil couchant sous la
conduite de Hu‑ar‑Bras, remontèrent le cours du
Danube et envahirent la Gaule par le Rhin. Suivant
les traditions Kimriques, Hu‑ar‑Bras ne s'établit
point dans la gaule, mais il traversa l'Océan
brumeux et conquit sur les Gals l'île d'Albion.
Pendant ces
émigrations et ces conquêtes des Kimris, ancus roi
de Rome, victorieux de ses voisins, Batit la ville
d'Ostie à l'embouchure du Tibre.
Cependant de
nouvelles tribus de Kimris inondaient successivement
les Gaules, et " après une immense mêlée, la Gaule
apparaît partagée entre les Kimris et les Gaels. "
(1) Les Kimris, à l'ouest, occupent les cotes de la
mer ainsi que les plaines du nord et du Nord‑Est, et
les Gaels retiennent l'Est et le centre de la Gaule.
C'est à la suite de
ces mouvements des populations que les historiens
placent les deux émigrations de Sigovèse et de
Bellovèse neveux d'Ambigat, roi ou chef des
Bituriges, en l'an 587 avant Jésus‑Christ. Bellovèse
prit le chemin de l'Italie ; Sigovèse se dirigea
vers le Nord‑Est,
(1) Histoire de
france. par H. Martin.
– 4 –
franchit le Rhin, et
traversant la forêt Hercynienne, vint s'établir sur
les bords du Danube.
Environ 300 ans avant
Jésus Christ, une puissante confédération de Kimris,
celle des Belges, envahit le nord de la Gaule et
s'en empara. Deux tribus belges, les volkes
Tectosages et, les Volkes Arécomiques traversèrent
la Gaule, les armes à la main, et s'arrêtèrent dans
le Midi, les Volkes Tectosages sur les bords de la
Garonne, à Toulouse, dont ils firent leur capitale,
et les Volkes Arécomiques, à l'Est des Cévennes,
avec leur centre à Nimes.
Les Volkes Tectosages
ne restèrent pas longtemps en repos dans le pays
qu'ils venaient de conquérir. Vers 281 avant
Jésus‑Christ, une forte émigration alla rejoindre,
sur les bords du Danube, les tribus gauloises qui
descendaient des compagnons de Sigovèses. Emportés
par leur humeur guerrière, tous ces Gaulois se
divisèrent en trois corps et s'abattirent comme un
ouragan dans la Macédoine, l'Epire et la Thrace. Une
partie de ces Tectosages, insatiables d'aventures,
traversèrent l'Asie Mineure, et, près de leur patrie
primitive, fondèrent une nouvelle Gaule, la Galatie.
" Les Gaulois
remplissaient ainsi du fracas de leurs armes le
monde ancien tout entier. L'étendue
– 5 –
de leurs possessions
directes, le territoire occupé en corps de nation
par les Gallo‑Kimris, était immense. Si l'on jette
un regard sur la carte du monde ancien vers la
première moitié du troisième siècle avant notre ère,
on voit la race gauloise déployée depuis Erin,
(Irlande) jusqu'à l'Estonie (à quelques marches de
Saint Pétersbourg), depuis la pointe septentrionale
de la presqu'île Cimbrique (Danemark) jusqu'aux
Apennins, depuis les trois Finisterre de Bretagne,
de Gaule et d'Espagne jusqu'aux frontières du pont
et de la Cappadoce, en passant par le Danube qu'ils
tiennent jusqu'au delà de son confluent avec la
Save, par les Carpathes, les Alpes Illyriennes,
l'Hémus et la Thrace. Les Gaulois planent sur
l'Europe, des extrémités " de l'Espagne au
Pont‑Euxin. "(1)
II
LANGUE CELTIQUE.
D'après ce rapide
exposé, on voit que les historiens font intervenir
dans la possession des Gaules, d'abord les Gals,
puis les Kimris et
(1) Histoire de
france par H. Martin.
– 6 –
enfin les Belges,
dont ils font descendre, sans aucune certitude, les
Volkes Tectosages et Arécomiques.
On pourrait se
demander pourquoi les historiens modernes nomment
Gals ou Gaels les premiers habitants de la Gaule,
lorsque Jules César (1) nous avertit que les
Gaulois, dans leur propre langue, s'appelaient
Celtae et dans la langue latine Galli. Ces deux
appellations sembleraient donc être synonymes et
posséder une signification unique, et c'est bien là
ce que prouve d'une manière péremptoire M. l'abbé
Bouisset, dans son mémoire sur les trois collèges
druidiques de Lacaune. Le terme Celtae – Kell
– avait pour ces peuples un sens très positif
désignant l'homme fait, et l'expression Galli,
d'après les explications lumineuses de M. l'abbé
Bouisset, renfermerait la même idée.
Dans la mythologie
grecque, les Gaulois étaient les sujets de Galatès,
fils d'Hercule. La réputation guerrière de Galatès
fut immense, ainsi que celle de sa force et de ses
vertus. Nous ne dédaignerons pas de recueillir, au
milieu des allégories de la mythologie, ces détails
en apparence fort secondaires, mais en réalité d'une
utilité considérable.
- De
bello gallico. lib. 1.
– 7 –
A l'époque où César
porta la guerre dans les Gaules, il nous la montre
occupée par trois peuples : les Belges, les
Aquitains et les Celtes. " Ils diffèrent tous,
dit‑il, par le langage. Cependant cette différence
ne devaient pas être bien profonde. Dans un mémoire
sur l'origine des langues celtique et française,
Duclos, né à Dinan en 1704, secrétaire perpétuel de
l'académie Française, s'exprime ainsi : " A défaut
de monuments, c'est‑à‑dire d'ouvrages écrits, nous
n'avons d'autre lumières sur la langue celtique que
le témoignage de quelques historiens, desquels il
ressort que la langue celtique était commune à
toutes les Gaules. Les Gaules étaient divisées en
plusieurs états (civitates), les états en
pays (pagi) qui tous se gouvernaient par des
lois particulières, et ces états formaient ensemble
un corps de république, qui n'avait qu'un même
intérêt dans les affaires générales. Ils formaient
les assemblées civiles ou militaires ; celles‑ci
appelées comitia armata, ressemblaient à
l'arrière‑ban. Donc, nécessité d'une langue commune
pour que les députés pussent conférer, délibérer et
former sur le champ des résolutions qui devaient
être connues des assistants ; et nous ne voyons dans
aucun auteur qu'ils eussent besoin d'interprètes.
Nous voyons, d'ailleurs, que les Druides, faisant à
la fois fonction de prêtres et de juges, avaient
coutume
– 8 –
de s'assembler, une
fois l'année, auprès de Chartres, pour rendre la
justice aux particuliers, qui venaient de toutes
parts les consulter. Il fallait donc qu'il y eut une
langue générale et que celle des Druides fut
familière à tous les Gaulois...
Il y avait aussi
plusieurs nations, dont la langue devait avoir
beaucoup de rapports avec la Gaulois. Il y a
apparence que les Gaulois et les Germains ne
devaient point différer beaucoup ces peuples ayant
la même origine celtique ; des Germains étaient
venus s'établir dans les Gaules et des Gaulois
étaient réciproquement passé dans le Germanie, où
ils avaient occupé de vastes contrées... "
Ces pensées
judicieuses conduisent l'auteur du mémoire à
affirmer que les différences de langage observées
par Cesar étaient seulement des différences
dialectiques. Nous ne le suivrons pas dans ces
considérations fort justes sur l'altération
considérable produite dans la langue celtique par
l'établissement en Gaule de la famille latine. Nous
faisons remarquer néanmoins, que s'il avait tiré de
ses prémices une conséquence rigoureuse, il aurait
été amené à conclure, que la langue celtique a dû
conserver une intégrité parfaite dans une contrée,
dont les Romains n'auront jamais foulé le sol.
Il est bien avéré que
les Gaulois n'ont point
– 9 –
laissé de monuments
écrits, parce qu'ils avaient peut‑être plus de
confiance dans les traditions, et il n'y a pas lieu
d'être étonnés de cette manière d'agir, si l'on fait
attention à la tenacité des traditions chez un
certain peuple de l'Europe, que nous désignerons
plus loin avec clarté. Cependant, il n'est pas
admissible, que la nation celte n'ait point laissé
aux siècles futurs le souvenir de ses moeurs, de sa
religion et de son industrie. Cette histoire des
Gaulois n'est point écrite dans les livres ; elle
est gravée sur le sol même qu'ils occupaient. Ils
ont donné aux tribus, aux terrains, aux montagnes,
aux fleuves de la Gaule des noms que le temps
lui‑même n'a pu effacer. Là est renfermée leur
véritable histoire.
Ces appellations
possèdent certainement un sens précis, plein de
révélations intéressantes, quoique toutes les
langues semblent impuissantes à expliquer ces
énigmes.
La décomposition de
ces noms propres de lieux, d'hommes, de tribus, a
préoccupé sérieusement bon nombre d'esprits : on
s'est efforcé de rechercher cette langue, qui a
rempli notre sol de dénominations indélébiles, dont
la signification inconnue jette à notre légitime
curiosité un défi incessant.
Sir William Jones,
fondateur de la société asiatique de Calcutta, avait
remarqué tout d'abord une certaine affinité entre le
sanscrit, le grec et
– 10 –
le latin. Ils
devaient donc avoir une origine commune et, sans
oser l'affirmer, il a soupçonné que le celtique et
le gothique provenaient de la même source que le
sanscrit.
La grammaire comparée
des langues européennes de François Bopp a expliqué
ensuite, comment les lois grammaticales permettent
de découvrir dans le sanscrit, le persan, le grec,
le latin et le gothique, non plus une simple
affinité, mais une réelle communauté d'origine.
Tout récemment
encore, " M.Tregear a lu devant la société
philosophique de Wellington, une étude sur les Maori
en Asie. Il a cité la langue Hindostani moderne et
la persane en regard de la langue Maori, faisant
voir nombre d'accords remarquables entre elles. Les
mots cités étaient en eux‑mêmes pleins d'histoire et
ont fourni la preuve du grand espace de temps
écoulé, depuis que les Maori ont habité l'inde.
Partant des langues
de l'Europe, l'orateur a fait voir que des centaines
de mots semblables à ceux de la langue Maori se
trouvent dans les langues grecque, latine,
lithuanienne, celte, etc, etc. Mais la partie la
plus intéressante de son étude était celle qui
constatait l'identité du Maori et de l'anglais, en
ne tenant pas compte des mots Anglo‑Maori, mots
fabriqués
– 11 –
des deux langues,
depuis la conquête du pays par l'Angleterre. "(1).
Toutes ces
observations successives ont conduit à penser que la
langue sanscrite donnera peut‑être la clef de langue
celtique, et on l'a cru avec d'autant plus de
raison, que les Celtes sont venus de l'Asie, berceau
du genre humain.
Nous pouvons observer
que les dialectes parlés dans la France, l'Irlande
et l'Ecosse devraient nous donner cette clef plus
facilement encore que le sanscrit ; car l'altération
du langage n'empêche pas, même aujourd'hui de
retrouver les mêmes termes celtiques dans les
dialectes irlandais, écossais, gallois breton et
languedocien. On pourrait faire des citations
nombreuses ; mais nous nous bornerons à
quelques‑unes.
La pellicule du blé
moulu et passé au blutoir se nomme, en dialecte
languedocien, brén ; en breton bren ;
en gallois bran ; en irlandais et écossais bran. La
bruyère, si commune dans les landes de la Gaule,
s'appelle, en languedocien brugo ; en breton bruk
et brug ; en gallois grug et brwg.
Le verbe français nettoyer se traduit en
languedocien par scura ; en écossais par sguradh ;
en irlandais par sguradh. Le nom français de
l'aune,
- The
advocate, 5 sept. 1885, journal de
Melbourne, Aus‑
tralie.
– 12 –
essence d'arbres, se
dit en languedocien bergné ; en breton et en
gallois gwern ; en écossais et irlandais
fearn. (1)
III
DIALECTE LANGUEDOCIEN
ET LES TECTOSAGES
Il est donc certain,
par quelques exemples, que des mots celtiques se
retrouvent dans le langage des descendans des Celtes
en Bretagne et en languedoc ; aussi nous
n'hésiterons pas à faire l'épreuve du dialecte
languedocien, pour tacher de découvrir la vraie
langue celtique parlée par nos ancêtres. Néanmoins,
il doit paraître bizarre que nous choisissions le
dialecte languedocien plutôt que le breton pour nous
mettre sur la voie ; nous invoquerons pour cela une
sérieuse raison historique, et en examinant de près
les émigrations des Volkes Tectosages, on se
convaincra pleinement de la justesse de ce choix. A
une époque fort indécise et que les historiens
croient pouvoir déterminer, cependant, comme étant
le quatrième siècle avant Jésus Christ, deux tribus
que l'on dit appartenir aux Belges, les Volkes
Tectosages et les Volkes Aré‑
(1) Les noms bretons,
irlandais, écossais et gallois sont pris de
l'ouvrage de M. A. de Chevallet : origine et
formation de la langue française. Ier Vol
– 13 –
comiques traversèrent
la Gaule et vinrent s'établir dans le midi Gaulois
entre la Garonne, les Pyrénées et le Rhône. Les
Tectosages firent de Toulouse leur capitale et les
Arécomiques se placèrent à l'est des Cévennes avec
Nimes comme point central de leur domination. Vers
l'année 281 avant Jésus‑Christ, une forte émigration
de Tectosages se dirigea vers le Danube pour
rejoindre leurs frères, aussi Tectosages, qui
possédaient les rives du fleuve.
Mettons maintenant en
regard de ces faits les indications fournies par
Jules César.
" Bien avant, il fut
un temps où les Gaulois surpassaient les Germains en
valeur guerrière et ils leur ont fait la guerre
jusque chez eux : les champs ne suffisaient plus à
nourrir une population trop nombreuse. Ils
envoyèrent des colonies au‑delà du Rhin. C'est donc
dans les terres de la Germanie les plus fertiles,
autour de la forêt Hercynie, que les Volkes
Tectosages se sont établis après les avoir
conquises. Ce peuple jusqu'à présent occupe ce même
territoire. " (1)
Au temps où Cesar
écrivait ces lignes, les Volkes Tectosages étaient
donc établis en maîtres
(1)
Lib. VI. 24. de bello gallico.
– 14 –
incontestés sur la
rive droite du Rhin et autour de la forêt Hercynie,
c'est‑à‑dire, au nord de cette immense forêt, depuis
le Rhin jusqu'à l'Oder et peut‑être même au delà ;
et de plus, ils possédaient la rive gauche du Danube
qui coule au sud de la même forêt. César ne fixe
point l'époque des conquêtes des Tectosages ; mais
la chose la plus importante à observer, c'est que
les pays situés sur le rive droite du Rhin et
conquis sur les Germains, leur ont toujours
appartenu.
Après Jules César,
les auteurs ne font plus mention des Tectosages. Il
semblent disparaître du monde, tant le silence s'est
fait profond autour de leur nom. Nous les
retrouverons cependant bientôt, en prenant pour
guide l'étymologie de Volkes Tectosages et nous
pourrons suivre encore la longue trace de leurs
expéditions guerrières.
Volkes (Volcae)
dérive des verbes to vault (vâult),
voltiger, faire des sauts et to cow (kaou),
intimider ; Tectosages est produit par les deux
autres verbes to take to (téke
to), se plaire à..., et to sack,
piller, saccager. En réunissant les quatre verbes
constituant les deux appellations, nous constatons
dans leurs significations diverses, que les Volkes
Tectosages effrayaient les ennemis par la rapidité
de leurs évolutions dans le combat et se plaisaient
à dévaster et à piller.
– 15 –
Ne laissons point
passer inaperçue cette allure bondissante,
traditionnelle parmi les voltigeurs des anciennes
armée Françaises, et conservée encore dans nos
régiments de Zouaves et chasseurs à pied, car les
Volkes sont ancêtres des Franks, comme on pourra
s'en assurer lorsque nous parlerons des tribus
Frankes.
Les mouvements
guerriers des Volkes se distinguaient donc par une
célérité portant avec elle l'effroi, ordinairement
couronnée par la victoire et suivie de la
dévastation et du pillage. En résumant le nom des
Volkes Tectosages, nous voyons en eux de rapides et
effrayants pillards.
Cette appellation
n'avait rien que de glorieux pour ce peuple ; car le
pillage, c'était la guerre, et on sait que les
cimmériens l'aimaient avec passion. Aussi cette
signification honorable du terme pillard s'est‑elle
conservée intacte dans le pays occupé par eux au
Midi de la France. Lorsqu'un enfant montre une
intelligence vive, une âme pleine d'énergie, et
lorsque cet esprit énergique est servi par un corps
dont les membres sont agiles et nerveux, les parents
en parlent avec orgueil et l'appellent " un
Pillard ". Ils vont même plus loin dans la
signification de ce mot ; si on les interroge sur le
nombre de leurs enfants, ils répondent, sans
hésitation, qu'ils ont " un, deux ou trois
Pillards ".
– 16 –
L'histoire,
avons‑nous dit, après César, ne parle plus des
Volkes Tectosages, et ce silence est d'autant plus
extraordinaire que le peuple qui avait envoyé des
colonies au delà du Rhin, autour de la forêt
Hercynie, sur les bords du Danube et jusqu'en Asie
ne pouvait perdre si rapidement les traditions de
son génie aventureux. Toujours avides d'expéditions
guerrières, ils reparaissaient avec éclat sous le
nom de Saxons. Ils déclaraient ainsi ouvertement et
à la face des nations, qu'ils étaient bien les fils,
les descendans directs des Tectosages, – to
sack, piller, – son, fils descendant.
Ils est remarquable que les historiens les appellent
toujours les Saxons pillards. Ce qualificatif était
en réalité leur véritable nom, et, d'une manière
inconsciente, ces historiens expliquent, par le
terme de pillards, le sens exact de Saxons.
Vers l'année 446
après Jésus‑christ, le chef des Bretons de l'île de
Bretagne, Wor‑Tigern, demanda du secours aux Saxons
pour le délivrer des Pictes et des Scots qui
cherchaient à l'opprimer. Les Saxons se hâtèrent de
voler dans l'île de Bretagne sous la conduite des
deux frères Hengis et Horsa, et, après avoir battu
les Pictes et s'être rendus les maîtres de l'île,
ils exterminèrent les Bretons leurs alliés. Les
Angles, – to angle, pêcher à la ligne,
– qui vivaient sur les bords de la mer Baltique,
vinrent prendre avec
– 17 –
leurs frères Saxons
leur part du pillage et, après avoir forcé la plus
grande partie des Bretons échappés au massacre de se
réfugier en Armorique, ils fondèrent le royaume
AngloSaxon connu sous le nom d'Angleterre.
Les Tectosages,
suivant les historiens, étaient de race Kimrique, et
les Cimbres – Kimbo, fourchu, – to harry,
dévaster – les dévastateurs fourchus, allusion aux
cornes d'urus dont les guerriers ornaient leur tête,
– les Cimbres disons nous, appartenaient à la
famille celtique : ils devaient donc, Cimbres et
Tectosages, parler le langage de leur famille.
La possession de
l'île de Bretagne par les Tectosages a exercé sur
eux une influence favorable à la conservation de
leur langage et de leurs moeurs. L'isolement les a
préservés des altérations profondes subies par les
langues des autres peuples de l'Europe, tout en leur
laissant la liberté la plus entière pour les
colonisations lointaines, qui sont un trait spécial
de leur caractère.
IV
DIALECTE
LANGUEDOCIEN
ET LA VRAIE
LANGUE CELTIQUE.
La généalogie des
Anglo‑Saxons telle que nous présentons, pourrait
encore, malgré
– 18 –
tout, paraître à
quelques uns purement hypothétique, mais il est
facile de l'appuyer d'une preuve convaincante,
puisque la langue des Tectosages a laissé des traces
profondes dans l'idiome languedocien. Une simple
comparaison entre quelques termes languedociens et
leurs correspondants Anglo‑Saxons suffira à
démontrer la complète analogie des deux langues.
Désirant cependant éviter l'ennui de comparaisons
trop multipliées, nous donnerons seulement les
expressions les plus connues et les plus usitées.
Dialecte languedocien.
|
Langue
Anglo‑saxonne (1)
|
Alader,
arbre vert à feuilles
persistantes. |
Alder,
aune. |
Ander,
chenet |
Andiron (andaïeurn)
,chenet |
d'Arréou, à la
file. |
Array(arré)
,ordre de ba‑
taille. |
Baïssel
, vaisseau, tonneau. |
Vessel
, vaisseau, tonneau. |
Barata
, troquer, échanger |
to
Barter
, troquer, échan‑
ger. |
Bouich
, buis. |
Bush (bouch),
buisson. |
Bécka
, sommeiller. |
to Beck,
faire un signe de la
tête. |
Bolo,
une boule. |
Ball (bâul)
, une boule. |
Bosk,
un bois. |
Bosky,
boisé. |
(1) Les mots saxons
sont empruntés au dictionnaire anglais‑français de
Percy Sadler. Nous tenons ce dictionnaire de
l'obligeance de M. William O'Farrel. M. William
O'Farrell est auteur d'une grammaire anglaise,
admirable d'ordre et de clarté.
– 19 –
Dialecte Languedocien.
|
Langue
Anglo‑Saxonne.
|
Braou,
jeune taureau |
Braw (braou),
front, air. |
Braza,
souder avec du
cuivre. |
to Braze (brèze),
souder
avec du cuivre. |
Brèn
, son. |
Bran,
son. |
Bugado
, lessive. |
Buck (beuk),
lessive. |
Caicho
, caisse. |
Cash,
caisse. |
Cambo,
jambe. |
Ham,
jambe. |
Catcha
, serrer, presser. |
Catch,
capture, crampon. |
Clapa,
frapper. |
to Clap,
frapper. |
Clouko
, poule qui glousse. |
to Cluck,
glousser. |
Carreto
, charreite. |
Car,
chariot. |
Cost,
prix. |
Cost,
prix. |
Costo,
côte, rampe. |
Coast (kost),
côte, rivage. |
Counta
, calculer, compter |
to Count (kaount),
calculer. |
Crinko
, sommet. |
Crinkle
, pli, sinuosité. |
Dérouca
, ébrancher, écorcer. |
to
Roughcast (reuffcast)
, tail‑
ler grossièrement. |
Despatcha
, hâter. |
to Despatch,
expédier. |
Escapa
, échapper. |
to Escape (iskepe)
échapper. |
Estreït
, étroit. |
Strait (strète)
, étroit. |
Flac,
sans force. |
to Flag,
tomber de faiblesse. |
Flasketo
, poire à poudre. |
Flasck
, une poire à poudre. |
Franchiman
, un Français. |
Frenchman
, un Français. |
Fresco
, fraîcheur. |
Fresco
, fraîcheur. |
Fréta
, frotter. |
to Fret,
frotter. |
Gat,
un chat. |
Cat,
un chat. |
Godo,
nonchalance. |
Goad
(gôd), aiguillon. |
Hai,
terme employé pour
presser le pas des chevaux. |
to hie (haï)
, se presser, se
hâter. |
– 20 –
Dialecte Languedocien.
|
Langue
Anglo‑Saxonn .
|
Jouk ,
perchoir des poules.
|
To Juke
(djiouke), percher.
|
Keck , bègue.
|
To Keck,
(peu usité) faire des
efforts pour vomir.
|
Leït ,
couchette, lit.
|
To Lie
(Laï), être couché.
|
Maït ,
davantage, plus.
|
Might (maït),
pouvoir, force.
|
Maïré , lie.
|
Mire (maïre),
lie.
|
Neït , nuit.
|
Night (naït),
nuit.
|
Nouzé , un
noeud.
|
Noose (nouze),
noeud cou‑
lant.
|
Panno , poêle
à frire.
|
Pan , poêle à
frire.
|
Pasta ,
pétrir.
|
To Paste
(peste), pétrir.
|
Penteno ,
filet pour prendre
les lapins de garenne.
|
Pent ,
enfermé, serré.
|
Pickasso ,
hache, cognée.
|
Te Pick,
percer et Axe, hache.
|
Préfaïthié ,
mercenaire
|
Prizefighter (praïzefaïteur),
qui se bat pour de l’argent.
|
Raït , adv. à
la bonne heure.
|
Right (raït),
adv. à la bonne
heure.
|
Raja , couler.
|
Rash ,
éruption.
|
Raouba ,
voler.
|
To Rob,
voler.
|
Raspa , limer,
râper.
|
To Rasp,
limer, râper.
|
Régna , rendre
un son
|
to Ring
(rigne), rendre un
son.
|
Rocko , un
rocher.
|
Rock , un
rocher.
|
Rodo , une
roue.
|
Roâd (rôde),
baie, rade.
|
Round , rond,
cercle.
|
Shrank
, prétérit de to
shrink,
se
raccourcir.
|
Scalféto ,
chauffe‑pieds.
|
To
Scald, chauffer,
feet, pieds.
|
– 21 –
Dialecte Languedocien.
|
Langue
Anglo‑Saxonne.
|
Scaouda
, échauder. |
To Scald (skauld),
échauder. |
Scoutos,
espion. |
Scout (skaout),
espion. |
Scruma,
écumer. |
To Scum,
écumer. |
Scura,
nettoyer. |
Sot cour (skaour),
nettoyer. |
Seït,
assis. |
To Sit,
s’assoir. |
Sembla,
ressembler à. |
to Semble,
ressembler à. |
Senshorno,
sans intelligence. |
Sense,
intelligence et
horn,
privé de. |
Shakad,
mis en pièces. |
to Shake,
tomber en pièces. |
Shankad,
déhanché. |
Shanked,
qui à des jambes. |
Shépad,
mal ajusté. |
to Shape (chepe),
ajuster. |
Sigur,
sûr. |
Secure (sikioure),
sûr. |
Sillo,
sourcils. |
to Seel (sil),
fermer les yeux. |
Skaïsha,
écacher, déchirer. |
to
Squash (skouoch),
éca‑
cher, écraser. |
Spatarrad,
jeté à terre tout
de
son long. |
To Spatter,
éclabousser, cou‑
vrir de boue. |
Spillo,
une épingle. |
Spill,
un petit morceau de
bois. |
Tasta,
goûter d’une liqueur. |
To
Taste,
goûter d’une li‑
queur. |
Trapa,
surprendre. |
To Trap,
surprendre. |
Trounko,
tronc d’arbre. |
Trunk (treugnk),
tronc d’ar‑
bre. |
Trullo,
amaigrie. |
Trull,
perdue de moeurs. |
Up,
en haut. |
Up, (eup),
en haut. |
Yé,
vraiment. |
Yea (yé),
oui, certainement. |
======
– 22 –
Cette parenté
indiscutable entre les termes languedociens et leurs
correspondants Anglo‑Saxons, démontre mieux que tous
les raisonnements que les Tectosages du midi
Gaulois, émigrés au delà du Rhin, et les
Anglo‑Saxons sont bien le même peuple, et elle
conduit à cette conséquence absolue que la langue
Anglo‑Saxonne est bien la langue parlée par la
famille Cimmérienne.
L'explication d'une
tradition soi‑disant druidique rapportée par César
fait ressortir encore cette conséquence. " Les
Gaulois, dit il, se glorifient de descendre tous de
pluton et ils assurent tenir cette croyance de
l'enseignement des Druides : c'est pourquoi ils
comptent le temps, non par les jours, mais par les
nuits et ils sont attentifs à indiquer les jours de
naissances, les commencements de mois et d'années,
de telle sorte que le jour suive la nuit. "(1) César
se trompe évidemment en disant que les Gaulois se
glorifiaient de descendre de pluton, dont les
druides se souciaient aussi peu que de Proserpine :
les Cimmériens, enfants de Gomer, avaient apporté de
l'Orient cette coutume de compter les jours par le
soir et le matin, et les juifs l'ont conservée
jusqu'à leur dispersion comme corps de nation :
(1)
lib. VI. 18, de bello gallico.
– 23 –
l'origine de cette
coutume nous est dévoilée dans ces paroles de la
Genèse : " et du soir et du matin se fit le premier
jour. " (1) Cependant, César ne se trompe pas en
avançant que les Gaulois comptaient le temps, non
par les jours, mais par les nuits ; les descendans
des Tectosages disent encore fortnight (fortnaït)
quatorze nuits, pour exprimer le temps écoulé en
deux semaines, et se'nnight (sennit)
sept nuits, pour compter les jours d'une seule
semaine.
V
LE NEIMHEID.
L'identité de la
langue celtique avec celle des Tectosages devient
tout à fait évidente par la décomposition des
appellations données aux diverses parties du sol
Gaulois et surtout par la décomposition des noms de
tribus transmis par l'histoire ; ces noms
renferment, en effet, en les interprétant par la
langue Anglo‑Saxonne, des indications justes,
précises et confirmées par l'histoire.
Ces dénominations,
qui affectent tout le pays celtique, ne sont pas
certainement l'oeuvre du peuple ; on ne pouvait
point livrer, abandonner la composition sérieuse,
exacte et fidèle de ces
(1) Genèse. chap. I.
v. 5.
– 24 –
noms essentiels, à
des caprices sans nombre et sans fondement. Il y
avait assurément un corps savant chargé de ce soin ;
et ce qui le rend manifeste, ce sont les
appellations semblables imposées à des pays placés
aux deux extrémités de la Gaule. Pour en donner
quelques exemples assez frappants, pourquoi un Aleth
existait‑il anciennement dans la tribu des
Curiosolites, et un autre Aleth existe‑t‑il encore
dans le Languedoc ? Ou ces deux localités exerçaient
la même industrie, ou encore elles possédaient un
sol bien ressemblant. Pourquoi la ville de Rennes en
Bretagne et la station Thermale de Rennes‑les‑Bains
du département de l'aude portent‑elles le même nom ?
C'est évidemment à cause de la similitude
qu'offraient les deux pays par leurs ménirs et leurs
pierres branlantes. Pourquoi encore la ville de
Rennes, portant, d'après Strabon, le nom de Condate,
trouvait‑on un autre Condate dans la tribu des
Allobroges, et un troisième chez les Santones, si ce
n'est qu'on devait enseigner dans ces villes les
mêmes traditions ?
Cela ne démontre‑t‑il
pas qu'un corps savant et fortement constitué était
chargé de donner à chaque cité et à toutes les
parties du terrains celtique des dominations,
justifiées par la vérité et l'exactitude des objets
signifiés ?
– 25 –
" Selon les
traditions irlandaises, dit H.Martin, Gadhel ou
Gaël, personnification de la race, est fils de
Neimheidh. Qu'est‑ce que ce Neimheidh, cette
mystérieuse figure qui plane sur nos origines ?
L'histoire ne peut répondre. " (1)
Neimheidh n'est point
le nom d'un chef Gaulois ; il signifie celui qui est
à la tête, commande, conduit et donne les
dénominations, – to name (néme),
nommer, – to head (hèd), être à
la tête, conduire, – et il était matériellement
impossible à un seul homme de donner à tout le pays
celtique les noms que portent les cités, les tribus,
les rivières et les moindres parcelles de terrain :
c'était là l'oeuvre d'un corps savant et le terme de
neimheidh, appliqué à ce corps d'élite composé des
druides, présente une expression de vérité
indéniable, puisque les druide étaient à la fois
prêtres, juges, chefs incontestés des Gaulois et
chargés de la transmission de toutes les sciences.
Les druides du
Neimheidh savaient former excellemment les noms
propres d'hommes ou de lieux : ils employaient
surtout les termes monosyllabiques de leur langue et
les plaçaient dans un agencement tel, que les son de
ces monosyllabes,
(1) Histoire de
france, note 1 de la page 1.
– 26 –
accolés les uns aux
autres, ne pouvaient blesser l'oreille la plus
délicate. La décomposition des mots celtique
désignant les villes et les tributs gauloises fera
le jour le plus complet sur la manière de faire de
ces savants, ainsi que nous le verrons plus loin,
lorsque nous parlerons des Armoricains et des autres
peuples de la Gaule.

CHAPITRE II.
_________
LANGUE HEBRAIQUE
___________
I
LES NOMS DIVINS.
Désirant indiquer les
rapports de ressemblance entre les langues celtique
et hébraïque, nous nous voyons exposé à des
longueurs considérables et néanmoins nécessaires. On
nous les pardonnera ; les récits bibliques sont en
eux‑mêmes d'un intérêt saisissant, et de nature à
captiver l'attention la plus rebelle. Les
commencements de l'humanité y sont racontés avec une
exactitude admirable. L'historien sacré accomplit
son oeuvre avec fidélité et sincérité : il n'exagère
point les faits généreux, il ne jette point de voile
sur les actions criminelles. Dans son langage concis
et grave, les paroles divines apparaissent plaines
de grandeur et de majesté ; les faits humains s'y
déroulent avec la plus grande netteté, sans
discours, sans digression, présentant des traits
– 28 –
sublimes qui ne sont
point étudiés et recherchés. Nous aurions vivement
souhaité de les faire remarquer ; mais nous avons dû
nous borner simplement à signaler, dans notre essai
d'interprétation, la concordance parfaite des récits
bibliques avec la signification renfermée dans les
noms propres des hommes dont ils retracent le
caractère et la vie.
Une pensée qui se
présente tout naturellement à l'esprit est
celle‑ci : en supposant le langage des Tectosages
comme étant la vraie langue celtique, il semble
indispensable que les expressions les plus pures de
ce langage se retrouvent abondantes dans les noms
des chefs de cette famille dont l'expansion a
presque rempli l'univers. On fait remonter à Gomer,
fils aîné de Japheth, la paternité de la nation
celtique et cimbrique ; il faudrait donc dans la
langue anglo‑saxonne, que nous appellerons désormais
la langue celtique, une grande ressemblance avec
l'hébreu, et dans les termes monosyllabiques des
deux langues, une certaine conformité, au moins pour
une grande partie des mots qui composent les noms
propres, sinon pour la totalité de la langue. Cette
pensée a un fondement trop assuré pour que nous
n'examinions pas si la langue celtique pourra
expliquer les noms des premiers hommes cités dans
les livres de
– 29 –
Moïse, et aussi dans
quelques‑uns des autres livres des Hébreux.
Il est ici nécessaire
d'observer que le séjour prolongé des hébreux à
babylone par suite de la captivité avait exercé une
influence désastreuse sur leur langage. Un nombre
considérable d'expressions chaldéennes s'étaient
glissées dans la langue hébraïque et elle en devint
grandement défigurée. Après la captivité, Esdras, le
docteur habile dans la loi de Moïse, s'appliquant à
instruire le peuple dans la loi du seigneur, changea
les anciens caractères de l'écriture hébraïque et
leur substitua les caractères chaldéens, afin de
rendre la lecture de l'Ecriture Sainte plus facile
aux juifs déjà accoutumés à ces caractères. Il fut
donc obligé non seulement de transcrire l'Ecriture
Sainte en caractères connus du peuple, mais encore
de traduire l'ancien langage purement hébraïque que
la plupart des juifs ne comprenaient plus, en la
langue parlée en ce moment et composée d'un mélange
d'hébreu et de chaldéen. Ce qui démontre la
nécessité absolue de cette tradition faite par
Esdras, c'est la difficulté insurmontable éprouvée
par l'historien Josèphe, lorsqu'il a cherché à
interpréter les noms propres hébraïques par le
langage hébreu‑chaldéen : aussi ont‑ils résisté
ordinairement à tous les efforts de sa perspicacité.
– 30 –
Avant de faire
l'essai de la langue celtique sur ces noms d'hommes
qui doivent, ce semble, renfermer l'histoire abrégée
du premier âge du monde, il est juste de s'arrêter
en premier lieu sur les noms différents données à
Dieu, le créateur de l'univers.
Elohim est le nom,
par lequel les hommes ont tout d'abord désigné le
Seigneur qui à créé la terre, et a daigné la bénir
en la consacrant à sa gloire. L'expression hébraïque
Elohim, disent les rabbins, est mise au pluriel par
respect pour Dieu ; car au singulier on dirait
Eloha. Les hébreux le font dériver de el,
fort et puissant et de ala, obliger,
astreindre, parce que Dieu s'oblige et s'astreint
pour ainsi dire à faire servir sa puissance à la
conservation des choses créées. (1)
S'il nous est permis
de parler avec franchise, nous dirons que la langue
celtique explique bien mieux le sens d'Elohim.
Lorsque Dieu eut créé
l'homme et la femme à son image et capables, en
conséquence, de béatitude, de connaissance et
d'amour surnaturel, il les bénit, leur disant :
" Croissez et multipliez vous et remplissez la
terre. " (2)
C'est donc la
multiplication de la race humaine
(1) Cornelius a
Lapide.
(2) Genèse, chap. I.
28.
– 31 –
que Dieu voulu bénir
et le terme Elohim en langue celtique ne dit pas
autre chose, – Hallow – heam, –
heam (him) représentant l'enfant qui n'a
pas encore vu le jour, tandis que le verbe to
hallow (hallo) signifie bénir,
sanctifier : c'est l'Etre par excellence qui possède
le droit de bénir et de sanctifier toutes choses.
Cette similitude de sens et d'expression ne nous
paraît pas devoir être négligée.
Dieu était encore
connu sous le nom de Saddaï, qui exprimait l'idée du
créateur donnant la nourriture et l'abondance des
choses nécessaires à la vie corporelle par sa
libéralité, car Saddaï signifie large et libéral.
(1)
En interprétant
Saddaï par la langue celtique, nous trouvons que les
hommes sont rassasiés par un Dieu soucieux de ses
créatures, – to sate (séte),
rassasier, – to eye (aï) avoir
l'oeil sur ...
Adonaï était encore
une autre dénomination donnée par les hommes au
Tout‑Puissant : c'est le Seigneur, le Dominus de
l'Ecriture Sainte. Les hébreux n'écrivant pas, par
respect, le nom
(1) Cornelius a
lapide.
– 32 –
de Jehova, le
remplaçaient ordinairement par Adonaï. Il n'a pas
suffi à la bonté divine de veiller par sa Providence
à la nourriture de ses créatures, elle leur à donné
aussi le pouvoir de posséder, suivant ces paroles de
la Genèse : " Croissez et multipliez‑vous, et
dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux
du ciel, et sur tous les animaux qui se meuvent sur
la terre. "(1)
Le pouvoir de
posséder accordé par Dieu aux hommes est renfermé
dans le terme Adonaï, inexplicable par la langue
hébraïque, – to add, ajouter, to own (ôn),
posséder, – to eye (aï), avoir l'oeil
sur.
Jehova est le nom
sacré, le vrai nom du seigneur, révélé par Dieu
lui‑même à Moïse. Les hébreux ne l'écrivaient
point ; il était cependant gravé sur la lame d'or
qui était attachée et retenue par un ruban
d'hyacinthe à la mitre du Grand Prêtre. Josèphe
rapporte que lorsque Alexandre se présenta devant le
Grand Prêtre Jaddus revêtu en ce moment de tous ses
ornement pontificaux, ce conquérant de l'Asie se
prosterna pour adorer celui dont le nom redouté
était gravé sur cette lame d'or brillant au‑dessus
du front du successeur d'Aaron.
D'après les
traditions des Hébreux, Jehova
(1) Genèse, chap. I.
28.
– 33 –
exprimait la trinité
des personnes dans l'unité divine. Mais où était la
possibilité d'exprimer par le nom de Jehova la
trinité dans l'Unité ? Il fallait, pour atteindre ce
but, que ce nom divin renfermât dans sa composition
les pronoms personnels de la langue parlée par
Moïse.
Le moi de la
première personne, en hébreu, se traduit par ani
et anci et le nous par anu,
nênu ; le toi et le vous de la
seconde personne par ate et atm ; le
lui de la troisieme personne par eua.
Les pronoms
personnels de la langue hébraïque ne se rapportent
donc pas aux quatre lettres i, he,
u, i, qui forment le nom saint de Jehova.
Cependant l'i (iod) se trouve parmi
les pronoms affixes de la première personne, qui
correspondent aux pronoms réfléchis et pronoms
adjectifs possessifs de la langue française.
Plaçons en regard des
quatre lettres hébraïques i, he, u,
i, qui composent le nom divin révélé à Moïse,
les pronoms personnels de la langue celtique I,
he, we, ye, et nous pourrons
être légitimement étonnés du résultat. Observons en
passant que l'alphabet hébreu ne possède pas d'y,
tandis que cet y est dûment renfermé dans l'alphabet
celtique. Nous avons donc en réalité dans les
pronoms personnels celtiques les quatre lettres
formant le nom divin, c'est‑à‑dire deux
– 34 –
i,
un he et un we qui remplace le ouau
de la langue hébraïque.
Le premier i
s'écrivant toujours par un I majuscule
représente le nominatif singulier de la première
personne je ou Moi et se prononce
aï.
Le second i,
ye qui se prononce yi, correspond au
nominatif pluriel de la seconde personne Vous ;
le thou ou Toi du singulier,
n'exprimant qu'une familiarité peu respectueuse,
n'est point usité en Anglo‑saxon, comme d'ailleurs,
en Français, dans le langage poli.
Le he, se
prononçant hi, correspond au nominatif
singulier de la troisième personne, Lui.
Quant au we dont la prononciation est oui
et qui remplace le ouau hébraïque, c'est le
nominatif pluriel de la première personne, Nous.
Dans ces quatre
lettres se trouve donc la désignation des trois
personnes divines par Moi, Vous et
Lui, tandis que le Nous les rassemble,
les unit pour en faire un être unique possédant une
substance, une nature, une essence communes aux
trois personnes distinctes.
Ce Nous se
retrouve plusieurs fois dans le récit de l'histoire
des hommes fait par Moïse, le serviteur fidèle, qui
rapportait avec intégrité les instructions divines
adressées au peuple hébreu. Le premier Nous
apparaît à la création
– 35 –
de l'homme :
" Faisons, dit le Seigneur, l'homme à notre image et
à notre ressemblance. "(1)
Après la
désobéissance et la chute d'Adam et d'Eve, le
Nous est encore retracé dans ces paroles
empreintes d'une ironie salutaire et vengeresse que
Dieu leur adresse : " Voilà Adam devenu comme l'un
de Nous, sachant le bien et le mal. " (2) Une
troisième fois le Nous divin est accentué
dans l'arrêt porté contre l'orgueil des hommes et
suivi de la dispersion complète de la famille
humaine par la confusion du langage primitif :
" Venez donc, dit le Tout‑Puissant, descendons en ce
lieu, et confondons‑y tellement leur langage, qu'ils
ne s'entendent plus les uns les autres. " (3)
Nous avons écrit le
nom de Jehova au moyen des lettres i, he, u, i,
quoique le texte hébraïque porte i, he, u,
he. Cornelius a Lapide relate à ce sujet la
formule employée par les juifs quand on les force à
prêter serment ; afin de ne pas prononcer le nom
divin et sacré, ils s'expriment ainsi : " Je jure
par i, he, u, i, et ces lettres ajoute le
même Cornelius, forment le vrai nom de Jéhova. La
différence accusée par la quatrième lettre paraît au
premier abord fort
(1) Gen. chap. I. 26.
(2) Gen. chap. III.
22.
(3) Gen. c. XI. 7.
– 36 –
importante, mais en
l'examinant avec soin, elle n'offre rien
d'embarrassant ; car dans le pronom celtique ye,
vous, il y a en même temps un y et un e,
et c'est là, croyons‑nous, le noeud d'une difficulté
que la langue hébraïque moderne, réduite à ses
seules forces, ne saurait résoudre.
En dehors d'une
transmission traditionnelle, depuis longtemps
interrompue, il devient à peu près impossible de
reconstituer la prononciation du nom de quatre
lettres contenant le mystère de la Sainte Trinité.
Du reste, les juifs eux‑mêmes ignorent de qu'elle
manière Moïse et les prêtres juifs le prononçaient
devant le peuple assemblé pour les cérémonies
religieuses.
La facilité avec
laquelle les pronoms personnels de la langue
Anglo‑Saxonne expliquent le nom divin de Jehova,
nous amène à croire que les Celtes étaient loin
d'ignorer et ce nom et sa véritable signification,
puisque les relations de la Gaule avec l’Asie
étaient incessantes par les émigrations vers
l'Occident de nouvelles peuplades celtiques.
L'année 1491 avant
Jésus‑Christ avait vu la révélation du nom de Jehova
faite à Moïse. Quarante années plus tard, à la suite
de la conquête de la Palestine faite par Josué dans
l'espace de six ans, de 1451 à 1445 avant
Jésus‑Christ, les brillants faits d'armes des
Hébreux
– 37 –
avaient porté au loin
leur réputation guerrière et frappé d'étonnement les
peuples asiatiques, qui comprenaient bien la
protection divine, dont la force invincible éclatait
dans les secours surnaturels prodigués aux
descendans de Jacob. Les diverses peuplades
celtiques, dans leur marche lente et continue vers
l'Europe, pouvaient donc connaître, non seulement
les exploits hébreux, mais encore leur organisation
en tribus et le nom de leur puissant protecteur,
Jehova. On ne doit pas être surpris que, possédant
le sens de ce nom sacré, les Celtes aient professé
une vénération extrême pour le nombre trois, qui
représentait à leur esprit la Trinité sainte dans
l'unité divine.
Le nom sous lequel
les Celtes désignaient le peuple hébreu affirme
clairement leur connaissance certaine du nom de
Jehova. Pour les enfants de Gomer, un hébreu
s'appelait jew (djiou) c'est‑à‑dire,
un homme devant lequel était prononcé le nom de
quatre lettres, et qui se servait de ce nom divin
dans ses adorations et les hommages de sa prière. En
réalité, les enfants de Gomer avaient appliqué au
peuple protégé le nom du protecteur, et il nous
paraît très vraisemblable que l'expression jew
est bien le nom saint de jehova contenant les quatre
lettres révélées à Moïse.
– 38 –
II
LES PREMIERS HOMMES –
ADAM JUSQU'A NOÉ.
Après avoir tenté
d'interpréter les noms divins par la langue
celtique, nous essaierons aussi cette même langue
dans la décomposition des noms propres d'hommes et
de lieux.
La souche du genre
humain, le premier être possédant une âme
raisonnable, unie à une substance corporelle, porte
le nom d'Adam. Sous ce nom, il faut entendre l'homme
et la femme, " car Dieu les créa mâle et femelle ;
il les bénit et il leur donna le nom d'Adam au jour
qu'ils furent créés. " (1) Ce nom était donc commun
à Adam et à Eve, et Dieu lui‑même l'avait imposé.
Les hébraïsants veulent qu'Adam dérive de adama,
terrestre, parce que Dieu l'avait formé du limon de
la terre.
Interprété par la
langue celtique le terme Adam, composé de deux mots,
présente pour ainsi dire, un résumé de la création
de nos premiers parents. Parmi les êtres créés, Adam
n'en avait point trouvé qui lui fût semblable. " Et
(1) Bible de
Carrières, Gen. c. v. 2. Nous donnons ordinairement
la traduction de l'Ecriture Sainte d'après cette
bible, parce qu'elle est fort exacte et très
appréciée. Nous faisons ici cette remarque afin de
n'avoir pas à y revenir dans toutes nos citations.
– 39 –
" le seigneur dit :
il n'est pas bon que l'homme soit seul ; faisons‑lui
une aide semblable à lui "(1) Dieu fit donc la femme
et l'amena à Adam. D'après l'écriture sainte, la
femme était une créature ajoutée à l'homme,
semblable à lui et son aide pour la multiplication
du genre humain, c'est à dire, la mère ajoutée au
père, et c'est là l'idée offerte par la
décomposition du nom d’Adam, – to add,
ajouter, dam, la mère.
L'Ecriture Sainte
donne au premier des enfants d'Adam, le nom de Caïn.
A sa naissance, Eve, sa mère, s'écria : " je possède
un homme par la grâce de Dieu. "
Caïn, en hébreu,
implique l'idée de possession, et il vient de la
racine Kana, posséder. Adam et Eve
regardaient donc leur fils comme leur bien et leur
acquisition particulière ; au reste, la puissance du
père sur son enfant n'est‑elle pas de droit
naturel ? Eve a eu grandement raison d'appeler son
premier fils, Caïn, sa possession.
La langue celtique
retient, non pas le verbe Kana, posséder,
mais le verbe Can, pouvoir. La signification
du nom de Caïn serait alors le pouvoir, la faculté
de posséder un homme par la grâce de Dieu, et cette
différence n'est point
(1) Gen. C. II. 18.
– 40 –
sensible dans la
pensée qu'Eve a dû attacher aux paroles prononcées
par elle à la naissance de son fils.
Dans le texte
hébraïque, Caïn est écrit Qin : en langue
Celtique to coin (coïn) se
traduit par battre monnaie, inventer. Ne serait‑ce
pas là le sens véritable de Caïn qui aurait imaginé,
inventé la valeur conventionnelle des monnaies ?
L'amour trop vif de l'or et de l'argent étouffe
sûrement les sentiments généreux, et arme
ordinairement du fer meurtrier la main des
assassins. Caïn avait cent seize ans lorsqu'il
commit le crime affreux qui le fit maudire. On peut
croire avec juste raison que les hommes étaient déjà
nombreux, puisque Caïn répondant à la menace divine,
disait : " Quiconque donc me trouvera, me tuera. "
La multiplication rapide du genre humain a dû faire
naître, dans l'esprit de Caïn, la pensée de
remplacer les échanges par une valeur
conventionnelle attachée aux métaux précieux, or et
argent.
Abel est le second
fils d'Adam et d'Eve, mais sa mère ne lui a point
donné ce nom. Josèphe le fait dériver du mot hébreu
ebel deuil ; car, par la mort d'Abel, le
deuil a fait sa première apparition sur la terre.
Pour bien saisir le sens du mot Abel, tel que
l'indique Josèphe, il ne faut point perdre de vue
une
– 41 –
expression très
fréquente dans les livres saints désignant la mort
et le tombeau ; c'est l'expression inferi, les
enfers, tandis que le lieu du supplice des réprouvés
et des maudit est l'infernus ; et c'est dans le
premier sens que David, étant près de mourir,
recommanda à Salomon, son fils de punir Joab de se
crimes : " Vous ferez, dit‑il, à son égard, selon
votre sagesse ; et vous ne permettrez pas qu'après
avoir vieilli dans l'impunité de son crime, il
descende en paix dans le tombeau ; et non deduces
canitiem eju ad inferos. " (1)
Abel présente la
première image de la mort par le crime affreux de
son frère aîné, – to ape (épe),
imiter, présenter, l'image de..., hell,
enfers.–Le terme ebel ou épel serait
ainsi appliqué au second fils d'Adam seulement après
le fratricide de Caïn, et la désignation de leur
fils par une telle expression a dû, pendant de
longues années, raviver dans l'âme de ses malheureux
parents la douleur de sa perte.
Nous nous sommes
attaché dans cette interprétation à suivre le sens
donné par Josèphe : toutefois, comme les premiers
hommes étaient souvent connus sous plusieurs noms
présentant des significations différentes, nous
croyons pouvoir
(1) Troisième liv.
des Rois, c. II. 6.
– 42 –
voir expliquer d'une
autre manière le nom d'Abel, en conservant avec
rigueur la prononciation donnée par l'Ecriture
Sainte.
Il est indubitable
pour tout esprit sérieux qu'Adam avait reçu de Dieu
les communications les plus précieuses, non
seulement sur les vérités religieuses, mais encore
sur les industries humaines nécessaires à l'état
social, et Adam transmettait à ses enfants et la
science religieuse et en même temps les principes
des arts industriels. " Le monde disait Origène à
Celse, ayant été créé par la Providence, il faut
nécessairement que le genre humain ait été mis, dans
les commencements, sous la tutelle de certains
esprits supérieurs, et qu'alors Dieu se soit
manifesté aux hommes. C'est aussi ce que l'Ecriture
Sainte atteste... et il convenait, en effet, que
dans l'enfance du monde, l'espèce humaine reçut des
secours extraordinaires, jusqu'à ce que l'invention
des arts l'eût mise en état de se défendre elle‑même
et de n'avoir plus besoin de l'intervention
divine. " (1)
Abel était pasteur ;
il offrait à Dieu des sacrifices, choisissant à cet
effet les agneaux les plus beaux et les plus gras de
son troupeau, et le Seigneur regardait favorablement
ses présents. (2)
(1) Soirées de
Saint‑Petersbourg, 2e entretient, note VI
(2) Gen. c. IV. 2‑4.
– 43 –
L'Ecriture Sainte, en
marquant avec soin la profession pastorale d'Abel,
semble indiquer la provenance de son nom. Abel
recueillait les belles toisons de son magnifique
troupeau ; sa main filait la laine soyeuse, et ces
fils entrelacés, formant et la chaîne et la trame,
lui donnaient un excellent tissu dont il se pouvait
vêtir, – abb, trame de laine, – to
ell, mesurer.
Un châtiment juste et
sévère suivit de près le crime horrible de Caïn. Le
Seigneur avait dit au fratricide : " Vous serez
fugitif et vagabond sur la terre ", et le coupable
avait répondu : " Vous me chassez aujourd'hui de
dessus la terre et j'irai me cacher de devant votre
face, et je serai fugitif et vagabond sur la terre.
Donc quiconque me rencontrera, me tuera. " Le
Seigneur lui répondit : " Non, cela ne sera pas
ainsi ; mais quiconque tuera Caïn sera puni sept
fois plus. " Et le Seigneur " mit un signe sur Caïn,
afin que ceux qui le trouveraient ne le Tuassent
point. " Caïn, s'étant retiré de devant la face du
Seigneur, habita en fugitif sur la terre vers la
région orientale d'Eden. (1)
Le texte hébraïque,
au lieu de ces paroles : Caïn habita en fugitif sur
la terre, porte : Caïn
(1) Gen. c. IV.
14‑16.
– 44 –
habita dans la terre
Nod. Josèphe fait de nod un nom propre de lieu,
parce qu'il n'a pu arriver à découvrir le sens exact
de cette expression de la langue primitive. Le terme
nod existe dans l'anglo‑saxon et il donne la
connaissance du signe de la malédiction divine
attaché à Caïn ; to nod signifie,
faire un signe de tête, saluer en baissant la tête.
La note d'infamie,
marquée sur la personne du fratricide, devait donc
consister en un mouvement nerveux et convulsif de la
tête, obligeant Caïn à la baisser honteusement
devant tous ceux qu'il rencontrerait. D'après la
tradition, le signe de malédiction porté par Caïn
était un tremblement continuel du corps, tremblement
révélateur de son forfait.
Abel, l'enfant pieux
et pur fut remplacé par Seth, et Eve disait : " Le
Seigneur m'a donné un autre fils au lieu d'Abel que
Caïn a tué. " (1) En hébreu suth signifie
mettre et placer : dans la langue des Tectosages, le
verbe to set retient le même sens de
mettre et placer. Seth était le remplaçant d'Abel et
destiné à devenir le père des hommes fidèles à leur
Créateur.
Les tissus de laine
fabriqués par Abel ne reparaissent plus dans le nom
des premiers hommes et cèdent la place à la mention
des ouvrages de
(1) Gen. c. IV. 25.
– 45 –
fer et de bronze. Il
ne faut pas descendre fort longuement dans la
généalogie des enfants d'Adam pour y rencontrer la
science des métaux, car Malaleel, – to
mall frapper avec un maillet, – to
allay (allé) mélanger les métaux, – to
ell, mesurer, – était l'arrière petit‑fils de
Seth. Suivant la chronologie ordinaire, lorsqu'à
l'âge de soixante‑dix ans Malaleel est devenu père
de Jared, les hommes habitaient le monde depuis
seulement trois cent quatre‑vingt‑quinze ans. Adam
était encore au milieu de ses descendans pour les
aider de ses conseils et les initier aux travaux
industriels. Parce que la science des métaux est
inscrite dans Malaleel, est‑ce à dire que ceux qui
l'avaient précédé ignoraient l'usage du fer et les
alliages de cuivre et d'étain constituant le
bronze ? Nous sommes bien loin de le croire ; Adam
assistait aux travaux de ses enfants, et sa présence
indique suffisamment d'où venaient les connaissances
acquises et d'où partait l'impulsion donnée aux
diverses industries.
Il n'était pas
possible d'écrire dans le nom d'un seul homme la
somme des sciences possédées à l'origine du monde et
on les a gravées peu à peu dans le nom des chefs de
famille. Malaleel nous dénote les ouvrages de fer et
de bronze, et afin que les générations futures ne se
méprennent pas et ne voient pas en lui un artisan
unique, il
– 46 –
appelle son fils
Jared, – to jar (djar), tinter, cliqueter, –
to head (hèd) être à la tête de, commander, –
prouvant ainsi qu'il était à la tête de nombreux
ouvriers en métaux.
Ces noms propres
d'hommes, renfermant la mention des connaissances
matérielles des premiers temps du monde créé,
indiquent ainsi que la marche de la civilisation
humaine n'a point été ascendante et que l'âge de
pierre et de bronze n'ont aucunement précédé l'âge
de fer au berceau de l'humanité.
Le petit‑fils de
Jared, Mathusalem dont la longévité a surpassé celle
des autres hommes, nous initie à une autre branche
d'industrie : les lits moelleux n'étaient guère
alors en usage, te ces produits d'une civilisation
trop avancée étaient remplacés par des nattes sur
lesquelles on prenait un repos nécessaire dans sa
demeure, – to mat, couvrir de nattes,
– to use (iouse) se servir de,
– hall, salle, maison.
Les enfants de Seth
ne sont point seuls à dévoiler les secrets des arts
parmi les premiers hommes, et en parcourant la brève
lignée des descendans de Caïn, nous remarquons
Tubalcaïn " qui fut habile en toutes sortes
d'ouvrages d'airain et de fer. " (1) Néanmoins cette
habileté
(1) Gen. c. IV. 22.
– 47 –
à travailler le fer
et le bronze n'est point écrite dans son nom ; elle
y est remplacée par la mention d'une autre
connaissance, celle de l'art nautique.
Les hommes étaient en
état de construire de bons vaisseaux et on comprend
ainsi comment ils ont prêté une médiocre attention à
l'arche destinée à Noé et faite suivant la forme et
les dimensions données par Dieu lui‑même. Peut‑être
même ont‑ils compté sur eux pour tenter de se
soustraire aux effets des menaces divines. Il y
avait cependant une différence bien sensible entre
la construction de leurs vaisseaux et celle de
l'arche dont disposerait Noé. Celle‑ci était un vrai
navire ponté, protégé contre la pluie du ciel et les
grandes lames de la mer, tandis que les vaisseaux
ordinaires, complètement découverts, n'étaient point
défendus contre les grandes pluies ni contre les
hautes lames. Le premier mot qui entre dans la
composition du nom de Tubalcaïn retrace la forme de
ces premiers bâtiments, – tub, vaisseaux
découvert, cuve, baquet, – hall, maison, –
to coin (coïn), inventer.
– 48 –
III
NOÉ ET SES ENFANTS.
Les sciences
possédées parles hommes les entraînèrent à la
révolte la plus audacieuse contre Dieu. Les crimes
contre nature s'accumulèrent, et, fatigué de cette
obstination dans le mal, le Seigneur dit à Noé :
" J'ai résolu de faire périr tous les hommes : ils
ont rempli toute la terre d'iniquités, et je les
exterminerai avec tout ce qui vit sur la terre. "
(1)
Noé était juste, et
ayant trouvé grâce devant Dieu, il était devenu
comme le confident de ses desseins vengeurs. Il
construisit l'arche sur l'ordre donné par le
seigneur, et s'enfermant avec sa famille et les
animaux qui devaient être conservés sur la terre
dans ce vaisseau placé sous la protection divine, il
fut sauvé du déluge dans lequel périrent tous les
hommes criminels. Noé proclame qu'il avait la
connaissance du châtiment futur des hommes, de la
manière dont il serait infligé et aussi la
connaissance de sa propre conservation et de celle
de sa famille, – to know (nô),
connaître, savoir, – how (haou),
comment, de quelle manière.
(1) Gen. c. VI. 13.
– 49 –
Après la destruction
violente du genre humain par le déluge, Dieu bénit
Noé et ses enfants et leur dit : " Croissez et
multipliez‑vous et remplissez la terre. Noé avait
donc trois fils qui sortirent de l'arche, Sem, Cham
et Japheth. Or cham est le père de Chanaan. Ce sont
là les trois fils de Noé ; et c'est d'eux qu'est
sortie toute la race des hommes qui sont sur la
terre. " (1)
Le déluge et le salut
miraculeux de Noé et de ses enfants étaient des
événements trop considérables dans l'histoire de
l'humanité pour que le nom d'un des fils de Noé n'en
reproduisit point quelque trait essentiel. L'arche
ayant flotté sur l'eau pendant sept mois avant de
toucher le sommet des montagnes d'Arménie, Noé a
voulu écrire ce souvenir intéressant dans le nom de
son fils aîné, Sem, – to swim (Souim)
flotter sur l'eau.
Le second de ses
enfants, grossier et impudent, attira sur sa
postérité la malédiction paternelle par une faute
lamentable demeurée à jamais sa honte et son
opprobre ; aussi son nom Cham – to shame,
couvrir de honte, – redit son acte infâme et la
malédiction qui l'a suivi.
L'Ecriture Sainte dit
fort clairement que de
(1) Gen. c. IX. I.
18. 19.
– 50 –
Sem, Cham et japheth
est sortie toute la race des hommes qui sont sur la
terre.
On a cru pouvoir
abandonner ce point de départ tout à fait historique
pour s'attacher à un autre ordre d'idées, permettant
de distinguer les variétés humaines d'après la
couleur de la peau et les degré de l'angle facial.
Il serait bien long d'énumérer toutes les
classifications mises en avant, et il nous paraît
préférable de s'arrêter à la division de Cuvier
distinguant le variétés suivantes : 1° La blanche ou
Caucasique ; 2° la Jaune ou Mongolique ; 3° la Nègre
ou Ethiopique.
" La variété blanche,
Caucasienne, Arabe Européenne se reconnaît
principalement à la forme ovale de la tête, à la
couleur de la peau plus ou moins blanche, aux lèvres
petites, aux traits réguliers. Son centre principal
serait en Europe et dans l'Asie Mineure, l'Arabie,
la Perse et l'Inde jusqu'au Gange, et l'Afrique
jusques et y compris le Sahara. "
" La variété Jaune ou
Mongolique se reconnaît à la face carrée, aplatie,
au nez plus enfoncé, aux yeux placés obliquement, à
la peau olivâtre et basanée. Elle aurait en quelque
sorte son foyer sur le plateau de la grande Tartarie
et du Thibet. "
" La variété Nègre ou
Ethiopique a le teint noir ou noirâtre, le crâne
déprimé, le nez épaté
– 51 –
et les lèvres
grosses. Elle couvre la plus grande partie de
l'Afrique et quelques îles de l'Océanie. "(1)
Nous ne rechercherons
pas les inconvénients d'une classification
renfermant dans une même variété les Arabes, les
Abyssins, les Egyptiens et les nombreux rameaux
celtiques ; il nous suffit de retrouver en Japheth,
troisième fils de Noé, la souche réelle et
incontestable de la variété humaine la plus blanche.
Les enfants de Sem dont le type le mieux conservé
est retracé dans les Arabes, ont le teint plus ou
moins basané, mais le trait particulier de la
famille se montre dans les yeux et les cheveux
noirs. Ce ne peut être toutefois qu'un caractère
général ; et, parmi les Hébreux, descendans directs
de Sem, l'Ecriture Sainte constate une exception en
la personne de David dont les cheveux étaient roux.
Dans la famille de
Japheth, à la peau blanche et aux cheveux
ordinairement peu foncés se joignent les yeux bleus
ou quelque peu décolorés. Cette couleur plus claire
des yeux était tellement sensible dans le troisième
fils de Noé qu'il en a gardé le nom d'oeil décoloré
ou Japheth, Iphth, dans le texte hébraïque, – eye
(aï) oeil, to fade (féde)
se décolorer.
(1) Géographie par
Maltebrun.
– 52 –
Gomer, fils aîné de
Japheth, devait présenter cette marque distinctive
de l'oeil décoloré, puisqu'il en a été proclamé le
véritable héritier, – to come (keume)
devenir, – heir (ér) héritier. Il ne
s'agissait point ici des faveurs essentielles
conférées par le droit d'aînesse et permettant à
l'héritier ordinaire, au fils aîné, d'offrir à Dieu
les sacrifices, de commander à ses frères et de
conserver les biens paternels ; car ces droits
appartenaient aux aînés de toutes les familles. Ce
terme d'héritier s'appliquait plutôt aux qualités
corporelles remarquées dans gomer et transmises à sa
postérité formant l'immense famille celtique.
Les hommes s'étaient
fort multipliés après le déluge : " Il n'y avait
alors qu'une langue et une même manière de parler
pour tous les hommes. " Obligés qu'ils étaient de
s'étendre par suite de leur rapide accroissement,
ils dirent : " Venez, faisons‑nous une ville et une
tour dont le sommet arrive jusqu'au ciel : et
rendons notre nom célèbre, avant de nous disperser
sur la terre. " (1)
Ils tenaient cet
orgueilleux langage dans les plaines de Sennaar, et
ils se mirent à l'oeuvre, se servant de briques à la
place de pierres et de bitume en guise de ciment.
(1) Gen. c. XI. 4.
– 53 –
Or le Seigneur fut
irrité de ce travail insensé ; et il dit : " Ils ne
sont tous maintenant qu'un seul peuple et ils ont un
même langage : ils ont commencé cet ouvrage et
n'abandonneront point leur dessein qu'ils ne l'aient
entièrement terminé. Venez donc, descendons en ce
lieu, et confondons‑y leur langage, de telle sorte
qu'ils ne s'entendent plus les uns les autres.
" C'est de cette
manière que le Seigneur les dispersa de ce lieu dans
tous les pays du monde, et qu'ils cessèrent de bâtir
la ville.
" C'est aussi pour
cette raison que cette ville fut appelée Babel,
parce que là fut confondu le langage de toute la
terre : et le seigneur les a dispersés ensuite dans
toutes les parties du monde. " (1)
Babel, d'après les
termes de l'Ecriture Sainte, porte en soi l'idée de
la confusion, et les Hébreux, en recherchant
soigneusement Babel dans leur langue, n'ont pu
retrouver que balal, confusion, pour expliquer ce
Babel qu'ils ne possèdent plus. Mais balal
est bien loin d'avoir la valeur du verbe celtique
to babble, babiller, jaser : babil
incohérent, confus, remplissant de honte les hommes
qui n'entendent plus le langage qu'ils comprenaient
très bien la veille.
(1) Gen. c. XI. 6‑9.
– 54 –
La langue primitive
est‑elle disparue au milieu de cette confusion ?
Nous pouvons dire avec assurance, qu'elle est
demeurée en usage dans la bouche d'une partie des
enfants de Sem et aussi d'une partie des enfants de
japheth ; et cette langue primitive est comme le
point de départ des autres langues parlées dans le
monde, comme une source donnant naissance à des
ruisseaux sans nombre qui vont décrire au loin des
méandres capricieux. Ce langage s'est perpétué dans
un état parfait parmi les hébreux jusqu'à ce que le
séjour du peuple de Dieu dans la Chaldée l'ait fait
modifier d'une manière très sensible.
Les enfants de Gomer
l'ont‑ils transmis intact, au moins dans ses parties
essentielles ? Nous essaierons de démontrer que
l'intégrité de la langue primitive s'est conservée
dans la famille de Japheth plus sûrement que dans la
famille de Sem, peut‑être à cause de la domination
universelle promise par Dieu à la postérité de
Japheteh. Cette démonstration peut se faire en
interprétant par la langue celtique les noms propres
des hommes les plus célèbres, conservés dans
l'histoire du peuple hébreu ; toutefois, il ne faut
pas perdre de vue que le nom propre d'un homme,
après la confusion des langues comme au premier âge
du monde, retient ordinairement la mémoire d'une
action remarquable de sa vie,
– 55 –
ou bien le pouvoir
d'une qualité, d'un défaut corporels, et quelquefois
aussi représente l'état des moeurs de l'époque.
Nous avons vu par le
récit de la Genèse les hommes abandonnant la
construction de ville et de la tour de Babel. Dans
cette ville inachevée, le farouche Nemrod,
petit‑fils de Cham, établit sa demeure et fonda le
royaume de babylone. Ce violent chasseur devant le
Seigneur n'attaquait point les bêtes fauves ; il
était chasseur d'hommes, opprimant ses semblables,
semant partout l'épouvante et méritant bien le nom
sous lequel il était connu, car Nemrod signifie un
épouvantail renommé, – name (néme)
réputation, – rawhead (râuhèd)
épouvantail.
La dispersion des
hommes est déterminée et fixée par Phaleg dont la
traduction, en hébreu, est division, " parce que la
terre fut divisée de son temps " entre les peuple
parlant des langues différentes. (1) La langue des
Tectosages nous représente dans Phaleg, les hommes
poussés à diminuer leur trop grande concentration
dans une seule contrée du monde, – to fall,
diminuer, – to egg, pousser, exciter.
Phaleg était le fils
aîné d'Héber et celui‑ci
(1) Gen. c. X. 25.
– 56 –
leur a laissé son
nom, pour témoigner que ses enfants possédaient par
lui l'héritage des bénédictions divines promises à
Sem et à sa postérité directe, – Heber se décompose
ainsi : to ebb, descendre, – heir
(ér) héritier.
IV
ABRAHAM ET LES
PATRIARCHES.
Le grand Abraham
appartenait à la lignée d’Heber et l'Ecriture Sainte
a soin de l'appeler Abram hébreu, accusant par là
l'importance attachée à ce titre. Abram, premier nom
de ce patriarche, est le précis exact et fidèle des
ordres reçus de Dieu. Le Seigneur lui avait dit :
" Sortez de votre pays, de votre parenté et de la
maison de votre père et venez en la terre que je
vous montrerai.
" Je ferai sortir de
vous un grand peuple, je vous bénirai, je rendrai
votre nom célèbre et vous serez béni.
" Je bénirai ceux qui
vous béniront, et je maudirai ceux qui vous
maudiront ; et tous les peuples de la terre seront
bénis en vous. Abram
– 57 –
sortit donc comme le
Seigneur le lui avait ordonné, et Loth le suivit. "
(1)
Les hébraïsants
traduisent Abram par le père illustre ab‑ram,
et Abraham par le père illustre d'une multitude
ab‑ram‑a‑mon. Cette explication paraît un peu
obscure quoique déterminée par un fait de tous
points conforme à la vérité.
Abram, d'après les
ordres divins, devait porter ses pas dans une terre
étrangère qui lui serait montrée par Dieu.
Abandonnant le sol natal, sa parenté et la maison de
son père, il devenait en réalité un étranger pour
les habitants des pays qu'il traversait, il imitait
le voyageur errant, allant çà et là, en attendant
que le lieu de son séjour fut fixé avec certitude, –
to ape (épe) imiter, to err,
errer, aller çà et là, ham, jambe –
aperrham. L'expression arabe berrani,
étranger et le terme Kabyle aberrani,
signifiant aussi étranger, viennent confirmer cette
interprétation du premier nom d'Abram.
Obéissant à la parole
du Seigneur, Abram parcourut le pays de Chanaan ; il
dut le quitter bientôt à cause de la famine qui
sévissait dans la contrée : il se retira en Egypte,
toujours protégé d'une manière visible, et, après y
être demeuré
(1) Gen. c. XII. 1‑4.
– 58 –
quelque temps, il
revint dans le pays de Chanaan, avec sa femme et
tout ce qu'il possédait. Il était fort riche ; l'or
et l'argent abondaient dans sa tente. Lot
accompagnait Abram, et lui aussi avait des troupeaux
de brebis et des troupeaux de boeufs.
Une querelle s'étant
élevée entre les pasteurs de Lot et d'Abram,
celui‑ci dit à son neveu : " Qu'il n'y ait point, je
vous prie, de dispute entre vous et moi, entre vos
pasteurs et les miens, parce que nous sommes frères.
Vous avez devant vous toute la terre : retirez‑vous,
je vous prie, d'auprès de moi ; si vous allez à la
gauche, je prendrai la droite ; et si vous
choisissez la droite, j'irai à la gauche. " (1)
Cette circonstance de
la vie d'Abram valut à son neveu le nom de Lot –
to lot, diviser en lots, en portions.–Lot
choisit le pays qui lui parut le plus fertile et
vint s'établir dans Sodome.
Les habitants de
cette ville et des cités voisines, livrés aux excès
de la débauche la plus éhontée, avaient irrité
contre eux la justice divine. Par un jugement d'une
équité redoutable, le seigneur avait condamné à la
destruction par le feu et les habitants de Sodome et
le sol lui‑même qu'ils avaient souillé – Sod,
le sol, – to doom (doum) juger,
condamner.
(1) Gen. c. XIII.
1‑9.
– 59 –
Cependant Lot était
juste et Dieu ne voulait pas l'envelopper dans la
punition des coupables. Deux anges lui furent
envoyés pour l'entraîner hors de ce lieu maudit. Le
récit des Livres Saints nous donnera la raison pour
laquelle la petite cité où Lot trouva refuge, a
porté dans la suite le nom de Segor.
" A la pointe du
jour, les anges pressaient Lot de quitter la ville
en lui disant : levez‑vous, emmenez votre femme et
vos deux filles, de crainte que vous ne périssiez
vous‑même dans la ruine de la cité.
" Voyant qu'il
différait toujours, ils le prirent par la main et
emmenèrent aussi sa femme et ses deux filles, car le
Seigneur voulait le sauver. Ils le conduisirent
ainsi hors de la ville et lui dirent : sauvez votre
vie, ne regardez point derrière vous et ne vous
arrêtez point dans le pays alentour, mais
sauvez‑vous sur la montagne, de peur que vous ne
soyez enveloppé dans la destruction.
" Lot leur répondit :
Seigneur, puisque votre serviteur a trouvé grâce
devant vous, et que vous avez montré envers lui
votre grande miséricorde en sauvant ma vie, voyez,
je vous prie, que je ne puis me sauver sur la
montagne, car le danger peut me surprendre
auparavant et me faire périr.
– 60 –
" Mais il y a là,
tout près, une ville dans laquelle je puis me
réfugier ; elle est petite et je m'y sauverai ; vous
savez qu'elle n'est pas grande ; et elle me sauvera
la vie.
" L'ange lui
répondit : j'accorde encore cette grâce à la prière
que vous me faites de ne pas détruire la ville pour
laquelle vous me parlez. Hâtez‑vous et sauvez‑vous
parce que je ne pourrai rien faire jusqu'à ce que
vous y soyez entré. C'est pour cela qu'on a donné à
cette ville le nom de Segor. Le soleil s'élevait sur
la terre, lorsque Lot entra dans Segor. " (1)
La pensée essentielle
se dégageant de ce récit peut se traduire ainsi :
les anges pressaient Lot de quitter Sodome, car
approchait l'heure fixée pour le châtiment, et Lot,
de son côté, alléguant sa faiblesse, cherchait à
retarder cette heure de l'expiation suprême. Il a
fallu qu'un ange le prit par la main, le forçant
ainsi à le suivre, et alors Lot, voulant à tout prix
sauver une partie des habitants de la région,
demanda à se réfugier dans la petite ville nommée
Segor : sa prière fut écoutée ; mais, dit encore
l'ange, hâtez vous !
Cette insistance de
l'ange à répéter que l'heure était pressante est
parfaitement reproduite dans Ségor – to
say (sé) répéter, to egg,
pousser, exciter, – hour (haour)
heure, moment.
(1) Gen. c. XIX
– 61 –
Lot était en sûreté
dans Segor, " et le Seigneur fit descendre du ciel
une pluie de souffre et de feu sur Sodome et
Gomorrhe. (1) " Gomorrhe nous dévoile la
transformation de la belle vallée en un marais aux
eaux stagnantes to come (keume)
devenir, – moor (mour) un marais. Les
eaux de ce lac semblent empoisonnées : elles ont une
telle densité que le corps humain ne peut s'y
enfoncer complètement ; leur amertume est extrême et
le sel dont elles sont saturées les rend pesantes à
ce point que le vent le plus impétueux semble
impuissant à leur communiquer quelque mouvement. Les
rives présentent une affreuse aridité ; le regard
n'y rencontre point le vert feuillage des arbres
pour s'y reposer. l'image de la désolation y est
peinte partout ; la malédiction divine est passée
dans la vallée.
" Plusieurs
voyageurs, entre autres Troïlo et d'Arvieux, disent
avoir remarqué des débris de murailles et de palais
dans les eaux de la mer Morte. Ce rapport semble
confirmé par Maundrell et le père Nau. Les anciens
sont plu positifs à ce sujet ; Josèphe, qui se sert
d'une expression poétique, dit qu'on aperçoit au
bord du lac les ombres des cités détruites.
Strabon donne soixante stades de tour aux
(1) Gen. c. XIX.
– 62 –
" ruines de Sodome.
Tacite parle de ces débris : comme le lac s'élève ou
se retire selon les saisons, il peut cacher ou
découvrir tour à tour les squelettes des villes
réprouvées. "(1)
Quelques années avant
ces événements redoutables, Abram qui était sans
postérité, fut prié par Saraï d'épouser Agar sa
servante, afin d'accomplir les promesses divines.
Mais Agar, peu reconnaissante, commença à mépriser
sa maîtresse : celle‑ci indignée de son insolence,
se plaignit d'abord à Abram et châtia Agar avec tant
de sévérité, qu'elle la contraignit de prendre la
fuite. Cet accident de la vie de Saraï a produit ce
premier nom – to say (sé),
raconter, – row (raou) bruit,
querelle, high (haï), violent.
Agar, – to
hag, tourmenter, harasser – to hare
(hère), courir çà et là, – se rendait en
Egypte par la voie du désert lorsqu'un ange lui
apparut et lui ordonna de retourner à sa maîtresse
et de s'humilier sous sa main. Il ajouta : " Je
multiplierai votre postérité de telle sorte qu'elle
sera innombrable... Vous enfanterez un fils ; et
vous l'appellerez Ismaël parce que le seigneur a
entendu votre affliction. " (2)
(1) Itinéraire de
paris à jérusalem par le vicomte de château briand.
(2) Gen. c. XVI.
9‑11.
– 63 –
Ismaël marque la fin
des froissements produits enter Saraï et Agar ; la
servante a été délivrée des mauvais traitements par
sa docilité à s'humilier sous la main de sa
maîtresse – to ease (ise)
délivrer, to maule (mâule)
froisser.
En annonçant la
naissance d'Ismaël, l'ange du Seigneur avait dit à
Agar : " Ce sera un homme fier et sauvage : il
lèvera la main contre tous et tous lèveront la main
contre lui ; et il dressera ses tentes vis‑à‑vis de
tous ses frères. " (1) C'est la peinture fidèle du
caractère des Arabes, descendans d'Ismaël. D'une
nature fougueuse et ardente, aimant avec passion la
liberté et l'indépendance, ils ont toujours
recherché le pillage et les aventures. Leurs tentes
de peaux de chèvres les abritent à peine quelques
instants et bientôt, dégageant des entraves leurs
chevaux toujours sellés, ils dévorent dans une
course rapide les sables brûlants du désert. Leur
couverture de laine blanche jetée sur leur tête
comme un voile vient les désigner au loin aux
regards inquiets des voyageurs qui se hasardent à
traverser leur pays aride et sans arbres – to
hare (hère), courir çà et là – abb,
trame de laine. Durs à la fatigue, supportant
facilement la faim et la soif, dédaignant le
(1) Gen. c. XVI. 12.
– 64 –
repos sur un lit
moelleux, ils ont mériter le nom de bédouins sous
lequel ils sont aussi connus – bed, lit, –
to wean (ouin) priver de.
Treize ans s'étaient
écoulés depuis la naissance d'Ismaël ; Dieu apparut
à Abram et lui dit : " Je suis le Dieu tout
puissant, marchez en ma présence et soyez parfait.
" Je ferez alliance
avec vous et je multiplierai votre race jusqu'à
l'infini...
" Vous ne vous
appellerez plus Abram, mais Abraham, parce que je
vous ai établi pour être le père d'une multitude de
nations. " (1)
Le changement opéré
par Dieu même dans le nom du grand patriarche porte
en entier sur la dernière syllabe d'Abram : c'est
dans la composition celtique de ce nom, ham,
jambe, qui est transformée en heam (him)
l'enfant qui n'a pas encore vue le jour, et cet
heam renferme en lui‑même l'assurance de la
multiplication de sa famille. Ainsi, Abram,
l'étranger est devenu Abraham – to ape,
imiter, – to err, aller çà et là, –
heam (him), l'enfant qui n'a pas encore
vu le jour, – c'est à dire l'étranger à la nombreuse
descendance.
Cette interprétation
par la langue celtique fait aisément comprendre
pourquoi les Arabes appellent
(1) Gen. c. XVII.
1‑5.
– 65 =
Ibrahim ce patriarche
père d'Ismaël et souche de leur famille.
Après avoir prescrit
à Abraham la circoncision comme signe de son
alliance, Dieu, renouvelant la promesse déjà faite
d'une magnifique postérité, lui dit : " Vous
n'appellerez plus votre femme Saraï, mais Sara. Je
la bénirai et je vous donnerai d'elle un fils que je
bénirai aussi. Il sera le père de plusieurs nations,
et des roi de peuples sortiront de lui. "(1)
Après cet ordre donné
par Dieu à Abraham d'appeler sa femme Sara,
l'écriture Sainte la nomme désormais Sara, qu'elle
écrit Saré – to say (sé), dire,
– to ray (ré) rayonner. Ce
rayonnement autour de Sara devait provenir de la
belle postérité annoncée par le seigneur. Abraham
était alors âgé de cent ans et Sara de
quatre‑vingt‑dix. Le Saint patriarche était fort
tourmenté à la pensée que son âge et celui de sa
femme seraient sans doute un bien grand obstacle à
l'accomplissement de la parole divine : il croyait
cependant à cette parole dans la persuasion intime
que Dieu opérerait pour lui un prodige.
Pendant qu'il était
livré à ces anxiétés, Dieu lui dit encore : " Sara
votre femme vous donnera
(1) Gen. c. XVII. 15,
16.
– 66 –
un fils que vous
nommerez Isaac. Je ferai un pacte avec lui et ses
descendans afin que mon alliance avec eux soit
éternelle. " (1)
" Sara conçut et
enfanta un fils en sa vieillesse, dans le temps que
Dieu lui avait prédit. Abraham donna le nom d'Isaac
à son fils qui était né de Sara.
Et il le circoncit le
huitième jour selon le commandement qu'il en avait
reçu de Dieu... Et Sara dit : Dieu m'a donné de
sourire de joie : quiconque le saura, prendra part à
mon sourire de bonheur. " (2)
En hébreu‑chaldéen,
Isaac dérive du verbe tsachak, sourire de
satisfaction, être félicité, et le sens est en
rapport parfait avec le texte sacré. En examinant le
terme Isaac dans sa composition celtique, on y
découvre l'assurance infaillible de
l'accomplissement des promesses divines, assurance
qui doit délivrer Abraham de tous les tourments
d'esprit causés par la vue d'une impossibilité
naturelle – to ease (ise)
délivrer, to hag, tourmenter.
Isaac hérita, non
seulement des grandes richesses de son père, mais
aussi de sa foi et de son obéissance au seigneur.
Avant leur naissance, ses deux fils Esaü et Jacob, –
to jog,
(1)
Gen. c. XVII. 19.
(2)
Gen. c. XXI. 2‑6.
– 67 –
pousser, remuer, –
up (eup) en haut, par‑dessus, –
s'entrechoquaient dans le sein de leur mère Rebecca,
et celle‑ci effrayée, consulta le seigneur qui lui
dit : " Deux nations sont dans votre sein, deux
peuples divisés l'un contre l'autre en sortiront ;
l'un de ces peuples surmontera l'autre peuple et
l'aîné sera assujetti au plus jeune. " L'aîné des
deux enfants était velu et il fut nommé Esaü ; son
frère fut appelé Jacob.
Esaü portait aussi le
nom de Seir – to say (sé)
raconter – hair (hér) poil –
confirmant la remarque contenue dans les livres
saints sur le poil étrange dont son corps était
couvert. L'appellation d'Esaü – to Haze
(hèze) effrayer, – how (haou)
comment de quelle manière se rapporte à la fureur
dont il fut saisi lorsque son frère Jacob après lui
avoir d'abord acheté son droit d'aînesse, lui ravit
la bénédiction paternelle. La haine d'Esaü devint si
violente que Jacob, plein d'effroi, se vit contraint
de fuir la maison paternelle et de se réfugier
quelque temps chez Laban.
C'est poussé, excité
par l'insistance et les conseils de sa mère Rebecca
– rape (rèpe) l'action de ravir, de
transporter, – to egg, pousser,
exciter – que Jacob avait consenti à se servir
(1) Gen. c. XXV. 23.
– 68 –
de la ruse maternelle
pour enlever la bénédiction destinée à son frère
Esaü.
Jacob passa quatorze
années auprès de son oncle Laban – to lap,
envelopper, entortiller, – to hand, se
saisir de – avant d'épouser Rachel. Ce temps avait
été pour lui un véritable temps de vexations
douloureuses qu'il a voulu marquer dans le nom de
Rachel – to rack, harasser, tourmenter
– to ail (él) causer de la
douleur.
Les tourments
multipliés subis dans la maison de Laban
permettaient à Jacob de dire avec vérité à lia et à
Rachel : " Vous savez que j'ai servi votre père de
toutes mes forces. Il a même usé de tromperie envers
moi, et a changé dix fois ce que je devais avoir
pour récompense : et cependant Dieu ne lui a pas
permis de me nuire. " (1)
On sait par qu'elle
suite particulière d’événements Dieu conduisit en
Egypte le patriarche Jacob et ses nombreux enfants.
Joseph, la joie de sa mère Rachel et l'espoir de sa
fécondité, (2) to joy (djoï) se
réjouir, se féliciter, safe (séfe)
sauf, hors péril – avait fait donner à ses frère la
partie orientale de l'Egypte, et les
(1)
Gen. c. XXXI. 6‑7.
(2) Gen. c. XXX. 23.
24.
– 69 –
Hébreux s'étaient
multipliés à tel point que le Pharaon qui gouverna
plus tard le pays, ignorant les immenses services
rendus par Joseph à son royaume, résolut d'arrêter
par tous les moyens cette propagation, inquiétante
pour sa politique ombrageuse. Les mesures les plus
iniques furent décrétées contre les enfants mâles
des hébreux qui venaient au monde, et ordre fut
donné de les jeter dans les eaux du Nil. Pendant que
les jeunes enfants étaient ainsi exterminés, les
officiers publics accablaient les hébreux sous le
poids de travaux écrasants et rendaient leur vie
tout à fait amère.
V
MOISE ET LES HEBREUX
DANS LE DESERT.
Moïse naquit au
milieu de ces circonstances déplorables, et sa mère,
après l'avoir tenu caché durant trois mois, l'exposa
sur le bord du fleuve où Dieu, par une disposition
miséricordieuse de sa providence, attira la fille de
Pharaon. Touchée de la beauté de l'enfant, " elle
l'adopta pour son fils et le nomma Moïse, parce que,
disait‑elle, je l'ai retiré de l'eau. " (1)
(1) Exode, c. II. 10.
– 70 –
Le nom de Moïse se
refuse à une interprétation rigoureuse par
l'hébreu‑chaldéen ; du reste, ce nom est une
allusion à la position particulière de l'enfant
élevé à la cour de Pharaon et à l'action de la fille
du roi retirant cet enfant des bords du fleuve où il
était exposé. L'adoption de Moïse par la fille de
Pharaon l'avait délivré des travaux des champs et
aussi de l'oppression effroyable sous laquelle
gémissaient ses frères. Il n'était plus, par
conséquent, obligé de moissonner, de transporter les
fruits récoltés dans les granges disposées à cet
effet, et c'est là l'explication fort simple et très
claire du nom de Moïse par la langue celtique –
to mow (mô), moissonner, faucher,
to ease (ise), délivrer. –
Josèphe fait remarquer que le nom de Moïse, le
délivré des eaux, était de composition égyptienne,
car dit‑il, mo indique l'eau et ise se
traduit par délivrer. Il est bien probable que
l'appellation égyptienne donnée à Moïse par la fille
de Pharaon signifiait qu'elle l'avait sauvé des eaux
du Nil, tandis que celle par laquelle les Hébreux
ses frères le connaissaient, se rapportait surtout à
son éducation à la cour du roi.
Nous n'insisterons
pas sur les événement miraculeux par lesquels Dieu
conduisit le peuple Hébreu à travers le désert pour
le mettre en possession de la terre de Chanaan à
l'heure
– 71 –
voulus par la
providence ; nous nous contenterons d'ajouter
quelques termes qui sont une démonstration bien
sensible du langage parlé à cette époque par les
descendans de Jacob. Engagé dans le désert, le
peuple après trois jours de marche dans cette aride
contrée, parvint auprès d'une fontaine dont les eaux
étaient impropres à la boisson à cause de leur
mauvais goût, et il se prit à murmurer. Moïse se mit
en prières et le Seigneur lui montra un arbuste dont
il jeta le bois dans les eaux et elle devinrent fort
douces. Les eaux de cette fontaine nommée Mara
n'étaient pas seulement amères ; elles étaient
encore corrompues, et cette altération repoussante
est bien indiquée par le verbe celtique to
mar, gâter.
En arrivant dans le
désert de Sin peu éloigné du Sinaï, les hébreux
ayant consommé les provisions apportées d'Egypte, se
livrèrent à de violents murmures contre leur chef,
et alors Moïse leur dit : " Ce soir, vous saurez que
c'est le seigneur qui vous a tirés de l'Egypte, et
demain matin vous verrez éclater la gloire du
Seigneur... Moïse ajouta : le Seigneur vous donnera
ce soir de la chair à manger et, au matin, il vous
rassasiera de pains. " (1)
(1) Exod. c. XVI.
6‑8.
– 72 –
Le soir étant venu,
un grand nombre de cailles couvrit le camp, et le
matin on vit paraître dans le désert quelque chose
de grenu et comme pilé au mortier, qui ressemblait à
la gelée blanche dont se couvre le sol pendant
l'hiver. Ainsi le seigneur faisait éclater sa
puissance aux regards des hébreux et cet éclat
de pouvoir divin a valu à cette partie du désert le
nom de Sin – shine (shaïne), éclat. –
Le peuple, à la vue de cette nourriture
extraordinaire destinée à remplacer le pain,
l'aliment essentiel, s'écria : " Man hu ?
C'est‑à‑dire, qu'est‑ce que cela ? Car ils
ignoraient ce que c'était. Moïse leur dit : " C'est
là le pain que Dieu vous donne à manger. " (1)
Les deux mots man
hu sont tout à fait dignes d'être remarqué ;
man, en celtique, signifie essentiel,
important, main (mén), et hu
correspond à l'adverbe celtique how (haou),
comment de qu'elle manière. Les hébreux ont dû
s'exprimer ainsi : " Est‑ce donc là l'aliment
principal, main how ? " Et ils
appelèrent man cette nourriture que Dieu leur
distribua pendant tout le temps de leur séjour au
désert. Ils la nommèrent ainsi parce que c'était en
vérité le fondement essentiel de leur alimentation
quotidienne, tenant
(1) Exod. c. XVI. 15.
– 73 –
lieu du blé qu'ils ne
pouvaient point récolter dans leur voyage. Nous
insistons sur cette expression d'une manière
spéciale, parce que l'adjectif celtique main
(mén) principal, essentiel, est entré dans la
composition des mots ménir, dolmen,
désignant des monuments celtiques, des pierres
levées, et elle devient d'un secours précieux pour
l'explication de ces expressions couvertes jusqu'à
ce moment d'un voile impénétrable.
Moïse se trouvait
encore dans le désert de Sin quand Jethro son
beau‑père vint lui ramener sa femme et ses enfants.
Le nom de Jethro, prince et prêtre de Madian, est
intéressant ; il résume le conseil donné à Moïse
pour l'établissement de juges inférieurs destinés à
rendre la justice au peuple dans les affaires les
plus aisées et les plus communes. Jethro ayant vu
Moïse assidu à rendre justice au peuple qui se
présentait à lui depuis le matin jusqu'au soir, lui
dit : " Pourquoi agissez‑vous ainsi à l'égard du
peuple ? Pourquoi êtes‑vous seul assis pour le
juger, de telle sorte que tout ce peuple attend
depuis le matin jusqu'au soir ? Vous ne faites pas
là une bonne chose.
" Vous vous fatiguez
ainsi imprudemment, vous et votre peuple, par un
travail inutile : cette occupation surpasse vos
forces et vous ne pourrez la soutenir seul.
– 74 –
" Mais écoutez le
conseil que j'ai à vous donner, et Dieu sera avec
vous. Soyez assidu au peuple pour les choses qui
regardent Dieu... et pour lui apprendre ce qu'il
doit faire pour plaire au Seigneur.
" Choisissez parmi le
peuple des hommes fermes et craignant Dieu, pleins
de vérité et ennemis de l'avarice, et donnez la
conduite aux uns de mille hommes, aux autres de
cent, aux autres de cinquante, et aux autres de dix.
" Qu'ils réservent
pour vous les grandes affaires et qu'ils jugent
seulement les plus petites : ainsi le fardeau de la
justice étant partagé avec d'autres, vous deviendra
plus léger. "(1)
Moïse suivit ces avis
dont la sagesse était évidente et distribuant la
lourde charge de rendre la justice, il se trouva
ainsi protégé contre une occupation tout à fait
écrasante, qu'il avait pensé pouvoir mener à bonne
fin sans succomber.
Le nom de Jethro
reproduit avec exactitude le fond du judicieux
conseil donné à l'inexpérience de Moïse – to
Shade (chède), protéger, mettre à
l'abri, – raw (râu) nouveau, sans
expérience.
Il ne faudrait pas
s'étonner de voir Moïse tout nouveau dans le
gouvernement du peuple hébreu,
(1) Exod. c. XVIII.
13‑22.
– 75 –
puisque Dieu lui
avait imposé ce pénible fardeau depuis six semaines
seulement.
Quarante‑huit jours
après la sortie d'Egypte, les hébreux atteignirent
le Sinaï. Dans ce lieu, le peuple reçut du Seigneur
les préceptes religieux, politiques et judiciaires
qui le devaient régir. La loi y fut proclamée au
milieu des clartés fulgurantes, au bruit des éclats
d'un tonnerre incessant, et dans la splendeur
immense d'une montagne en feu. Ce brillant appareil
dans la proclamation de la loi a fait donner à cette
montagne le nom de Sinaï – to Shine (Shaïne)
briller, étinceler, éclater – to eye (aï)
regarder, avoir l'oeil sur.–Au sommet du Sinaï où
Dieu l'avait appelé, Moïse reçu l'ordre de
construire le tabernacle et l'arche d'alliance, et
le seigneur désigna nommément à son serviteur les
deux hommes qu'il avait remplis d'intelligence, de
sagesse et de science pour inventer tout ce que
l'art peut faire avec l'or, l'argent et l'airain.
L'interprétation de Bézeléel – bezel (bèzel),
chaton d'une bague, – to lay (lé),
mettre, projeter, – to ell, mesurer, –
et celle de Ooliab, – wool (ououl)
laine, – to eye (aï) avoir
l'oeil sur, – abb, trame de laine, – nous
apprennent que Bèzeléel dut faire en or battu les
deux chérubins – share (shére) partage
– up (eup) en haut ‑ placés de chaque
côté du propitiatoire, tandis
– 76 –
que Ooliab fut chargé
d'exécuter les riches broderies des rideaux du
tabernacle et les vêtements destinés au ministère du
Grand Prêtre. (1)
Après plus d'une
année de séjour au pied du Sinaï, le peuple Hébreu,
conduit par la main divine, fut amené dans la grande
solitude de Pharan – to fare (fère)
passer, voyager, – to hand, conduire
par la main – où ses tentes demeurèrent dressées
jusqu'à ce qu'il reçut l'ordre de se diriger vers la
terre promise pour en prendre possession. Moïse y
avait envoyé des explorateurs, et les hébreux
connaissaient le pays de Chanaan par leurs rapports
Josué était au nombre de ces explorateurs, et
probablement aussi leur chef, puisqu'à cette
occasion Moïse changea le nom qu'il portait
précédemment en celui de Josué. La conduite de la
nation fut, plus tard, confié à Josué, lorsque
Moïse, peu de temps avant de mourir, lui adressa ces
paroles devant tout le peuple assemblé : " Soyez
ferme et courageux, car c'est vous qui ferez entrer
ce peuple dans la terre que Dieu a juré à leurs
pères de leur donner, et vous aussi qui la
partagerez au sort. " (2)
(1) Exod. c. XXXI.
(2) Deut. c. XXXI. 7.
– 77 –
VI
JOSUÉ – JÉSUS
SAUVEUR. – GOLIATH ET DAVID.
La mission de Josué
était bien déterminée par ces paroles. Il était
établi chef de guerre des Hébreux, devait conquérir
la terre de Chanaan et la partager au sort entre les
tribus, mais l'autorité qu'il recevait ne devenait
point héréditaire dans sa famille : il avait
simplement à remplir la fonction de lieutenant du
Seigneur, et Dieu s'était réservé d'une manière
absolue le commandement de son peuple. Le
gouvernement direct de Dieu sur les Hébreux a duré
depuis la sortie d'Egypte jusqu'au jour où le peuple
a demandé un roi possédant les mêmes droits que les
rois des nations voisines. Samuel, à qui le peuple
s'était adressé pour obtenir le gouvernement
monarchique, reçut cette proposition avec déplaisir
et offrit sa prière à Dieu pour connaître sa
volonté, et le Seigneur lui dit : " Ecoutez la voix
de ce peuple dans tout ce qu'ils vous disent ; car
ce n'est pas vous, mais c'est moi qu'ils rejettent,
afin que je ne règne point sur eux... mais
auparavant, faites‑leur bien comprendre et
déclarez‑leur le droit du roi qui leur commandera.
" Samuel exposa aux Hébreux ce
– 78 –
que serait pour eux
l'autorité royale qu'ils sollicitaient avec tant
d'insistance ; mais " le peuple se refusa à écouter
ces explications : Non, lui dirent‑ils, nous voulons
un roi qui nous gouverne. " (1)
La résistance de
Samuel à l'insulte que le peuple adressait à Dieu
par sa demande, la réponse du Seigneur et
l'obstination du peuple démontrent avec évidence
l'exercice direct de l'autorité divine sur les
Hébreux. Ce gouvernement théocratique est gravé dans
le nom de Josué, ou Iehosuah, comme porte le texte
hébraïque. La première partie de ce nom se compose
des lettres, i, he, u, i, renfermés dans
Jehova, et la deuxième partie comprend le verbe
to sway (soué), gouverner,
commander ; ces deux parties, dans leur réunion,
produisent Iosoué, c'est‑à‑dire, gouvernement
de Jehova.
La langue
hébraïque‑chaléenne est impuissante à traduire
littéralement Josué. La seule expression qu'elle ait
pu avancer pour son interprétation est iehoscua,
sauveur, et elle est encore fort loin de la
composition exacte de Josué. Aussi la traduction
hébraïque de Josué par iehoscua, sauveur, a‑t‑elle
fait supposer que le nom de jésus, sauveur et
rédempteur du genre
(1) Premier liv.
Rois. c. VIII.
– 79 –
humain, devait
dériver de la même racine ; car l'ange apparaissant
à saint Joseph lui adressa ces paroles : " Joseph
fils de David, ne craignez point de prendre avec
vous Marie votre épouse, car ce qui est né en elle,
est l'ouvrage du Saint‑Esprit : et elle enfantera un
fils à qui vous donnerez le nom de Jésus : en effet,
il sauvera lui‑même son peuple en le délivrant de
ses péchés. " (1)
Le sens de sauveur et
libérateur doit donc être renfermé dans le nom du
Seigneur Jésus, d'après l'explication de l'ange, et
l'expression de ce sens est parfaitement rendue par
les deux verbes celtiques to ease (ise),
délivrer, to sway (soué)
commander, gouverner, qui correspondent parfaitement
aux caractères hébraïques reproduits dans issâ,
Jésus, et constituent une notable différence entre
le nom de Josué et celui de Jésus. La langue arabe
confirme cette différence entre les deux noms ; on
sait que les Arabes traduisent, Jésus fils de Marie,
par Aïssa ben Mariam.
Ces interprétations
si faciles des noms hébreux par la langue des
Tectosages nous prouvent que ce dernier langage
était bien celui des premiers temps. Pour terminer
la preuve et la
(1) Saint Math. c. I.
21.
– 80 –
rendre, pour ainsi
dire, tangible, nous pouvons tenter encore de
décomposer les deux noms de Goliath et David.
Personne n'ignore les
incidents du combat singulier entre Goliath et
David. Il est cependant nécessaire de rappeler
certains détails qui expliquent parfaitement le nom
donné par les Hébreux au géant philistin. L'armée
des philistins et les soldats de Saül étaient en
présence lorsque Goliath se plaçant devant les
bataillons d'Israël leur criait : " Pourquoi
venez‑vous livrer bataille ? Ne suis‑je pas
Philistin, et vous serviteurs de Saül ? choisissez
un homme parmi vous, et qu'il vienne se battre seul
à seul.
S'il peut me
combattre et me frapper, nous serons vos esclaves ;
mais si je suis moi‑même vainqueur et que je le tue,
vous serez nos esclaves et vous servirez. "
Et le Philistin
disait : " J'ai défié aujourd'hui tous les
bataillons d'Israël et je leur ai dit : Donnez moi
un homme, et qu'il vienne se battre contre moi.
Cependant ce
Philistin se présentait au combat le matin et le
soir, et il agit ainsi durant quarante jours. " (1)
(1) Premier liv. des
Rois. c. XVII. 8‑16.
– 81 –
Le but la fin du
combat proposé par le philistin était
l'assujettissement du vaincu au vainqueur ; en
regardant la stature du géant, les Hébreux furent
saisis d'effroi, et l'audacieux Philistin put jeter
quarante fois son défi aux plus valeureux des
soldats de Saül, sans que personne osât le relever,
– goal (gol), but, fin, to
eye (aï) voir, regarder, – to
add, additionner. –
Cependant un beau
jeune homme, indigné de ces outrages, s'armant
seulement d'une fronde et d'un bâton, s'offrit à
vaincre Goliath au nom du Seigneur des armées. Le
géant s'avança d'un air méprisant ; mais " David se
hâta et courut au combat. Il mit la main dans sa
panetière, il en prit une pierre, la lança avec sa
fronde – davit (dévit) moulinet – et
en frappa le Philistin au front. La pierre s'enfonça
dans le front du Philistin, et il tomba le visage
contre terre, (1) – to dive (daïve),
– s'enfoncer, – to hit, frapper. "
Ces exemples nous
paraissent devoir suffire pour offrir un appui
solide à cette assertion que la langue celtique et
en réalité la langue primitive, et nous ne
poursuivrons pas plus loin ce commencement d'études
étymologiques sur la postérité de Sem.
(1) 1er Liv. des
Rois. c. XVII. 48, 49.

CHAPITRE III
________
LANGUE PUNIQUE
_____________
I
AFRIQUE – PHUTH –
NUMIDES ET MAURES
Parmi les descendans
de Cham nous retiendrons seulement Phuth, son
troisième fils, que les commentateurs de l'Ecriture
Sainte pensent être la souche des premiers habitants
du nord de l'Afrique. Le continent africain présente
un contraste des plus frappants. Dans les partie
traversées par des cours d'eau considérables, la
chaleur s'unissant à l'humidité du sol produit dans
les arbres et les plantes une végétation d'une
vigueur et d'une puissance admirables, mais dans les
régions où les rivières ont un faibles volume d'eau,
la fraîcheur et la fertilité disparaissent
– 83 –
sous l'action d'un
soleil ardent, et le désert apparaît avec son
effrayante aridité. Dans le plus étendu de ces
désert, le Sahara, des plaines immenses de sable
brûlant se déroulent aux regards. Les dangers y sont
extrêmes, car au souffle impétueux du simoun, les
sables agités roulent comme les vagues d'une mer
furieuse. Malheur aux voyageurs que le simoun, dans
sa course rapide, rencontre engagés dans ces parages
funeste ! Le sable soulevé les environne, les
saisit, les ensevelit sous le poids de ses masses
amoncelées – afer (éfeur) vent du
sud‑ouest, rick (rik) un monceau.
Quoiqu'il paraisse
indispensable, en parlant de l'Afrique, de s'occuper
des Egyptiens, cependant nous laisserons de côté et
leurs monuments et la longue liste de leurs rois. Le
labyrinthe égyptien et Mesraïm, premier roi du pays,
nous arrêterons à peine un instant. Mesraïm, second
fils de Cham, nous offre une preuve de la sûreté et
de la véracité des affirmations qui sont une base
scientifique inébranlable. Mesraïm est célèbre comme
premier roi d'Egypte : il mérite néanmoins d'être
autrement signalé à cause d'une fantaisie
architecturale léguée par lui aux siècles
– 84 –
futurs et dont
ceux‑ci, dans leur ingratitude, ont oublié l'auteur.
Les anciens avaient
bâti en différentes contrées certains monuments
appelés labyrinthes, et les plus renommés étaient
celui de Crète attribué à Dédale, et celui d'Egypte,
dont le savant architecte était demeuré inconnu.
Hérodote fait du labyrinthe égyptien l'oeuvre de
douze rois, tandis que Pline pense que Tithoès seul
doit en revendiquer la gloire. D'après la
description faite par Hérodote de cet édifice, douze
palais étaient enfermés dans une seule enceinte.
Quinze cents appartements, mêlés de terrasses,
étaient disposés autour de douze salles principales,
et les communications étaient ménagées de telle
sorte, que ceux qui s'engageaient dans le palais
étaient impuissants à en retrouver la sortie. Il y
avait encore quinze cents appartements souterrains.
Cette construction était‑elle un monument consacré
au soleil, comme Pline semble le croire, ou bien
était‑elle destinée à la sépulture des rois ?
N'était‑ce pas plutôt un caprice, une fantaisie d'un
architecte habile dont les hommes avaient perdu le
souvenir ? Mesraïm seul peut nous mettre sur la voie
et nous montrer l'issue de ce labyrinthe
d'hypothèses, en avouant qu'il est bien l'auteur de
cet édifice étrange, formé de longues rangées
d'appartements, et dû à une fantaisie,
– 85 –
à un caprice de son
esprit – maze (mèze) labyrinthe, ou
bien encore to maze (mèze)
égarer, embarrasser, – row (rô) rangée
file, – whim (houim), caprice,
fantaisie.
Si Mesraïm livre son
secret sans difficulté, il n'en est pas de même de
Phuth, troisième fils de Cham. Ce nom bizarre ne
présente en lui‑même, dans sa forme monosyllabique,
aucun sens dont l'esprit puisse se déclarer
satisfait. Il doit être divisé en deux syllabes, et
alors il offre une signification raisonnable se
rapportant fidèlement au caractère et aux vêtements
des peuplades Libyes et Gaetules dont Puth est le
père.
Ennemis déclarés des
Egyptiens, dont ils différaient d'une manière fort
sensible, les Libyes et les Gaetules menaient la vie
nomade, errant à travers les prairies – lea (li),
prairie, – by (baï), à travers, – et
se faisaient remarquer par la forme particulière de
leurs manteaux, – to get (guet)
avoir, – hull, une couverture extérieure, un
manteau. – Le signe distinctif du manteau des
Gaetules consistait dans le capuchon, et le burnous
algérien nous paraît être une partie traditionnelle
des vêtements portés par Puth et ses descendans. Les
Gaetules nous ont seuls permis, par la vue de leurs
manteaux à capuchon, de saisir la composition du nom
de Puth leur aïeul – foe (fô) ennemi,
– to hood (houd), mettre un
capuchon.
– 86 –
Dans son écrit sur la
guerre soutenue par Jugurtha contre les Romains,
Salluste donne sur les premiers habitants du nord de
l'Afrique certains détails fort intéressants.
D'après cet auteur, l'Afrique aurait été d'abord
occupée par les Gaetules et les Libyes. Ils étaient,
dit‑il, d'une nature rude et intraitable, se
nourrissaient des fruits spontanés du sol et de la
chair des bêtes fauves. Les lois, les chefs, la
civilisation leur étaient inconnus ; errant de çà de
là, ils s'arrêtaient dans le lieu où la nuit venait
les surprendre. Mais, continue Salluste, après la
mort d'Hercule, arrivée en Espagne suivant la
croyance des Africains, son armée composée de divers
peuples et privée de son chef, se répandit de tous
côtés. Les mèdes, les Perses et les Arméniens qui
faisaient partie de son armée, traversèrent la mer
sur des vaisseaux et s'emparèrent du littoral de
notre mer. Les Perses se dirigèrent surtout du côté
de l'Océan : ne trouvant point dans les champs les
matériaux nécessaires à la construction de leurs
maisons, ils se servirent des carènes renversées de
leurs vaisseaux en guise d'habitation. Ils se
mêlèrent peu à peu aux Gaetules par des alliances,
et comme ils changeaient souvent de lieu suivant la
fertilité des campagnes qu'ils rencontraient, ils se
donnèrent à eux mêmes le nom de Numides. Au reste,
– 87 –
les constructions des
Numides de la campagne, oblongues et couvertes de
briques arquées (tuiles à canal) sont appelées par
eux mapalia.
Les libyes
s'allièrent avec les Mèdes et les Arméniens : ils
occupaient la contrée baignée par la mer africaine,
tandis que les Gaetules vivaient plus au loin dans
les terres, dans le pays brûlé par un ardent soleil.
Les libyes possédèrent des villes de bonne heure,
et, séparés de l'Espagne par un simple détroit, ils
y faisaient des échanges. Peu à peu les Libyes
altérèrent leur nom et s'appelèrent, dans leur
langue barbare, Maures au lieu de Mèdes.
Les affaires des
Perse étaient bientôt devenues prospères ; et peu
après, s'éloignant de leurs pères à cause de leur
nombre trop considérable, ils occupèrent, sous le
nom de Numides, le pays situé autour de Carthage et
que l'on a nommé la Numidie. Subjuguant peu à peu
leurs voisins, ils se firent un nom plein de
gloire ; car les Gaetules étaient plus guerriers que
les libyes : enfin, la partie inférieure de
l'Afrique tomba sous la domination des Numides, et
tous ceux qu'ils avaient vaincus, se joignirent à
eux et prirent leur nom.
Tous ces
renseignements donnés par Salluste sont fort
précieux et répandent quelque lumière sur les
origines de ces africains, mais nous
– 88 –
sommes surpris qu'il
les prive gratuitement de lois, de chefs et de
civilisation. Ils pouvaient bien ne pas avoir de
lois écrites ; cependant il est difficile de leur
refuser des traditions formant certainement la base
de leur législation. On ne voit guère, d'ailleurs,
quelle notable différence s'est introduite dans la
vie de ces peuples depuis qu'ils habitent la terre
africaine. Toujours couvert de leurs manteaux à
capuchon, sans cesse à la recherche de prairies
nouvelles pouvant fournir à leurs troupeaux une
abondante nourriture, conservant à travers les
siècles leurs habitudes nomades, nous les retrouvons
encore, à peu de chose près, tels que Salluste les
décrit. Les maisons construites que l'auteur latin
désigne par mapalia – to map, tracer,
– hall, habitation, – n'ont pu faire renoncer
la plus grande partie de la population à parcourir
en tout sens le pays pour conduire les troupeaux
dans des prairies nouvelles et plus fraîches –
new (niou) nouveau, – mead (mid)
prairie.
Les Numides étaient
possesseurs de magnifiques chevaux, et on sait avec
quels soins minutieux les Africains les élèvent afin
de leur communiquer toute l'énergie nerveuse et
l'ardeur qu'ils désirent voir en eux. Néanmoins,
malgré la vigueur de ces excellentes bêtes, les
Numides étaient impuissants à traverser les immenses
– 89 –
désert de l'Afrique ;
le chameau seul était propre à parcourir ces vastes
solitudes, à cause de son extrême sobriété et de la
disposition singulière de son estomac qui renferme
un poche remplie d'eau, (1) constituant un admirable
réserve qui lui permet de passer plusieurs jours
sans boire, les chameaux sont fort nombreux dans
l'Ouest africain et les Maures les regardent avec
raison comme la richesse principale d'une famille.
Les anciens libyes et Gaetules connaissaient fort
bien la raison de la sobriété du chameau et de la
facilité avec laquelle il voyage de longs jours,
sans s'arrêter à une source afin d'apaiser la soif ;
aussi l'employaient‑ils de préférence au cheval pour
s'aventurer au milieu des déserts. Cet emploi
ordinaire du chameau dans les voyages, et la
connaissance certaine de la poche pleine d'eau
contenue dans l'estomac de cet utile animal sont la
cause du nom de Maures, donné aux Libyes mêlés
d'Arméniens et de Mèdes de l'Ouest de l'Afrique, –
maw (mâu) panse, jabot, – to
wear (ouér), employer, avoir sur soi pour
l'usage.–L'expression maw (mâu)
désigne bien le chameau, puisque dans la langue des
Tectosages, une étoffe faite de poil de chameau
s'appelle mohair.
Salluste, adoptant la
croyance des africains, fait mourir Hercule en
Espagne, et prétend que ses guerriers
(1) Daubenton.
Cuvier.
– 90 –
abandonnant l'Ibérie
passèrent sur la terre d'Afrique. Pour nous, nous
tâcherons de nous appuyer sur certains faits
racontés par la mythologie, et malgré ses accès de
démence, elle laissera échapper quelque lueur sur ce
point historique. La Mauritanie était pour elle le
jardin des Hespérides renfermant les arbres aux
pommes d'or. Un dragon à cent têtes était préposé à
leur garde, et, les yeux sans cesse ouverts sur les
fruits précieux, il poussait d'horribles
sifflements. Hercule avait promis à Eurysthée, roi
de Mycènes, de lui apporter les pommes d'or du
jardin des Hespérides. Il se transporta dans la
Mauritanie, au milieu des Atlantides, tua le dragon
et, s'emparant des pommes d'or, il revint triomphant
les offrir à Eurysthée.
En changeant le nom
du héros de cette histoire, le récit de Salluste
apparaît tout éclairé par la lumière de la fidèle
vérité. La nation Gauloise est ici représentée par
Hercule, et la mythologie elle‑même nous livre le
fil conducteur, en disant que Galatès, guerrier
renommé pour ses exploits et ses vertus, et aussi
roi des Gaulois, était fils d'Hercule. Elle nous
insinue donc qu'hercule, c'est‑à‑dire l'héroïque
famille gauloise, semblable à une marée montante et
envahissante, après avoir inondé l'Europe, a atteint
le coeur de l'Espagne, et y a vu son flot démesuré
expirer
– 91 –
par la longue et
opiniâtre résistance des Ibères. Une partie
seulement de l'immense armée a traversé la mer et
s'est emparée des magnifiques vallons situés au pied
de l'Atlas, où croissent en abondance les orangers
et les citronniers portant leurs splendides pommes
d'or. Les Atlantides, Libyes et Gaetules ont vécu
avec les conquérants et sont devenus les Maures et
les puissants Numides dont la cavalerie était si
redoutée des Romains.
II
LES GÉNÉRAUX DE
CARTHAGE – LES ROIS NUMIDES.
Les Numides virent
plus tard une colonie de Phéniciens aborder sur
leurs côtes et y fonder des établissements. La ville
de Carthage y fut bâtie, 888 ans avant Jésus‑Christ,
par Didon, princesse tyrienne. Adonnée au commerce,
Carthage s'enrichit, s'accrut avec rapidité et
étendit ses possessions sur le littoral africain et
sur les côtes de l'Espagne, attrayante surtout par
ses mines d'or et d'argent. Devenue guerrière par
l'obligation qui s'imposait à elle de soutenir son
commerce, elle levait des armées composées de
soldats mercenaires auxquels elle ne pouvait
– 92 –
guère se fier. Les
Numides, les Ibères, les Gaulois y abondaient, mais
ces guerriers d'emprunt restaient seulement à son
service, lorsqu'un habile général savait les mener à
une victoire et à un pillage. Une bataille perdue
mettait en fureur ces soldats étrangers, et ils
massacraient les généraux malheureux qui n'avaient
pas su conduire leur impétueux élan. Cette nécessité
de vaincre renferme peut‑être en elle‑même tout le
secret de l'habileté des brillant et intrépides
généraux Carthaginois.
Les Phéniciens,
fondateurs de Carthage, parlaient la langue
cananéenne, et ce langage, malgré de nombreuses
dissemblances devait accuser une étroite parenté
avec celui des Numides. Mais est‑ce bien à la langue
des Carthaginois qu'il faut attribuer le nom de
punique, et ce nom n'appartiendrait‑il pas plutôt à
celle des Numides et des Maures ? Nous croyons que
la langue Numide peut aisément le revendiquer, et,
en examinant de près le langage actuel des Kabyles,
on s'assurera qu'il est fait de jeux de mots et par
conséquent le seul punique – to pun (peun)
faire des jeux de mots.
Cette assertion ne
paraîtra pas sans fondement, si nous comparons les
noms des plus illustres généraux Carthaginois cités
par l'histoire avec ceux des rois Numides, et on
pourra sentir dans les noms
– 93 –
propres Carthaginois
une certaine résistance à l'interprétation, tandis
que les noms propres numides cèderont très
volontiers les monosyllabes qui les forment.
Amilcar, père du
célèbre Annibal, avait donné en Sicile contre les
Romains des preuves incontestables d'habileté
militaire. Poursuivant avec une ardeur opiniâtre la
prospérité et l'extension de l'empire Carthaginois –
to aim (ém), diriger – weal
(ouil), prospérité, – to care (kère),
se mettre en peine de, – il soumit le littoral de
l'Afrique jusqu'au Grand Océan, et en passant en
Espagne, il s'empara de la côte occidentale de ce
pays. Il avait, sur ses instances réitérées, amené
avec lui le jeune Annibal, pour l'initier à la
direction d'une armée et à la science guerrière.
Amilcar avait aussi avec lui, dit Cornélius Nepos,
un beau jeune homme, Hasdrubal, qu'on lui reprochait
d'aimer beaucoup plus qu'il n'aurait fallu. De là il
advint, que l'inquisiteur des moeurs lui défendit de
garder Hasdrubal dans sa maison. Amilcar prit alors
le parti de donner sa fille en mariage à ce jeune
homme ; il était dans leur moeurs, qu'on ne pouvait
défendre à un gendre d'habiter avec son beau‑père.
Nous rapportons ce fait, ajoute Cornélius Nepos,
parce que, après la mort d'Amilcar tué dans un
combat, Hasdrubal devint le
– 94 –
chef de l'armée.
Annibal ne prit le commandement qu'après la mort
d'Hastrubal assassiné par l'esclave d'un chef
Lusitanien.
Le fait raconté par
Cornélius Nepos donne l'intelligence de la formation
du nom d'Hastrubal. Pressé qu'il était par
l'inquisiteur des moeurs, Amilcar voulant faire
cesser des bruits fâcheux et désirant toutefois
garder Hastrubal avec lui, se hâta de lui donner sa
fille en mariage – to haste (heste),
se hâter, – row (raou) bruit, – to
pall (pâul), abattre, affaiblir.
La présence
d'Hastrubal dans la maison de son père et son
élévation à la tête de l'armée après la mort
d'Amilcar durent être pour Annibal une source
d'ennuis ; en effet, soumis au commandement se son
beau‑frère, l'essor de son génie militaire se
trouvait continuellement comprimé. Aussi l'avait‑on
appelé avec raison Annibal, c'est‑à‑dire, ennuyé de
mener la vie insipide d'un officier subalterne, –
to annoy (annoï), ennuyer, – to
pall (pâul) devenir insipide.
Nous n'avons pas à
rapporter les exploits de ce grand capitaine ; ils
sont assez connus et ne sont point d'ailleurs utiles
à notre dessein.
La difficulté
d'interprétation présentée par ces noms propres de
généraux Carthaginois n'existe plus dans ceux des
rois Numides et les expressions celtiques s'y
déroulent avec la plus grande facilité.
– 95 –
Après la guerre
punique, Carthage avait tout perdu, son empire, ses
richesses, son commerce : il lui restait à peine la
vie, que Massinissa, chef de la Numidie et allié des
Romains, cherchait à lui enlever. Ce numide, qui a
vécu un siècle, se tenait encore nuit et jour à
cheval, à l'âge de quatre‑vingt‑dix ans, harcelant
les malheureux Carthaginois sans trève ni merci.
Cavalier indomptable, Massinissa ne connaissait
point le repos dans une maison ou dans les
hôtelleries dont il faisait profession de se moquer,
– mass, amas – to inn, loger
dans une auberge, – to hiss, se
moquer.
" Après les victoires
remportées sur les Carthaginois et la prise des
Syphax – to see (si), penser, –
to face (fèce) affronter,
braver, – dont l'empire s'étendait au loin dans
l'Afrique, le peuple romain donna au roi Massinissa
toutes les villes et terres qu'il avait prises de sa
main. " (1)
Le vieux Numide
demeura toujours l'allié fidèle des Romains et
laissa son royaume à son fils Micipsa ; ses deux
autres fils, Mastanabal et Gulussa, avaient été
enlevés par la maladie. Salluste garde le silence
sur leur vie, se contentant de les nommer et
établissant seulement
(1) Salluste, bell.
jug.
– 96 –
que Mastanabal était
père de Jugurtha. Mastanabal ne possédait pas sans
doute la sauvage énergie de son père Massinissa,
puisque son nom le déclare épouvanté de devenir le
chef d'une nation si considérable, – mass, amas,
assemblée, – thane (théne) chef, –
to appal, effrayer.– Quant à Gulussa, son
nom dénotait clairement ses habitudes de tromperie –
to gull (gueull) tromper,
duper, to use (iouse) habituer,
se servir de –.
Macipsa, devenu chef
des numides ne se fit connaître que par la faiblesse
de son caractère, laissant perdre et manquant toutes
les occasions favorables pour agrandir encore
l'immense territoire légué par son père, – to
miss, manquer, perdre, – to heap
(hip) entasser, – to say (sé),
dire, raconter–.
Ce prince avait
adopté son neveu Jugurtha et l'avait fait entrer en
partage du royaume avec ses deux fils Adherbal et
Hiempasl. Chéri des Romains à cause des qualité
guerrières dont il avait fait preuve au siège de
Numance, où Micipsa l'avait envoyé avec l'espoir
secret de l'y voir périr, admiré comme le plus
ardent chasseur de lions et le plus hardi cavalier
de toute l'Afrique, Jugurtha était dévoré de
l'ambition de posséder seul la Numidie. Comptant sur
la vénalité des Romains, il fit d'abord assassiner
– 97 –
Hiempsal – to
eye (aï) examiner, – to aim
(ém) diriger, – sale (séle),
vente, marché, – le plus jeune de ses rivaux.
Adherbal le gênait
encore ; car le sénat avait partagé la Numidie entre
lui et Adherbal. Jugurtha ajoute un autre crime,
assiège, malgré l'opposition des Romains, Adherbal,
dans une ville où il s'était réfugié, s'empare de ce
dernier héritier de Micipsa et le fait périr dans
les tourments, – to add, ajouter, –
heir (hér), héritier, – to pall
(pâul), abattre –.
Jugurtha s'est donc
élevé, par deux crimes affreux, jusqu'au trône de
Numidie, et il était bien juste que son nom le
rapportât aux générations futures – to
juke (djiouke), s'élever, – to
hurt (heurt), nuire, faire tort –
Livré aux Romains par
la trahison de Bocchus – to balk (Bâuk),
tromper – son beau‑père, roi de Mauritanie – maw
(mâu) panse, – to wear (ouér)
porter, avoir sur soi pour l'usage, – to
hit, frapper, – hand, main, – Jugurtha
fut jeté dans un sombre cachot où on le fit périr
par les tortures de la faim.
Après la conquête de
la Numidie par les Romains, des collèges furent
établies dans les grandes villes africaines pour
l'étude des lettres latines et grecques : néanmoins,
la langue punique ne cessa point d'être parlée dans
son intégrité ; et
– 98 –
ce qui le prouve,
c'est le nom punique donné vers la fin du quatrième
siècle après Jésus‑Christ, au plus grand génie que
l'Afrique ait produit, Saint Augustin. A peine âgé
de vingt‑huit ans, possédant toutes les
connaissances humaines enseignées à cette époque, il
professait avec éclat la rhétorique à Carthage et
quelques années après à Milan où il fut baptisé par
saint Abroise en 387. Intelligence élevée, avide de
toute science et surtout de vérité, esprit subtil et
pénétrant, ayant une parole entraînante et un
raisonnement d'une logique inébranlable, saint
Augustin méritait certainement le nom d'Aigle des
assemblées, qu'on lui a donné avec justice et
bonheur – hawk (hâuk), faucon, –
hustings (heusstings), salle d'assemblée.
III
LANGUE KABYLE
Il est admis dans
l'histoire que les Carthaginois se distinguaient des
autres peuples par la finesse et la ruse. Mis au
service de leur commerce, cet esprit de ruse avait
produit une noire fourberie, et ce dernier vice
était si bien connu que, pour exprimer la plus
insigne mauvaise foi, on disait une foi punique ou
carthaginoise. Cependant la
– 99 –
mauvaise foi
n'appartenait point aux seuls Carthaginois et
Gulussa, fils de Massinissa, nous a suffisamment
édifiés sur la tromperie habituelle de ses moeurs et
aussi de celles des Numides.
Les Kabyles sont les
descendans incontestés des Numides et sous une
dénomination affectant une forme différente, les
moeurs chicanières de ce peuple se montrent au grand
jour s'accusant de la formation du nom de Kabyle –
to cavil, chicaner.– Les Maures,
relativement à la chicane, n'ont rien à envier aux
habitants de la Grande Kabylie du Sud de l'Atlas.
Les uns et les autres
ne manquent aucune occasion de prouver combien sont
grandes leur mauvaise foi et leur perfidie. Les
Kabyles des montagnes algériennes méritent plutôt le
nom de Berbers, qui leur est, du reste, attribué
avec raison. D'une sobriété étonnante, quelques
figues sèches et un peu de pain suffisent à leur
alimentation, et leurs habitations, d'un dénûment
extrême, marquent dans les moeurs de ce peuple
l'habitude de la pauvreté et l'énergie à supporter
la privation de tout bien‑être – to bear
(bér) supporter, – to bare (bére)
dépouiller.
Les Berbers montrent
une grande honnêteté dans leurs relations. Elle
provient sans
– 100 =
doute de ce que,
pendant plusieurs siècles, le christianisme a été
florissant dans leur pays ; et cette cause est plus
que suffisante pour que les moeurs d'un peuple
accusent le changement profond opéré par la pratique
exacte des préceptes évangéliques. Malgré le
despotisme musulman qui les a saturés de
mahométisme, les Berbers n'ont point perdu le
souvenir de la religion chrétienne, et ils montrent
avec orgueil la croix tatouée qu'ils portent sur
leur main ou sur leur bras. Les traditions tiennent
une grande place dans les moeurs des Kabiles
algériens ; ce trait de ressemblance avec la famille
celtique témoigne hautement de la vérité des
assertions de Salluste. On peut voir fleurir encore
au milieu d'eux la constitution qui régissait
autrefois la Gaule et telle que César la décrite.
" On a dit plusieurs
fois, dit le général Daumas dans son écrit La
kabylie, que la Kabilie était la Suisse de
l'Algérie. Si cette comparaison est juste au point
de vue topographique, elle ne l'est pas moins au
point de vue de la constitution politique.
Considérée dans son ensemble, la Kabylie est une
agglomération de tribus qui se gouvernent elles
mêmes, d'après des principes que la tradition et
l'usage ont introduits dans les moeurs.
– 101 –
" Mais ce qui
distingue principalement l'organisation fédérative
de la Suisse de celle de la Kabylie, c'est, chez la
première, le caractère de permanence. La fédération,
n'étant chez la seconde qu'accidentelle, est réduite
aux proportions d'une alliance née des nécessités du
moment et qui cesse avec elles. Le caractère
dominant de la constitution Kabyle est donc
l'indépendance absolue de la tribu vis‑à‑vis des
autres tribus ; chaque tribu, en un mot forme un
état séparé. "
Cette organisation
singulière des Kabyles algériens décèle évidemment
l'influence gauloise s'exerçant au milieu des
anciens Gaetules et Libyes, et il n'y a pas
jusqu'aux traits de leur visage qui ne viennent
confirmer la présence des Celtes dans le Nord de
l'Afrique, puisque, dit encore le général Daumas,
" beaucoup de Kabyles ont les yeux bleus et les
cheveux roux. " On pourrait attribuer ces caractères
naturels au mélange des envahisseurs Vandales : mais
comme ce dernier peuple appartenait aussi à la
famille de Gomer, il a dû reproduire plus fortement
les caractères imprimés dans les Berbers par le
premier mélange de sang Gaulois.
On a remarqué avec
quelle facilité la langue punique, par ses jeux de
mots, savait créer les noms propres d'hommes. Les
noms communs
– 102 –
offrent aussi des
combinaisons semblables et représentent en plusieurs
monosyllabes associés, des phrases entières avec un
sens rigoureux et précis. Nous choisirons dans la
langue Kabyles quelques‑unes de ces expressions pour
que l'on puisse remarquer avec quel soin admirable
les mots, substantifs ou verbes, sont composés.
Les anciens habitant
de l'Afrique du nord n'élevaient point probablement
les abeilles, dont les essaims se propageaient en
liberté dans le creux des troncs d'arbres ou les
fentes des rochers. Ces abeilles, peu accoutumées au
voisinage des hommes et des animaux, tourmentaient
cruellement les voyageurs qui passaient près de leur
demeure et troublaient par leurs piqûres cuisantes
la tranquillité de leur marche. Tel est le sens du
mot abeille, en Kabyle, thizizouith, au
pluriel thizizoua – to tease (tize),
tourmenter – ease (ize) tranquillité,
– way (oué) chemin –.
Nous employons pour
cette interprétation le pluriel thizizoua ;
toutefois en nous affranchissant des terminaisons
propres au singulier ou au pluriel, le sens de
thizizouith devient encore plus facile et plus
clair, puisque c'est alors le bourdonnement de
l'insecte qui importune et trouble le repos – to
tease (tize) importuner, – ease
(ize), repos – to whiz (houiz),
bourdonner.
– 103 –
Le mot miel, en
Kabyle tament, reproduit cette pensée que la
douceur finit toujours par apprivoiser et dompter –
to tame (tème), dompter,
apprivoiser, to end, finir.
Les termes puniques
sont certainement l'expression exacte des habitudes
de ces peuples, et cette vérité se manifeste avec
puissance dans le verbe ramper, en Kab. mour'edh.
Pour nous, ramper c'est avancer à la manière du
serpent, mais pour un Numide, c'est s'engager dans
les hautes herbes d'un marécage et aller de l'avant
sans être aperçu – moor (mour),
marécage, – to head (héd),
conduire –.
Le verbe accabler, en
Kab. r'ot, nous dit ce que pense ce peuple
d'un homme qui se laisse surprendre par la chaleur,
raw (râu), neuf, sans expérience, –
hot, chaud, brûlant ; – il faut être, en effet,
sans expérience de leur soleil brûlant pour
s'exposer à ses ardeurs à certaines heures du jour.
Lorsque Salluste nous
transmet que les libyes et les Gaetules vivaient
comme des nomades, il oublie de nous dire que la
terre nue ne leur plaisait guère pour y prendre leur
repos ; c'était vraiment une couche trop
douloureuse ; aussi avaient‑ils soin d'y remédier en
étendant leurs membres fatigués sur une bonne
" natte " en Kab. aguerthil, – to
ake (éke), faire mal,
– 104 –
être douloureux, –
earth (erth), terre, – to heal
(hil), remédier à.
Nous pourrions croire
que les Numides, à cause de leur nature fougueuse,
se plaisaient au bruit et aux querelles ; mais leur
langage dément cette pensée ; car un homme se
livrant au vacarme est un homme " abject "
amekrouth, – to make (méke),
faire, – row (raou), bruit vacarme –.
Il y a, dans la
langue Kabyle, bien des expressions
monosyllabiques ; dans ces mots et leurs
correspondants celtiques, il y a toujours une
corrélation d'idées frappante. Ainsi moudre, en Kab.
zed, se rapporte à to sate (séte),
rassasier : embraser, en Kab. serr', dérive
de to sear (sir), brûler :
nuit, en Kab. idh, vient de to heed
(hid), prendre garde : vilipender, en Kab.
simes, isames, correspond à to
shame (chème) faire honte.
Ce peuple belliqueux
connaissait la bonne épée de combat, et, retenue
dans la main vigoureuse de ses guerriers, cette épée
affilée retombait sur la tête de l'ennemi avec un
sifflement aigu ; épée en Kab. se traduit par
iskim, – to hiss, siffler, –
keen (kin) aigu, affilé.–
Le verbe abdiquer
retient dans la langue numide un sens parfait : nous
donnons, nous, à cette expression prise en soi, la
signification
– 105 –
d'une renonciation
volontaire au souverain pouvoir : les numides y
voient un héritier du trône, choisi parfois en toute
liberté, et dans bien des circonstances reçu par
force, c'est‑à‑dire imposé : abdiquer en Kab. se
traduit par tekher, – to take (téke),
prendre, recevoir, – heir (hér),
héritier.
Il n'est pas jusqu'à
notre vulgaire salière, en Kab. thaqsoult,
qui n'ait les honneurs d'un mot composé, – to
take (tèke), prendre, – to
salt (sâult), assaisonner de sel, saler.
Nous pourrions
ajouter d'autres mots Kabyles avec leur
décomposition et leur signification en regard ; mais
les exemples cités sont assez nombreux pour montrer
dans la langue punique une dérivation parfaite du
langage qui a précédé Babel.
Nous ne devons point
cependant terminer ce court aperçu, sans interpréter
le terme aroumi appliqué par le Kabyle au
français. Pris collectivement, les français sont
connus, en Kabylie, sous le nom de Afransis ; mais
le Français pris en soi est, pour le Berber, l'homme
qui l'a dompté, qui l'a surpassé en valeur
guerrière, devant qui il doit s'incliner comme on
s'incline devant la supériorité, et pour renfermer
dans un seul mot toute son admiration, le français,
c'est " le Grand " – aroumi, – roomy (roumi),
grand –.

CHAPITRE IV.
________
FAMILLE DE JAPHETH.
______________
I
GOMER ET SES FILS.
Nous avons déjà fait
observer que Gomer, fils aîné de Japheth, était
l'héritier des qualités corporelles distinguant
Japheth de ses frères Sem et Cham. Gomer est la
souche de la grande famille celtique, et saint
Jérôme ainsi que Josèphe n'hésitent pas à appeler
ses descendans Gomériens et Cimmériens. Les Galates
établis en Asie appartiennent, d'après saint Jérôme,
à la même famille Cimmérienne ou Cimbrique. La plus
grande partie de ces Galates étaient des Tectosages,
venus du midi de la Gaule à la poursuite d'aventures
guerrières.
– 107 –
Les trois fils de
Gomer, Askenez, Riphath et Thogorma sont nommés par
l'Ecriture Sainte parce qu'ils étaient chefs de
peuples.
Quelques descendans
d'Askenez – to ask, réclamer, –
keen (kine), très froid, pénétrant, –
haze (hèze), brouillard, brume, – se
dirigeant vers le nord de l'Europe, ne craignirent
pas de se fixer dans un pays aux brumes intenses,
tandis que les autres s'établissaient en Asie tout
près des Mèdes. Ils devinrent leurs alliés dans la
guerre entreprise contre Babylone, et avec ces
paroles de Jérémie : " Appelez contre Babylone les
rois d'Ararat, de Menni et d'Askenez. " (1)
Josèphe croit que
Riphath et ses enfants occupèrent la Paphlagonie,
sur les bords méridionaux du Pont‑Euxin, et cela
paraît bien admissible ; car le nom de Riphath
indique un marin très versé dans les manoeuvres se
rapportant à la voilure des navires, – to
reef (rif), prendre des riz, carguer les
voiles, – to add, ajouter –.
Quant à Thogorma que
même Josèphe pense avoir habité la Phrygie, son nom
(1) Jer. c. 51. v.
27.
– 108 –
dévoilerait
l'inventeur des tissus de soie – tow (tô),
filasse, étoupe, – to hawk (hâuk),
colporter, – worm (oueurm), ver.
Les autres enfants de
Gomer que la Genèse ne nomme pas, demeurèrent sans
doute avec lui et constituèrent l'immense famille
celtique, qui vint établir le centre de sa
domination dans la Gaule, après avoir traversé, en
suivant le cours du Danube, l'Europe – to
err, aller çà et là, – to hope (hôpe)
espérer – encore inhabitée.
Si nous pouvions
connaître les anciennes dénominations que les
enfants de Gomer ont laissées après eux dans leurs
lentes migrations vers l'occident, il nous paraît
croyable que ces dénominations seraient aisément
expliquées par la langue des Tectosages et
fourniraient des renseignements précieux sur leur
marche et leurs diverses étapes à travers l'Europe.
II
TUBAL ET LES
IBERES.
Parmi les frères de
Gomer, Tubal est le seul qui nous intéresse en ce
moment. Il s'était fixé avec sa famille ou son
peuple au pied des montagnes du Caucase entre le
Pont‑Euxin et la mer
– 109 –
Caspienne. Cette
position fit de Tubal et de ses enfants de hardis
marins, et son nom justifie cette pensée, puisque
Tubal signifie une maison, une habitation en forme
de baquet, – tub (teub) baquet, cuve,
– hall (hâul) habitation, salle –.
Ptolémée désigne les
descendans de Tubal par le nom de Tobéliens, tandis
que Josèphe les connaît sous celui d'Ibériens. Une
partie de ces Ibères abandonna le pays où ils
s'étaient d'abord propagés, et se mettant, au dire
des traditions basques, sous la conduite de Tharsis,
neveu de Thubal, ils affrontèrent les périls de la
navigation, à la recherche d'une nouvelle contrée
dans laquelle ils pourraient s'établir, en
conservant leurs habitudes et leurs moeurs
particulières. Il est tout à fait curieux de
constater que le nom de Tharsis, chef des Ibères
émigrants, s'explique par la langue celtique aussi
bien que celui de Tubal. Il nous révèle que les
vaisseaux des Ibères, quelque forme qu'ils eussent
d'ailleurs, étaient parfaitement goudronnés et en
état de tenir la mer – tar, goudron, marin, –
to size (saïze), enduire d'une
matière visqueuse –.
Les Ibères
portaient‑ils déjà ce nom avant de se diriger vers
l'Espagne, ou bien l'ont‑ils reçu des Celtes lorsque
les deux peuples se sont heurtés au midi de la
Gaule ? Il serait bien difficile de l'affirmer d'une
manière absolue ; d'ailleurs,
– 110 –
la solution de cette
question ne nous paraît point nécessaire. La seule
chose que nous tenions à faire remarquer, c'est que
les Ibères formaient une population bien
clair‑semée, lorsque les Celtes les ont rencontrés
et noyés, pour ainsi dire, dans le flot de leur
nation immense.
Transportés par leurs
vaisseaux sur les côtes de la Péninsules Hispanique,
pendant que les Celtes suivaient lentement le cours
du Danube, il n'est pas étonnant que les Ibères
aient occupé l'Espagne avec tranquillité, et se
soient répandus sur le terrain Gaulois encore
désert, jusqu'à ce que l'arrivée des Celtes les ait
peu à peu refoulés au delà des Pyrénées.
Les Basques se
considèrent avec raison comme les véritables
descendans des Ibères, ayant pleinement conservé
leurs traditions et une langue particulière.
Quelques esprits
audacieux auraient voulu faire de ces Basques des
hommes primitifs, n'ayant aucun rapport, aucune
liaison avec les autres variétés humaines qu'ils
auraient précédées dans le monde. Cette pensée est
en contradiction complète avec ce que nous dit la
Genèse : " Noé avait donc trois fils qui sortirent
de l'arche, Sem, Cham et Japheth. Ce sont là les
trois fils de Noé : et c'est d'eux qu'est sortie
– 111 –
toute la race des
hommes qui sont sur la terre. " (1)
L'Ecriture‑Sainte
contenant l'inaltérable vérité, il faut de toute
nécessité que la langue basque, que l'on voudrait
considérer comme ne se rattachant à aucune autre, ne
soit, en réalité, qu'un des nombreux rameaux de
langue primitive.
Ce langage, conservé
au milieu des montagnes par des hommes de fer, d'une
opiniâtreté et d'un courage indomptables, s'est
perpétué dans une remarquable pureté et montre dans
sa formation une dérivation certaine de la langue
parlée par Noé et Japheth, puisque c'est un composé
dont les éléments sont pris dans la langue
primitive.
La langue basque se
trouve par ce fait impuissante à donner aucune
dénomination raisonnable, puisque chacun de ses
termes forme déjà une phrase complète ; et de la
sorte, elle ne possède plus les mots élémentaires,
pour les associer et arriver à former des
expressions nouvelles énonçant les qualités diverses
des hommes ou de la nature dont elle voudrait
présenter une idée exacte. Ce fait important
explique comment les Ibères ont dû subir les
(1) Gen. c. IX. v.
18. 19.
– 112 –
dénominations
imposées par le Neimheid Gaulois et qui exprimaient,
par l'association des monosyllabes celtiques, ce
qu'ils étaient eux‑mêmes impuissants à traduire.
Du reste, les noms de
Cantabres, Gascons, Vardulles et Ibères qui leur
furent donnés, sont pris avec tant de vérité dans le
vif de leurs moeurs, qu'il leur était impossible,
soit de les changer, soit de les rejeter.
Avant d'expliquer les
noms particuliers de ces tribus Ibériennes, nous
essaierons d'interpréter quelques mots de la langue
basque afin que sa filiation avec la langue
primitive reste indubitable.
III
LANGUE BASQUE.
Il n'est pas sans
intérêt de remarquer, par la formation des mots
basques, comment s'est faite à Babel la confusion du
langage. Les mots nouveaux n'ont plus la même
simplicité, ils expriment par l'association des
termes primitifs, des propositions tantôt figurées,
tantôt relatant un fait historique et réel. Ces
combinaisons nouvelles sont aussi faciles à observer
dans
– 113 –
la langue Kabyle que
dans la langue basque : néanmoins, celle‑ci les
reproduit dans une plus grande pureté et permet de
saisir, pour ainsi dire, au passage, des pensées
philosophiques surprenantes, des peintures de moeurs
qui ne laissent rien à désirer.
Dans la langue des
descendans de Tubal, " les hommes, ghizônac ", sont
des êtres possédant des coutumes, c'est‑à‑dire, des
lois non écrites, et comme la coutume, ou loi non
écrite, est la manifestation de la volonté réglée
par la raison, cette définition de l'homme par le
terme " ghizônac " se rapporte parfaitement aux
définitions les plus exactes qui en aient été
faites, – guise (guaïse), coutume, –
to own (ôn), posséder. – La syllabe
ac n'est dans ce mot que la terminaison du
pluriel.
Ces êtres à coutumes
conservaient précieusement le souvenir des actions
hardies, courageuses et les confiaient à la mémoire
de leurs enfants pour les transmettre à la
postérité, et c'est là le sens de " histoire,
kondera " – to con, apprendre par
coeur, – to dare (dére), oser
avoir la hardiesse –.
L'habitude
d'apprendre par coeur les actions
d'éclat faites par les guerriers, ne prouve pas
cependant que l'écriture fut alors inconnue. Le
basque possède le verbe " écrire, ichkiribatzia. "
– 114 –
L'existence de ce
verbe dans la langue suppose évidemment l'emploi de
caractères propres à fixer et à transmettre la
parole. Nous ignorons sans doute la forme des
caractères dont les Basques faisaient usage ; mais
cette forme importe peu, puisqu'elle varie avec
chaque nation. Nous ignorons encore sur quel papier
ils traçaient les caractères de leur écriture ;
toutefois, il serait injuste de leur refuser la
connaissance et l'emploi d'une substance solide et
légère telle qu'étaient les minces lames fournies
par le papyrus d'Egypte. Les lames ou tuniques
formant la tige du papyrus étaient au nombre de
vingt environ. Chaque tunique faisant une feuille,
on conçoit qu'une seule tige d'un arbuste de dix
pieds de hauteur devait fournir de nombreuses
feuilles de toute longueur. Ces feuilles pressées,
battues, collées, et polies étaient l'objet d'un
commerce important dans le monde ancien, et tous les
peuples avaient la faculté d'user de papyrus pour
écrire les contrats de vente et d'achat, les lettres
et les conventions entre particuliers. Nous donnons
ces détails à cause de l'expression fort curieuse
" quire " renfermée dans le verbe basque écrire,
" ichkiribatzia. " Quire se traduit en celtique par
" une main de papier " et les mots réunis dans
ichkiribatzia affirme qu'écrire, c'est avoir la
– 115 –
démangeaisons
d'ajouter, d'accumuler, d'entasser les mains de
papier, – to itch, démanger, –
quire (qouaïre), une main de papier, –
to heap (hip), entasser,
accumuler, – to add, ajouter –.
Le teint brun qui
fait distinguer avec tant de facilité les Ibères des
Celtes, est rappelé dans le mot " visage,
bisaiya " ; – bice (baïce), vert pâle,
– high (haï), fort foncé en parlant
d'une couleur.
Parmi les Celtes on
comptait trois classes distinctes de personnes : les
prêtres, les nobles et le peuple. Cette constitution
se retrouve aussi dans la nation Tubalienne,
puisque, à la mort d'un Ibère, l'héritier vassal
payait une redevance au seigneur du fief : cette
particularité est dévoilée par le terme " heriotzea,
la mort ", car heriot en langue celtique, signifie
la redevance payée par l'héritier au seigneur du
fief à la mort du vassal. Au reste, les usages des
celtes semblent revivre dans la langue basque ;
ainsi un mort s'exprime par " hilbat ", c'est‑à‑dire
une éminence, hill, un tumulus : la syllabe
bat dans hilbat est un article indéfini
répondant en français à un et une. L'expression
hilbat annonce que les Ibère confiaient leurs morts
à la terre, et cependant il est certain que, au
moins pendant quelque temps, ils les ont livrés aux
flammes.
– 116 –
L'usage de brûler les
morts sur un bûcher a bien pu s'introduire parmi les
Ibères d'Espagne, tandis que à l'époque de la
formation de leur langue ils suivaient la pratique
des autres peuples qui les ensevelissaient.
On sait combien ce
peuple se plaisait aux combats : le bruit des armes
le faisait sourire, et mourir sur le champ de
bataille était la seule ambition d'un guerrier :
aussi il n'y a rien de surprenant à ce que le terme
mourir " hiltzia ou hiltzea " présente l'image de
l'épée, – hilt, poignée d'une épée.
Le " fer, burdina ",
ce métal pesant, – to burden, charger
embarrasser, – redoutables dans leurs mains
guerrières, n'était lourd qu'au bras du lâche ; pour
celui‑là seul c'était un fardeau, une charge et un
embarras.
Soldat invincibles,
ils ne pouvaient supporter le déshonneur d'une
défaite ; être vaincus, c'était pour eux avoir à
subir, honteusement assis sur un banc de leur
demeure, les huées outrageantes de l'ennemi : telle
est la signification pittoresque de " vaincu,
benzutua " – to bench, asseoir sur un
banc, – hut, cabane – hue (hiou),
huée –.
Quelle ignominie pour
des hommes valeureux de se voir exposés,
impuissants, aux insultes et à la dérision, pendant
que passe légèrement et fièrement au milieu d'eux le
triomphant
– 117 –
" vainqueur,
benzutzaïla " – to bench, asseoir sur
un banc, – hut, cabane, – to sail
(sél), passer légèrement –.
Aussi bien les
vainqueurs devaient‑ils être sans grande pitié,
puisque le " massacre, sackaïla " n'était pour eux
qu'un orgueilleux saccagement, – to sack,
saccager, piller, – highly (haïli),
avec orgueil –.
La langue basque
présente dans la composition de ses mots des
connaissances matérielles qu'on n'oserait même
soupçonner ; ainsi elle assure que la partie des
ports où ils amarraient les vaisseaux était fermée
par une écluse : c'est là la signification de la
" mer, itxasoa " – to hitch, amarrer,
– sasse, écluse, – to oowe (ô),
être obligé de –.
Hardis marins, les
Basques étaient exposés à des naufrages désastreux
et ils avaient renfermé dans l'expression elle‑même
de " naufrage, urigaldua ", ce fait certain ; se
hâter de courir directement devant le vent, – to
hurry, se hâter, – to gale,
courrir devant le vent, – due (diou),
directement –.
Les Ibères avaient
leurs jours de travail et aussi leurs jours de
fête : travailler, c'était exciter à prendre les
armes en toute hâte ; tel était le " jour ouvrable,
haste eguna ", – to haste, se
hâter, – to egg, exciter, –
– 118 –
gun,
arme –. Mais lorsque arrivait le " jour de fête,
besta eguna ", malheur à celui qui courait aux
armes, car il était violemment maltraité par le
bâton – to baste (béste)
bâtonner, maltraiter, – to egg,
exciter, – gun, arme.
" L'obscurité,
ilhuntasuna " seule interrompait les fatigues de la
chasse journalière – to heal (hil),
apaiser, – to hunt, chasser –, et
lorsque, dans leurs courses vagabondes, la lassitude
les obligeait à prendre un repos momentané dans
l'ombreuse profondeur des bois, cette " ombre,
itzala " dévorait l'excès de leur chaleureuse ardeur
– to eat (it) dévorer, –
zeal, ardeur, – et plaçant sous leur tête une
pierre ou un tronc d'arbre, ils appelaient à eux le
" sommeil, loghitea " – log, bûche, billot, –
to hit, toucher, atteindre –.
Les demeures des
Ibères étaient ce qu'elles sont encore aujourd'hui,
du moins pour la partie de la population la plus
indigente. Ils habitaient des cavernes qu'ils
perçaient pendant les jour de pluie et de " mauvais
temps, dembora tcharra " – den, caverne,
to bore, percer, – shower (chaoueur)
ondée, giboulée –.
Ils les garnissaient
de branches d'arbres lorsque revenait le " beau
temps, d'embora ederra " – den, caverne, –
to bore, percer, – to edder,
garnir de fagots –.
– 119 –
Qu'on ne soit point
surpris de ces affirmations de la langue basque,
puisque dans notre siècle encore, en Espagne, les
familles les plus pauvres vivent dans les cavernes
ou grottes creusées de leurs mains. La
correspondance suivante insérée dans le journal l'Eclair,
numéro du 7 juin 1885, donne à ce sujet quelques
détails qui ne sont pas sans importance. Le
correspondant se rendant à Burjasot, à la suite de
la commission officielle envoyée pour étudier les
mesures à prendre contre le terrible fléau du
choléra, écrit à la date du 6 juin :
" En arrivant, nous
avons appris que dans les dernières vingt‑quatre
heures, il y avait eu dix cas et six décès. Vous
savez que ce village compte à peine 2,500 habitants.
Nous allâmes visiter quelques cholériques.
" Nous avons trouvé
un vieillard dans une de ces grottes qui servent de
demeure à une partie de la population pauvre. C'est
là une particularité fâcheuse dans les circonstances
actuelles. On se sert d'abord des excavations qui se
trouvent déjà faites au‑dessus du sol ; puis on les
agrandit suivant les besoins et l'augmentation de la
famille..etc "
On peut voir là qu'il
n'est point nécessaire de recourir aux siècles
passés pour rencontrer des troglodytes, et qu'il est
bien inutile d'imaginer
– 120 –
à grand frais des
systèmes de civilisation progressive pour
l'humanité.
Il ne faudrait pas
croire que les Basques fussent exclusivement
chasseurs. L'agriculture était certainement en
honneur parmi eux, et le terme " hildua " qui
désigne la terre que soulève la charrue en creusant
le sillon – hill, éminence, – due (diou),
convenable, – montre que le labour soigné et profond
ne leur était pas inconnu. Ils préféraient
d'ailleurs les productions du sol aux métaux
précieux existant abondamment dans leur pays,
puisqu'ils fermaient les yeux au lieu de les ouvrir
avidement, lorsque en hersant les champs, leurs
regard étaient frappés par l'éclat de " l'argent,
cilharra " que leur travail amenait à la surface de
la terre cultivée, – to seel (sil),
fermer les yeux, – to harrow, herser
–.
Les noms de quelques
mois de l'année se rapportent aussi aux productions
du sol et aux travaux essentiels qu'on devait
exécuter. Nous pouvons examiner brièvement la
composition et le sens de ces noms.
" Janvier,
Urtharrilla. " Le mauvais temps du mois de janvier
arrête les travaux de ceux qui voudraient passer la
herse dans leurs champs, – to hurt,
nuire, – to harrow, herser, – to
will (ouil) désirer, vouloir –.
– 121 –
" Février, Otsaïla. "
La chaleur est suffisante pour déterminer la débâcle
des glaces des côtes du Pont‑Euxin et permet de
mettre à la voile – hot, chaud, –
to sail (séle), mettre à la voile
–.
" Mars, Martchoa. "
Les pluies continuelles de mars changent forcément
les terrains en marécages – marsh, marais, un
lieu marécageux, – to owe (ô), devoir
–.
" Avril, Aphirila. "
Désirer que les céréales présentent bientôt l'image
de l'épi – to ape, présenter l'image,
– ear (ir) épi de blé, – to
will (ouill), désirer.
" Mai, Maiyatza. "
Aux épis souhaités viennent s'adjoindre, en mai, les
brillantes fleurs des champs – to may
(mé), cueillir des fleurs, – to add,
ajouter –.
" Juin, Erearoa. "
S'agiter pour passer la herse dans les champs –
to hare (hère), s'agiter, – to
harrow, passer la herse –.
" Juillet, Uztaïla. "
Différer les grandes réunions, les assemblées, sans
doute à cause de la chaleur – to hustle,
remuer ensemble, – to while (houaïle),
différer –.
" Août, Agorilla. "
Les ruisseaux cessent de couler – ago, passé
– to rill, couler, ruisseler –.
" Septembre,
Bûruïla. " Désirer de se terrer, de s'enfermer dans
les cavernes affectées à
– 122 –
l'habitation, – to
burrow (beurrô), se terrer, se retirer
sous terre – to will (ouill)
vouloir, souhaiter –
" Octobre, Urria. "
Se hâter dans les travaux des champs – to
hurry (heurri), se presser.
" Novembre, Hazila. "
La brume se traîne sur les collines – to
haze, faire un temps brumeux, – hill,
colline –.
" Décembre,
Abendoa. " Se couvrir de vêtements de laine – abb,
trame de laine, – to endue (endiou),
se revêtir.
Les périphrases
employées dans la langue basque sont plus sensibles
encore dans l'expression de certains faits naturels
comme le lever et le coucher du soleil, le lever et
le coucher de la lune.
" Le lever du soleil,
iruzki atheratzea " présente le sens suivant : celui
qui est fatigué, déteste d'entendre bourdonner dans
l'air – to hear (hir),
entendre, – to huzz (heuzz),
bourdonner, – sky (skaï) air, – to
hatter, harasser, – to hate,
détester –.
" Le coucher du
soleil, iruzki sartzea " accuse une formation
semblable : le cultivateur arrivé au soir, déteste
d'entendre bourdonner dans l'air, – to
hear (hir) entendre, – to huzz,
bourdonner, – sky, air – sart, terrain
cultivé –.
– 123 –
" Le lever de la
lune, ilhargi atheratzea. " L'homme harassé de
fatigue déteste de vouloir prêter l'oreille aux
cris, – to will (ouill),
vouloir, – to harck, prêter l'oreille,
– hue (hiou), cri, – to
hatter, harasser, – to hate,
détester –.
" Le coucher de la
lune, ilhargi sartzea. " Le cultivateur désire de
prêter l'oreille aux cris, – to will (ouill)
désirer, – to harck, prêter l'oreille,
– hue (hiou), cri, – sart,
terrain cultivé –.
Examinons encore
d'autres expressions dont l'explication servira à
placer la langue basque dans tout son jour, c'est à
dire, comme dérivant pleinement de la langue
primitive.
" Le matin, goïza " ;
marcher avec facilité – to go,
marcher, – ease (ize) ; aise, facilité
–
" Midi, eghuerdi " ;
moment où cesse la croissance de la lumière solaire
et où commence sa décroissance – to egg,
pousser, – hour (haour), moment,
heure, – day (dé), jour –.
" Le soir,
arratxa " ; courir en hâte vers le logis – to
hare, courir – rath, en hâte –.
" Minuit,
gaûherdi " ; aller vers l'heure, le moment du jour –
to go, aller, – hour (haour),
heure, – day (dé), jour –.
" Un champ, landa
bat. " – Land, terre, – bat correspond à un.
" Une source, ithurri
beghi bat. " Commencer
– 124 –
à hâter sa course –
heat (hit), course, – to
hurry, hâter, – to begin (biguin),
commencer.
" Une fontaine,
ithurri bat. " Précipiter sa course, – heat (hit),
course, – to hurry, précipiter.
" Cabane, etchôla. "
Une foules de têtes sous le même toit, – head
(hèd), tête, – shoal (chôl),
une foule, une troupe.
" Epingle,
ichkilin. " L'extrême propreté était bien loin de
briller dans les hôtelleries où s'arrêtaient
d'infortunés voyageurs consciencieusement armés
d'une épingle : on comprend aisément de quels
insectes dégoûtants et agaçants il est ici question,
– to itch, démanger, – to
kil, tuer, – to inn, loger dans
une auberge.
" Maison, etchea. "
Une tête qui médite, – head (hèd),
tête, – to chew (tchou),
méditer.
" Cave, sotua. "
Partie de la maison où l'on pourrait devenir hébété
à force de boire, – to sot, devenir
hébété à force de boire, – how (haou),
de quelle manière.
" Le tonnerre,
ihurtzuria. " Voir en haut l'éclair qui est sûr de
faire du mal, – sure (choure) sûr, –
to eye (aï), voir.
" Les ténèbres,
ilhumbeak. " Apaiser les bourdonnements, les
aboiements et les bêlements,
–
125 –
–
to heal (hil), apaiser, –
hum, bourdonnement, – to bay (bé),
aboyer, bêler –.
" S'aveugler,
itxutzea. " L'oeil se referme par l'effet d'un coup,
– to hit, donner un coup, to
shut (cheut) se refermer –.
" Se casser l'os de
la jambe, zango bat aûstea. " Gâter l'os de la
jambe, – shank, l'os de la jambe, – bat, une
– to waste (oueste), gâter –.
" Pleurs, nigarrac. "
Refuser le nécessaire, – to niggard,
refuser le nécessaire –.
" Rival,
yelosstarria. " Pousser des cris d'horreur à la vue
de l'ennemi et l'attaquer pour le piller, – to
yell, pousser des cris d'horreur, – to
host, attaquer, to harry,
piller –.
" Famille, maïnada. "
Ajouter l'essentiel, c'est‑à‑dire les enfants, –
main, essentiel, – to add, ajouter –.
" L'honneur,
ohorea. " Etre obligé d'avoir les cheveux blancs, –
to owe (ô), être obligé, – hoar
(hôre), qui a les cheveux blancs –.
Nous pourrions ainsi
interpréter une foule d'autres termes pris dans la
langue basque, mais comme ils sont moins
intéressants que ceux que nous avons cités, nous les
passerons sous silence, et nous terminerons cette
série déjà assez longue par une expression prouvant
que de tout temps la grande instruction et la
– 126 –
doctrine élevée ont
conduit les hommes à la " gloire, loria, – lore,
doctrine, instruction, – to eye (aï),
avoir l'oeil sur –.
IV
LES CANTABRES. –
LES IBERES.
LES
KJOEKKEN‑MOEDDINGS DU DANEMARK.
Le langage des Ibères
était de nature à surprendre vivement les Celtes :
aussi, tout étonnés de n'en point saisir le sens,
ils décorèrent les descendans de Tubal du nom de
Cantabres, – to cant, parler un
certain jargon, – abroad (abraud), à
l'extérieur, – enveloppant ainsi dans une expression
parfaite le langage fort curieux de ce peuple et son
arrivée par mer dans la péninsule Hispanique.
Les Ibères, en
s'établissant dans le Sud‑ouest de l'Europe, ont
choisi pour demeure les Pyrénées en souvenir de leur
séjour dans les montagnes du Caucase. Ce choix avait
bien sa raison ; car en changeant de pays, ils
n'entendaient point changer de manière de vivre.
Placés dans la région pyrénéenne, qui était pour eux
comme un point central, ils avaient, en se dirigeant
du côté du Nord, un magnifique terrain de chasse
– 127 –
comprenant toute la
terre gauloise encore déserte, où les fauves ne leur
feraient point défaut. Du reste, ils possédaient
tout ce qui est nécessaire pour de longues courses.
Une santé de fer, un courage à toute épreuve et
l'habitude de chasser toute espèce de bêtes
sauvages. Ils n'avaient point à s'embarrasser de
provisions ; le gibier tué à la chasse suffisait à
des jours nombreux. Une seule chose était
indispensable, lorsque, rencontrant une caverne
propre à servir d'abri temporaire, ils désiraient
préparer, à un ardent foyer, le repas nécessaire ;
c'était le silex, dont le nom basque est suarria,
c'est‑à‑dire, un trait de lumière ou étincelle
courant çà et là par l'effet du choc de deux objets
dont l'un, le silex, est penché de côté, et l'autre,
acier ou fer, est brandi, – to sway (soué),
faire pencher de côté, brandir, – to hare,
courir çà et là, – ray (ré), trait de
lumière. –
Les armes employées
dans leurs chasses lointaines ne différaient guère
sans doute de celles qu'ils avaient plus tard à la
main dans la lutte soutenue contre les Gaulois, et
on ne peut, sans injustice, leur refuser les armes
de fer, puisque ce mot existe dans leur langue. De
longs mois pouvaient s'écouler entre le départ des
chasseurs Ibères et le retour au foyer domestique,
et ils mesuraient leur éloignement au
– 128 –
moyen de certains
objets comme lamelles de pierre tendre, ou bien
morceaux de bois de renne, sur lesquels ils
marquaient par des lignes ou des encoches les jours
déjà écoulés depuis qu'ils avaient quitté leur
demeure habituelle. Dans la caverne de Bize (Aude)
un explorateur, M. C.Cailhol, a recueilli une
lamelle de pierre assez tendre portant nombre
d'encoches sur les bords ; dans la grotte d'Arignac
(Haute‑Garonne), M. Edouard Lartet en fouillant le
sol (1860), " y trouva quantité d'ossements de
l'ours des cavernes, de l'aurochs, du renne, du
cheval, etc.. " et dans une plate forme placée au
devant de la grotte, au milieu de débris très
intéressants, " une lame de bois de renne
accidentellement coupée aux deux bouts, dont l'une
des faces, parfaitement polie, offre deux séries de
lignes transversales également distancées entre
elles, et dont les bords latéraux sont marqués
d'encoches plus profondes, assez régulièrement
espacées. M. Lartet voit dans ces lignes et ces
entailles des signes de numération, et M. Steinhauer
a émis l'idée que ce sont des marques de chasse. "
(1)
Des accidents
multipliés survenaient sans doute aux Ibères dans la
poursuite des fauves, plusieurs
(1)L'homme primitif,
par M. Louis Figuier.
– 129 –
n'ont point revu le
foyer et ont été ensevelis dans les cavernes bien
connues des chasseurs. Dans la grotte d'Aurignac
fermée par une dalle, " le terrassier Bonnemaison
découvrit, en 1852, les restes de dix‑sept
squelettes humains. " (1) L'abris de Cro‑Magnon
(Dordogne), fouillé par M. Louis Lartet en 1868, lui
a livré plusieurs squelettes humains.
" Cet abri, dit M.
Louis Figuier, aurait servi, suivant M. Louis
Lartet, de rendez‑vous de chasse, d'habitation et
enfin de lieu de sépulture. Sept morts y avaient été
inhumés ; on a pu recueillir les restes de ces
squelettes, mais trois crânes seulement sont à peu
près intacts.
" Est‑il permis,
ajoute M. Louis Figuier, de savoir à qu'elle race
appartenaient les hommes de la sépulture de
Cro‑Magnon et de se faire, par conséquent, une idée
de la race humaine qui a vécu dans nos contrées aux
temps du grand ours et du mammouth ? La race de
Cro‑Magnon n'est pas aussi différente de toutes les
races anciennes ou modernes que le pense M. Broca.
Selon M. Pruner‑Bey, tous les crânes décrits
jusqu'ici, et se rapportant à l'époque du grand ours
et du mammouth, sont
(1) L'homme primitif,
par M. louis Figuier.
– 130 –
" analogues à ceux
des esquimaux et des lapons de nos jours. M.
Pruner‑Bey appelle race mongoloïde primitive
ces premiers habitants de notre sol. Nous verrons
plus loin que des crânes et d'autres débris
retrouvés en Belgique, par M. Dupont, à solutré,
dans le Mâconnais, par M. de Ferry, et à Bruniquel
par M.Brun, enfin les mâchoires provenant d'Aurignac
et d'Arcy‑sur‑cure, confirment cette conclusion.
" Les hommes
appartenant à la race mongoloïde primitive
avaient la tête généralement arrondie, le visage
taillé en losange, les mâchoires et les dents un peu
dirigés en avant, enfin, selon toute probabilité, le
teint brun et les cheveux noirs et durs... Il existe
encore des restes de cette race mongoloïde
primitive : ce sont les Basques... " (1)
Les Ibères ont donc
laissé des traces non équivoques de leurs habitudes
de chasseurs et les restes de grand ours et de
mammouth retrouvés abondamment dans les cavernes
attestent que la chair de ces animaux entrait dans
leur alimentation. Le nom porté par les Ibères
confirme pleinement toutes ces appréciations, en
déclarant qu'ils étaient chasseurs d'ours et que la
chair des ours étaient leur nourriture habituelle –
to eat (it), manger, – bear
(bér), ours.
(1) L'homme primitif
par M. Louis Figuier, page 113.
– 131 –
Le peuple Ibère n'est
point le seul qui ait laissé dans le sol des traces
sensibles de ses moeurs. Un autre peuple de notre
Europe, non seulement chasseur mais encore pêcheur a
abandonné la connaissance de son alimentation aux
investigations patientes des savants. Les détails
donnés, à ce sujet, par M. Louis Figuier sur les
amas coquilliers du Danemark, présentent un si grand
intérêt que nous ne saurions résister au désir d'en
citer la partie la plus importante.
" Placée au dernier
rang, dit M. Louis Figuier, par l'étendue de son
territoire et le nombre de ses habitants, la nation
Danoise est pourtant l'une des plus grandes de
l'Europe par la place qu'elle a su conquérir dans
les sciences et les arts. Ce vaillant petit peuple
possède une foule d'hommes distingués qui font
honneur à la science. Les patientes recherches de
ses archéologues et de ses antiquaires ont fouillé
la poussière des âges pour ressusciter un monde
disparu. Leurs travaux, contrôlés par les
observations des naturalistes, ont jeté un jour
éclatant sur les premières étapes de l'humanité.
" Aucune terre n'est
d'ailleurs plus propre que le danemark à de
pareilles investigations. Les antiquités s'y
rencontrent à chaque pas : il ne s'agit que de
savoir les interroger pour en tirer d'importantes
révélations touchant les
– 132 –
" moeurs, les
coutumes et l'industrie des populations
antéhistoriques. Le Musée de copenhague, qui
renferme des antiquités de divers états scandinaves,
est sans rival dans le monde.
" Parmi les objets
classés dans ce riche musée, on remarque un grand
nombre provenant des Kjoekken‑moeddings.
" Et d'abord,
qu'est‑ce que ces Kjoekken‑moeddings, dont le nom
est si rude à prononcer pour une bouche française,
et qui nous apprend suffisamment qu'il s'agit ici de
l'âge de la pierre ?
" Sur différents
points des côtes danoises, particulièrement dans la
partie septentrionale, où la mer a découpé ces
criques étroites et profondes connues sous le nom de
fiords, on remarque d'énormes accumulations
de coquilles. En général, ces dépôts ne sont élevés
que d'un mètre au‑dessus du niveau de la mer ; mais,
dans quelques lieux escarpés, leur altitude est
assez grande...
" Que rencontre‑t‑on
dans ces amas ? Une énorme quantité de coquilles
marines, et surtout de coquilles d'huîtres, des
ossements brisés de mammifères, des restes d'oiseaux
et de poissons, enfin des silex grossièrement
taillés.
" On avait pensé
d'abord qu'il ne s'agissait là
– 133 –
" que de quelque banc
de coquilles fossiles, terrain autrefois submergé et
qui aurait été rendu apparent par un soulèvement du
sol, dû à une cause volcanique. Mais un savant
danois, M. Steenstrup combattit cette opinion en se
fondant sur ce fait, que les coquilles proviennent
de quatre espèces qui ne vivent jamais ensemble, et
qu'elles ont dù, par conséquent, être rassemblées
par l'homme. M. Steenstrup faisait également
remarquer que ces coquilles avaient appartenu, pour
la plupart, à des individus arrivés à leur pleine
croissance, qu'on n'y en voyait presque jamais de
jeunes. Une telle singularité indiquait évidemment
une intention raisonnée, un acte de la volonté
humaine.
" Lorsqu'on eut
découvert dans les Kjoekken‑moeddings tous les
débris que nous avons énumérés, lorsqu'on y eut
trouvé des restes de foyers, sortes de petites
plates‑formes qui conservaient encore la trace du
feu, on devina l'origine de ces immenses amas
coquilliers. Il y avait eu là des peuplades qui
vivaient de pêche et de chasse, et qui jetaient
autour de leurs cabanes les restes de leur repas,
consistant surtout en coquillages. Peu à peu ces
débris s'étaient accumulés, et avaient constitué les
bancs considérables dont il s'agit. De là le nom de
Kjoekken‑moeddings, composé de deux mots :
– 134 –
" Kjoekken,
cuisine, et moeddings, amas de rebuts. Les
Kjoekken‑moeddings sont donc les rebuts des
repas des populations primitives du Danemark.
" ... Il est bon de
faire remarquer que le Danemark n'a pas le privilège
des amas de coquilliers. On en a découvert en
Angleterre, dans le pays de Cornouailles et le
Devonshire, en Ecosse, et même en France, près
d'Hyères (Bouches‑du‑Rhône).
" Les espèces de
mollusque dont les coquilles forment la masse
presque entière des Kjoekken‑moeddings sont
l'huître, le cardium, la moule et la littorine.
" Les arêtes des
poissons se trouvent en grande abondance dans les
amas coquilliers. Elles appartiennent au hareng, au
cabillaud, à la limande et à l'anguille. On peu en
inférer que les habitants primitifs du Danemark ne
craignaient pas de s'aventurer sur les flots dans de
frêles esquifs : le hareng et le cabillaud ne se
pêchent en effet qu'à une assez grande distance des
côtes.
" Les ossements des
mammifères sont aussi fort répandus dans les
Kjoekken‑moeddings. Les plus communs sont ceux du
cerf, du chevreuil et du sanglier, qui, au dire de
M. Steenstrup, y figurent pour les 97 centièmes. Les
autres proviennent de l'urus, de l'ours brun, du
loup,
– 135 –
" du renard, du
chien, du chat sauvage, du lynx, de la martre, de la
loutre, du marsouin, du phoque, du rat d'eau, du
castor et du hérisson.
" De quelques espèce
d'oiseaux dont on recueille les restes dans les
Kjoekken‑moeddings, la plupart sont aquatiques, fait
qui s'explique naturellement par la situation de
l'homme sur les bords de la mer. " (1)
L'interprétation par
la langue celtique de Kjoekken‑moeddings confirme et
éclaire puissamment l'exposé de M. Louis Figuier sur
les amas coquilliers du Danemark. Ces amas sont
vraiment des rebuts de repas, et le mot savamment
combiné de Kjoekken‑moeddings indique avec
assurance, que l'on rejetait tout ce qui aurait été
douloureux à la bouche, c'est‑à‑dire, les arêtes
aiguës, les entrailles et la tête des poissons –
jaw (djâu), bouche, – to ake
(éke), être douloureux, – keen (kin),
aigu, – maw (mâu), panse, – head
(hèd), la tête, – to ding (digne),
jeter avec violence, – jawakekeen‑mawheadding
–.
Le peuple dont les
rebuts de repas ont produit les amas coquilliers
est‑il tellement primitif que l'histoire n'en ait
conservé aucun souvenir ? M. Louis Figuier signale
avec juste raison des
(1) L'homme primitif
par M. Louis Figuier.
– 136 –
amas semblables en
Angleterre, dans le pays de Cornouailles et le
Devonshire, et cela n'est guère surprenant, puisque
la tribu de pêcheurs qui a fait les
kjoekken‑moeddings du Danemark, a pu, du moins
pendant quelque temps, conserver ses moeurs
anciennes, quand elle s'est emparée de l'Angleterre
d'une manière définitive. Cette tribu appartenait
aux Tectosages établis entre le Rhin et l'Oder ;
c'était celle des Angles, – to angle,
pêcher à la ligne, – et ce nom significatif dit trop
haut les occupations habituelles de ce peuple, pour
que l'on puisse sérieusement refuser de le
reconnaître comme l'auteur des Kjoekken‑moeddings.
Cette digression sur
les amas coquilliers du Danemark ne doit point nous
faire perdre de vue les Ibères et leurs chasses
dangereuses au grand ours des cavernes. L'habitude
de la chasse à l'ours n'est pas encore disparue des
moeurs des Basques, et, chose remarquable, dans les
contrats de mariage, les pères de famille,
aujourd'hui même, attribuent en dot à leurs enfants
une part de possession d'ours, soit un quart, un
tiers ou une moitié, suivant le nombre des enfants à
doter. Les receveurs français de l'enregistrement
connaissent très bien cette particularité, et ne
négligent point de percevoir les droits de l'Etat
sur cet apport en valeur d'ours.
On ignore l'époque
précise où les Ibères vinrent
– 137 –
aborder sur la terre
d'Espagne. Quelques historiens fixent leur
émigration dans l'année 523 après le déluge,
c'est‑à‑dire, 1824 ans avant jésus‑Christ. Ce serait
ainsi dans le même siècle où Inachus, le plus ancien
de tous les rois connus par les Grecs, fonda le
royaume d'Argos, tandis qu'en Orient, Abraham
laissait par sa mort (1821 avant jésus‑Christ) son
fils Isaac héritier de sa foi, de sa puissance et
des promesses divines.
V
LES GASCONS. – LES
OCCITANI.
LES AQUITAINS ET
LEURS TRIBUS. – AUCH.
BORDEAUX.
Les Celtes avaient
imposé aux descendans de Tubal certaines
dénominations dans lesquelles se révélaient des
coutumes que le siècles n'ont pu effacer. Ainsi, le
nom de Vardulles a été donné à une tribu ibérienne à
cause de l'habitude de ces peuples de conserver sur
leurs épaules, et le jour et la nuit, une espèce de
manteau – to ward, garder, – hull,
couverture extérieure, manteau, – et on sait que les
fils des Vardulles ne dérogent point à cet usage.
Il n'entre point dans
notre pensée d'examiner tous les noms des tribus
ibériennes ; il faut faire
– 138 –
néanmoins une
exception bien méritée pour les Vascons ou Gascons.
" D'après l'histoire,
les Basques avaient le privilège de former
l'avant‑garde des armées carthaginoises, et de se
mesurer les premiers avec l'ennemi. " Leur
réputation de courage indomptable était si bien
établie, que " César n'osant point traverser la
Vasconie, tant il les redoutait, se rendit en
Espagne, pour éviter leur rencontre, par la vallée
d'Aspe, dans le Béarn. " (1)
Les Gascons ont donné
leur nom à notre Gascogne française. On ne peut
guère dire que leur établissement dans l'Aquitaine
ait été un envahissement, car les Aquitains étaient
pour eux des frères, et les Gascons étaient venus à
leur secours pour combattre le joug de la domination
que Clovis cherchait à leur imposer. Nous les voyons
d'abord sous les enfants de Clovis établis jusqu'à
la rive droite de l'Adour, et plus tard, vers
l'année 626 après Jésus‑Christ, occupant la
Novempopulanie tout entière qui désormais s'appelle
Gascogne.
Ils ont reçu leur nom
étrange de la chaussure particulière qu'ils avaient
adoptée et que leurs descendans n'ont point
abandonnée. Gaskins,
(1) Guide
Français‑basque par M. L. Fabre.
– 139 –
en langue celtique,
signifie une large chaussure à l'antique. C'est la
sandale qu'en Languedoc on nomme spardillo,
en Catalogne spadrilla, et que les Basques appellent
spartinac. Il est loin de manquer de sens le
mot spartinac : il est composé du verbe to
spar, préluder au combat, et de l'adjectif
thin (thinn), délié, clair‑semé, peu
nombreux.
Cette chaussure
légère permettait aux Basques de se livrer à la
guerre d'embuscades : doués d'une agilité rare, et
pour ainsi dire insaisissables, ils avançaient peu
nombreux, préludant au combat par des coups sûrs et
isolés qui devaient singulièrement étonner leurs
ennemis. Ce terme spartinac nous montre dans son
vrai jour le caractère du génie guerrier des
Basques : ils étaient dans ces temps reculés ce
qu'ils sont encore aujourd'hui, des guerrilleros.
Après nous avoir
donné la signification des noms des tribus
ibériennes, la langue celtique nous expliquera avec
la même facilité ceux des tribus vivant dans
l'Aquitaine. Dans cette partie de la Gaule, la
famille celtique a laissé les traces les plus
grandes et les plus fortes de son mélange avec la
famille ibérienne. Tous les auteurs ont reproduit
les traits différents de caractère qui séparent les
Ibères et les Celtes : ceux ci étaient gais, légers,
ardents, aimant les combats
– 140 –
et prompts à
l'attaque ; les Ibères au contraire étaient graves,
sérieux, presque sombres, aimant aussi la guerre et
la soutenant avec une opiniâtreté invincible.
Lorsque les deux peuples se sont rencontrés, le choc
a dû être terrible. Après avoir combattu pour la
possession du pays, rapporte Diodore de Sicile, les
Celtes et les Ibères l'ont habité en commun, en
vertu d'un accord pacifique, et ils se sont mêlés
par des alliances. De ce mélange est sortie la
nation Celtibérienne, dans laquelle le sang ibère
est resté prédominant.
Les Aquitains qui,
d'après leurs traditions, ne seraient pas issus des
Celtes, appartiennent à la famille Celtibérienne,
car s'ils se rapprochent fortement des Ibères par
les traits et les moeurs, ils n'en ont pas moins
adopté les habitudes et les institutions des Celtes.
Nous en présenterons une preuve dans l'institution
des soldures, qui nous paraît être absolument
celtique quoiqu'on l'attribue généralement à la
nation ibérienne.
" Une institution qui
lui est particulière (à l'Aquitaine), et qui est
étrangère aux Gaulois, dit le très estimable auteur
de l'Histoire de la Gascogne, l'abbé Monlezun, est
celle des solduriens, ou plutôt saldunes (de
l'Escualdunal, zaldi ou saldi, cheval ; salduna, qui
a un cheval, cavalier, l'eques romain) ;
– 141 –
on nommait ainsi des
soldats qui se vouaient à un chef, partageaient à
jamais sa destinée ou plutôt s'identifiaient
tellement avec lui qu'il n'est pas d'exemple qu'un
seul lui ait jamais survécu. (1) Dès que le chef
succombait, on les voyait chercher dans la mêlée un
mort glorieuse, et s'ils ne pouvaient l'y trouver,
ils revenaient se percer sur le corps de celui qui
avait leur foi. "
On peut observer que
dans le récit de la guerre contre les Aquitains,
César parle seulement de l'institution des soldurii,
sans affirmer d'ailleurs que les soldures
n'existassent point dans les autres parties de la
Gaule. Ce terme de soldures, qui dans la langue
basque n'offre aucune idée à l'esprit, présente, au
contraire, dans la langue des Tectosages, un sens
parfaitement en rapport avec lui, et accidents de la
guerre ne les sépareront pas ; la vie, à la mort ;
il vivra ou mourra avec lui, et les accidents de la
guerre ne les sépareront pas ; la vie du soldure ne
durera pas plus que la vie de son chef. – Soul
(sôl), vie, âme. – to dure (dioure),
durer.–
De nos jours encore,
le soldat ne se nomme‑t‑il pas soldier, dans
l'anglo‑saxon ? D'où provient ce soldier, sinon de
soldure (soldioure), et comment
(1) J.César, de bell.
gall. lib. III, 22.
– 142 –
ce terme
existerait‑il dans l'anglo‑saxon, si l'institution
des soldurii eût été particulière aux Ibères ? Cette
institution, qui, nous semble‑t‑il, est commune aux
Celtes et aux Celtibères, nous indique comment, sur
le sol aquitain, s'était opérée la fusion des deux
familles.
Le nom d'Occitania a
été employé pour désigner l'Aquitaine. " Charles
VII, dans l'ordonnance portant érection du Parlement
de Tolose, la nomme Patria Occitania : ce qui
a donné sujet au pape Innocent VI, dans son
registre, d'appeler ce païs Occitania. Mais
communément et le plus souvent il est nommé dans les
anciens actes patria linuae Occitaniae. " (1).
L'auteur des Mémoires
de l'Histoire du Languedoc voudrait, à cause de la
première syllabe d'Occitania, appliquer ce terme au
languedoc, mais cette expression, désassemblée et
interprétée par la langue celtique nous montre avec
la dernière évidence que les Occitani étaient les
habitants des côtes maritimes qui enserrent le golfe
de Gascogne, c'est‑à‑dire, les Aquitains et les
Cantabres.
La réputation des
Basques et des Cantabres comme intrépides marins n'a
jamais été contestée, et ce n'est pas sans raison
qu'ils s'attribuent
(1) Mémoires de
l'Histoire du Languedoc par G. de Catel.
– 143 –
l'honneur d'avoir,
les premiers, donné la chasse à la baleine. Du
reste, si les baleines tombaient peut‑être rarement
sous leurs coups, il n'en était pas de même des
marsouins, et cette chasse habituelle aux marsouins
leur a valu le nom d'Occitani – hog‑sea (hogsi),
marsouin, – to hit, frapper, – hand,
la main – hogsihithand. – Le terme Occitani
était donc un nom général désignant les pêcheurs du
golfe de Gascogne. Les Celtibères de l'intérieur du
pays compris entre l'Océan, les Pyrénées et la
Garonne, avaient reçu une autre dénomination,
générale aussi, celle d'Aquitani. Les Basque
appellent dit‑on, leur langue, l'Escualdunac : c'est
le langage des dompteurs de chevaux, dompteurs au
visage sombre et refrogné – scowl (skaoul),
air sombre et refrogné, – to down (daoun),
dompter, – hack, cheval.– Le titre de
dompteurs de chevaux n'appartient pas aux seuls
Basques, il doit être partagé par les aquitani, et
cette communauté de goûts et de moeurs nous semble
un trait remarquable d'affinité, qu'il ne faut point
négliger.
Il eut été difficile
aux Aquitains d'être de mauvais cavaliers, car leur
pays était fécond en chevaux renommés.
Le savant Bénédictin,
Dom Martin, à qui les auteurs modernes ont emprunté
les détails les
– 144 –
plus curieux sur les
moeurs, le gouvernement et la religion des celtes,
comprenait que cette production de magnifiques
chevaux avait eu une grande influence sur le nom
donné à l'Aquitaine. Aussi avance‑t‑il que ce pays
s'était d'abord appelé Equitaine, du latin, equus,
cheval. La sagacité remarquable du docte religieux
n'était guère en défaut, car c'étaient encore de
hardis dompteurs de chevaux, que ces Aquitani –
hack, cheval, – to cow (kaou)
intimider, – to hit, frapper, –
hand, main, – hackcowhithand. –
La passion du cheval
est‑elle disparue du coeur des Aquitains modernes ?
Il est certain qu'elle possède encore le même degré
de vivacité, malgré les changements apportés par les
siècle dans les habitudes : les exercices équestre
d'un cirque quelconque suffisent, en effet, pour
exciter dans l'âme des Aquitains et des Gascons un
intérêt et un enthousiasme qui ne saurait être
contenus.
Les tribus qui
vivaient dans l'Aquitaine étaient au nombre de
quarante environ, parmi lesquelles neuf principales
ont fait donner par les Romains à ce pays le nom de
Novempopulanie. Nous examinerons les nom de
quelques‑unes de ces tribus avec ceux de plusieurs
villes, et nous constaterons qu'ils appartiennent
tous à la langue celtique.
Les Tarbelli
occupaient les côtes de l'Océan, et
– 145 –
Ausone n'hésite pas à
appeler le golfe de Gascogne, l'Océan Tarbellien.
Strabon prétend que leur pays était riche d'un or
excellent : cependant les mines d'or de la contrée
n'étaient pour rien dans le nom qu'ils portaient.
Marins soigneux et prévoyants, ils savaient
goudronner leurs barques légères pour lutter contre
l'action destructive des eaux de la mer – to
tar, goudronner, – to belly, bomber.–
A l'extrémité de leur territoire, du côté de
l'Espagne, les Tarbelli possédaient une ville,
Lapurdum, dont le nom a servi plus tard à désigner
le pays de Labour ou Labourdan. On croit que c'est
Bayonne (1) Lapurdum, l'ancien Bayonne, devait être
placé sur les bords de la mer, puisque les flots de
l'Océan Tarbellien arrivaient jusqu'à lui, – to
lap, lécher, – ord, bord, – Lapord.
–
Les bigerriones dont
parle César, occupaient le pays dont Tarbes est
aujourd'hui le chef lieu.
" De bigerriones est
venu le nom de bigorre qui désignait anciennement un
château fort défendant la ville de Tarbes. Deux de
ses premiers pasteurs, Aper, dans le concile d'Agde,
et St‑Julien dans le quatrième concile d'Orléans,
s'intitulent, l'un, évêque de la cité de Bigorre,
civatis Bigorritanae, et l'autre, évêque
(1) Histoire de la
Gascogne par l'abbé Monlezun.
– 146 –
de la cité
Bigerricae. Grégoire de Tours ne la nomme jamais
autrement. " (1)
Quelques auteurs ont
cru pouvoir faire dériver Bigorre de deux mots
basques, bis, deux, gora, hauteur ;
mais cette interprétation par le basque n'offre
aucun sens précis.
Ausone appelle ce
petit peuple bigerri, et parait bien qu'il nous a
transmis avec le véritable nom, la prononciation la
plus exacte. Ces montagnards étaient des
dévastateurs, des pillards dont l'intrépidité
n'avait jamais fléchi. C'est là le trait de moeurs
retracé dans Bigerri d'Ausone – big,
courageux, to harry (herri),
piller, dévaster –.
Les Auscii formaient
dans l'Aquitaine la tribu la plus puissante. Les
anciens géographes donnent à leur ville principale
le nom de climberris. Nous croyons bien à une erreur
de leur part ; ils n'ont point saisi le sens exact
de ce terme, distinctif d'une contrée entière, car
Auch n'a jamais pu voir varier son nom qu'il a
emprunté aux Auscii. Du reste, il nous semble qu'on
peut découvrir la vérité par la signification de
Climberris qui devait s'appliquer à toute la contrée
comprenant aussi bien la ville d'Auch que celle
d'Eluse. Tout ce pays produisait des baies et des
grains –
(1) Histoire de la
Gascogne par l'abbé Monlezun. Notes.
– 147 –
clime,
région, pays, – berry, baie, grain, –
Climeberry –. Pourquoi aurait‑on attribué à une
seule ville la production des grains et des baies de
raisins, dès lors que c'était là une production
générale de la région ? Et qu'on ne soit pas étonné
de voir les baies de la vigne, les raisins entrer
dans la composition de Climberris, car la vigne
existait dans les Gaules à l'état sauvage. Un temps
considérable s'était écoulé peut‑être sans qu'on ait
songé à sa culture, et l'histoire semble faire
honneur aux Grecs d'avoir enseigné aux Celtes à
faire le vin, ce qui nous paraît d'ailleurs fort
douteux, les Gaulois étant aussi avancés que les
Grecs dans la civilisation matérielle, et supérieurs
aux fils de Javan dans la sciences philosophique et
religieuse.
Nous avons déjà dit
qu'Auch avait emprunté son nom aux Auscii et était
leur ville principale. En cherchant à donner à Auch
une prononciation celtique, on est forcé de dire
Aouch et c'est probablement l'appellation véritable
de cette ville, s'écrivant en anglo‑saxon Ouch,
et se prononçant Aoutch.
Ouch signifie collier
d'or, enchâssure d'une pierre précieuse, et
Auscii désigne les ouvriers habiles, appliqués
au travail des métaux précieux et fabriquant ces
magnifiques colliers d'or dont les guerriers
ornaient leur poitrine dans les
– 148 –
grands jours de joie
qui, pour eux, étaient les jours de combat – ouch
(aoutch), collier d'or, – hew (hiou),
tailler –
Les Auscii pouvaient
aisément se rendre habiles dans les ouvrages d'or ;
ce métal était presque à fleur de terre dans leur
région, et divers historiens prétendent que les
avides marchands Grecs et Phéniciens, revenant dans
leur pays, donnaient pour lest à leur vaisseaux l'or
recueilli dans les Pyrénées.
La richesse de
l'Aquitaine en chevaux avait séduit une fraction des
Bituriges‑Cubes (du Berry), et ils se détachèrent du
gros de la tribus pour se fixer à l'embouchure de la
Gironde. Les Bituriges‑Cubes avaient les mêmes goûts
que les Aquitains. Comme eux, ils étaient éleveurs
de chevaux, prompts à bondir sur leurs coursiers et
habiles à se servir du frein, – bit, frein,
mors, – ure, usage, – itch, désir
démangeaison, – to cub, mettre bas,
produire –.
Cette partie de la
tribu des Bituriges‑Cubes, établie sur les deux
rives de la Gironde prit le nom de
Bituriges‑Vivisci. Le mot Vivisci, en celtique
vives (vaïvz), se rapporte à une maladie
des chevaux, maladie que les Bituriges traitaient
sans doute avec grand succès. Ils avaient pour cité
principale Burdigala (Bordeaux). Cette ville devait
être alors comme de nos jours le principal
– 149 –
entrepôt du commerce
entre l'Océan et la Méditerranée. Il est tout à fait
instructif de voir Burdigala exprimer l'idée d'une
marine marchande et commerçante dans ces temps si
éloignés de nous, – board (bord) le
pont d'un vaisseau, – to higgle,
revendre.
Au‑dessous de la rive
gauche de la gironde, et tout à côté des
Bituriges‑Vivisci, le littoral du golfe de Gascogne
était occupé par les Boii, – bow (bô),
arc, – to hew (hiou), tailler
–.
Ces archers, placés
par des circonstances imprévues sur les bords de la
mer, devinrent d'excellents marins, et c'est
probablement ce qui, plus tard, les fit appeler
Boates, – boat (bôte), bateau,
chaloupe.

CHAPITRE V.
_________
LANGUE CELTIQUE
_____________
L'ARMORIQUE
ET SES TRIBUS.
Après avoir appliqué
la langue des Tectosages à interpréter le basque,
nous pouvons tenter son efficacité dans
l'explication de Britanni et des noms celtiques des
tribus armoricaines.
La langue bretonne
est, croit‑on, la vraie langue celtique parlée par
nos aïeux. Que les bretons aient conservé un nombre
très considérable d'expressions gauloises, c'est
incontestable ; mais ils n'ont point gardé cette
langue dans sa pureté, et il suffit de jeter un coup
d'oeil sur leurs pronoms pour juger de l'altération
profonde de leur langage. Ce qui démontre au grand
jour cette altération,
– 151 –
c'est la difficulté
éprouvée par les Bretons eux‑mêmes pour éclaircir
les dénominations de leurs anciennes tribus, et
surtout les noms les plus chers à leur patriotisme,
ceux de Britanni et d'Armorique.
Suivant Le Gonidec,
Breton ou Bretoun ou mieux Brizard, vient de Briz,
qui signifie peint de diverses couleurs. Lehuerou
dit que Breton (Brython dans les traditions
gauloises) dérive de Bro, pays et de thon,
than, ou den, hommes, c'est‑à‑dire,
hommes du pays, indigènes. C'est là,
malheureusement, tout ce qu'a pu dévoiler le breton
pour l'étymologie de Britanni. L'idiôme de
Tectosages sera plus heureux, nous l'espérons du
moins, tout en conservant une prononciation plus
exacte. Britanni dérive de to breath (brith),
vivre, et de to annoy (annoï),
incommoder, ennuyer. L'île de Bretagne devait sans
doute être occupée par des hommes vivant d'une
manière incommode et dure. César, parlant de son
expédition militaire dans cette île, rapporte que
les anciens habitants en tenaient l'intérieur,
tandis que les côtes étaient au pouvoir des Belges
venus du continent. Ces Belges commencèrent à
cultiver et à ensemencer les champs : l'île était
fort peuplée, les troupeaux très nombreux ; les
habitants de l'intérieur vivaient de lait et de
viande, ne semaient point de blé, et étaient
– 152 –
vêtus de peaux. (1)
La privation volontaire de blé et de pain,
l'alimentation exclusive par le lait et la viande,
les vêtements de peaux avaient paru aux yeux du
Neimheid constituer un genre de vie assez dur et
assez incommode pour faire nommer ces insulaires,
Britanni.
Le terme Armorique
est aussi une véritable énigme dans la langue
bretonne. D'après tous les auteurs, Armorique
dériverait de armor, sur mer. Mor en effet, signifie
mer, en breton ; mais ar, que signifie‑t‑il d'une
manière sûre ? Et la terminaison ique est‑elle donc
inutile et deviendrait‑elle un simple ornement ?
Dans l'idiôme des Tectosages, armorique se décompose
ainsi : – arm, bras, – oar (ôr),
aviron, rame, – to eke (ike),
allonger, perfectionner, – c'est‑à‑dire, un bras qui
se sert de rames fort longues. Ce sens d'Armorique
devient saisissant de vérité, lorsqu'on se souvient
des indications données par César sur la marine
Vénète, assez puissante pour rendre ce peuple
indomptable. Les vaisseaux armoricains à carène
plate défiaient les bas‑fonds ; construits dans leur
entier en coeur de chêne, ils pouvaient se jouer du
choc des éperons romains ; leur proue et leur pouppe
fort élevées, résistaient admirablement aux vagues
(1) De bell. gall.
lib. V. 12. 14.
– 153 –
les plus fortes : les
voiles étaient faites de peaux, afin qu'elles ne
fussent point déchirées et mises en pièces par la
furie des ouragans et des tempêtes. (1)
Il n'est dons pas
étonnant, que construisant des navires à rebords si
élevés, les marins de l'Armorique aient dû se servir
de rames fort longues, et c'est là l'origine de leur
nom, Armorici.
Parcourons encore
cette terre si intéressante de l'Armorique et nous y
retrouverons, par les dénominations de ses tribus et
de ses cités, bien des choses dignes de fixer
l'attention.
La tribu la plus
puissante de confédération armoricaine était celle
des Vénètes. Ces marins redoutés étaient fort
religieux ; mais ils ne connaissaient pas de temple
pour y prier : ils se réunissaient en plein air,
lorsqu'ils remplissaient leurs exercices religieux,
dédaignant de se mettre à l'abri des intempéries des
saisons pour accomplir les actions les plus nobles
de la vie. Le nom de Vénètes indique cette fière
coutume, qui était d'ailleurs commune à tous les
Gaulois, tout aussi religieux que les Vénètes, –
vane (véne), temple, – to hate (héte),
détester –.
Leur ville principale
était Dariorigum, aujourd'hui
(1) De bell. gall.
lib. III. 13.
– 154 –
Vannes. Nous avons
déjà constaté l'habileté des Aquitains et des
Bituriges à élever et dompter les chevaux, et
maintenant dans une autre partie de la Gaule, nous
pourrons nous convaincre de quels soins vigilants
les Celtes entouraient l'espèce chevaline ; – to
dare, oser, –to hew (hiou)
tailler, –rig, cheval à demi châtré –. Au sud du
Morbihan, près des côtes de la mer, se trouve
Carbac, si remarquables par ses alignements. Les
pierres levées y sont rangées en longues files
régulières et figurent des allées dont la largeur
varie entre quatre et huit mètres. Une distance de
sept, huit et dix mètres est ménagée entre chacune
des pierres levées. Les allées du centre sont plus
grandes que les allées latérales, et à une
extrémité, on voit un grand espace libre, semblable
à une place publique.
On cherche depuis
bien longtemps la signification de ces alignements
faits de pierres levées et mesurant plusieurs
kilomètres. S'il nous était permis de hasarder une
opinion sur ces alignements, nous serions porté à y
voir, non pas un monument religieux, mais bien un
lieu d'exercices, où les Gaulois se formaient à
conduire avec habileté, au milieu d'obstacles
multipliés, leurs chariots de guerre, armés de faux,
leurs
– 155 –
cobhains,
– kob, cheval, – to hem,
entourer –, et on sait quelle adresse redoutable les
Celtes y déployaient.
César en avait été si
vivement frappé qu'il n'a pu cacher son admiration.
" Les exercices journaliers, dit‑il, les ont rendus
tellement habiles, qu'ils savent arrêter leurs
chevaux dans la course la plus fougueuse, dans les
pentes les plus raides, et qu'ils les font tourner
de court : eux‑mêmes sont accoutumés à courir sur le
timon, à se tenir sur le joug, et puis d'un bond à
se rejeter dans le char. " (1)
Les alignements de
Carnac étaient bien disposés pour former l'oeil et
la main des jeunes Gaulois, obligés de conduire
leurs chariots entre les pierres levées qu'ils
devaient s'étudier à tourner et à éviter.
Au reste, ce qui nous
porte à mettre en avant cette hypothèse, c'est le
nom même de Carnac, signifiant un chariot attelé
d'un jeune cheval, – car, chariot, – nag,
jeune cheval. – Est‑il inadmissible que ces longues
files de pierres levées de Carnac fussent, pour
ainsi dire, un champ de courses, où les Celtes
montraient leur force et leur habileté en
maîtrisant, au milieu des obstacles, de jeunes et
vigoureux chevaux ?
(1) De bell. gall.
lib. IV. 33.
– 156 –
Les amateurs de
monuments mégalithiques peuvent voir à Locmariaguer,
chez les Vénètes, une allée couverte, dite de César.
Locmariaguer est placé tout près du lac de Vannes.
Voici la composition de ce nom : un lac qui empêche
les chasseurs, – loch, (lok) lac, –
to mar, empêcher, – yager (iagueur),
chasseur –.
Tous les auteurs qui
se sont occupés des industries celtiques nous
apprennent que les tamis de crin sont d'invention
gauloise ; mais ils ne disent pas où était le lieu
d'invention et de fabrication. Sarzeau, dans la
presqu'île de rhuis nous instruit amplement à ce
sujet, sarce (sarse), tamis, tissu de
crin, to sew (sô), attacher,
coudre.
Au nord des Vénètes,
était établie la tribu des Curiosolites. Leurs mains
façonnaient ces voiles de peaux, dont se servaient
les marins de l'Armorique et qui avaient tant
surpris César. Les Curiosolites étaient les
corroyeurs, obligés de coudre et d'attacher les
peaux puantes, to curry (keurri),
corroyer, to owe (ô), être obligé,
to sew (sô), coudre, attacher, olid,
puant, fétide . Estce en souvenir des Curiosolites
que la ville de SaintMalo fait encore un si grand
commerce de cuirs et de peaux ?
Dans cette tribu et
sur les bords de la mer, existait Reginea, dont le
nom seul indique l'importance pour la marine
armoricaine : on
– 157 –
taillait les agrès
des vaisseaux, rigging (rigguign),
agrès, to hew (hiou), tailler .
Dans le terrain
limitrophe des Curiosolites, se trouvait une cité du
nom d'Aleth, située à peu près à l'endroit occupé
aujourd'hui par la ville de Saint Servan. La cité
d'Aleth, allay (allé), mélange,
alliage, to etch, graver à l'eau forte
sur le cuivre , fabriquait‑elle des ouvrages de
cuivre et de bronze, ou bien, a‑t‑elle reçu ce nom à
cause du sol qui aurait renfermé du minerai de
cuivre ? Il est bien difficile de se prononcer.
Cependant notre Aleth du département de l'Aude
pourrait peut‑être nous renseigner ; la similitude
de nom semble devoir provenir de la similitude
d'industrie ou de terrain contenant des métaux de
même nature dans les deux localités. L'industrie
métallurgique a toujours été nulle dans notre Aleth,
et il n'existe rien dans les traditions populaires
qui permette même de soupçonner l'exploitation de
ses pyrites cuivreuses.
Le Neimheid a dû
appliquer une dénomination semblable à ces deux
cités, si éloignées l'une de l'autre, probablement à
cause de leur sol renfermant quantité de pyrites de
cuivre mêlées à d'autres minerais.
La cité bretonne
d'Aleth appartenait à la tribu des Diablintes, –
to dye (daï), teindre, colorer, –
able, habile, – to hint,
inventer,
– 158 –
suggérer –, les
ouvriers ingénieux et habiles qui savaient donner
aux tissus dont se composaient les vêtements des
Celtes, ces couleurs vives et variées dont ils
aimaient l'éclat.
Les Diablintes
possédaient une autre cité appelée Fines, – to
fine, affiner, purifier, – haze (hèze),
brouillard. A t‑on voulu dans la dénomination de
Fines faire allusion aux vapeurs semblables à des
brouillards s'élevant au‑dessus des foyers
d'affinage ? Situé à proximité d'Aleth, Fines aurait
bien pu posséder des foyers, destinés à purifier les
pyrites de cuivre provenant de cette localité. En
admettant cette hypothèse, qui n'est pas improbable,
d'une fonderie de cuivre ou de bronze, dans la ville
de Fines, les fourneaux ne devaient jamais
s'éteindre, surtout si elle était dans l'obligation
de fournir les timons et les roues de bronze aux
habitants de Carife, dont l'industrie consistait à
ajuster les différentes parties des chariots
celtiques, – car, chariot, – to eye
(aï), avoir l'oeil sur, – to fay
(fé), ajuster –. Carife était à dix lieues au
sud‑est d'Aleth.
A l'ouest des
Vénètes, dans la partie de l'ancien comté de
Cornouailles se terminant au cap ou bec du Raz,
vivaient les Corisopites. Pour bien juger et
apprécier cette contrée, il suffit d'en citer la
description faite par Châteaubriand qui connaissait
– 159 –
sa chère Bretagne :
" Région triste et solitaire, enveloppée de
brouillards, retentissant du bruit des vents, et
dont les côtes hérissées de rochers étaient battues
d'un Océan sauvage. " Ces paroles sont la traduction
fidèle et complète de Corisopites, – cor,
coeur, – hiss, sifflement, – sob,
soupir, sanglot, – to hit, frapper,
toucher –. Les sifflements aigus, les gémissements
incessants produits dans les rochers par la furie
des ouragans, n'étaient‑ils pas de nature à frapper,
à attrister le coeur des Corisopites ?
Les Agnotes, qui
occupaient, au nord des Corisopites, la pointe
armoricaine appelée le cap Finisterre, étaient, eux
aussi, fatigués et tourmentés par le mauvais temps
et les orages, – to hag, tourmenter, –
naught (naût), mauvais –.
Les Agnotes étaient
compris dans la tribu des Osismiens ou Osismii. Ces
derniers avaient reçu cette appellation à cause de
l'abondance des marsouins et des piettes qui
fréquentaient leurs côtes, – hog‑sea (hog‑si),
marsouin, – smew (smiou), piette,
oiseau aquatique –.
Placée sur la rive
droite de la Loire ou Ligeris, – lickerish,
délicieux –, la tribu des Namnetes s'était rendue
célèbre par son habileté à tendre des filets, –
name, réputation, célébrité, – to net,
prendre au filet –.
– 160 –
D'après Ptolemée, la
cité principale des Namnetes était Condivicum,
aujourd'hui Nantes, – to con,
apprendre par coeur, – device (divaïce),
invention –. Quelles inventions avaient donc fait
dénommer cette ville Condivicum, inventions que l'on
apprenait par coeur ? Y avait‑il une école où l'on
enseignait la pratique des arts manuels, ou bien
était‑ce une école de navigation dans laquelle les
intrépides marins Vénètes venaient se former et se
tenir au courant de la science et des inventions
nautiques ? Il est toujours bien certain que
Condivicum possédait un chantier de construction
pour les vaisseaux, puisque, dans le fleuve baignant
la ville, furent lancées, par ordre de César, les
galères romaines destinées à combattre la flotte des
Vénètes, qui comptait deux cent vingt navires. (1)
II
LES REDONES. – LES
MONUMENTS CELTIQUES. –
LES DRUIDES. – LES
CARNUTES.
Au nord de la tribu
des Namnetes, se trouvaient les Redones. On ne peut
guère parler des Redones sans rappeler à l'esprit
les images des
(1) De bell. gall.
lib. III. 9.
– 161 –
grandes pierres dont
les Bretons ont conservé les noms avec tant de soin.
Il est intéressant de connaître la pensée de la
science moderne sur ces monuments, pensée que M.
Louis Figuier a parfaitement rendue et traduite dans
l'Homme Primitif. Nous citerons textuellement, à ce
sujet, quelques passages importants de ce livre.
" Une circonstance
heureuse et bizarre à la fois, écrit M. Louis
Figuier, a rendu extrêmement faciles, et en même
temps certaines, les notions que nous allons
présenter à nos lecteurs. Ces tombeaux des hommes de
l'époque de la pierre polie, ces monuments
funéraires, ont été étudiés, décrits, fouillés d'une
manière approfondie, par les archéologues et les
antiquaires, qui en ont fait le sujet d'une foule de
publications et de savants mémoires. En effet, ces
tombeaux ne sont rien autre chose que les dolmens,
ou les monuments celtiques ou druidiques, et ils ne
se rapportent nullement, comme on l'avait toujours
pensé, aux temps historiques, c'est‑à‑dire aux temps
des Celtes ou des Gaulois, mais remontent à une
antiquité beaucoup plus haute, car ils appartiennent
à l'époque antéhistorique de la pierre polie.
Nous étudierons, avec
cette donnée explicative, les dolmens et autres
monuments dits mégalithiques, restes grandioses
d'une époque
– 162 –
ensevelie dans la
nuit des temps, énigmes colossales qui s'imposent à
notre raison et piquent au plus haut point la
curiosité de l'érudit et du penseur.
Les dolmens sont des
monuments qui se composent d'un gros bloc de rocher,
plus ou moins aplati, et posé horizontalement sur un
certain nombre de pierres, dressées verticalement
elles‑mêmes pour servir de supports.
La terre recouvrait
ces sortes de chambres sépulcrales et formait un
monticule, mais par la suite des temps, cette terre
ayant souvent disparu, on voit apparaître seulement
les pierres nues de la chambre sépulcrale.
Ce sont ces pierres
nues que l'on a prises pour des autels de pierre, et
que l'on a rapportées au culte religieux des
Gaulois. Les prétendus autels druidiques ne sont que
des dolmens en ruine. Ce n'est donc pas, comme on
l'a toujours dit, pour servir aux pratiques d'un
culte cruel qu'ils ont été élevés. Il est
parfaitement prouvé aujourd'hui que les dolmens ne
sont que des tombeaux de l'époque
antéhistorique. "... Il faut donc renoncer à voir
dans les dolmens de la Bretagne, qui ont été tant de
fois décrits par les antiquaires, et qui figurent au
nombre des monuments de notre histoire, des
– 163 –
symboles de la
religion de nos pères. On ne peut plus les regarder
que comme des chambres sépulcrales.
Les dolmens sont très
nombreux en France, beaucoup plus nombreux qu'on ne
le pense. On croit généralement qu'il n'en existe
qu'en Bretagne, et les curieux admirent sous ce
rapport les prétendus autels druidiques si répandus
dans cette ancienne province de France. Mais la
Bretagne est loin d'avoir le privilège des
constructions mégalithiques. On en a trouvé dans
cinquante‑huit de nos départements, appartenant pour
la plupart aux régions de l'ouest et du sud‑ouest..
Les menhirs étaient
d'énormes blocs de pierres brutes, que l'on fichait
en terre aux environs des tombeaux. Ils étaient
plantés isolément, ou par rangées, c'est‑à‑dire en
cercle ou en avenue.
Quand les menhirs
sont rangés en cercle, uniques ou multiples, on les
nomme cromlechs. Ce sont de vastes enceintes de
pierres, ordinairement disposées autour d'un dolmen.
Le culte dû aux morts parait avoir converti ces
enceintes en lieux de pélerinage où se tenaient, à
de certains jours, des assemblées publiques. Ces
enceintes sont tantôt circulaires, comme en
Angleterre, tantôt rectangulaires, comme en
– 164 –
Allemagne ; elles
comprennent un ou plusieurs rangs.
" ... Ces monuments
de pierre, nous l'avons déjà dit, ne sont pas plus
celtiques que druidiques. Les Celtes, peuples qui
occupèrent une partie de la Gaule, plusieurs siècles
avant l'ère chrétienne, sont tout à fait innocents
des constructions mégalithiques.
Ils les trouvèrent
toutes faites lors de leur immigration, et, sans
doute, ils les considérèrent avec autant
d'étonnement que nous. Ils en tirèrent parti,
lorsqu'ils leur parut avantageux de les utiliser.
Quant aux prêtres de ces peuples anciens, quant aux
druides qui cueillaient le gui sacré sur le chêne,
ils accomplissaient leurs cérémonies dans le fond
des forêts. Or, jamais dolmen ne fut bâti au fond
des forêts ; tous les monuments de pierre qui
existent aujourd'hui se dressent dans la partie
découverte du pays. Il faut donc renoncer à
l'antique et poétique aperçu qui fait des dolmens
les autels du culte religieux de nos ancêtres. " (1)
L'opinion de la
science moderne touchant les dolmens, diffère
étrangement des idées suscitées par l'interprétation
des noms que portent les grandes pierres, si
abondantes en Armorique, surtout chez les Redones
(Rennes).
(1) L'homme Primitif
par M. Louis Figuier.
– 165 –
Les Redones formaient
la tribu religieuse, savante, possédant le secret de
l'élévation des monuments mégalithiques disséminés
dans toute la Gaule ; c'était la tribu des pierres
savantes,– read (red) savant,– hone,
pierre taillée. – L'étude et la science étaient
indispensables pour connaître le but de l'érection
des mégalithes, et ceux‑là seuls en possédaient
l'intelligence et le sens qui l'avaient appris de la
bouche même des Druides.
Il est utile de
remarquer que le département d'Ille‑et‑Vilaine
comprend la plus grande partie du territoire des
anciens Redones ; il reçoit son nom des deux
rivières l'Ille et la Vilaine qui y prennent leurs
sources. Ille, hill, signifie colline ;
Vilaine – to will (ouill),
vouloir, – to hem, entourer –, se
rattache aux pierres levées placées sur les collines
et entourant la tribu des Redones. Le rapport et la
convenance entre le nom des deux rivières et celui
de Redones sont‑ils purement fortuits ? N'est‑ce pas
une confirmation frappante de l'interprétation
donnée à Redones et suggérée par la langue des
Tectosages ?
" Les pierres
isolées, dit H. Martin, se nomment men‑hir, pierre
longue, ou peulvan, pilier de pierre ; les grottes
factices, leckh, roche, ou dolmen pierres levées,
(de tol ou dol, élévation) ou table de pierre, (de
taol, table) : les
– 166 –
cercles, crom leckh
(pierres de crom ou cercles de pierres). Les
fameuses tours rondes d'Irlande sont aussi des
monuments gaëliques, d'un caratère religieux, comme
l'atteste bien leur nom traditionnel,
Feid‑Neimheidh. "
Neimheid, nous
l'avons déjà vu, désigne le corps savant qui
composait les dénominations. Ces hommes d'élite
distribuaient‑ils aussi au peuple le fondement
principal de leur nourriture, c’est‑à‑dire le blé et
le pain? Feid le déclare positivement, puique le
verbe to feed (fid) signifie, nourrir,
donner à manger. Les termes ménir, dolmen, cromleck,
se rapportent encore à ce fait important, qui
consistait pour les Druides, à distribuer au peuple
Celte, d'abord la science religieuse, essentielle à
la vie morale, et en second lieu, le blé et le pain,
essentiels à la vie matérielle.
Le ménir, par sa
forme aiguë et en pointe, représentait l'aliment de
première nécessité, le blé, – main (mén),
principal, – ear (ir), épi de blé.–
Chose étrange ! Dans tous nos villages du Languedoc,
on trouve toujours un terrain auquel est attaché le
nom de Kaïrolo, – key, clef, – ear (ir),
épi de blé, – hole, petite maison des
champs.– Dans ce terrain, probablement, était
construit le grenier à blé des villages celtiques.
La répartition du blé était faite par la main des
Druides,
– 167 –
comme les divers
auteurs l'ont bien constaté et comme le témoigne
avec évidence l'expression attachée au dolmen, qui
était, d'ailleurs, construit comme une table de
distribution, to dole, distribuer, –
main (mén), essentiel –.
Il est tout à fait
curieux et intéressant de rapprocher des termes
ménir et dolmen, le nom du dernier chef des Druides
armoricains, qui vit fermer les collèges druidiques
en vertu d'un décret des états généraux, présidés
par l'Evêque Modéran, sous le premier roi
d'Armorique, Conan Meriadech, et tenus à Rennes, en
l'année 396 après Jésus‑Christ. Ce chef suprême de
l'ordre druidique se nommait Eal‑ir‑bad,
– to heal (hil), rémédier à, –
ear (ir), épi de blé, – bad,
gâté, mauvais – : rémédier au blé gâté. Il était
donc obligé, par ses fonctions d'archidruide,
non‑seulement de répartir le blé en temps ordinaire,
mais encore, dans les années malheureuses, de
rémédier aux accidents survenus aux récoltes, en
distribuant, sans doute, le blé prudemment tenu en
réserve dans les greniers spéciaux.
Le cercle de pierres,
ordinairement de forme ronde, représente le pain :
Cromleck, en effet dérive de Krum (Kreum), mie de
pain et de to like (laïke),
aimer, goûter. Dans le Cromleck de Rennes‑les‑Bains,
on voit de fortes pierres rondes, figurant des
pains, placées au sommet de roches énormes.
– 168 –
Les pierres
branlantes sont nommées roulers par les Bretons, –
ruler (rouleur), gouverneur, – Elles
sont le signe des gouvernements divin et druidique.
On a pu croire, par
les récits de César et la forme des dolmens, que ces
tables servaient d'autel où les Druides immolaient
des créatures humaines ; mais l'interprétation des
noms de toutes les pierres levées celtiques,
interprétation facile et lumineuse par l'idiome des
Tectosages, fait perdre à ces mégalithes les
caractères odieux qu'on leur attribuait, et les fait
rentrer dans la classe de monuments très simples,
possédant néanmoins une splendide signification
religieuse, que nous essaierons d'exposer avec
clarté en parlant du Cromleck de Rennes‑les‑Bains.
La plus grande
indécision règne sur le peulven et le lichaven. On
rapporte généralement le peulven au ménir et le
lichaven au dolmen. En réalité, les peulvens et les
lichavens présentent une idée semblable à celle qui
est renfermée dans le nom des Vénètes, car peulven
exprime un sentiment de répulsion pour les temples,
– to pull (poull), arracher, –
vane (véne), temple –, et lichaven
représente un peuple manquant d'édifices religieux,
– to lack, manquer de, – vane (véne),
temple – : ce dernier devrait être écrit lackven au
lieu de lichaven.
– 169 –
On pourrait faire
observer, au sujet de lichaven, que, dans l'idiome
des Tectosages, le verbe to like (laïke)
signifie aimer, ce qui attribuerait au lichaven un
sens contraire à celui que nous avons cru devoir lui
donner ; mais il ne faut point perdre de vue que les
lichavens existent dans la tribu des Vénètes aussi
bien que dans la tribu des Redones, qu'il y aurait
une contradiction tout à fait flagrante dans la
présence de ces lichavens (aimant les temples) au
milieu du territoire occupé par les Vénètes
(détestant les temples), et le Neimheid était trop
savant pour commettre une méprise aussi grande.
D'après Strabon, la
ville la plus importante des Redones était Condate.
Elle devait être très fréquentée par la jeunesse
studieuse des Gaules, car on y apprenait par coeur,
les sciences communiquées par les Druides, – to
con, apprendre par coeur, – death (dèth),
la mort et ses suites ; ou bien encore – date
(dète) époque –.
Avant de citer les
affirmations de César sur l'enseignement druidique,
il sera avantageux de rechercher le sens du mot
Druide, lequel a reçu des interprétations si
diverses.
On est persuadé
communément que Druide signifie l'homme du chêne, et
Pline n'a pas peu contribué à faire prévaloir cette
explication ? Chêne, en dialecte languedocien,
s'exprime par
– 170 –
garrik ;
en anglo‑saxon par oak (ok) ; en
breton, par derò, derv ; en gallois,
par derw ; en écossais et en irlandais par
dair ; en latin, par quercus, et en grec
par drus. Pline, après avoir remarqué
l'expression grecque, croit que Druide vient de
drus : " Point de sacrifice, dit‑il, sans les
rameaux de chêne " (1)
Le rameau ou la
branche de chêne se traduisant, en grec, par o
druïnos clados, cette consonnance a dû
certainement le jeter dans une erreur inévitable,
s'il ignorait, comme c'est probable, le langage
prétendu barbare des Gaulois.
Le mot Druide, en
anglo‑saxon druid (drouid), renferme
un sens bien autrement sérieux et remarquable. Il
faut considérer que César, en rapportant le nom des
Druides, a cherché à adoucir les sons durs et
gutturaux de la langue celtique et il a écrit
Druides (drouides) au lieu de trouides. Ce
dernier terme permet de trouver aisément la clef de
l'énigme.
Il se compose du
verbe to trow (trô), imaginer,
penser, croire, et d'un autre verbe to
head (hid), prendre garde, faire
attention, – trowhead (trôhid).
Aux Druides, d'après
la signification de leur nom, était imposée
l'obligation d'imaginer, de construire, par des
expressions sûres, pleines de
(1) Pline.
XVI.C.XLIV.
– 171 –
vérité et d'à‑propos,
les dénominations convenant aux tribus, aux cités et
à toutes les parties du territoire celtique ; et
c'était une fonction qu'ils remplissaient sous le
nom de neimheid. Ils devaient encore porter leur
attention sur ce qu'il fallait penser et croire,
chargés qu'ils étaient d'enseigner les sciences
divines et humaines.
Les Druides
n'écrivaient point les mystères de leur science :
leur nombreux disciples en obtenaient la
connaissance, en appliquant leur mémoire à retenir
le grand nombre de vers dans lesquels la doctrine
druidique était renfermée. En obligeant les jeunes
gens à apprendre ainsi par coeur les sciences qui
leur étaient communiquées, " ils les empêchaient de
se reposer sur l'écriture et aussi de négliger
l'exercice de la mémoire. Il arrive ordinairement en
effet, que l'on s'applique moins à retenir par coeur
ce que l'on peut apprendre au moyen des livres. Le
fondement de leur doctrine est que les âmes ne
périssent pas... Ils traitent aussi des mouvements
des astres, de la grandeur de l'univers et du monde,
de l'essence des choses, de la puissance des dieux
immortels, et enseignent ces doctrines à la
jeunesse. " (1)
(1) César, de bell.
gall. lib. VI.14. L'explication de César touchant
l'obligation d'apprendre par coeur les sciences
druidiques, est loin d'être satisfaisante. Cette
obligation doit renfermer un motif plus important
qui nous échappe.
– 172 –
On voit, par ces
paroles de César, que le Neimheid avait donné, avec
grande justesse, à la ville des Redones, le nom de
Condate, ce nom rappelant à l'esprit le souvenir des
doctrines enseignées, par les Druides, à la jeunesse
gauloise, dont ils cultivaient l'intelligence et la
mémoire.
Il n'est pas
nécessaire d'insister sur les connaissances
matérielles possédées par le peuple Celte. Le nom
des tribus et des villes exprimant des professions
diverses, la magnifique organisation établie dans la
Celtique entière, faisant ressembler les tribus à
des corporations ouvrières avec une industrie
particu‑lière à chaque tribu et appropriée aux
produits du sol, suffisent amplement à démontrer,
non seulement la supériorité de civilisa‑tion des
Celtes, mais aussi l'intelligence parfaite de leur
gouvernement, qui savait ainsi diriger toutes les
productions, distribuer tous les ouvrages
nécessaires à la conservation et à la prospérité de
la société gauloise.
César nous donne
encore quelques détails sur la hiérarchie et
certaines fonctions druidiques. Ce corps enseignant
était présidé par un druide revêtu de l'autorité
suprême. Après la mort de ce chef, on lui donnait
pour successeur le Druide le plus méritant, et, si
plusieurs était également dignes de cet honneur, le
plus grand nombre de suffrages obtenus par l'un
d'eux, le portait au
– 173 –
pouvoir : quelquefois
cependant, les armes pouvaient seules décider du
choix définitif. Les Druides se réunissaient à un
époque fixe de l'année, dans un lieu consacré, sur
les confins des Carnutes, parce que ce pays des
Carnutes est considéré comme le point central de
toute la Gaule. Là, s'assemblaient de toutes parts
ceux qui avaient des différends, et ils se
soumettaient aux jugements et aux arrêts prononcés
par les Druides. (1)
La science du droit,
des jugements à rendre, et des châtiments à infliger
aux coupables, était aussi transmise par
l'enseignement purement oral : Condom (Gers) en fait
foi, – to con, apprendre par coeur, –
to doom (doum), juger,
condamner –.
Les Carnutes
occupaient le pays dont Chartres est aujourd'hui le
chef‑lieu. En désassemblant les mots qui forment
Carnutes, nous serons à même d'apprécier l'habileté
des Druides dans la composition des noms celtiques
des tribus. Carnutes signifie : chariot rempli
d'avoine nouvelle et fraîche, – car, chariot,
– new (niou), nouveau, frais, –
oats (ôst), avoine –.
Le pays des Carnutes
a‑t‑il jamais vu faiblir son immense production en
céréales ? Et Chartres
(1). César, de Bell.
Gall. lib. VI. 13.
– 174 –
peut‑il citer, dans
les siècle passés, une époque où son prodigieux
commerce de grains ait été momentanément suspendu ?
Le nom celtique de Chartres, tel que le livrent les
auteurs, et Autricum. Cet Autricum est simplement
une affirmation positive du lieu où se faisaient les
achats et les ventes des avoines nouvelles, –
oatrick, monceau d'avoine –.
Nous ignorons si
l'explication des noms propres armoricains par le
langage des Tectosages, portera dans l'esprit une
conviction suffisante pour détruire tous les doutes.
On pourrait alléguer que c'est là, peut‑être, la
langue Kimrique, bien différente de la langue
gaëlique, en usage parmi les tribus de l'est et du
centre de la Gaule.
Examinons donc encore
la valeur de l'idiome des Volkes, dans
l'interprétation de quelques noms propres, pris dans
la partie de la Gaule possédée par la confédération
dite gaëlique.
III
LE
RHONE.–MARSEILLE – LES ALLOBROGES –
LYON. – LES
ARVERNI ET VERCINGÉTORIX.
Une partie de la
Gaule occupée par les Gaëls est arrosée par le
Rhône, Rhodanus. Cette expression, Rhodanus, a donné
lieu à quelques
– 175 –
historiens de croire
que les Rhodaniens avaient fondé une ville entre les
bouches du Rhône. Henri Martin, après avoir partagé
cette croyance, exprime ainsi ses hésitations. " Le
nom du Rhône ne vient pourtant pas de Rhoda, comme
les historiens grecs et latins l'ont imaginé, mais
du gaëlique Rhuit‑an, (eau qui
court). "(1)
Le Neimheid, en
nommant ce fleuve Rhodanus, n'ignorait point la
forme de la rade qui se trouvait à son embouchure,
et aussi le nombre exact de bouches par lesquelles
il se jetait dans la mer. Les savants Gaulois
n'auraient, d'ailleurs, jamais consenti à appeler ce
fleuve Rhuit‑an, eau qui court, car il aurait fallu
dénommer ainsi toutes les rivières et les eaux
courantes de la Gaule.
Strabon rapporte, au
sujet du Rhône, l'opinion de Timée, (2) soutenant
que le Rhodanus se jetait à la mer par cinq bouches
différentes, dans une rade, comblée par ce fleuve
travailleur, – road (rôd), rade,
endroit où les vaisseaux jettent l'ancre ; – hand,
main, extrémité du bras terminée par la main divisée
en cinq doigts –.
Timée n'était point
dans l'erreur en donnant au Rhône cinq bouches
différentes, et c'était bien l'état réel du fleuve
au moment où le Neimheid
(1) Histoire de
France par H.Martin, page 10. Note 3.
(2) Les Villes mortes
du golfe de Lyon, par Charles Lenthéric.
– 176 –
lui a imposé le nom
de Rhodanus. N'abandonnons pas le Rhône sans
chercher à connaître Marseille ou Massilie.
Les historiens
avancent que, vers l'année 600 avant Jésus‑Christ,
un vaisseau venu de Phocée, ville grecque de
l'Eolide, jeta l'ancre près des bouches du Rhône, à
l'est de ce fleuve. Ces côtes appartenaient aux
ségobriges : leur chef Nann, mariait ce jour‑là sa
fille. Les étrangers, accueillis avec bienveillance
furent admis à prendre place parmi les convives.
Suivant la coutume des Ibères, empruntée aux ligures
par les Ségobriges, la jeune fille devait librement
choisir son époux parmi les conviés réunis à la
table paternelle. Sur la fin du repas, la fille de
Nann entre, une coupe à la main : elle promène ses
regards sur l'assemblée, hésite un moment, puis,
s'arrêtant en face d'Euxène, chef des grecs, elle
lui présente la coupe. Nann confirma le choix de sa
fille, et donna pour dot à Euxène les rives du golfe
où il avait abordé, et quelques terres du littoral
de la Méditerranée. Euxène jeta dans une presqu'île
de son domaine les fondements d'une ville qu'il
appela Massilie, et bientôt, grâce aux nombreux
colons qui lui arrivèrent de Phocée, la cité grecque
s'éleva au plus haut degré de prospérité. (1)
(1) Histoire de
france, par E. Lefranc. Introduction.
– 177 –
Ce récit des
historiens laisse dans une obscurité complète les
Ségobriges, qui ont reçu si cordialement Euxène avec
ses Grecs ; le Neimheid lui‑même livre à la
postérité un bien faible renseignement sur cette
tribu. Etablis à l'embouchure du Rhône, les
Ségobriges étaient fort empêchés, dans leur
communications, par les eaux de ce fleuve rapide et
profond. Ils s'étaient donc vus dans la nécessité de
construire des ponts nombreux, afin de rendre leurs
relations aisées et faciles. C'est là, du reste,
toute l'affirmation de l'Académie Gauloise, – to
seek (sik), chercher à, – to
owe (ô), être obligé de, – to
bridge (brijde), construire un pont –.
Sur les côtes
maritimes des Ségobriges, Euxène jeta les fondements
de Marseille et rendit cette cité florissante en y
appelant le commerce du Levant ; mais il est bien
probable que le Neimheid ne lui abandonna pas le
soin de dénommer la ville, puisque tous les mots
employés dans la composition de Massilia, sont
purement celtiques. Massilie, dans la concision
admirable de ce terme, est un port recevant une
infinité de grands vaisseaux qu'on mettait à la
bande pour les radouber, – mass, un amas, –
to heel (hil), mettre un
vaisseau à la bande pour le radouber, – high
(haï), grand –.
En remontant le Rhône
vers le lac Léman et
– 178 –
sur la rive gauche du
fleuve apparaissent les puissants Allobroges. Ils
occupaient la Savoie, et Grenoble leur appartenait
avec la contrée comprise aujourd'hui dans le
département de l'Isère. L'industrie prédominante de
cette tribu n'est pas disparue de la région qu'ils
possédaient. Les liqueurs de la côte Saint‑André,
les ratafias renommés de grenoble, ont succédé aux
produits spiritueux et excitants fabriqués par les
Allobroges, – to alloo, (allou),
animer, exciter, – brewage (brouedje),
mélange de différentes bières –. La profession des
Allobroges permet donc de constater que l'eau claire
des fontaines n'était pas l'unique boisson des
Celtes.
A l'ouest du Rhône,
dans le Vivarais, les Helvii emmanchaient avec
adresse les armes de guerre, les lances, les piques,
les haches, – to helve, emmancher, –
to hew (hiou) tailler, –
industrie trop modeste que les Helvetii avaient
dédaigneusement repoussée comme peu conforme à leurs
goûts belliqueux – to helve,
emmancher, – to hate (héte)
détester, – to hew (hiou)
tailler –. Abandonnant les Rauraci, de Bâle, au
froid qui les tourmente – raw (râu),
froid, gelé, – to rack, tourmenter –,
retournons vers le confluent de la Saône et du
Rhône, afin d'y trouver Lugdunum, Lyon.
M.A. de Chevallet,
dans son magnifique ouvrage,
– 179 –
Origine et formation
de la langue française, écrit : " dune, monticule de
sable qui se trouve au bord de la mer ; dunette,
partie la plus élevée de l'arrière d'un vaisseau.
Ces mots dérivent du celtique dun, qui
signifiait une éminence, une colline, ainsi que nous
l'apprend Clitophon dans un traité attribué à
Plutarque. Voici le passage : " Auprès de l'Arar,
(la Saône), est une éminence qui s'appelait
Lougdounon, et qui reçut ce nom pour le motif que je
vais rapporter. Momoros et Atepomoros, qui avaient
été détrônés par Seséronéos, entreprirent d'après la
réponse d'un oracle, de bâtir une ville sur cette
éminence. Ils en avaient déjà jeté les fondements,
lorsqu'une multitude de corbeaux dirigèrent leur vol
de ce côté et vinrent couvrir les arbres d'alentour.
Momoros, versé dans la science des augures, donna à
la ville le nom de Lougdounon, attendu que dans leur
langue, (les Gaulois) appellent le corbeau lougon et
une éminence dounon. "
" Cette ville, ainsi
que le lecteur l'a déjà pensé, n'est autre que
Lugdunum des Romains, devenu notre Lyon : elle fut
d'abord bâtie le long de la rive droite de la Saône,
sur les hauteurs qui avoisinent Pierre Scise.
Dun s'est conservé
dans la terminaison de plusieurs autres de nos
villes. "
– 180 –
Le fait rapporté par
Clitophon parait être tout à fait réel. C'était un
heureux accident, une bonne fortune pour Momoros,
versé dans la science des augures, de voir une
multitude de corbeaux lui marquer, pour ainsi dire,
la place que devait occuper la ville, et le terme
luck (leuk), accident, bonne fortune –
luckdun –, exprime bien la satisfaction qu'il en
dut éprouver. Quant à dunum, qui termine le
nom de plusieurs villes celtiques, il ne désigne pas
l'éminence sur laquelle une ville pouvait être
bâtie, car to dun, signifie : ennuyer
un débiteur. Il est bien probable que les cités
portant la terminaison dun ou dunum étaient
primitivement des villes de refuge, où les débiteurs
insolvables allaient se mettre à l'abri des
poursuites de créanciers trop importuns. Le savant
Dom Martin, dans son histoire des Gaules, a déjà
émis cette pensée, que les cités gauloises étaient
peut‑être de simples villes de refuge, vides
d'habitants, où l'on courait se mettre à couvert
d'un danger pressant. Le verbe to dun,
offre un sens tout à fait clair, précis, expliquant
parfaitement la cause de la fuite précipitée d'un
débiteur et sa retraite subite dans une ville
éloignée.
Il est bien certain
néanmoins que les Celtes recherchaient les collines
pour y bâtir leurs cités et la ville de Lactora
(Lectoure, dans le Gers),
– 181 –
présente un exemple
de ce choix judicieux. Lactora, situé sur le sommet
d'une montagne escarpée, au pied de laquelle coule
le Gers, indique manifestement l'éminence où il est
assis, et aussi la préférence déclarée des Celtes
pour les hauteurs lorsqu'ils fondaient une ville, –
to like (laike), aimer, goûter,
– tor, (torr), hauteur terminée en
pointe –.
Parmi les tribus
comprises dans la confédération dite gaëlique, la
plus célèbre est celle des Averni. En citant le nom
des Arverni, l'esprit s'arrête aussitôt avec un
intérêt douloureux sur Vercingétorix, le dernier
défenseur de l'indépendance gauloise. Commandées par
Vercingétorix et combattant dans leurs chère
montagnes, les Arverni infligèrent à César une
sanglante défaite, dont l'amer souvenir excita, dans
le coeur du général romain, la haine la plus sauvage
contre son vainqueur.
César n'a pas su
trouver dans son âme ulcérée, même un faible
sentiment d'admiration à l'égard du héros Arverne se
livrant fièrement aux Romains pour sauver ses frères
d'armes. Le conquérant des Gaules, en le jetant dans
les fers, a prouvé que son coeur, grandement ouvert
à la férocité, était fermé à la générosité la plus
vulgaire. On ne peut penser sans indignation au
traitement barbare subi par le magnanime Arverne,
qui a dû languir six années dans les fers,
– 182 –
avant que la hache du
licteur ait mis un terme à ses tortures.
Le nom de
Vercingétorix, imposé au chef des Gaulois combattant
pour l'indépendance de leur pays, nous le dépeint
par un trait de feu. C'est le chef de guerre
oubliant toutes choses, pour songer seulement aux
dangers que court sa patrie et conduire ses frères
au combat, – war (ouaûr), guerre, –
king (kigne) chef, roi, – to
head (hèd), être à la tête de, conduire,
– to owe (ô), être obligé de,
devoir, – risk, danger –.
On a tenté plusieurs
fois d'interpréter le nom de Vercingétorix. C'est le
généralissime, ver‑cinn‑cedo‑righ, dit un historien
qui accuse avec raison les auteurs latins " de
confondre le titre des fonctions avec le nom propre,
comme ils ont fait un Brennus de Brenn ou chef
gaulois. " (1) Brenn, en réalité, dérive de brain
(brèn), cerveau.
Henri Martin, dans
son Histoire de France, s'exprime ainsi au sujet du
héros celte : " il s'appelait Vincingétorix,
c'est‑à‑dire, le grand chef de cent têtes, ver‑kenn‑kedo‑righ. "
Cette explication
découle de la même source
(1) Histoire de
France, par Em. Lefranc.
– 183 –
indécise qui nous a
donné ar‑fearann, haute‑terre, pour Arverni. Mais
quel abîme entre cet ar‑fearann et la vérité. Les
Arverni étaient autrefois ce qu'ils sont encore
aujourd'hui, c'est à dire, des colporteurs
parcourant la Gaule pour vendre des marchandises
nouvelles, – to hare, courir çà et là,
– ware (ouère), marchandise, chose à
vendre, – new (niou), nouveau, – et on
ne pourrait point citer une seule ville de France
dans laquelle on ne découvre quelques arverne
enrichi par le négoce.
N'est‑ce pas une
chose admirable de voir les Avernes exercer la même
industrie dans les siècles les plus reculés de
l'histoire celtique ? Avec quel soin jaloux les
membres savants du Neimheid n'ont‑ils point veillé à
graver exactement la profession d'une tribu dans le
nom qu'elle portait ! Après l'explication des
dénominations prises dans l'est et le centre de la
gaule, où le langage gaëlique aurait dû dominer, ne
semble‑t‑il pas juste d'avancer que la langue
celtique employée par l'académie Gauloise était une,
et que les différences dialectiques existaient
seulement dans le langage populaire ? Le neimheid
n'était pas établi uniquement en Irlande, où il a
laissé son nom attaché aux tours rondes qui
subsistent encore. César dit que l'institution
druidique a été imaginée d'abord dans l'île de
bretagne, et de là,
– 184 –
introduite en
Gaules ; (1) mais est‑il croyable que le bel ordre
des druides ait eu un brusque commencement parmi les
insulaires bretons ? Lorsque les Celtes ont
abandonné l'Asie, se dirigeant vers l'Occident, le
Neimheid accomplissait déjà ses fonctions, et les
appellations qu'il a dû laisser en suivant le cours
du Danube, le prouveront plus tard surabondamment,
car nous avons la ferme confiance que leur
interprétation, par la langue des Volkes, sera d'une
extrême facilité.
Nous avons déjà
désassemblé et expliqué plus de deux cents mots ou
dénominations, hébraïques, puniques, basques et
celtiques. Ne sommes‑nous pas en droit de trouver la
preuve assez forte, pour avancer que la langue des
Tectosages, conservée par les Anglo‑Saxons, est la
vrai langue celtique ? N'est‑il pas juste de
l'appeler la langue primitive, parlée par Noé, et
transmise à ce patriarche par Adam qui l'avait reçue
de Dieu, puisque les noms divins et les noms propres
des premier hommes ne s'interprètent avec une clarté
réelle que par les termes pris dans cette langue ?
Combien de souvenir
nos Bretons de France pourront faire revivre, eux
dont la mémoire fidèle nous a conservé les noms de
tous ces monuments
(1) César, de bell.
gall. lib. VI. 13.
– 185 –
celtiques, considérés
avec curiosité comme de véritables énigmes !
Nous sommes loin de
prétendre qu'aucune erreur ne se soit glissée dans
l'explication des noms propres celtiques que nous
avons tentée à l'aide de la langue des Tectosages ;
mais ces erreurs seront facilement écartées ou
corrigées par le flambeau des traditions locales,
dont la persistance projettera aussi son rayon
lumineux sur la vie et l'histoire de nos ancètres.
Cette histoire,
d'ailleurs, n'est‑elle pas à refaire ? " Ces Gaëls
primitifs, dit Henri Martin (1), tatoués, armés de
couteaux et de haches de pierre, devaient offrir une
certaine ressemblance avec les sauvages belliqueux
de l'Amérique du Nord. Ils sont pasteurs et
chasseurs ; ils ont même déjà un peu
d'agriculture. "
A cela, le Neimheid
répond par les dénominations religieuses, et les
appellations industrielles imposées aux cités, aux
tribus et aux plus petits villages dont les noms
dévoilent bien des choses surprenantes. Il faut donc
abandonner toutes ces hypothèses de sauvagerie et
d'état barbare, outrageantes pour nos ancètres
gaulois, et leur rendre avec justice, le degré élevé
de civilisation religieuse, morale et matérielle à
(1) Histoire de
France, 1er vol
– 186 –
laquelle ils ont un
droit incontestable. A la réponse du neimheid, vient
s'ajouter la réplique encore plus grave de nos
livres saints : " Qu'est‑ce qui a été jadis ? Ce qui
doit arriver à l'avenir. Qu'est‑ce qui a été fait ?
Ce qui doit se faire encore. Rien n'est nouveau sous
le soleil, et nul ne peut dire : voilà une chose
nouvelle ; car déjà elle a été dans les siècles
écoulés avant nous. " (1)
(1) Ecclesiaste. C.
I. v. 9. 10.

CHAPITRE VI.
__________
LES VOLKES TECTOSAGES
ET LE LANGUEDOC
______________
I
LES VOLKES
TECTOSAGES ET ARECOMIQUES.
LES BELGES. – LA
GARONNE. – TOULOUSE.
LA GIRONDE.
Suivant plusieurs
historiens, le quatrième siècle avant notre ère
avait vu les Volkes Tectosages et Arécomiques se
fixer dans le midi de la Gaule. Guillaume de Catel,
dans son histoire du Languedoc, dit que les
Tectosages étaient déjà établis dans le sud de la
Gaule avant le quatrième siècle ; car il suppose
l'armée de Sigovèse, vers l'année 587 avant
Jésus‑Christ, formée en grande partie de Tectosages,
tandis que l'armée de Bellovèze en marche vers
l'Italie, renfermait des Bituriges, des Edues, des
Arvernes et des guerriers
– 188 –
appartenant aux
autres tribus de la Gaules centrale. Cette assertion
ne manque pas de fondement et il est fort probable
que César fait allusion à cette première expédition,
en écrivant dans ses commentaires : " Bien avant il
fut un temps où les Gaulois surpassaient les
Germains en valeur guerrière et leur firent la
guerre jusque chez eux : les champs ne suffisant
plus à nourrir une population trop nombreuse, ils
envoyèrent des colonies au‑delà du Rhin. C'est donc
dans les terres de la Germanie les plus fertiles,
autour de la forêt Hercynie, que les Volkes
Tectosages s'établirent après les avoir conquises.
Ce peuple jusqu'à ce temps occupe ce même
territoire. " (1)
Jule César nous
montre ainsi les Tectosages fixés au‑delà du Rhin
d'abord, puis autour de la forêt Hercynie,
c'est‑à‑dire, possédant aussi les rives du Danube.
Vers l'année 281 avant Jésus‑Christ, les Tectosages
du midi de la Gaule, emmenant avec eux d'autres
tribus, se présentèrent à leur frères des bords du
Danube, et les entraînèrent vers la Macédoine,
l'Epire, la Thrace et la Grèce. Cette dernière
expédition, conduite par les Tectosages de toulouse,
alliés avec les Tectosages du Danube et les Gaulois
Sordiques ou à longue épée – sword (sôrd),
épée, – to eke
(1) César, de bell.
gall. lib. VI. 24.
– 189 –
(ike),
allonger –, placés aussi dans la région danubienne,
porte à deux les principales migrations des
Tectosages effectuées depuis leur établissement dans
le midi Gaulois. Dans la première migration vers le
nord, César les a représentés possédant, sans esprit
de retour, les pays conquis sur les Germains : dans
la seconde expédition vers la Macédoine, une partie
de ces Tectosages, insatiables d'aventures,
passèrent en Asie et y fondèrent avec leurs alliés
une Gaule nouvelle, la Galatie ; une autre partie
des Tectosages retournèrent vers leur pays natal, et
rapportèrent, disent les historiens, jusque dans
Toulouse l'or de Delphes et les dépouilles de la
Grèce.
Les volkes
paraissent, d'après cela, avoir conquis le midi de
la Gaule, longtemps avant que les Belges aient
envahi le nord Gaulois ; ce qui arriva pour ces
derniers, dans le courrant du quatrième siècle avant
notre ère. Ils ne seraient donc pas une tribu belge,
quoique appartenant, comme les Belges, à la famille
Cimmérienne.
Le nom des Belges ne
donne aucune indication précise sur leur origine,
mais il définit leur tactique guerrière. Ils
savaient allier une grande prudence à un courage
remarquable, et dit César, " seuls parmi les
Gaulois, ils avaient repoussé victorieusement les
attaques des Teutons et des Cimbres (sans doute de
Volkes fixés au‑delà
– 190 –
du Rhin), de sorte
qu'ils avaient d'eux‑mêmes et de leur capacité dans
l'art militaire une très haute opinion. " (1)
L'art de la science
guerrière, parmi les Belges, consistait surtout en
un choix judicieux de leurs camps retranchés, qu'ils
savaient fortifier de manière à les rendre
inexpugnables. On a retrouvé des restes de ces
enceintes fortifiées, que M. Louis Figuier croit
être contemporaines de l'âge de la pierre. (2)
" Pour trouver,
dit‑il, les témoignages encore debout des guerres
des hommes de l'âge de la pierre, il faut nous
transporter dans la partie de l'Europe qui forme
aujourd'hui la Belgique. Oui, à l'âge de la pierre,
par delà toute tradition écrite, les peuples de
cette contrée guerroyaient déjà, soit entre eux,
soit contre d'autres peuples venus du dehors. On en
a la preuve par les enceintes fortifiées ou camps
retranchés, qui ont été découverts par MM. Hamour et
Himelette. Ces camps sont ceux de Furfooz, de
Pont‑de‑Bonn, de Simon, de Jemelle, de l'Hastedon et
de Poilvache.
" Ces divers camps
présentent des caractères communs. Ils sont
généralement établis en surplomb de vallées
escarpées, sur un massif de
(1) César, de Bell.
Gall. lit II. 4.
(2) L'homme primitif,
par M. Louis Figuier.
– 191 –
rochers, formant une
sorte de promontoire, qui est relié au reste du pays
par un étroit passage. Un large fossé était creusé
dans cette langue de terre, et le camp tout entier
était entouré d'une épaisse muraille de pierres,
simplement assemblées les unes contre les autres,
sans aucun mortier ni ciment. Au camp de l'Hastedon,
près de Namur, cette muraille, qui était encore bien
conservée au moment de sa découverte, mesurait trois
mètres de largeur, sur une hauteur à peu près égale.
Lorsqu'ils étaient attaqués, les hommes, réunis dans
l'enceinte, faisaient pleuvoir sur les assaillants
des pierres empruntées à leur mur, lequel devenait
ainsi tout à la fois un ouvrage de défense et
d'attaque.
" Ces positions
retranchées étaient si bien choisies que la plupart
continuèrent à être occupées pendant le siècle
suivant. Nous citerons en exemple celle de
Poilvache. Après avoir été citadelle romaine, elle
se transforma, au moyen âge, en un château fort, qui
fut détruit seulement au quinzième siècle.
" Les camps de
l'Hastedon et de Furfooz ont également été utilisés
par les Romains.
" Dans toute
l'enceinte de ces anciens camps, on a trouvé des
silex taillés et des débris de poterie, toutes
choses qui suffiraient pour attester la présence de
l'homme primitif. Les énormes
– 192 –
murailles de ces
mêmes camps indiquent en même temps qu'il a vécu,
sur les points désignés, en agglomérations déjà
nombreuses. "
La construction de
ces camps, indiquait, chez les Belges, le choix
raisonné de leur tactique, et il était impossible
que leur nom n'en portât point une trace sérieuse :
aussi en désassemblant les syllabes qui composent
Belgae, on y trouve des hommes sachant, à la guerre,
entourer leurs positions d'un mur ou d'une
palissade, qui put les mettre à l'abri d'une
surprise de l'ennemi, et l'effrayer par la
difficulté ou l'impossibilité d'enlever de vive
force leurs retranchements, – to pale
(péle), entourer, palissader, – to
cow (kaou), intimider, effrayer, –
Pelkaou –.
Les Volkes Tectosages
ne conduisaient pas une guerre de cette sorte. Leur
ordre de bataille, – to come (keume),
devenir, – to eke (ike),
perfectionner –. Dédaignant l'abri d'un
retranchement, lis fondaient sur l'ennemi, rapides
comme la foudre, reformaient leurs rangs avec
aisance, évoluaient sans souci du danger et comme
assurés de la victoire. On est heureux de retrouver
dans ce peuple, souche des Francks, la furia qui a
rendu les armées françaises si redoutables.
Cette dissemblance
dans le génie guerrier nous
– 193 –
engage fortement à ne
point considérer les Volkes Tectosages et
Arécomiques comme deux tribus Belges, quoique le
verbe to cow, effrayer, entre
également dans la composition de Belgae et de
Volcae.
Les Tectosages et les
Arécomikes se partagèrent le midi de la Gaule, les
premiers s'étendant depuis Bésiers jusqu'au Rhône
avec Nemausus (Nîmes) pour ville principale.
Nemausus, en celtique, signifie : maison de
renom, – name (nème), renom,
célébrité, – house (haouce), maison –.
Quelle était donc cette maison renommée ? La maison
carrée de Nîmes est citée encore de nos jours comme
un monument remarquable. Mais comment cette maison
a‑t‑elle pu devenir célèbre par cette unique et
simple qualité d'être carrée ? C'est sans doute
parce que, les Habitations gauloises affectant la
forme ronde, une maison carrée construite dans la
ville a excité un étonnement général et déterminé
l'appellation de Nemausus. Peut être aussi toutes
les maisons de la cité avaient‑elles la forme
carrée.
Les Tectosages
avaient placé le siège de leur domination à Tolosa
(Toulouse), qui existait déjà et était,
probablement, la ville la plus grande et la plus
considérable de la Gaule méridionale. La Garonne,
navigable sur un grand parcours, prêtait son service
aux embarcations gauloises, qu'on
– 194 –
était cependant
obligé de remorquer, pour les faire arriver jusqu'à
Tolosa, devenu un centre commercial pour le Midi. On
employait comme remorqueurs de magnifiques taureaux
du pays, les chevaux étant aux yeux des Gaulois des
bêtes trop précieuses pour servir à pareil usage.
Aussi bien, le taureau, plus fort que le cheval,
était‑il plus propre à entraîner des embarcations
souvent engagées dans le limon du fleuve, – to
tow (tô), remorquer, – to
low (lô), beugler, mugir, – ooze (ouze),
vase, limon, – towlowooze.
La petite ville de
Tolosa, dans le Guipuscoa, entouré de l'Oria, la
plus forte rivière de cette province après la Deva,
voyait aussi de légères embarcations Cantabres,
remorquées par des taureaux, arriver jusqu'au pied
de ses habitations.
La Garonne, Garumna,
prend sa source dans les Pyrénées espagnoles. Cette
contrée était occupée par la tribu des Garumnites,
dont le fleuve Garumna a tiré son nom. Les montagnes
des Garumnites nourrissaient de véritables troupeaux
de chamois : l'espèce pyrénéenne est connue dans la
région sous le nom d'isard. Cette appellation, tout
à fait celtique, a trait à un détail important de la
vie de ces animaux. Lorsque le troupeau pâture, deux
ou trois vieux mâles se postent en sentinelles sur
les éminences dominant le pâturage, et à la première
apparence de danger, ils
– 195 –
avertissent par un
sifflement aigu : aussitôt le troupeau entier
s'élance vers les hauteurs avec la rapidité de
l'éclair, – to hiss, siffler, –
hart, un cerf. Les isard sont couverts d'un poil
laineux d'un brun foncé en hiver et d'un brun fauve
en été. Chassés avec ardeur, les isards ont gagné
les lieux les plus inaccessibles des Pyrénées, pour
échapper à la poursuite des Garumnites et de leurs
descendans, – gare (guère), laine
grossière, – rum (reum) singulier,
drôle, bizarre, – neat (nit), bêtes à
cornes.
La description de
l'espèce animale, renfermée dans Garumnites, se
rapporte moins à l'isard qu'au bouquetin. Les poils
de celui ci sont un peu plus longs : les cornes
recourbées en arrière sont surtout remarquables :
elles sont composées de nombreux anneaux, et la
longueur totale en est si considérable chez les
vieux mâles, que les extrémités atteignent l'origine
de la queue, lorsque leur tête est relevée.
Les bouquetins ont
disparu des Pyrénées, ils sont en petit nombre dans
les Alpes.
Sur la fin de son
parcours et après avoir reçu la Dordogne, la Garonne
prend le nom de Gironde. Quoique les anciens auteurs
désignent ce fleuve par le nom unique de Garumna,
nous voyons cependant les géographes modernes, se
fiant aux traditions locales, l'appeler aussi
Gironde avant
– 196 –
qu'il se jette à la
mer. La première partie de ce nom, – to
sheer (chir), lancer, rouler, – indique
clairement, par ce terme de marine, que les
vaisseaux Bordelais ont joué un rôle important dans
la composition de Gironde, et la seconde partie
dérivant de to undam (eundam),
lâcher une écluse, cette appellation nous montrerait
sur le bord du fleuve un véritable chantier de
construction de navires gaulois, et leur lancement
dans les eaux d'un bassin fermé par une écluse.
II
LE LANGUEDOC. –
LES WISIGOTHS ET LES PEUPLES
DITS BARBARES.
La contrée habitée
par les Volkes Tectosages porte le nom de languedoc.
Le dialecte parlé dans la région méridionale,
longtemps après son accession à la France, a t‑il
réellement provoqué la dénomination de Languedoc par
opposition à la Langue d'oïl, se rapportant au
langage des Français établis au‑dessus de la Loire ?
Nous sommes loin de
le croire, et ce partage nous paraît tout à fait
arbitraire et dénué de fondements sérieux. Guillaume
de Catel, en ses Mémoire de l'histoire du Languedoc,
imprimés à
– 197 –
Tolose en 1633,
s'exprime ainsi : " Nous tenons aujourd'hui fort peu
de la Belgique, ce qui peut avoir donné sujet aux
modernes de diviser ce que nous retenons des Gaules
en deux langues ou deux parties, l'une qui se nomme
la langue d'Ouy, de laquelle Paris est la capitale ;
l'autre, le languedoc qui a Tolose pour métropole...
Charle VIIeme dans l'ordonnance portant érection du
Parlement de Tolose, la nomme Patria Occitania ; ce
qui a donné sujet au Pape Innocent IV dans son
registre, d'appeler ce pays Occitania. Mais
communément et le plus souvent, il est nommé dans
les anciens actes, patria linguae occitaniae.
" Plusieurs ont
estimé que le pays de Languedoc aurait pris son nom
des Goths qui ont longues années tenu le dit pays,
d'autant que land en Allemagne signifie pays. Et
partant, Languedoc semble être dit pays des Goths,
même anciennement le languedoc fut appelé Gothie.
Mais je crois qu'ils n'ont pas bien rencontré : car
ce mot de Languedoc vient plutôt de la langue que
les naturels parlaient. Car comme ceux du pays de la
langue française sont appelés de la langue d'Ouy, de
même ceux de ce pays sont appelés du Languedoc,
c'est‑à‑dire, comme nous avons remarqué ci‑ dessus,
langue de Oc. "
– 198 –
Cette citation montre
que le point de départ pris pour expliquer le terme
Languedoc, est l'interprétation tout à fait erronée
de Occitania. Nous avons déjà vu que l'expression
Occitani, – hog‑sea (hog‑si),
marsouin, – to‑hit, frapper, – hand,
main, – la main qui frappe le marsouin –, est
attachée aux habitants des bords du golfe de
Gascogne, Cantabres et Aquitains.
Toulouse a pu être
considéré comme la ville la plus considérable du
pays voisin des Occitani, cependant ce n'est point
une raison suffisante pour que ce nom particulier,
désignant une habitude professionnelle, se doive
appliquer au langage du Languedoc, différant fort
peu de celui des Aquitains de l'intérieur des
terres, mais différent beaucoup de celui des
Cantabres. Du reste, la langue parlée dans le Nord à
l'époque dont parle Catel employait presque autant
de mots celtiques et latins que la langue
Toulousaine.
Il y a encre une
erreur fort sensible dans l'affirmation de Guillaume
de Catel, opposant la langue d'Ouy au Languedoc, car
le Languedoc est ordinairement mis en parallèle, par
les divers auteurs, non pas avec la langue d'Ouy,
mais bien avec la langue d'Oïl, ce qui constitue une
différence considérable. Quand Guillaume de Catel
rapporte que, selon l'estimation de plusieurs, le
Languedoc a été ainsi dénommé par les Goths, il
– 199 –
était loin de
soupçonner la vérité, entrevue par ces plusieurs ;
en effet, les wisigoths parlant la langue celtique,
le Languedoc était pour eux le Landok ou pays des
chênes – land, pays, – oak (ôk)
chêne –, opposé au landoïl ou pays de l'huile, –
land, pays, – oil (oïl) huile –
celui‑ci comprenant la région habitée par les
Arécomiques, et aussi certaines parties de la
Provence.
Ces deux appellations
attachées par les Wisigoths à la région méridionale
de la France, possédée par eux, n'ont rien d'anormal
ni de contraire aux habitudes des conquérants. Comme
toutes les dénominations essentielles existaient
depuis longtemps déjà dans la contrée, les wisigoths
ont simplement divisé leurs possessions gauloises en
deux parties, désignées par les traits généraux des
productions du sol.
Ces explications ne
doivent point paraître tout a fait hasardées, si
l'on considère que les Wisigoths d'Espagne, maîtres
du royaume de Toulouse, parlaient la langue
celtique, comme leur nom particulier l'établit
clairement.
Les historiens ont
cru devoir appeler les Wisigoths et les Ostrogoths,
les Goths de l'Ouest et de l'Est ; mais en réalité,
leur nom provient plutôt des qualités ou des
habitudes guerrières qu'ils s'attribuaient, et de la
direction de leur marche vers un climat plus clément
que le leur. Ainsi les
– 200 –
Wisigoths
s'avançaient avec prudence et habileté vers de
chaudes terres – wize (ouaïze),
prudent, habile, – to go, marcher, –
hot, chaud –, tandis que, eu se dirigeant
aussi vers ces contrées privilégiées, les
Ostrogoths, dédaignant les feintes habiles,
attaquaient brutalement l'ennemi, – to
host, attaquer, – raw (râu)
grossier, brut, – to go, marcher, –
hot, chaud –. Ce n'est point d'une manière
fortuite que le nom des Wisigoths et des Ostrogoths,
s'interprète par la langue celtique, puisque les
noms des autres peuples qui ont démembré l'empire
romain s'expliquent aussi avec la même facilité.
Les jutes du Juland,
– to jut, avancer, saillir, – land,
terre –, les Angles –, to angle,
pêcher à la ligne –, les Saxons, faisaient partie
des Tectosages fixés au‑delà du Rhin, et sous des
noms inconnus jusque là, couraient ravager les
contrées dans lesquelles s'étaient multipliés leurs
aïeux. Les hérules aux manteaux de poil, venus de
l'Euxin, – hair (hér), poil, – hull,
couverture extérieure ; – les Gépides, qui
veillaient avec soin à leur haute taille et à la
beauté de leur corps, – shape (shépe),
taille, proportion du corps, – to head
(hid), faire attention ; prendre garde – ;
les Lombards ou Longobards, qui désiraient ardemment
la lutte violente et rude, – to long,
désirer ardemment, to cope, lutter, –
– 201 –
hard,
pénible, dur – ; les Vandales eux‑mêmes, qui
n'avaient point de maisons, et détruisaient de fond
en comble les monuments et les maisons des autres
peuples, – to want (ouâunt),
n'avoir point, – hall, maison ; tous, malgré
leurs noms différents, ne laissaient pas que
d'appartenir à la même famille de Gomer.
III
LES FRANKS. LEUR
ORIGINE.
Les Franks formaient
sur la rive droite du Rhin une confédération de
tribus, se confondant dans une dénomination
générale, qui était pour eux comme un signe de
ralliement. Ils se faisaient gloire d'un caractère
généreux et sincère, – frank, sincère, – et
avaient renoncé à l'ancien titre de pillards
conservé seulement dans une de leurs tribus. Leurs
sentiments de pudeur et de réserve étaient gravés
dans le nom des Chamaves, – shame (shème),
pudeur, – to have, posséder, – compris
dans cette confédération. Voici un portrait des
Franks fait par un poète latin, à peu près dans le
temps où ils commençaient à s'établir dans les
Gaules : " ils ont, dit il, la taille haute, la peau
fort blanche, les yeux bleus ;
– 202 –
leur visage est
entièrement rasé, à l'exception de la lèvre
supérieure, où ils laissent croître deux petites
moustaches. Leurs cheveux, coupés par derrière, long
par devant, sont d'un blond admirable. Leur habit
est si serré, qu'il laisse voir toute la forme de
leur corps. Ils portent une large ceinture où pend
une épée lourde, mais extrêmement tranchante. C'est,
de tous les peuples connus, celui qui entend le
mieux les mouvement et les évolutions militaires.
Ils sont d'une adresse si singulière, qu'ils
frappent toujours où ils visent ; d'une légèreté si
prodigieuse, qu'ils tombent sur l'ennemi aussi tôt
que le trait qu'ils ont lancé ; enfin d'une
intrépidité si grande, que rien ne les étonne, ni le
nombre des ennemis, ni le désavantage des lieux, ni
la mort même avec toute ses horreurs ; ils peuvent
perdre la vie, jamais ils ne perdent courage. " (1)
C'est le portrait
fidèle des Volkes, renfermés d'ailleurs dans leur
nom – to vault, – voltiger, – to
cow, effrayer –.
La contrée occupée
par les Franks était une partie du pays dont les
Volkes Tectosages s'étaient emparé sur les Germains.
Leur présence dans cette région est une indication
sûre de leur
(1)Histoire de France
par Em. Lefranc.
– 203 –
origine ; car aucun
peuple n'a jamais réussi à déposséder les Tectosages
de leurs conquêtes. Les Jutes, les Angles, les
Saxons ; les Frisons – free (fri)
indépendant, – son, fils, descendant –,
appartenaient à la famille des Tectosages, et les
Franks, séparés par leur générosité de leurs frères
les pillards Saxons, accusent aussi par leur
position sur la rive droite du Rhin, par leurs
moeurs, leur constitution et leurs croyances, la
même origine.
L'extérieur des
Franks ne différait point de l'extérieur des
Gaulois, leur religion présentait une analogie
frappante avec le druidisme : elle avait pour
fondement l'immortalité de l'âme, et, disent les
historiens, leurs autels ne furent jamais souillés
de sang humain. Ce dernier trait de leurs moeurs
nous fait connaître qu'au temps de la migration des
Tectosages de Toulouse, les sacrifices humains
n'existaient point dans la Gaule. La tactique
guerrière des Franks les décèle surtout comme étant
la vraie lignée des Volkes Tectosages et
Arécomiques.
Ils avaient eu
singulièrement raison ces Cimmériens du vieux temps
de prendre le nom de Volkes, puisque, d'après le
poète latin cité plus haut, aucun peuple n'entendait
mieux les mouvements et les évolutions militaires
que leurs descendans, les guerriers Franks.
– 204 –
La confédération
Franke était composée de tribus réputées germaines
et connues comme telles par les historiens latins.
Tacite parle des Cherusci, des Chatti, des Bructeri,
dans l'histoire de l'expédition de Germanicus
au‑delà du Rhin. Les Chatti, les Chauci, les
Bructeri, les Cherusci et d'autres encore étaient
compris parmi les Franks. Ces appellations diverses
sont presque synonymes et présente la même pensée.
Ainsi les guerriers Chatti brisaient tout sur leur
passage, – to shatter, fracasser – ;
les Chauci aimaient les attaques, les heurts
violents, – to shock, attaquer ; les
Bructeri, dans leurs mouvements et leurs évolution
légères, taillaient en pièce les ennemis – to
brush (breuch), passer brusquement, –
to tear (tér), mettre en
pièces, et les Cherusci accueillaient par des
clameurs d'enthousiasme le partage du butin – to
share (shère), partager, – to
huzza (houzzé), accueillir par des
cris d'acclamation –. Tous ces titres portés avec
orgueil par les diverses tribus se réduisent en
résumé au titre de Volkes Tectosages ou dévastateurs
à l'allure rapide. C'est toujours le même peuple
recherchant la guerre avec ses aventures, ses
dangers glorieux et attendant le partage égal du
butin entre les guerriers de l'expédition.
L'histoire du vase de
Soissons, témoigne de ce droit incontesté au partage
des dépouilles, entre
– 205 –
les
soldats. " Clovis," dit Em. Lefranc, (1), " désirant
entretenir les bonnes dispositions du clergé
gaulois, évita de passer avec son armée dans les
grandes villes dont il avait reçu la soumission.
C'était le seul moyen de sauver du pillage les
couvents et les basiliques qui renfermaient beaucoup
de richesses. Cependant une des églises de Reims ne
put échapper à la rapacité d'une bande de maraudeurs
franks. Dans leur butin se trouvait un vase sacré
d'une grandeur et d'une beauté singulières.
" L'évêque, instruit
de ce fait, députa vers Clovis pour réclamer ce
vase. Charmé d'être agréable au prélat, le roi dit
aux envoyés : Venez avec moi à Soissons et si parmi
le butin je trouve l'objet ravi, je vous le rendrai.
Tout le butin était mis en commun après la campagne,
et le sort réglait le partage entre tous. On ne
tarda pas à découvrir le vase précieux parmi les
dépouilles rassemblées, sous une tente, au milieu de
la place publique de Soissons. Mes braves
compagnons, dit alors Clovis aux Franks, il ne vous
sera pas désagréable que je prenne le vase, et que
je le rende aux gens qui le réclament ? Les
officiers et les soldats y consentirent. Non,
certes, dit un guerrier brutal et jaloux,
(1) Histoire de
France par Em. Lefranc.
– 206 –
" vous ne prendrez ce
vase que si le sort vous le donne ; et d'un coup de
sa francisque il le brisa. Clovis garda le silence,
prit le vase et le rendit. Un an après, comme il
passait en revue les Franks dans un champ de Mars,
il reconnut le soldat dont l'audace grossière avait
invoqué la loi du partage : Il n'est pas, dans toute
l'armée, d'armes plus mal tenues que les tiennes,
lui dit‑il ; ta framée, ton épée, ta francisque
accusent ta négligence et ta lâcheté : et lui
arrachant sa hache, il la jette à terre. Le soldat
se baisse pour la ramasser ; mais Clovis lève
soudain la sienne et lui fend la tête : Voilà,
s'écrie‑t‑il, ce que tu as fait au vase de
Soissons. "
Cet avide soldat
appartenait sans doute à la tribu des Cherusci et
méconnaissait en ce moment son titre de Frank.
La répartition exacte
du butin conquis sur l'ennemi était aussi en usage
chez les Germani. Le Germain n'est point, comme le
dit l'interprétation commune, l'homme de guerre, le
warman – war (ouâur), guerre, – man,
homme –, mais plutôt l'homme possédant un droit
rigoureux à partager les dépouilles des ennemis :
c'est le Sherméan – to share (chère),
partager, – may (mé), pouvoir, – to
hand, donner avec la main –. Cette expression
était applicable aux premiers Germains, et aussi aux
Volkes Tectosages qui s'étaient
– 207 –
emparés des terres
les plus fécondes de la Germanie, et avaient adopté
les moeurs, la manière de vivre des Germains vaincus
et refoulés dans les terres moins fertiles (1) ; et
quand Tacite et les historiens latins parlent des
expéditions conduites au‑delà du Rhin contre les
Germains, il faut entendre contre les Volkes
Tectosages enveloppés par les Romains dans
l'appellation générale de Germains.
La confédération des
Franks n'existait point encore sous ce titre lorsque
les Cherusci, les Chatti et les autres tribus
exterminèrent les légions romaines commandées par
Varus, dix années après Jésus Christ. Le nom des
Franks retentit pour la première fois dans une
bataille où périt l'empereur Dèce, 251 ans après
Jésus‑Christ. Leurs attaques sans cesse renouvelées
contre les frontières de l'empire romain dans les
Gaules furent peu à peu couronnées de succès, et,
chose étonnante, ces descendans des anciens
Tolosates, après mille années de séjour au‑delà du
Rhin, s'emparèrent de la Gaule, et Toulouse, leur
berceau, les reçut (507 après Jésus‑Christ) comme
vainqueurs et étrangers.
(1) César de Bell.
gall. lib. VI. 24.
– 208 –
IV
LES PREMIERS ROIS
FRANKS.
La filiation des
franks avec les volkes tectosages devient encore
plus frappante par l'unité de langage, et, à l'aide
de la langue des Volkes, et reçoit un jour complet
de l'interprétation du nom des premiers chefs de la
confédération, à l'aide de la langue des Volkes.
Marcomir, père de
Pharamond, avait été reconnu par les tribus comme le
seul et unique chef des confédérés, – to
mark, considérer, – to owe (ô),
devoir, – mere (mire), seul, unique –.
Vaincu par l'empereur Valentinien II, il n'avait pu
réussir à s'établir en deça du Rhin.
Pharamond, son fils,
fut plus heureux. Une partie de la Belgique tomba
entre ses mains et, malgré quelques revers bientôt
réparés, les Franks n'abandonnèrent plus la terre
conquise. Des historiens avancent que Pharamond n'a
jamais franchi le Rhin, et même que son existence
est tout à fait problématique. Si l'interprétation
de Pharamond par la langue des Tectosages peut être
une raison décisive, non seulement son existence ne
saurait être mise en doute, mais encore il aurait
sûrement passé le Rhin avec toute son armée, – to
fare (fère) passer, – amount (amaount)
totalité –.
– 209 –
Clodion le chevelu
pénétra fort avant dans la Belgique ; sa tête était
ornée de la longue chevelure, signe distinctif de
l'autorité royale chez les Franks, – load (lôd),
charge, – high (haï), illustre, élevé,
– to own (ôn), posséder –.
L'héritier royal
était seul admis à porter les cheveux longs, et ce
fait, bien reconnu et certain d'ailleurs, devient
encore plus manifeste par la composition du nom de
Mérovée, Merowig, le vainqueur d'Attila, – mere
(mire) seul, – to owe (ô), être
obligé de, – wig, chevelure –. Lorsque
Mérovée mourut, jeune encore, les possessions des
Franks s'étendaient jusqu'à la Seine.
Childéric n'était
qu'un enfant, lorsqu'il fut appelé, par la mort de
son père, au commandement de la nation Franke, –
child (tchaïld), enfant, – heir (ér)
héritier, – wig (ouigue), chevelure –.
Il perdit l'affection et l'estime de son peuple par
des fautes si graves, qu'il fut contraint de
s'exiler. Les Franks se confièrent pendant quelque
temps à la direction du comte romain OEgidius ; mais
le roi fut bientôt rappelé par ses sujets dont le
ressentiment s'était apaisé pendant son absence.
Instruit par l'adversité, Childéric racheta les
fautes de sa bouillante jeunesse par des actions
pleines de gloire.
Son fils Clovis,
Hlodowig, est regardé comme le véritable fondateur
de la monarchie française
– 210 –
Reconnu chef des
Franks à l'âge de quinze ans, toujours accompagné de
la victoire, il conquit presque toute la Gaule, fit
de Paris la capitale du royaume et devint un des
plus puissants princes de son temps, – load (lôd),
charge, – to owe (ô) être obligé de, –
wig (ouigue), chevelure.–
Citons encore le nom
de Clotaire Ier, dépeignant en deux mots saisissants
l'horrible assassinat commis sur la personne de ses
deux neveux, qu'il a poignardés froidement pour
s'emparer des états de ces jeunes princes, – claw
(clâu), griffe, serre, – to tear
(tér), déchirer, mettre en pièces –. Il était
bien juste que les Franks stigmatisassent cette
action criminelle en comparant le meurtrier à un
oiseau de proie, déchirant de ses serres aiguës une
victime sans défense.
Ces interprétations
persistantes des noms propres d'hommes et de tribus
sont bien propres à faire connaître la langue parlée
par tous ces enfants de Gomer, qui se taillaient
ainsi à l'envi des royaumes dans l'empire romain.
Les Wisigoths appartenaient aussi bien que les
Franks à cette immense famille, et les appellations
qu'ils composaient étaient prises dans le langage
communs à ces peuples. Cette uniformité dans le
langage nous autorise donc à penser, que les noms de
Landock et de Landoïl ont pu être donnés par les
Wisigoths à leurs possessions du midi de la Gaule,
– 211 –
et que ces noms, fort
bien choisi d'ailleurs, ont été respectés par les
Franks, lorsque cette région est passée sous leur
domination.
Des années nombreuses
ont vu les contrées méridionales de la Gaule
conserver le langage celtique avec une persistance
remarquable. Les romains y ont vainement plié les
populations à leur autorité. Pendant que le latin
était en honneur dans les villes, le celtique vivait
dans les campagnes, opposant à l'altération une
longue et passive résistance. La dégénérescence ne
pouvait tarder cependant, et les invasions des
prétendus barbares ont retardé à peine la fusion
complète des deux langues, puisque cette fusion
était déjà sensible dans le sixième siècle de notre
ère. La langue romane issue de cette alliance, a
dominé dans le royaume des Franks, se perfectionnant
peu à peu dans les provinces du Nord, se compliquant
aussi des règles grammaticales appartenant au
celtique et surtout au latin, associant quelquefois,
pour former des expressions françaises, des mots
latins et d'autres mots celtiques, comme dans soldat
ou âme donnée – soul (sôl), âme, –
data, donnée, – capable ou tête habile, –
caput, tête, – able, habile –, tandis que
dans les provinces du Midi, elle s'est maintenue
dans une certaine intégrité, présentant tour‑à‑tour
dans ses phrases des
– 212 –
mots celtiques et des
mots latins parfaitement conservés dans leur
pureté : aussi est‑il très aisé de les distinguer,
et d'y retrouver les expressions usitées dans la
bouche de nos ancêtres gaulois.
Le latin lui‑même,
pris à part, laisse percer un certain caractère
celtique qui surprend d'abord, mais dont on se rend
compte aisément, puisque les Gaulois étaient les
maîtres d'une grande partie de l'Italie, lorsque 753
ans avant Jésus‑Christ, Rome fut bâtie par Romulus,
l'homme au manteau bizarre, – rum (reum),
bizarre, – hull, couverture extérieur. – Il
serait facile de citer, en nombre considérable, les
expressions gauloises renfermées dans la langue
latine ; mais nous nous contenterons de reproduire
les suivantes : to add, ajouter, en
latin addere ; to know, connaître, en
latin cognoscere, connaître ; to endue,
revêtir, en latin induere, revêtir ; able,
capable, en latin, habilis, qui a de la capacité
pour quelque chose ; to joke,
plaisanter, en latin, jocari, plaisanter. La
fondation de Rome elle‑même s'est faite d'après les
usages gaulois, Romulus y ayant ouvert un asile aux
vagabonds, aux mécontents et à tous ceux qui
fuyaient les importunités de leurs créanciers.
Nous n'avons pas cru
de voir négliger de faire ces rapides observations
sur les dialectes parlés
– 213 –
dans les provinces
méridionales de la France et dans le Languedoc en
particulier, sauf à les développer plus tard ;
seuls, en effet, ils ont pu ouvrir une voie sûre
conduisant à la connaissance certaine du langage de
nos pères. On croit rêver, lorsque, entendant autour
de soi ces expressions celtiques, traitées
aujourd'hui avec dédain comme misérables et
grossières, on voit clairement que c'était bien là
le langage primitif communiqué par Adam à ses
enfants. Aussi, sommes‑nous persuadé que ces
dialectes précieux résisteront, sauvés par l'esprit
de tradition inhérent à l'homme, et ne seront jamais
détruits.
V
LE ROI BÉBRIX ET
PYRENE. – HERCULE.
LES SARDANES. –
CAUCOLIBERIS. – ILLIBERIS.
LES SORDES.
Avant l'arrivée des
premiers Celtes, les Pyrénées‑Orientales étaient
occupées par les Ibères.
Les ours, sujet
ordinaire des poursuites de ces intrépides
chasseurs, vivaient nombreux dans ces parages. " Le
prolongement apparent des Pyrénées, à l'est de leur
jonction avec la Montagne Noire et les Cévennes, n'a
lieu que par une chaîne latérale qui se détache au
fond de la
– 214 –
" vallée de la Têt,
dans la Cerdagne française, et qui porte le nom
spécial d'Albères. " (1) Dans les Albères, – hall,
(hâull), habitation, – bear (bér),
un ours, – les bêtes fauves trouvaient des retraites
profondes, et leur poursuite présentaient assurément
des danger considérables, que les Ibères
affrontaient avec le courage qui les distinguait.
Ces chasseurs d'ours étaient‑ils le même peuple que
les Bébriciens, dont la cité principale aurait été
Pyrène ? Cela parait certain, si l'on dégage les
traditions historiques de tous les ornements
fabuleux qui les rendent méconnaissables.
Suivant la
mythologie, les Pyrénées appartenaient au roi
Bébrix, quand Hercule, avec ses guerriers, se
présenta au pied de ces montagnes. Il est hors de
doute qu'Hercule a existé seulement dans les mythes
grecs et latins : cependant, il est utile de le
remarquer, ce héros fameux prend une réelle
consistance et revêt le caractère de la vérité, dès
qu'il personnifie la nation celtique et la migration
de ce peuple vers les contrées occidentales de
l'Europe. Salluste parle de la mort d'Hercule dans
la péninsule ibérienne, et après sa mort, les
Arméniens, les Mèdes et les Perse de son armées,
traversent la
(1) Dictionnaire de
Géographie, par Hyacinthe Langlois.
– 215 –
mer pour se répandre
en afrique. Diodore, de son côté, raconte l'action
violente d'Hercule contre Pyrène, fille du roi
Bébrix, avant que le Héros entrât dans l'Ibérie à la
tête de ses soldats. Nous pouvons, à l'aide de ces
renseignements, discerner clairement la vérité à
travers les voiles dont elle est entourée.
La nation Celtique,
arrivant dans les contrées Pyrénéennes, s'est
heurtée au peuple Ibérien. Les Ibères, d'une taille
moyenne, rompus aux fatigues des Chasses les plus
dangereuses, ont regardé sans effroi ces Gaulois à
haute stature, et leur résistance hardie et obstinée
n'a pu empêcher l'Hercule gaulois de traverser les
Pyrénées pour aller s'éteindre et mourir dans le
coeur de la péninsule espagnole. Le peuple ibère,
grand par son intrépidité, petit de taille à côté
des géants celtes, prend une forme précise,
déterminée, dans le roi Bébrix, le courageux enfant,
l'audacieux bambin, qui osait affronter, braver les
hasards et les périls d'une lutte avec l'Hercule
gaulois, – babe (bébe), un petit
enfant, un bambin,– risk, péril, hasard –.
Les Celtes et les
Ibères, rapporte Diodore de Sicile, après avoir
combattu pour la possession du pays, l'habitèrent en
commun et s'allièrent par mariages. Les alliances
des Celtes avec les Ibères auront ainsi donné lieu à
l'histoire fabuleuse
– 216 –
d'Hercule et de
Pyrène. Le nom de la cité de Pyrène, témoigne de la
fusion des deux peuples ; car il renferme le
souvenir des efforts tentés par les Celtes pour
empêcher les Ibères de brûler leurs morts, – pyre
(païre), bûcher funéraire, – to
rain (ren), réprimer, – et ce nom, par
extension, a désigné plus tard la chaîne entière de
montagnes occupée par les chasseurs d'ours. Les
efforts des Celtes ont dû être couronnés de succès,
si l'on en croit le nom de la cité Sardane de
Caucoliberis – to cock, relever,
redresser, – hall (hâull), maison,
salle, – to eye (aï), voir, –
to bury, (beri), enterrer –,
puisque les habitants de cette contrée ont élevé,
dans la suite, des tombelles pour ensevelir les
morts.
Illiberis, autre
ville des Sardanes, ne contredit point cette
assertion ; il constate uniquement la pompe que les
Ibères déployaient dans les funérailles, highly
(haïli), ambitieusement, – to bury
(beri), enterrer – ; en tenant cependant un
compte rigoureux des deux l qui se trouvent dans
Illiberis, ce nom se rattacherait alors à celui de
Caucoliberis ; car il signifierait simplement une
éminence construite pour une sépulture, – hill,
éminence, – to eye (aï) voir, –
to bury (beri) enterrer –. Une
seconde cité d'Illiberis existant chez les
Aquitains, semblerait démontrer que les moeurs
gauloises avaient
– 217 –
partout fait
disparaître les bûchers funéraires des chasseurs
d'ours.
Les Celtibériens des
Pyrénées‑Orientales se sont livrés plus tard à une
profession tout autre que celle de chasser le grand
ours des cavernes. Ils se sont adonnés à diverses
industries et ont mérité, les uns le nom de Sordes,
les autres celui de Sardans. Ceux‑ci tenaient les
côtes, fixant leurs demeures près de la mer, sur les
flots de laquelle les attirait l'exercice de la
pêche. A cause de cette condition générale, on les a
appelés Sardans, – Sardan, petit poisson, sardine –;
on sait, du reste, combien l'anchois et la sardine
sont abondants dans les eaux du golfe de Lyon.
Ruscino, leur cité principale, est loin de donner un
démenti à leur profession de pêcheurs ; il affirme,
en effet, que l'on accourait en foule et à l'envi
s'établir à Ruscino, pour se rendre ensuite à la mer
et tendre de grands filets de pêche, – to
rush (reuch), venir en foule, – sean
(sin), grand filet pour la pêche, seine –.
Les Sordes, au
contraire, étaient fixés dans les vallées et les
montagnes des Pyrénées‑Orientales. Leur industrie
était bien différente de celle des Sardans ; ils
fabriquaient des armes de guerre, des épées –
sword (sôrd), épée –.
Ce n'est pas
seulement aux temps reculés des
– 218 –
Sordes que l'on a
fabriqué d'excellent fer dans le versant oriental du
massif montagneux regardant la Méditerranées. Il y a
peu d'années encore, dix‑huit fourneaux pour fondre
le fer y étaient en pleine activité ; ces fourneaux
produisaient le fer d'après le système dit catalan,
et portaient le nom de forges catalanes. Le traité
de commerce conclu avec l'Angleterre, sous Napoléon
III, a fait éteindre ces fourneaux ; les prix de
revient étaient trop onéreux pour que l'on pût
engager, avec les fers anglais, une lutte, qui
serait devenue désastreuse. Le dernier village sorde
où l'on produisait le fer, se nomme Gincla. On y
voit encore les restes de deux forges, d'un laminoir
et de plusieurs martinets – forges, dont la
fondation se perd dans la nuit des siècles. Gincla
dérive de to jingle (djingl'),
tinter, cliqueter. C'est une chose vraiment
surprenante que ce terme de Gincla appliqué à une
localité, où, toujours et de tout temps on a entendu
le cliquetis du fer, le bruit des lourds marteaux
frappant sur les enclumes, et rendant des tintements
sonores.
– 219 –
VI
LES ATACINI. –
L'AUDE.
LES RADEAUX SUR
L'AUDE. – CARCASSONNE.
Le bassin de l'Aude
n'appartenait point aux Sordes, mais à d'autres
producteurs de fer, habitant le pays d'Atax, aux
Atacini ; ceux‑ci, à la fabrication des épées,
joignaient celle des haches, – to add,
ajouter, – axe, hache –. Le village le plus
rapproché des Sordes, et faisant partie de la
contrée occupée par les Aticini, se nomme Axat, et
cette appellation, qui est une simple inversion
d'Atax, marque le point exact de division entre les
deux tribus des Sordes et des Atacini. Axat est
traversé par la rivière d'Aude, et possédait une
fabrique d'acier fort estimé, dont les feux sont
malheureusement éteints aujourd'hui. Les Atacini
habitaient la pente du nord et aussi la pente
occidentale et de ces montagnes dans lesquelles
l'Aude et l'Ariège prennent leur source. Les forges
catalanes étaient encore plus nombreuses dans cette
région que dans les Pyrénées‑Orientales ; il est
juste de dire que le pays de production était plus
étendu ; car il comprenait une partie du bassin de
l'Aude et une partie du bassin de l'Ariège.
– 220 –
Les Atacini ne
doivent donc point leur nom la rivière d'Aude, et si
les géographes latins l'appellent Atax, c'est
uniquement parce que ses eaux traversent le pays des
Atacini. Dans les manuscrits du moyen‑âge, l'Aude
porte le nom de flumen Aldoe. C'est bien là sa
véritable dénomination ; Alda est le même terme que
Alder, et dans le celtique, Alder désigne l'aune.
Cette essence d'arbres croit naturellement sur les
deux rives de l'Aude, sur un parcours de plus de
quatre‑vingts kilomètres et quoique les
propriétaires riverains aient abattu la majeure
partie des aunes, il en reste encore assez pour
prouver avec quelle vérité nos ancêtres avaient
nommé cette rivière Alder.
Le volume des eaux de
l'Alder était considérable, et les Atacini en ont
usé pour l'industrie de la radellerie, industrie qui
tend tous les jours à disparaître, non seulement par
la construction d'un chemin de fer sur les bords de
l'Aude, mais surtout par la diminution des eaux et
les atterrissements formés dans le lit de la
rivière.
L'industrie du
flottage des bois de construction par les eaux de
l'Alder, est la cause des noms que portent
Roquefort‑de‑Sault et Espéraza.
Le village de
Roquefort, ou Roucafort, comme prononcent ses
habitants, est situé sur un plateau
– 221 –
d'une altitude de
mille mètres, et entouré de magnifiques forêts de
sapins. Il est divisé en deux parties, dont l'une
s'appelle Roquefort, et l'autre plus considérable,
porte le nom de Buillac. Riche en troupeaux de
moutons, pâturant sans cesse dans les prairies du
col de Garabell, – gare, laine grossière, –
bell, clochette –, Buillac élève encore en
grand nombre des taureaux et des chevaux, – bull
(boul), taureau, – hack, cheval –.
Les habitants de
Roquefort, moins favorisés du côté du sol,
travaillent dans les forêts, et coupent les arbres
destinés à être transportés vers Carcassonne par le
flottage sur les eaux de l'Alder. Roquefort, ou
Roucafort, indique clairement la profession
traditionnelle de ces montagnards : en effet,
Roucafort équivaut au celtique roughcast
forth, tailler grossièrement à l'extérieur.
Les arbres,
dépouillés de leur écorce et de leurs branches,
étaient traînés jusqu'à l'Aude, dont les eaux les
amenait à quillan et à Espéraza. A Quillan, en latin
Kilianus – Killow‑hone, terre noire et
pierre noire, – on pouvait commencer à faire flotter
sur l'Alder les trains de bois réunis en radeaux
portent le nom de carras – car, chariot, –
raft, un train de bois sur l'eau, un chariot
flottant –. La construction de ces radeaux avait
lieu surtout
– 222 –
à Espéraza, et il y a
à peine trente ans, la plus grande partie de la
population de ce gros village appartenait à la
corporation des radeliers. Il est vraiment
prodigieux que les industries et les professions des
Celtes se soient ainsi conservées intactes jusqu'à
nos jours.
Espéraza, que les
habitants nomment avec raison Sparassa, est appelé
Sperazanus, dans une bulle du pape Callixte II, en
date de l'année 1119, citée par Dom Vaisette. La
contexture de Sparassa renferme les mots suivants :
– spar, poutre, – axe, hache, –
hand, main ; la main des radeliers terminait, à
l'aide de la hache, la construction des trains de
bois, qui sous forme de radeaux, flottaient sur les
eaux de l'Alder. Avec quelle sûreté les indigènes de
ce village n'ont‑ils pas conservé l'ancienne
expression celtique, à peine adoucie lorsqu'ils
prononcent Sparassa !
Debout sur son
carras, retenant de la main une longue rame placée
sur l'avant, le radelier de Sparassa se laissait
emporter par les eaux de l'Alder, en dirigeant avec
habileté sa voiture flottante. Son adresse était
bientôt mise à l'épreuve, en arrivant, à Couiza,
dans le coude formé par la rivière, coude qui a fait
donner son nom au village bâti sur ces bords.
Couiza, Kousanus, dérive de kove, petite baie,
crique,
– 223 –
et de sand, sable ;
kovesand dont on a fait Kousanus et plus tard
Couiza.
Ce coude offre, en
effet, une véritable ressemblance avec une petite
baie ; il se trouve en amont du pont de Couiza
conduisant à la gare du chemin de fer. Les sables
amoncelés par la Sals, à son confluent avec l'Aude,
ont dû être la cause de cette disposition
particulière du cours de la rivière.
La longue rame du
radelier, engagé avec son carras dans ce coude
incommode, avait bientôt raison de la difficulté, et
le train flottant poursuivait lentement son voyage
jusqu'au point où il devait prendre terre.
Carcasonne était le
lieu où le carras abandonnait ordinairement les eaux
de l'Alder, parce que le lit devenant plus étendu,
les radeaux éprouvaient une difficulté plus grande à
flotter. Cette ville pouvait donc être un entrepôt
de bois de construction ; néanmoins, comme elle
était aussi le marché destiné à la vente des épées,
des haches, fabriquées par les Atacini, ce dernier
motif a surtout pesé dans la balance du Neimheid
gaulois, et lui a valu le nom de Carcassonne,
cark, soin, souci, – axe, hache, – to
own (ôn), posséder –.

CHAPITRE VII
CROMLECK DE
RENNES‑LES‑BAINS
I
DESCRIPTION DU
DRUNEMETON OU CROMLECK DES
REDONES DU SUD
GAULOIS. – MÉNIRS, DOLMENS,
ROULERS OU ROCHES
BRANLANTES. – LE GOUN‑
DHILL OU SARRAT
PLAZENT.
Nous venons de voir
les industries de nos ancêtre inscrites en
caractères indélébiles dans le nom des cités et des
tribus gauloises. En étudiant les monuments
celtiques de Rennes‑les‑bains, nous serons forcés
d'admirer la puissante organisation du Neimheid, lui
permettant d'appliquer à diverses régions des
gaules, fort éloignées les unes des autres, des
dénominations identiques, fondées sur la similitude
des pays.
– 225 –
Les Redones de
l'Armorique sont la cause du nom que porte Rennes de
Bretagne, et les Redones du Languedoc nous ont donné
Rennes‑les‑Bains du département de l'Aude. On
pourrait se demander pourquoi le nom de Rennes est
appliqué à notre station thermale ; on en trouve
aisément la raison, lorsqu'on examine de près cette
étrange contrée : en effet, ses montagnes couronnées
de roches, forment un immense Cromleck de seize ou
dix‑huit kilomètres de pourtour.
Strabon, dans son
histoire des Galates ou Tectosages asiatiques,
rapporte que le peuple gaulois possédait toujours un
" drunemeton " ou cromleck central. C'était le lieu
où se réunissaient les membres de la société savante
connue sous le nom de Neimheid. Il est fort
instructif de voir le terme Neimheid employé en même
temps en Irlande et en Asie. La décomposition de
drunemeton jette une vive lumière sur cette belle
institution celtique. Cette appellation, comprenant
la première syllabe trow de Drouide, et aussi le mot
nemet, nous apprend avec certitude quels étaient les
membres composant l'Académie celtique. Le verbe
to trow (trô), comme on l'a déjà
vu, signifie : penser, croire, imaginer. Le second
verbe to name (nème), possède
le sens de nommer, appeler, et head (hèd),
se traduit
– 226 –
par la tête, le
cerveau, l'esprit, le chef. C'est bien le même
signification que nous avons donnée au Neimheid
Irlandais ; c'est la tête de la nation, pesant avec
soin et intelligence les noms dont la composition
est soumise à sa science, et les appliquant avec
l'autorité que possède un chef universellement
reconnu et obéi. César place sur les confins des
Carnutes le lieu où les Druides prononçaient leurs
jugements, dans les différends et les contestations
relevant de leur autorité ; mais le cromleck central
le drunemeton, où s'assemblait le neimheid pour
remplir ses fonctions scientifiques te créer les
dénominations particulières ou générales, était‑il
aussi sur les confins des Carnutes ? Nous ne le
pensons pas ; le cromleck central était fixé tout
naturellement par les pierres savantes, et ces
pierres étaient dressées dans la tribu des Redones.
Le drunemeton du nord devait donc exister chez les
Redones de L'Armorique, embrassant une grande
étendue de la gaule pour les travaux de l'illustre
assemblée. Cependant, un autre drunemeton ou
cromleck central était nécessaire dans le midi ;
certes, il était impossible au membres du neimheid
dispersés dans la région celtibérienne, de se réunir
aux autres membres du nord de la Gaule, et cette
impossibilité matérielle a pu donner la pensée de
construire un second drune ‑
– 227 –
meton au pied des
Pyrénées, sur les hauteurs de la vallée arrosée par
la sals et devenue aussi, par le fait, Redones ou
pierres savantes.
Si l'expression
Redones doit désigner un ensemble complet de pierres
levées et d'aiguilles naturelles et artificielles,
c'est bien à Rennes‑les‑Bains qu'elle appartiendra à
juste titre.
L'entrée du cromleck
se trouve au confluent du Rialses avec la Sals. Le
Rialses – real (rial), réel, effectif,
– cess, impôt, – coule du levant au couchant,
dans un vallon dont la terre fertile pouvait
certainement permettre aux habitants de fournir
l'impôt dont les Celtes frappaient les terrains d'un
facile produit.
La Sals ou rivière
salèe, coule d'abord du levant au couchant, et,
après sa jonction avec la blanque, vers le centre du
cromleck des Redones, poursuit son cours du sud au
nord jusqu'à l'entrée de la gorge où commencent à se
dessiner les premières aiguilles naturelles. Dès
qu'elle a reçu les Rialsés, elle se détourne de
nouveau vers le couchant, et se dirige vers l'alder
pour y déverser ses eaux amères. Tout près du point
central du cromleck, dans un déchirement de la
montagne et bâtie sur les bords de la Sals, on voit
la station thermale de Rennes‑les‑Bains, bien connue
des nombreux malades qui y on trouvé une guérison
assurée ou du moins
– 228 –
un soulagement
sensible à leur douleurs rhumatismales.
En examinant la carte
de Rennes‑les‑Bains, on peut facilement suivre les
contours dessinés par les aiguilles naturelles ou
artificielles. Leur position y est marquée par des
points rouges pour les ménirs qui existent encore,
et par des lignes également rouges pour les crêtes
où les ménirs ont été renversés en majeure partie.
A l'ouverture du
cromleck, sur la rive droite de la Sals, apparaît
une montagne appelée Cardou : vers le sommet,
commencent à se dresser des pointes naturelles,
connues dans le pays sous le nom de Roko fourkado.
Au temps des Celtes, l'accès de la gorge était sans
doute fort difficile, parce qu'une longue barrière
de roches plongeant dans la rivière en défendait
l'entrée. De plus, déclivité extrême des pentes des
montagne devait inspirer une certaine crainte aux
membres savants du Neimheid, chargés de donner un
nom à cette partie du terrain d'un aspect si
sauvage. Aussi, se sont‑ils demandé comment et de
qu'elle manière il pourraient voyager en chariot, en
s'engageant dans ce défilé presque inaccessible ?
Ils ont laissé à leurs descendans le souvenir exact
de leurs pensées et de leur embarras momentané, en
appelant cette montagne Cardou, – to cart,
voyager dans
– 229 –
un char, – how
(haou), comment ? de quelle manière ? –
carthow –. Ils n'étaient point trop en retard
dans la civilisation, ces bons gaulois des premiers
temps de l'occupation, puisqu'ils se préoccupaient
ainsi de voyager en chariot sur des flancs de
montagnes à pentes très dangereuses. La difficulté
qu'ils traduisaient par carthow, n'était point
cependant insurmontable ; ils ont su la franchir en
traversant le Rialsès en face du village de Serres,
et en construisant leur chemin de telle sorte, que
les chariots pussent passer au‑dessus de ces roches.
Au tournant du chemin et au point déterminé où l'on
devait s'engager dans le défilé, les Celtes devaient
avoir dresser un ménir sur une roche qui porte
aujourd'hui une croix de pierre. Cette croix est
placée à l'endroit exact de la pierre où l'on voyait
autrefois gravée une croix grecque semblable à
celles qui existent présentement au Cap dé l'Hommé,
et à proximité des roches branlantes.
Après avoir contourné
la base de la montagne de cardou, et avoir dépassé
le petit ruisseau qui sépare Cardou de la colline de
Bazel, le chemin commence à s'élever en pente douce.
Il devait avoir une largeur bien déterminée, telle
que les Gaulois savaient la donner à leurs routes.
Ce n'était point, en effet, de simples sentiers
étroits
– 230 –
et dangereux, mais
d'excellents chemins possédant une largeur
exactement mesurée. Bazel ne veut pas dire autre
chose. En rendant à ce terme la prononciation assez
dure qu'il devait avoir autrefois, nous aurions à
dire Passel. Or, pass signifie une route, et ell
la mesure de longueur dont se servait les Celtes.
Au sommet du Bazel,
on aperçoit des pierres levées fort étranges, qui
contribuent à former le cercle du cromleck du côté
du levant. Il est à peu près impossible de décrire
en détail ces grandes pierres ; elles sont en nombre
considérable, et leur somme peut aisément être
portée à trois ou quatre cents arrangées en ordre
sur la crête ou gisant confusément sur la pente
regardant le sud. Une de ces pierres mesure plus de
huit mètre de longueur, sur deux de largeur et
autant de hauteur : cette masse d'environ trente
deux mètres cubes a été soulevée, inclinée dans une
direction voulue, et calée à une de ses extrémités
afin que son poids énorme ne l'entraînât point sur
la pente raide de la montagne. Il faut voir, de ses
propres yeux, cette oeuvre gigantesque, qui cause
une stupéfaction : aucune description ne peut donner
une idée exacte de ce travail prodigieux.
Sur la rive gauche de
la Sals, le cromleck commence au rocher de
Blancfort. La pointe
– 231 –
naturelle de ce roc a
été enlevée, dans le moyen‑âge, pour permettre la
construction d'un fortin servant de poste
d'observation. Il reste encore quelques vestiges de
maçonnerie témoignant de l'existence de ce fortin.
Cette roche blanche qui frappe les yeux tout
d'abord, est suivie d'une assise de rochers
noirâtres, s'étendant jusqu'à Roko Négro. Cette
particularité a fait donner à cette roche blanche,
placée en tête des roches noires, le nom de
blancfort – blank, blanc, – forth, en
avant –.
En suivant ces roches
du regard, l'oeil est bientôt arrêté par un ménir
isolé, dont la pointe se montre au‑dessus des chênes
verts qui l'entourent. Il porte dans le cadastre le
nom de Roc Pointu : il fait face à une autre roche
naturelle fixée sur le flanc de Cardou et ornée de
plusieurs aiguilles très aiguës. Cette dernière
roche, séparée de Cardou et offrant plusieurs
pointes réunies par la base, a présenté à nos
ancêtres l'idée des petits êtres composant une
famille et retenus encore auprès de ceux qui leur
ont donné le jour, et ils ont nommé poétiquement ces
aiguilles Lampos. Ce mot dérive de lamb, agneau, ou
de to lamb, mettre bas, en parlant de la
brebis.
Entre le Roc pointu
et Roko Négro, on distingue au milieu des Chênes
verts d'autres ménirs servant à la construction du
drunemeton. A la
– 232 –
suite de Roko Négro,
on voit encore fort bien les assises diverses qui
servaient de support aux ménirs ; mais ceux‑ci sont
renversés et dispersés çà et là sur les flancs de la
montagne, dans le plus grand désordre.
En arrivant au
ruisseau du Bousquet, l'assise de roches disparaît,
et va reprendre dans la montagne vers la source de
ce ruisseau. Sur ce point très élevé, on aperçoit
une réunion de fortes roches portant le nom de
Cugulhou. Cette masse n'est point en entier
naturelle ; le travail des Celtes y apparaît fort
clairement dans les huit ou dix grosses pierres
rondes transportées et placées sur le sommet du
mégalithe. On pourrait douter que les Celtes aient
voulu en faire des ménirs, si une petites croix
grecque gravée sur un prolongement de la base
n'avertissait par sa présence de la signification
attribuée à ces grandes pierres. Les habitants du
pays sont dans la persuasion, très fausse
d'ailleurs, que les croix grecques gravées sur les
roches représentent des points de bornage. La
véritable borne de pierre, indiquant la séparation
des terrains de Coustaussa et de Rennes‑les‑Bains,
est fichée en terre à vingt mètre plus loin, du côté
du nord‑ouest. Cette borne est fort curieuse ; elle
porte sur la face qui regarde Coustaussa, un
écusson, sans doute celui du seigneur de ce village,
– 233 –
et sur la face
opposée, un autre écusson, du seigneur de Rennes,
accusant des différences très grandes avec le
premier. Il est inutile d'insister sur l'assertion
des habitants du pays, par rapport à ces croix
grecques, car le nom même de cugulhou fait la
lumière sur ce sujet. Ces roches sont de vrais
ménirs, mais vilains et ne présentant point la forme
ordinaire des autres pierres levées, to
cock, relever, redresser, – ugly (eugly),
laid difforme, vilain, – to hew (hiou),
tailler –.
A partir de Cugulhou,
reparaît une assise de roches de grès grossier, se
dirigeant vers le ruisseau du Carlat. Ce ruisseau
dont les bords sont abruptes, est rempli de blocs de
pierre qui barrent son cours et forment des chutes
multipliées. Il serait plus que difficile de tracer
un chemin carrossable longeant ce petit cours
d'eau ; nos ancêtres en ont témoigné leur chagrin en
le nommant Carlat, – car, chariot, – to
loath, détester, avoir de la répugnance –.
Ils ont construit leur chemin en suivant une autre
direction ; ce chemin existe encore ; il est pavé de
grosses pierres et bordé de ménirs avant de
déboucher sur le plateau des bruyères. Ce n'est
point là une voie romaine, mais bien un chemin
celtique, conduisant les habitants du plateau
jusqu'au centre du cromleck des Redones.
– 234 –
La crête naturelle
venant de Cugulhou, continue de se dessiner après
avoir dépasser le Carlat. Les ménirs renversés sont
nombreux sur les flancs de la montagne, et excitent
par leur masse une surprise bien légitime. Sur la
crête, s'étendant depuis le Carlat jusqu'au ruisseau
de Trinque‑bouteille, on distingue facilement des
traces évidentes du travail humain ; les Celtes ont
employé leurs soins à rendre moins larges les
solutions de continuité de cette crête naturelle. En
face du point où se trouvent la station thermale et
l'église paroissiale, la ligne courbe faite par
l'assise de rochers porte le nom de Cap dé l'hommé.
Un ménir était conservé à cet endroit, et on y
avait, dans le haut, sculpté en relief, une
magnifique tête du seigneur Jésus, le Sauveur de
l'humanité. Cette sculpture qui à vu près de
dix‑huit siècles, a fait donner à cette partie du
plateau le nom de Cap dé l'Hommé (la tête de
l'homme), de l'homme par excellence, filius hominis.
Il est déplorable
qu'on ait été obligé, au mois de décembre 1884,
d'enlever cette belle sculpture de la place qu'elle
occupait, pour la soustraire aux ravages produits
par le pic d'un malheureux jeune homme, lequel était
bien loin d'en soupçonner la signification et la
valeur. (1) A gauche
(1) Cette tête
sculptée du Sauveur est entre les mains de M.
Cailhol, à Alet.
– 235 –
de ce ménir regardant
la station thermale et son église paroissiale, on
découvre sur les roches voisines des croix grecques
profondément gravées par le ciseau et mesurant
depuis vingt jusqu'à trente et trente‑cinq
centimètres. Ces croix, à branches égales et au
nombre de cinq sur ce seul point, ont dû être
gravées par ordre des premier missionnaires
chrétiens envoyés dans la contrée. Le signe sacré de
la rédemption a détourné ainsi au profit de la pure
vérité, le respect traditionnel dont les ménirs
étaient l'objet, respect traditionnel dont les
ménirs étaient l'objet, respect qui, dans l'état
moral déplorable où les conquêtes de la république
romaine avaient plongé les Celtes, s'adressait
peut‑être aux pierres elles‑mêmes. Toutes les
aiguilles de la crête ont probablement été
renversées à cette époque : on rencontre une
quantité considérable de ménirs brisés sur les
flancs et quelquefois au bas même de la montagne, et
quelques débris se voient encore dans les murs
soutenant les terrains en pente des vignes et des
champs cultivés. Un fait à peu près semblable s'est
produit en Bretagne, lorsque l'Evangile a été porté
chez les Redones armoricains. Les ménirs n'ont pas
été renversés, mais on a placé à leur sommet le
signe du salut.
Une sixième croix
grecque dans une large roche, se trouve assez loin
du cap dé l'Hommé, sur le bord de la crête du sud,
en tête du terrain
– 236 –
dit pla de la coste,
après que l'on a franchi le ruisseau de las
Breychos. Ce petit cours d'eau a reçu son nom
extraordinaire de pierre métalliques, semblables au
fer fondu, nombreuses dans son lit. Elles sont
généralement de petite dimension, ce qui a donné
lieu aux celtes d'employer le verbe to
bray, broyer, pour exprimer cette petite
dimension, et le substantif shoad (chôd),
veine de pierres métalliques, pour désigner cette
pierre de fer, ou plutôt ce carbonate de fer.
On voit encore deux
autres croix grecques, toujours gravées dans la
pierre, en suivant le bord du plateau jusqu'à la
tête de la colline portant le nom d'illète, –
hill, colline, – head (hèd), tête
–. Les énorme roches entassées sur ce dernier point
excitent une réelle admiration.
A l'extrémité sud du
Pla de la Coste, sur le rebord du plateau, sont
placées deux pierres branlantes ou roulers. La
manière dont elles sont posées indique avec évidence
un but poursuivi et atteint, celui de permettre à
une secousse légère de produire une trépidation
marquée et sensible, mais non une oscillation
profonde qui déplacerait le centre de gravité, et
qui précipiterait le rocher au bas de la montagne.
A côté du premier de
ces deux roulers, un
– 237 –
petit ménir dresse sa
pointe émoussée : deux autres ménirs sont renversés
à droite et à gauche. Ils étaient simplement posés
sur le sol et non point enfoncés dans la terre, car
le plan de leur base a gardé de petites pierres
blanches, agglutinées par l'effet du poids et du
temps, et semblables aux gravier du terrain sur
lequel ils pesaient.
A droite des roulers,
en se plaçant vers le midi, l'oeil peut suivre les
contours de la crête qui enserre le ruisseau de
trinque‑bouteille, et se perd insensiblement dans
les terres de l'Homme mort.
Le ruisseau de
trinque‑bouteille coule constamment, même au plus
fort des chaleur de l'été, et on a toujours la
faculté d'y puiser et d'apaiser la soif, – to
drink, boire, – bottle, bouteille –.
Tout près de
l'endroit où Trinque‑Bouteille déverse ses eaux dans
la Blanque, de nombreuses pointes devaient s'élever
sur les grandes roches bordant la route de
Bugarach : un seul ménir y existe sur pied, ayant
perdu l'acuité de son sommet.
Sur la rive droite de
Trinque Bouteille, commence le tènement dit de
l'Homme mort. C'est un terrain marécageux,
produisant en abondance un gramen dont les longs
tuyaux sont parfaitement
– 238 –
lisse et sans
noeuds : ce gramen porte, en dialecte languedocien,
le nom de paillo dé bosc, et en celtique, celui de
paille de marais ou haummoor, – haum,
paille, – moor (mour), marais –. Cette
dénomination de haum‑moor, appliquée
dans la gaule entière, aux terrains marécageux, a
été partout dénaturée et travestie jusqu'à devenir
un homme mort.
Du haut de la crête
qui porte les roulers, en regardant vers le sud, on
voit se dessiner une longue ligne de roches aiguës
de toutes forme et de toutes dimensions, bien
orientée, d'ailleurs, du levant au couchant, et
s'étendant depuis le Col de la Sals jusques et au
delà de la Blanque. Le nombre des aiguilles
naturelles y est considérable ; néanmoins, au milieu
d'elles, une multitude d'autres roches taillées en
pointe sont redressées par la mains de l'homme, et
constituent de vrais ménirs, comme on peut s'en
convaincre soi‑même, en examinant la pose de ces
grandes pierres, qui sont d'un facile accès. La
fatigue se fait bien un peu sentir en grimpant sur
les flancs du Serbaïrou par des sentiers peu
fréquentés, – to swerve (souerve),
grimper, – by‑road (baï‑rôd), chemin
peu fréquenté – mais on est largement dédommagé,
lorsqu'on est en présence du travail gigantesque
fait par nos ancêtres. C'est bien là, en effet,
– 239 –
un travail de géants,
et on n'est guère surpris que les Grecs aient
inventé, au sujet de ces énormes pierres, dont ils
ignoraient la signification et placées sur le sommet
des collines, leur fable des géants aux longs
cheveux, au regard farouche, cherchant à escalader
le ciel, et entassant Ossa sur Pélion et l'Olympe
sur Ossa.
L'arête de la colline
porte le nom languedocien de Sarrat Plazént (colline
aimable), et en même temps le nom celtique de
Goundhill, dont Sarrat Plazént n'est que la
traduction littérale – good (goud),
bonne, douce.– hill, colline –.
Pourquoi les Celtes
ont‑ils nommé cette éminence Goundhill ? Certes, ce
n'est point à cause de la beauté du site et de la
fertilité du terrain, puisque le sol est couvert de
bruyères dans toute la pente nord du Serbaïrou,
tandis que la pente sud, très escarpée, n'offre à
l'oeil qu'un maigre bois taillis, peu fait pour
inspirer aux savants du Neimheid une dénomination
aussi agréable que celle de Goundhill. Cette
colline, hérissée de roches aiguës, ne pouvait donc
être aimable et douce, que parce qu'elle rappelait
aux Gaulois la bonté de la Providence Divine,
distribuant avec abondance, à son peuple, l'aliment
essentiel, l'épi de blé.
Au sud de Goundhill,
le regard est arrêté par la montagne de Garrosse –
garous (gareuce), salé –.
– 240 –
Une ligne horizontale
traverse sa pente du nord : c'est un chemin
conduisant en ligne directe à Sougraignes et à la
fontaine salée, où la rivière de Sals commence son
cours. Aux pieds de la Garosse, se déroule un tout
petit vallon arrosé par le ruisseau de Goundhill ;
et sur les bords de la Blanque, une métairie fixe
l'attention. La bergerie placée tout près de la
maison d'habitation, est bâtie sur les fondements
fort anciens d'une forge dont les marteaux étaient
certainement actionnés par un moteur hydraulique,
comme dans les forges dites catalanes. On peut
aisément s'en convaincre par l'inspection de la
voùte surbaissée, qui laissait à l'eau du bassin
supérieur un écoulement facile dans la rivière. (1)
Un gué fort commode existe en cet endroit, et permet
au voyageur descendant de la Garosse de poursuivre
directement sa route sans se détourner. Cette
métairie est connue sous le nom de la Ferrière.
Dans cette appellation habilement combinée, les
Celtes ont compris, soit le gué, soit la forge du
maréchal‑ferrant qui habitait ces
parages, car ferry signifie un lieu où l'on
traverse une rivière, et farrier (farrieur)
(1) Un excellent
vieillard du hameau de la Hille nous a déclaré avoir
trouvé, lui‑même, dans le terrain situé au‑dessus du
bas‑sin, des scories de fer, traces évidentes de
l'industrie exercée dans cette maison.
– 241 –
désigne un
maréchal‑ferrant. Les maréchaux‑ferrants gaulois
fabriquaient‑ils eux‑mêmes le fer dont ils avaient
un besoin journalier ? C'est fort probable, et ce ne
serait point là une hypothèse inadmissible. Il est
possible encore que la petite forge catalane ait
succédé, dans la suite des temps, à celle d'un
maréchal‑ferrant gaulois.
Ce qui détermine en
nous cette pensée, c'est le fragment de meule à
bras, en fonte de fer, retiré du sol le 26 novembre
1884, par des ouvriers travaillant, au‑dessous de la
Borde‑neuve, à la construction du chemin de
Rennes‑les‑Bains à Sougraigne. (1) Cette partie de
meule, sans doute fondue à la Ferrière, est
légèrement concave, et mesure quinze ou seize
centimètres de rayon. Elle a été malheureusement
partagée par l'instrument de l'ouvrier qui l'a mise
au jour, et présente une cassure semblable à celle
du fer de fonte, mais d'un fer plus poreux que celui
des hauts‑fourneaux actuels. Cette meule devait
moudre le blé d'une manière parfaite, et n'avait nul
besoin, à cause de ses pores nombreux, d'être
repiquée, ni même sillonnée dans sa surface moulante
par des cannelures angulaires. Les manèges à cheval
avec de fortes meules ont, plus tard, remplacé les
petites meules à bras, et afin que leurs
(1) Ce fragment de
meule est en la possession de M.Constantin Cailhol,
à Alet.
– 242 –
descendans ne le
pussent ignorer, les Celtes ont écrit leur manière
de faire dans Milizac, village du Finistère,
– to mill, moudre, – to ease
(ize), alléger, – hack, cheval –, et
dans Millas, gros village des
Pyrénées‑Orientales. – to mill,
moudre, – ass, âne –.
La ligne de ménirs du
Goundhill ne va pas au delà du col de la Sals. A ce
point, la courbe du cromleck se dirige vers le nord
en passant par les mégalithes disposés sur le flanc
des Méniès et remontant vers le haut de l'éminence.
Les roches naturelles existant au sommet de ce lieu
élevé, sont brusquement interrompues dans leur
soulèvement, et forment une arête fort vive,
arrangée par les Celtes pour figurer dans la
construction de leur drunemeton. On demeure
stupéfait devant le travail de ces hommes aux
membres d'acier, et on se demande qu'elles étaient
les machines dont pouvaient disposer les Gaulois
pour soulever, établir et façonner des masses
pareilles. A part quelques ménirs, qui présentent la
forme traditionnelle de cônes et de pyramides, les
autres offrent, comme roches informes, une grande
ressemblance avec celles du Cugulhou situé au
couchant de Rennes, et ont reçu aussi le même nom
bizarre de Cugulhou, – to cock,
redresser, – ugly (eugli), difforme, –
to hew (hiou), tailler –.
– 243 –
Du coté du levant, le
cromleck n'est plus marqué que par les trois points
de Cugulhou, de la Fajole et Montferrand, rejoignant
ainsi le Col de Bazel contigu au Cardou. Toutes les
pierres anciennement dressées à la Fajole sont
aujourd'hui renversées, et ressembleraient à des
blocs erratiques, si les angles vifs de ces pierres
ne démontraient clairement leur primitive
destination. Ces pierres levées étaient trop
rapprochées des maisons et du village celtique pour
qu'on pût les laisser sur pied, car elles étaient
placées au‑dessus du Bugat, partie du village
gaulois où vivaient les habitants les plus pauvres.
Une petite grotte ou caverne existe assez près des
ménirs renversés de la Fajole : elle est
située vers le nord et regarde Montferrand, – to
fadge (fadje), convenir, – hole,
creux, caverne, petit logement –.
Les derniers ménirs
complétant le cromleck du côté du levant, se voient
sur l'arête dont la partie la plus élevée a soutenu
le châteaufort de Montferrand. Les pierres, taillées
d'après l'angle déterminé par l'inclinaison du
soulèvement de la masse rocheuse, y sont en grand
nombre. Du reste, toute cette partie de montagne
jusqu'au ruisseau du Coural, est pleine de ces
grandes pierres, les unes encore levées, les autres
gisant misérablement sur le sol. Ce terrain est
connu sous le nom de lés Crossés.– cross,
croix –.
– 244 –
Cette indication nous
a amené à rechercher sur quel point de l'arête les
croix étaient gravées. Malheureusement, les
propriétaires voisins y ont réuni un énorme tas de
pierres formant une muraille, et il nous a été
impossible de les découvrir.
Cette imparfaite
description suffira, nous l'espérons du moins, pour
saisir la position respective des innombrables
ménirs formant le vaste cromleck de Rennes les
Bains.
Un second cromleck,
d'une moindre étendue, est enfermé dans celui que
nous avons tâché de retracer. Partant du hameau du
Cercle, vers le milieu du flanc de la montagne, il
suit par l'Illète jusqu'au ruisseau de Trinque
Bouteille, se dessine ensuite sur la pente du
Serbaïrou la plus rapprochée des rivières de la
Blanque et de la Sals, reprend au Roukats, pour se
terminer en face du hameau du Cercle, son point de
départ. On pourrait s'étonner à bon droit de ne
rencontrer aucun dolmen parmi ces monuments
celtiques. Nous en avons retrouvé sept ; cinq sur
les flancs du Serbaïrou, et deux au Roukats. Le plus
remarquable est situé en face de la Borde‑neuve,
tout près d'une grande pierre carrée, étrangement
posée en équilibre sur une roche. Ce dolmen, fermé à
une extrémité, offre l'image d'une grotte. En se
plaçant sur le chemin conduisant à


– 245 –
Sougraignes, l'oeil
distingue aisément la structure de toutes ses
parties. Tout à fait dans le haut, directement
au‑dessus du dolmen, une roche de la crête porte une
croix grecque gravée dans la pierre : c'est la plus
grande de toutes celles qui nous a été donné de
reconnaître. En se rapprochant de l'ancien chemin de
Bugarach, à la même hauteur que celle du dolmen, une
roche énorme est ornée d'une pierre assez forte
présentant la forme ronde du pain.
II
SIGNIFICATION
RELIGIEUSE DU CROMLECK,
DES MÉNIRS,
DOLMENS ET ROULERS.
Les cercles tracés
par les pierres levées, avaient pour les Celtes un
sens profondément religieux. Les Druides, de même
que les anciens philosophes, regardaient la figure
circulaire comme la plus parfaite : elle leur
représentait la perfection Divine, immense, infinie,
n'ayant ni commencement, ni fin. Zénon enseignait
que Dieu était sphérique, c'est‑à‑dire parfait, et
la sentence si recommandée d'Empédocles, disant que
Dieu est une sphère intellectuelle et
incompréhensible dont le centre est partout et la
circonférence
– 246 –
nulle part, ne
signifie pas autre chose que l'excellence et la
perfection infinies de Dieu. Le roi David s'écrie
dans le même sens : " Le Seigneur est grand et
au‑dessus de toute louange : il n'y a point de fin à
sa grandeur. " (1)
Le symbolisme du
cercle n'était point, comme on peut le voir,
particulier aux Celtes. Il faut dire cependant qu'il
leur était familier, ainsi que le prouvent les
cromlecks répandus dans toutes les contrées habitées
par nos aïeux.
Le centre du cromleck
de Rennes‑les‑Bains se trouve dans le lieu nommé,
par les Gaulois eux‑mêmes, le Cercle – to
circle (cerkl’) environner, entourer
–, le point central du cromleck des Redones, et
renfermant ainsi un petit cercle dans un plus grand,
les Druides ont voulu exprimer l'idée très nette
qu'ils possédaient d'un Dieu unique et existant dans
les êtres. Dieu étant l'Etre même par essence, il
est aussi en toutes choses de la manière la plus
intime, puisqu'il est la cause de tout ce qui
existe. Le monde créé est ici représenté par le
petit cercle enfermé dans un plus grand, et ce grand
cercle par sa figure sphérique, offre à l'esprit
l'idée de la perfection essentielle de Dieu, en qui
tous les êtres vivent et se meuvent, qui
(1) Ps. 144. v. 4.
– 247 –
contient toutes
choses et existe en elles, non point comme une
partie de leur essence ou un accident, mais comme un
agent est présent à l'être sur lequel il agit et
qu'il atteint par sa vertu.
Il ne faut pas
s'étonner outre mesure de ce que les Celtes eussent
des connaissances religieuses fort étendues ; ils
avaient apporté de l'Orient les notions les plus
exactes sur l'Etre Divin, et ils ont fixé dans le
sol, au moyen de pierres levées, leur pensée et leur
croyance sur Dieu, en qui tout vit et se meut, sur
Dieu, distribuant aux hommes par sa Providence
généreuse, l'aliment principal de la subsistance
corporelle, le blé et le pain. Voilà ce qu'indiquent
les ménirs et les dolmens qui entrent dans la
formation des cercles de pierre, des cromlecks.
Dans le cromleck de
Rennes‑les‑Bains, on voit aussi figurer deux pierres
branlantes ou roulers. C'est le signe de la
puissance de Dieu jugeant et gouvernant ses
créatures. Les hommes ne sauraient échapper en aucun
temps à cette autorité divine, soit qu'elle accorde
des récompenses, soit qu'elle exerce les droits
d'une justice vengeresse. Il n'est jamais entré dans
l'esprit d'aucun peuple de nier cette action de Dieu
créateur gouvernant ses créatures : aussi les Celtes
étant de tous les peuples anciens hormis le peuple
– 248 –
hébreu, celui qui
avait conservé dans ses traditions la doctrine la
plus pure, devaient‑ils garder avec soin cette
vérité essentielle du gouvernement divin sur
l'humanité.
Toutes ces
connaissances primitives se sont, plus tard,
affaiblies chez eux en raison de leur révolte
graduelle contre l'ordre enseignant, celui des
Druides ; et lorsque, par suite de cette révolte,
l'unité de gouvernement et de direction n'a plus
existé parmi les tribus, la domination de la
république romaine a pu s'établir par les armes au
milieu de cette fière nation, et la dégrader, en
multipliant dans son culte religieux déjà altéré,
les erreurs idolâtriques du peuple conquérant. Les
idées païennes, fruit du commerce avec les
étrangers, avaient presque anéanti les anciens
enseignements druidiques, et avaient entraîné le
peuple à un respect idolâtrique à l'égard des ménirs
et des dolmens, dont il ne comprenait plus le sens
élevé, et c'est là ce qui a obligé les premiers
missionnaires chrétiens à renverser toutes ces
pierres levées, et à graver profondément sur ces
grandes roches des croix, signe de la rédemption des
hommes par un Dieu Sauveur.
On n'a pas oublié la
signification littérale de ménir, dolmen, rouler et
cromleck. L'interprétation de ces dénominations
repousse bien loin
– 249 –
l'idée d'une
sépulture ordinaire sous les dolmens et au pied des
ménirs, ou bien encore, la croyance incertaine des
sacrifices humains offerts sur les tables de pierre.
III
LES SACRIFICES
HUMAINS DANS LA GAULE.
César, dans ses
commentaires, (1) affirme, sans détermination
d'époque, que les sacrifices humains avaient lieu
dans la Gaule. " Les Druides, dit‑il, président aux
choses sacrées, offrent les sacrifices publics
et particuliers, ils interprètent les
doctrines religieuses..., ils décernent les
récompenses et infligent les peines ; ils excluent
de la participation à leurs sacrifices ceux qui,
simples particuliers ou hommes publics, refusent de
se soumettre à leurs décisions judiciaires. Cette
peine est pour les Gaulois la plus grave de toutes :
ceux à qui elle est infligée, sont rangés au nombre
des impies et des souillés : on évite leur
conversation et leur présence : on les met en dehors
des droits de la justice commune, et ils ne
reçoivent plus aucun honneur. "
(1) De bell. gall.
lib. VI. 13.
– 250 –
Dans ces paroles,
rien ne dévoile encore la pratique des sacrifices
humains, et on comprend tout d'abord qu'il est
question des sacrifices d'animaux en usage dans le
monde entier. César fait suivre ce récit, de la
description du système d'enseignement oral des
Druides, puis il rapporte que l'ordre des seigneurs
ou chevaliers celtes était entièrement adonné à la
guerre, et que le nombre de leurs vassaux était en
rapport avec les richesses plus ou moins
considérables des seigneurs. Alors seulement il
ajoute : " La nation gauloise en entier est fort
superstitieuse : et pour ce motif, ceux qui sont
atteints de graves maladies, exposés aux hasards des
combats et à d'autres périls, ou immolent des hommes
comme victimes, ou font voeu d'en immoler : ils se
servent du ministère des Druides pour ces
sacrifices ; ils estiment qu'on ne peut se rendre
favorables les dieux immortels, qu'en donnant la vie
d'un homme pour la vie d'un homme ; et ils ont
publiquement institué des sacrifices de ce genre.
Ils remplissent d'hommes vivants des statues énormes
de leurs dieux, fabriquées au moyen des branches
flexibles de l'osier : on y met le feu et les hommes
périssent environnés par les flammes. Ils pensent
que les supplices de ceux qui sont surpris dans le
vol, le brigandage ou dans quelque autre crime, sont
fort
– 251 –
agréables aux
immortels : mais lorsque les coupables manquent, ils
en viennent aussi aux supplices des innocents. " (1)
Deux pensées bien
différentes se dégagent des écrits de César. Les
Gaulois offraient des sacrifices d'animaux,
sacrifices entourés d'un tel respect, que
l'interdiction d'assister à ces cérémonies
religieuses était la plus grave de toutes les
peines. C'était là le vrai sacrifice public,
semblable à la pratique traditionnelle et
universelle des nations, et offert au Dieu unique
que reconnaissaient les Druides et les Gaulois.
L'autorité du Neimheid ayant beaucoup faibli dans
les derniers temps, la superstition populaire aura,
peut‑être, fait instituer des sacrifices où les
criminels étaient immolés comme victimes. Dans cette
période d'affaiblissement, l'ordre druidique, ne
voulant pas exposer les derniers restes de son
influence, n'aura point osé résister aux idées
insensées de la nation, tombée peu à peu dans le
polythéisme par le commerce des Grecs et des
Romains. On aura sacrifié les malfaiteurs dont la
punition était un hommage rendu à la vraie justice,
et puis, les malades, les timides, naturellement
égoïstes, auront abusé de ces exécutions de
coupables, pour faire voeu d'immoler des victimes
humaines,
(1) De bell. gall.
lib. VI. 16.
– 252 –
lorsque la justice
publique n'aura pu, faute de criminels, mettre
elle‑même en pratique cette immolation. Ces derniers
sacrifices, nés de l'ignorance du peuple, de
l'affaiblissement de l'autorité du Neimheid et de la
fréquentation des étrangers, auront formé sans doute
les sacrifices particuliers.
Toutefois il ne
faudrait point penser que tous les malfaiteurs
périssaient ainsi dans les flammes, et même Strabon
nous dit que les criminels ordinaires étaient
précipités du haut des rochers. L'assertion de ce
géographe écrivant après César, témoigne de la
rareté, ou plutôt de la non‑existence des sacrifices
humains. Nous pouvons remarquer, à ce sujet, que les
Tectosages du Rhin, les Tectosages du Danube, les
Gaulois Sordiques et les Galates d'Asie n'ont jamais
sacrifié de victimes humaines.
César indique la
croyance dont la fausse interprétation aurait
provoqué ces abominables pratiques : " Ils estiment,
dit‑il, qu'on ne peut se rendre favorables les dieux
immortels qu'en donnant la vie d'un homme pour la
vie d'un homme. " Le général romain, plus préoccupé
de lui‑même et de sa gloire militaire que des
enseignements religieux des Druides, rapporte, sans
la remarquer autrement, une croyance dont il ne
comprend pas la profondeur. Nous‑mêmes,
– 253 –
habitués à regarder
nos aïeux comme des sauvages ignorants, parce que
nous n'avons pas su encore interroger les monnments
qu'ils nous ont laissés, nous sommes étonnés de
cette parole de César et de cette doctrine
mystérieuse des Gaulois, affirmant que la vie
d'un homme doit racheter la vie de
l'homme pour satisfaire pleinement la justice
divine. Le monde entier a toujours été cependant
pénétré de ces vérités, " que l'homme est dégradé et
coupable ", qu'une satisaction de l'humanité à la
justice divine étant absolument nécessaire, " un
homme reverserait les mérites de son expiation sur
la tête de ses frères " C'est la vie de l'humanité
rachetée par la vie d'un homme, et entendues dans ce
sens, les paroles de César expriment la tradition
séculaire de la rédemption des hommes par le sang
tradition que les Celtes avaient apportée de
l'Orient. " Le genre humain ne pouvait deviner par
lui‑même que le sang dont il avait besoin, était
celui d'un Dien Sauveur, parce qu'il ne soupçonnait
pas l'immensité de la chute et l'immensité de
l'amour réparateur. " Le véritable " autel a été
dressé à Jérusalem, et le sang de la victime a
baigné l'univers " (1)
La doctrine des
Druides sur la rédemption de l'humanité par le sang,
faussée par César, n'avait
(1) Eclaircissements
sur les sacrifices, par J. de Maistre, passim
– 254 –
pas cependant
souffert d'altération dans les enseignements du
Neimheid ; il est certain que si l'erreur était
venue du corps druidique, la pratique des sacrifices
humains aurait été gravée dans les noms celtiques
comme les autres croyances reçues. Même au temps de
la décadence, le Neimheid ne discontinuait pas son
oeuvre, en imposant des dénominations nouvelles en
rapport avec les connaissances ou les erreurs
apportées par les étrangers, et néanmoins la savante
société, s'inspirant des véritables traditions,
s'est refusée à écrire ces abominations sacrilèges
sur la terre gauloise. Nous avons vainement
recherché dans la composition de tous les mots
celtiques qu'il nous a été possible de connaître,
une preuve vraisemblable, une probabilité quelconque
de la vérité des récits de César sur les sacrifices
humains dans les Gaules ; mais nos tentatives
infructueuses nous persuadent que le Neimheid n'a
point laissé à a la postérité le souvenir de ces
odieuses pratiques qui n'existaient peut‑être pas,
ou qui étaient fondées sur l'erreur populaire et non
point sur les vérités possédées et transmises dans
leur intégrité.
Le supplice ordinaire
réservé aux criminels, est écrit sur le sol
celtique, et nous le retrouvons dans le terme
Fangallots, désignant un terrain situé à
Rennes‑les‑Bains, dans la pente abrupte
– 255 –
au bas de laquelle
est bâti l'établissement thermal du Bain‑Doux.
Fangallots, signifie, disparaître par la
potence, – to faint (fént),
disparaître, – gallows (galleuce),
potence, gibet. – Les descendans des Tectosages,
conservant les usages gaulois, ont toujours employé
la potence contre les criminels, et de nos jours
encore, la pendaison est, chez les Anglo‑Saxons, le
seul mode pratiqué pour la punition des malfaiteurs
condamnés par les tribunaux à la peine de mort.
IV
LA PIERRE DE TROU
OU HACHE CELTIQUE.
Les grandes pierres
érigées dans toute la Gaule, renfermaient un sens
religieux d'une vérité incontestable. Elles étaient
le symbole de la pure science religieuse en évoquant
le souvenir de Dieu qui crée le monde, ordonne à la
terre de produire le grain de blé, dont sa créature
privilégiée sera nourrie, distribue par sa
providence vigilante les biens nécessaires à
l'homme, le gouverne et le régit par les lois de
l'infinie justice.
Si le système
religieux des Gaulois se fut borné à ces
connaissances d'un Dieu créateur et rémunérateur,
sans en déduire aucune conséquence pratique pour les
actions ordinaires de la vie,
– 256 –
il n'aurait pas été
complet. Les Druides étaient trop instruits pour
ignorer, ou laisser dans l'ombre les conclusions
conformes aux principes émis. Aussi ont‑ils résumé,
en quelque sorte, les conséquences rigoureuses de
leur doctrine dans la signification imposée à la
pierre polie.
La pierre polie, dite
hache celtique, faite de jade, de serpentine ou de
diorite, affecte diverses formes. Le dialecte
Languedocien la nomme pierre de Trou. Elle
représente ce qu'il faut croire,
c'est‑à‑dire, les enseignements nécessaires inscrits
dans les grandes pierres levées – to trow
(trô), croire –. La pierre de Trou figure
avec honneur sur les manteaux de cheminées, dans les
maisons de nos montagnes. Une vague idée religieuse
s'attache encore à cette pierre, dans la pensée de
quelques‑uns, elle préserve de la foudre, d'autres
inclinent à croire qu'elle écarte certains malheurs.
Ces imaginations
diverses sont, en réalité, un reste fidèle de la
signification première de la pierre de Trou.
Les pierres polies
trouvées en abondance dans le cromleck de
Rennes‑les‑Bains et déposées au musée de Narbonne,
sont généralement faites de jade et présentent un
tranchant toujours émoussé. Les silex
ne sont point estimés dans nos montagnes, si ce
n'est comme pierres propres à
– 257 –
tirer des étincelles
et à allumer du feu. Nous avons en notre possession
un silex de quatorze centimètres de longueur sur
trois centimètres de largeur, offrant de nombreuses
dentelures sur les bords, trouvé dans le terrain de
l'Haum‑moor, tout près de l'emplacement d'une
ancienne maison gauloise. Ce n'est point là, pour
nous, une pierre de Trou.
Les pierres polies de
jade, n'étant pas très connues partout, il est fort
possible que l'idée religieuse attachée à la pierre
de Trou ait aussi affecté le simple silex taillé,
qui de son côté, aurait représenté encore à l'esprit
les croyances religieuses essentielles. Cette pensée
nous est suggérée par la découverte à
Pressigny‑le‑Grand, département d'Indre‑et‑Loire, du
centre de fabrication des silex. Cette découverte
est due au docteur Léveillé, médecin de la
localité. (1)
" A vrai dire, écrit
M. Louis Figuier, c'est moins un centre de
fabrication qu'une suite d'ateliers répandus dans
toute la région circonvoisine de Pressigny.
A l'époque de cette
découverte, en 1864, les silex se trouvaient par
milliers à la surface du sol, dans l'épaisseur de la
couche végétale, sur une étendue de cinq à six
hectares.
(1) L'homme primitif,
par M. Louis Figuier.
– 258 –
M. l'abbé Chevalier,
rendant compte de cette curieuse trouvaille à
l'Académie des sciences de Paris, écrivait : " On ne
peut faire un pas sans marcher sur un de ces
objets. "
Les ateliers du
Grand‑Pressigny présentent une assez grande variété
d'instruments. On y voit des haches à tous les
degrés de la mise en oeuvre, depuis l'ébauche la
plus grossière jusqu'à l'arme parfaitement polie. On
y voit aussi de longs éclats, ou des silex
couteaux, enlevés d'un seul coup avec une
habileté surprenante.
Une étrange objection
a été élevée contre l'ancienneté des haches, des
couteaux et armes de Pressigny. M. Eugène Robert a
prétendu que ces silex n'étaient autre chose que des
masses siliceuses ayant servi à la fin du dernier
siècle, et surtout au commencement du siècle actuel,
à la fabrication des pierres à fusil ! M. l'abbé
Bourgeois, M. Penguilly l'Haridon et M. John Evans
n'ont pas eu beaucoup de peine à démontrer le peu de
fondement d'une telle critique. Dans le département
de Loir‑et‑Cher, où l'industrie de la pierre à fusil
existe encore, les résidus de la fabrication ne
ressemblent en aucune façon au nuclei de
Pressigny ; ils sont beaucoup moins volumineux, et
ne présentent pas les mêmes formes constantes et
régulières. En outre, ils ne sont jamais retaillés
sur les
– 259 –
" bords, comme un
grand nombre d'éclats des ateliers de la Touraine.
Mais un argument tout
à fait péremptoire, c'est que le silex de
Pressigny‑le‑Grand, en raison même de sa texture,
serait impropre à la fabrication des pierres à
fusil. Aussi les archives du dépôt d'artillerie,
comme l'a fait remarquer M. Penguilly l'Haridon,
bibliothécaire du Musée d'artillerie, ne
mentionnent‑elles pas que la localité de Pressigny
ait jamais été exploitée dans ce but. "
Cette dernière
remarque de M. Louis Figuier empêche d'attribuer aux
silex de Pressigny‑le‑Grand l'usage vulgaire d'une
pierre à fusil. Quelle était donc leur destination ?
Quel était leur usage ?
Remarquons que ces
silex étaient fabriqués chez les Turones, et
le nom seul de cette tribu – tour, voyage, –
hone, pierre taillée –, indique déjà qu'ils
étaient taillés d'après une forme déterminée et dans
le but de les emporter avec soi dans les voyages.
Néanmoins, le mot Turones ne dévoile pas la raison
pour laquelle les silex de Touraine devaient entrer
dans l'équipage du voyageur.
La localité de
Pressigny, à laquelle la tradition populaire a
attaché une idée de grandeur paraissant tout à fait
hors de cause, en la nommant
– 260 –
Pressigny‑le‑Grand,
la localité de Pressigny disons‑nous, déclare
ouvertement ce que n'expriment pas les Turones,
c'est à dire, que la pierre taillée des voyages
faite à Pressigny, représente, signifie la
demande et la prière s'élevant vers les hauteurs des
cieux – to pray (pré), prier,
demander, – to sign, représenter,
signifier, – high (haï), haut, élevé
–.
Les silex de
Pressigny‑le‑Grand, aussi bien que nos pierres
polies de jade, méritaient excellemment le nom de
pierre de Trou ou pierres de la croyance ;
parce qu'elles renfermaient dans leur signification
l'acte le plus essentiel de religion par lequel
l'homme reconnaît sa dépendance entière de Dieu, le
souverain Dominateur.
Il ne suffisait pas
aux Gaulois de croire l'immuable vérité : leur
croyance devait éclater dans les actions extérieures
de la vie, en s'adressant par la prière à son
éternel principe. Les Celtes n'auraient point
toujours et dans tous les pays, sous leurs yeux, les
grandes pierres levées pour exciter leur volonté à
la reconnaissance envers le Créateur, les porter à
demander et à remercier, tandis que les pierres de
Trou, d'un port facile, les avertissaient avec
persistance des devoirs religieux à remplir, de
l'assistance divine à implorer sans cesse, surtout
dans les voyages pleins d'aventures et de dangers
qu'ils aimaient à entreprendre.
– 261 –
Il n'est guère
étonnant que la prière ait formé comme le point
central de la religion chez les Celtes, puisqu'elle
est un acte de la raison pratique, et par suite, le
propre de l'homme raisonnable. Les Druides se
piquaient de science et de logique dans leur
enseignement, et n'hésitaient point à mettre leurs
actions en harmonie avec les principes constants de
leur philosophie religieuse et des vérités
traditionnelles.
La présence des silex
et des pierres polies dans les tombeaux des Celtes,
confirme pleinement l'idée religieuse attachée aux
pierres de Trou. Dans la tombelle de la presqu'île
de Rhuis (Morbihan), à côté d'un squelette humain,
sans doute celui d'un archi‑druide, et sous les
pierres d'un dolmen, on a recueilli trente pierres
polies en jade. Nous pouvons, à ce sujet, invoquer
un passage fort intéressant du Mémoire de M. Leguay,
sur les sépultures des Parisii, mémoire cité par M.
Louis Figuier. (1) " Toutes ces pierres, dit M.
Leguay, communes aux trois genres de sépultures, ont
pour moi une attribution votive, c'est à dire
qu'elles représentent, pour cette époque, les
couronnes d'immortelles ou les autres objets
qu'aujourd'hui encore nous déposons sur les tombes
de nos parents et de
(1) L'homme primitif,
page 302.
– 262 –
nos amis, suivant un
usage qui se perd dans la nuit des temps.
Et que l'on ne rie
pas trop de cette idée que je crois assez juste. Les
hommes peuvent changer, ils peuvent disparaître,
mais ils transmettent toujours à leurs remplaçants,
à ceux qui les suivent, les usages de leur époque,
qui ne se modifient qu'en même temps que
disparaissent les causes qui les ont produits. Il
n'en est pas ainsi de la fin de l'homme, qui ne
change pas, et qui arrive toujours avec son cortège
de chagrins et de regrets. A quelque époque que ce
soit, à quelque degré de civilisation qu'il soit
arrivé, il éprouve le besoin de témoigner ses
regrets ; et si aujourd'hui un peu d'argent suffit
pour exprimer les nôtres, à ces époques éloignées
chacun façonnait son offrande, taillait un silex, et
le portait lui‑même.
C'est ce qui explique
cette diversité de formes des silex placés autour et
dans les sépultures, et surtout la rusticité d'un
grand nombre de pièces qui, toutes fabriquées avec
la même matière, décèlent une façon unique,
pratiquée diversement par un grand nombre de mains
plus ou moins exercées. C'est sans doute à cette
idée votive qu'on doit attribuer le dépôt, dans les
sépultures,
– 263 –
de ces belles pièces
qui ornent les collections ; seulement, les grandes
haches taillées brutes, ainsi que les couteaux de la
seconde époque, sont, à la troisième époque,
remplacées par des haches polies, souvent même
emmanchées, ainsi que par des couteaux beaucoup plus
grands et bien mieux travaillés. "
Ces explications de
M. Leguay sont vraiment remarquables. Pour nous,
nous allons beaucoup plus loin dans la signification
des pierres taillées ou polies des tombelles
celtiques. A nos yeux, les silex de Pressigny et les
pierres polies de Trou, placées dans un tumulus à
côté des restes humains, proclament hautement la
croyance inébranlable des Gaulois, à l'immortalité
de l'âme, et à l'excellence de la prière adressée à
Dieu pour ceux qui les avaient précédés dans
l'éternité.
V
SIGNIFICATION
SECONDAIRE DES PIERRES LEVEES.
LES EUBATES.
Les pierres levées
celtiques ont encore une autre signification
secondaire que nous avons déjà énoncée, et qu'il est
utile de rappeler.
– 264 –
L'ordre sacerdotal
druidique était investi de fonctions importantes, et
ses membres les remplissaient comme ministres et
représentants de Dieu au milieu des hommes. " Les
Druides, dit César, ministres des choses divines,
président aux sacrifices publics et particuliers,
interprètent les doctrines religieuses et en
conservent le dépôt. " (1)
En leur qualité de
savants, faisant partie du Neimheid, ils étaient
chargés de trouver, d'imaginer les dénominations les
plus exactes pour les appliquer à toutes les parties
du sol gaulois.
Gouverner et rendre
la justice, étaient leurs plus difficiles devoirs,
et la pierre branlante, le Rouler, admirablement
équilibré et placé sur tous les points du pays
celtique, figurait leur gouvernement, leur justice
exacte et impartiale, ne se laissant jamais
influencer ni corrompre dans ses actes et ses
décisions.
Mais leur fonction la
plus laborieuse était d'assurer au peuple l'aliment
de première nécessité, le blé et le pain, et les
termes de Feid‑Neimheid, ménir, dolmen et cromleck,
se rapportent tous à cette charge de leur ministère.
Les Celtes étaient tellement accoutumés à voir leurs
chefs spirituels, les Druides, leur distribuer
(1) César, de bell
gall. lib. VI.
– 265 –
cet aliment, que,
lorsque le christianisme fut porté dans les Gaules,
les évêques chrétiens se trouvèrent virtuellement
chargés de la même fonction ; ainsi, en changeant de
chefs spirituels, le peuple ne changeait point
d'habitudes. Du reste les Druides, déjà fort
instruits par leurs traditions des vérités
fondamentales de la vraie religion, furent les
premiers à embrasser le christianisme, dont les
doctrines étaient le complément des vérités qu'ils
avaient conservées intactes, et, entrés à la suite
de leur conversion dans l'ordre sacerdotal chrétien,
ils ont aimé à conserver leurs fonctions de
distributeurs de blé, qui s'alliait si bien avec les
préceptes de charité de l'Evangile.
Dans leur nouvelle
position de pasteurs chrétiens, ils ont même gardé
les vêtements sacerdotaux qu'ils portaient
précédemment, c'est‑à‑dire, la robe blanche et la
coiffure orientale connue sous le nom de mitre. Il
est tout à fait intéressant de retrouver la mitre
sous la dénomination d'Eubates que portaient
les Druides, lorsqu'ils présidaient les cérémonies
religieuses – up (eup), en haut, –
hat, coiffure –.
Le ministère des
Druides auprès des populations était donc surchargé
de travaux pénibles, puisqu'ils étaient obligés de
veiller à la nourriture corporelle, aux devoirs de
la justice, à l'instruction
– 266 –
religieuse et à la
propagation des sciences naturelles. Toutes leurs
leçons étaient orales et formulées en vers qui
atteignaient le nombre de vingt mille. Aussi, leurs
disciples se trouvaient forcés de passer un grand
nombre d'années auprès d'eux, pour acquérir la
science complète dont ils étaient dépositaires. Bien
des auteurs estiment qu'il fallait vingt années
d'études continuelles pour arriver à posséder en
entier les sciences druidiques.
VI
L'ART DE GUERIR
CHEZ LES DRUIDES. – LES EAUX
THERMALES ET
MINERALES DE RENNES‑LES ‑
BAINS. – SOURCES
FERRUGINEUSES FROIDES DU
CROMLECK
Dion Chrisostôme
attribue aux Druides la science de l'art de guérir ;
cet art, dit un autre auteur, ne consistait guère
que dans la prescription de quelques bains, et Pline
décrit avec complaisance les noms des plantes
médicinales dont les Celtes faisaient usage, avec
les pratiques bizarres employées pour les
recueillir. On peut admettre aisément que les
Druides connaissaient
– 267 –
l'art de guérir, et
que les bains étaient leurs auxiliaires les plus
sûrs et les meilleurs.
Il est tout à fait
remarquable, que l'enceinte du Cromleck de
Rennes‑les‑Bains, enferme toutes les sources
minérales, chaudes et froides de la contrée. Les
Celtes avaient dû être tout heureux de rencontrer un
pays, se prêtant parfaitement de lui‑même à la
construction d'un monument celtique complet sous
toutes ses faces.
Quelle croyance, quel
symbolisme secret voilaient ces eaux jaillissantes,
conservant en tout temps leur volume, leur
température, et s'échappant sans bruit des
entrailles de la terre ? Etait‑ce là l'image des
faveurs continuelles que la généreuse Providence
déverse sur ces créatures, ou bien encore, après
avoir représenté par des pierres levées, ménirs et
dolmens, les dons essentiels de blé et de pain que
Dieu leur accordait pour apaiser la faim, les Celtes
voulait‑ils témoigner leur reconnaissance, de ce que
le Seigneur donnait aussi des fontaines d'eau pure
et limpide, destinées à étancher la soif ? Cette
enceinte de pierres, entourant les sources
minérales, indiquait‑elle que Dieu, nourricier de
son peuple, veillait encore au soulagement et à la
guérison des maladies corporelles, par les vertus
bienfaisantes renfermées dans ces eaux ?
– 268 –
Il est bien difficile
de le dire avec certitude. Toutefois, nous sommes
loin d'attribuer aux Celtes de l'occupation
primitive des Gaules, cette vénération idolâtrique
pour les fontaines, que seuls pouvaient avoir les
Gaulois de la décadence, trompés par les doctrines
païennes des marchands grecs et phéniciens.
Les fontaines
enfermées dans l'enceinte du Cromleck sont fort
nombreuses : trois sont thermales à des degrés
divers de température. La source dite du Bain‑Fort,
possède une température de + 51 degrés centigrades,
tandis que les deux autres, dites de la Reine et du
Bain‑Doux, atteignent + 41 et + 40 degrés
centigrades.
Il est facile
d'apprécier la profondeur extrême du siphon amenant
à la surface du sol cette eau minéralisée et élevée
à ces degrés de chaleur. On sait généralement que la
température varie d'une manière fort sensible dans
l'intérieur de la terre, suivant les différentes
profondeurs auxquelles on peut atteindre. En prenant
pour point de départ les caves de l'Observatoire de
Paris, qui sont à vingt‑huit mètres au‑dessous du
sol, et où le thermomètre marque constamment + 11
degrés centigrades, on trouve en moyenne un degré de
plus de chaleur pour chaque trente mètres de
profondeur, en pénétrant plus avant dans l'intérieur
de la terre. L'eau du Bain‑Fort marquant
– 269 –
+ 51 degrés
centigrades, qui se réduisent à 40, puisqu'il faut
retrancher les onze degrés constants marqués par le
thermomètre à vingt‑huit mètres au‑dessous du sol,
dans les caves de l'Observatoire de Paris, le point
de profondeur extrême du siphon serait à peu près à
douze cent trente mètres, abstraction faite
cependant de toute déperdition de chaleur produite
par des causes secondaires et accidentelles. Quant
aux sources de la Reine et du Bain‑Doux, leur degré
de température accuserait neuf cent trente et neuf
cents mètres de profondeur.
Ces eaux thermales
ont pour principes minéralisateurs l'oxyde de fer,
des carbonates de chaux, de magnésie ; des chlorures
de soude, de magnésie, et des sulfates de soude, de
magnésie, de chaux et de fer. Nous mettons,
d'ailleurs, sous les yeux, à titre de pure
curiosité, le tableau des analyses faites à
l'Académie de médecine de Paris en 1839.
– 270 –
QUANTITÉS DE SELS
CHIMIQUES
POUR 1,000 GRAMMES
D'EAU MINÉRALE.
|
Bain
Fort.
|
Bain
de
la Reine.
|
Bain
Doux.
|
Température. . . . . . .
. . . . |
51° c.
|
41° c.
|
40° c.
|
Acide carbonique. . . . .
. . |
162 c. c.
|
155 c. c.
|
148 c. c.
|
Acide sulfhydrique. . . .
. . |
"
|
Traces
|
"
|
Carbonate de chaux. . . .
. . |
0 gr. 250
|
0 gr. 120
|
0 gr. 140
|
– de magnésie. . . . . . |
0, 070
|
0, 100
|
0, 030
|
Chlorure de sodium. . . .
. . |
0, 071
|
0, 285
|
0, 181
|
– de potassium. . . . . . |
Traces.
|
Traces.
|
Traces.
|
– de magnésium. . . . . |
0, 280
|
0, 320
|
0, 244
|
Sulfate de soude et de
ma‑
gnésie. . . . . . . . . . . . . |
0, 090
|
0, 200
|
0, 120
|
– de chaux. . . . . . . .
. |
0, 162
|
0, 170
|
0, 180
|
Silice. . . . . . . . . .
. . . . . . |
|
|
|
Alumine. . . . . . . . .
. . . . . |
0, 049
|
0, 040
|
0, 037
|
Phosphates d'alumine et
de |
|
|
|
chaux. . . . . . . . . .
. . . |
|
|
|
Oxyde de fer carbonaté et
sans doute crenaté. . . . |
0, 031
|
0, 006
|
0, 002
|
Manganèse. . . . . . . .
. . . . |
Traces.
|
Traces.
|
Traces.
|
Matière organique. . . .
. . . |
0, 040
|
0, 020
|
0, 020
|
Total. . . . . . . |
1 gr. 043
|
1 gr. 261
|
0 gr. 954
|
– 271 –
Cette analyse, en
dévoilant les principes minéralisateurs des eaux
thermales ferrugineuses de Rennes, nous dit‑elle les
effets qui vont se manifester à la suite de leur
usage ? Assurément non. On a extrait par l'analyse
les éléments constitutifs des eaux, mais il a fallu,
au moyen de réactifs, les séparer, les disjoindre,
les obliger à prendre des combinaisons qui soient
connues et qu'on puisse aisément distinguer. Avant
leur séparation forcée, qu'elle était la combinaison
réelle des acides et des bases dans ces eaux
minérales, quel principe secret leur donnait
l'efficacité remarquée en elles ? Il nous paraît
impossible qu'on le définisse avec certitude. On
peut seulement formuler des conjectures et des
suppositions que les effets viendront souvent
contredire. L'observation des résultats acquis par
l'usage des eaux est un guide plus sûr et plus
fidèle, auquel on doit se fier avec quelque
assurance. C'est aussi par les résultats obtenus
dans la guérison des rhumatismes, que les eaux
thermales de Rennes‑les‑Bains attirent chaque année
tant de malades. Sans doute, bien d'autres
infirmités humaines peuvent disparaître sous
l'influence de ces eaux salutaires ; mais en
général, on y voit accourir des rhumatisants à tous
les degrés et sous toutes les formes affectées par
les rhumatismes musculaire et articulaire.
– 272 –
Cette qualité, cette
propriété des eaux thermales et minérales enfermées
dans le cromleck de Rennes‑les‑Bains, était elle
connue des savants du Neimheid ? Quelle pouvait être
la source fréquentée dans ce temps ? Le terme
escatados, appliqué au terrain compris entre le
Bain‑Doux et le Bain‑Fort ne nous apprend rien de
certain, car ce mot signifie seulement eaux chaudes.
L'appellation de la Reine, distinguant la
source thermale située entre le Bain‑Fort et le
Bain‑Doux, pourrait bien faire supposer que c'était
la source la plus estimée, la vraie fontaine des
Redones, – Rennes ou Reine –, sans nous dire la
vertu curative de ces eaux, d'après la pensée des
membres du Neimheid. Cependant, on admettra
difficilement que les effets obtenus par l'immersion
dans l'eau thermale et minérale, aient échappé à
leur perspicacité. Les douleurs rhumatismales ne
devaient pas être rares parmi les vieux guerriers
celtes, à cause de leurs fatigues continuelles, à
cause aussi de leurs blessures multipliées ; ils ne
se retiraient guère du combat sans porter les traces
de la résistance opposée par l'ennemi. Est‑il
croyable que, possédant un remède si efficace, si
propre à leur donner une vigueur nouvelle par
l'apaisement de la souffrance, ils l'aient négligé
ou méprisé ?
Il est déplorable que
les noms celtiques des
– 273 –
sources minérales,
chaudes ou froides, ne soient pas arrivés jusqu'à
nous par la tradition. Un seul a été conservé, et il
s'applique à une des sources ferrugineuses froides
du cromleck. Cette fontaine, placée sur la rive
droite de la Blanque, se trouve à la distance d'un
kilomètre à peu près au sud de la station thermale.
On la désigne depuis peu d'années sous le nom de
la Madeleine ; mais son nom celtique
reproduit dans le cadastre, est celui de la fontaine
de la Gode. L'eau de cette source, émergeant
avec abondance de la faille inférieure d'une grande
roche de grés, est très ferrugineuse, et d'un goût
atramentaire fortement prononcé.
A quelques mètres de
cette fontaine, sur le même plan, coule une seconde
source, peu abondante et saturée d'un sel de fer qui
est le sulfate de peroxyde de fer. On retrouve ce
sel chimique déposé sur le sol, desséché par
évaporation sous l'action de l'air et produit par
l'eau suintant le long des roches de grès sous
lesquelles cette fontaine prend naissance. Ces
roches de grès contiennent abondamment des parcelles
de sulfure de fer. Il est facile de voir le travail
de décomposition du sulfure de fer, dans une large
roche dont la base plonge dans l'eau de la Blanque,
et sîtuée sur le côté droit de la fontaine. A
certains points, la roche se sépare aisément par
– 274 –
écailles, et on
aperçoit le sulfure de fer changé en sulfate de fer
d'une belle couleur verte ; sur d'autres points, on
voit encore le sulfate de peroxyde de fer tout
formé, présentant l'aspect d'un sel blanc
grossièrement cristallisé.
Ces deux sources
ferrugineuses froides ont reçu des Celtes le nom de
Gode, – to goad (gôd),
aiguillonner, exciter, animer –. Lorsqu'on donne à
une eau minéralisée par le fer, un nom pareil, c'est
que les propriétés en sont parfaitement connues, et
que l'on sait à n'en pas douter, dans quels cas
précis de maladie, ont doit faire usage de cette eau
pour aiguillonner, exciter, animer l'économie tout
entière.
On ne peut assez
regretter que les noms des sources du Pont,
du Cercle et des eaux chaudes, soient
complétement perdus : ils nous auraient sûrement
renseignés sur le degré de science médicale des
Druides, en ce qui concerne l'action thérapeutique
des eaux des deux fontaines de la
Madeleine ou de la Gode n'ont
point encore été analysées. Elles doivent se
rapprocher beaucoup de la nature de celles du Cercle
et du Pont, dont suit l'analyse faite à l'Académie
de médecine de Paris en 1839.
– 275 –
|
CERCLE.
|
PONT.
|
Acide
carbonique.........................
|
indéterminé.
|
indeterminé.
|
Carbonate de
chaux..................... |
0 gr. 060
|
0 gr. 140
|
– de
magnésie................. |
" "
|
0, 070
|
Chlorure de
sodium..................... |
0, 050
|
0, 060
|
– de
magnésium............. |
0, 140
|
0, 150
|
Sulfate de soude et de
magnésie... |
0, 100
|
0, 120
|
Sulfate de
chaux.......................... |
0, 084
|
0, 025
|
– de
fer............................... |
0, 150
|
" "
|
Phosphates d’alumine et
de
chaux........................................... |
0, 017
|
0, 050
|
Oxyde de fer carbonaté et
sans
doute
crénaté............................. |
0, 002
|
0, 003
|
Matière
organique........................ |
indéterminé.
|
0, 003
|
Total............................ |
0 gr. 603
|
0 gr. 648
|
Ce tableau fait
amplement connaître la composition des eaux froides,
et fait soupçonner l'activité qu'elles doivent
posséder dans les cas divers où l'on est appelé à en
faire usage.
A l'occasion des
fontaines du cromleck de Rennes les Bains, nous
voudrions donner, dans un ordre d'idées bien
différent, un exemple frappant de l'avantage
précieux que nous offrent les noms
– 276 –
celtiques des
fontaines, pour découvrir bien des faits perdus par
la tradition et cachés dans l'obscurité des
histoires locales.
VII
FONTAINE DE
NOTRE‑DAME DE MARCEILLE.
Nous avons le bonheur
de posséder dans nos contrées, à un kilomètre au
nord de Limoux, un sanctuaire dédié à la Sainte
Vierge, assidûment visité, et entouré d'une
vénération qui ne s'est jamais démentie. Fort
rapproché des bords de la rivière d'Aude aux eaux
tranquilles, et placé sur un coteau dominant la
vallée, ce sanctuaire frappe aisément le regard qui
se fixe avec complaisance sur ce lieu béni, où la
douce Mère du Sauveur distribue ses consolations et
ses secours à tous les adorateurs de son Fils,
accourant près d'elle pour demander et supplier. Les
supplications n'ont jamais été vaines, et les exvoto
suspendus autour de l'image vénérée, témoignent
assez de la joie et de la reconnaissance des
infortunés qui ont obtenu les faveurs sollicitées.
Le sanctuaire est
gardé par les enfants de Saint Vincent de Paul, le
saint dont le coeur appartenait aux orphelins et aux
malheureux, et sous la
– 277 –
direction de ces
pieux et savants missionnaires, dignes héritiers des
vertus et de la charité de leur bienheureux
fondateur, le temple privilégié a vu une foule, plus
considérable que jamais, s'agenouiller et prier dans
l'enceinte sacrée.
A peu de distance,
vers le haut de la rampe (1) bordée d'arbres verts
conduisant au sanctuaire, une fontaine laisse tomber
goutte à goutte son eau limpide dans un bassin de
marbre. Par les grandes pluies, la goutte d'eau
continue de tomber avec uniformité, et les temps de
grande sécheresse ne la tarissent point. Les
innombrables chrétiens qui vont rendre hommage à la
Sainte Vierge, s'arrêtent un instant à la fontaine,
et après avoir fait une prière, puisent quelques
gouttes de cette eau dont ils mouillent leurs
paupières.
Pourquoi agissent‑ils
ainsi ? La plupart l'ignorent ; mais la mère de
famille enseigne à ses fils, et ceux ci transmettent
à leurs enfants la pieuse pratique en usage à la
fontaine de Notre‑Dame de Marceille. C'est
ainsi qu'on désigne la fontaine ; les vieux
chroniqueurs, cependant, l'ont connue sous le nom de
fontaine de Notre‑Dame de Marsilla.
Au temps de
l'occupation première des Gaules,
(1) Cette rampe porte
le nom de Voie Sacrée.
– 278 –
cette fontaine,
coulant goutte à goutte, avait dû rendre le terrain
boueux, et par suite, rempli de joncs et de cette
graminée que l'on retrouve dans tous les sols
humides : c'était là ce que les Celtes appelaient le
haum‑moor, terme qu'ils ont écrit sur tous les
points du pays gaulois, partout où se présentait à
leurs yeux un terrain plus ou moins marécageux. La
petite source, sans nom comme toutes celles dont
l'eau trop rare pour former un faible ruisseau,
suffisait à peine à faire un terrain de haum‑moor,
retraçait toutefois à leur esprit une signification
précise et vénérable.
Plus tard, quand les
Gaulois, perdant peu à peu leurs pures croyances
sous l'influence désastreuse des étrangers, furent
tombés dans le culte idolâtrique, ils commencèrent à
adorer ce qui autrefois était simplement en
vénération, les fontaines surtout, qui réalisaient à
leurs yeux obscurcis les attributs d'une Providence
bienfaisante.
Les premiers
missionnaires chrétiens, comprenant la difficulté
défaire disparaître du coeur du peuple cette
vénération idolâtrique pour les fontaines, firent ce
qu'ils avaient déjà fait pour les ménirs sur
lesquels ils avaient gravé le signe de la
Rédemption. Ils placèrent auprès des sources, des
croix, des statues de la Sainte Vierge,
– 279 –
cherchant ainsi à
rendre la pureté aux croyances en éclairant les
esprits.
La fontaine de
Marceille dût, comme les autres, être ornée d'une
statue de la Sainte Vierge. Est‑ce celle qui, perdue
au milieu des tourmentes des invasions Sarrasines, a
été plus tard retrouvée et placée avec honneur dans
le sanctuaire destiné à la recevoir ? Cela nous
parait fort probable. Cette image de la Sainte
Vierge, tenant sur ses bras son divin Fils et
sculptée dans un bois noir, indique sa
provenance orientale : sa position auprès d'une
fontaine, et c'est bien dans un champ voisin de la
petite source qu'on l'a retrouvée, nous désigne les
premiers temps du Christianisme dans les Gaules. Ces
probabilités prennent une forme encore plus grave,
si nous cherchons à pénétrer le sens du nom de Notre
Dame de Marceille ou Marsilla.
Les nouveaux
chrétiens, se confiant en la tendresse de la Mère du
Seigneur Jésus, seront venus demander, à genoux aux
pieds de son image placée auprès de la fontaine, la
guérison ou l'adoucissement de leurs souffrances
corporelles, et ces Gaulois, auront exprimé dans le
mot Marsilla la somme des faveurs les plus
ordinaires obtenues de la bonté de la Sainte
Vierge : elle était pour eux Notre‑Dame de
Marsilla, ou des yeux gâtés, endommagés et
fermés par la maladie
– 280 –
– to mar,
gâter, endommager, – to seel (sil),
fermer les yeux –. L'ignorance de la prononciation
des mots celtiques a pu seule conduire, dans la
suite des temps, à dire marseel, (Marceille)
pour Marsil.
Nous pourrions citer
encore le nom d'un autre sanctuaire de nos contrées,
situé près de caunes et appelé Notre‑Dame du Cros.
Là aussi, au‑dessus de la magnifique fontaine qui
jaillit au pied de la montagne, on avait marqué une
croix – cross, croix –. Une statue de la
Sainte Vierge a, plus tard, remplacé la croix auprès
de la fontaine, et le sanctuaire bâti à peu de
distance, a reçu le nom de Notre‑Dame du Cros ou
Notre Dame de la Croix.
VIII
LA RIVIERE
SALEE ET LES MOLLUSQUES
FOSSILES.
Les fontaines
enfermées dans le cromleck des Redones ne pouvaient
aspirer, comme celle de Marceille, à l'honneur de
voir un sanctuaire élevé auprès d'elles ; la vertu
curative de leurs eaux était tout à fait naturelle.
Leur réputation devait cependant être fort étendue,
puisque les géographes grecs et latins, en parlant
de la
– 281 –
Gaule Narbonnaise, ne
manquent pas de remarquer dans cette région une
fontaine très salée.
Guillaume de Catel,
dans ses Mémoires, se demande si cette fontaine est
bien celle qui se déverse dans l'étang de Leucate. "
De Leucate, dit‑il, viennent grande quantité de
grosses anguilles que l'on vend par tout le
Languedoc, qu'on nomme anguilles de Leucate ; je ne
pense pas pourtant qu'en cet endroit on trouve dans
les champs en fouillant la terre, des poissons que
les anciens nomment pisces fossiles ;
ce que toutefois plusieurs auteurs ont remarqué
comme Mela, Strabon, Athénée au livre huitième ; car
m'en étant informé avec ceux du pays, ils m'ont dit
ne l'avoir vu, la terre s'étant desséchée à cause
des grandes chaleurs. "
L'hésitation de
Guillaume de Catel est fort légitime, puisque ce
n'est point à la fontaine de Salses, voisine de
l'étang de Leucate, que se doit appliquer
l'observation des anciens géographes, mais à la
Sals, rivière salée qui traverse le cromleck de
Rennes‑les‑Bains. La vallée de la Sals renferme en
effet des mollusques et des polypiers fossiles en
nombre prodigieux, et par là, nous pouvons
comprendre que le fontaine salée citée par les
géographes dans la région des pisces fossiles, est
bien la rivière de Sals courant dans le cromleck qui
entoure de ses ménirs et dolmens
– 282 –
les eaux thermales et
minérales de Rennes‑les‑Bains.
A l'époque où Strabon
(20 ans après Jésus Christ) et Pomponius Mela (43
ans après Jésus Christ), écrivaient leurs traités de
géographie, le midi de la Gaule faisait partie de
l'empire Romain sous le nom de Provincia, et les
eaux minérales des Redones étaient très fréquentées
par les conquérants ; ceci explique, comment ces
géographes ont parlé de fossiles reconnus sur les
bords de la rivière salée.
IX
LE GUI SACRE.
Le traitement de
certaines maladies par les eaux des Redones était
trop simple et trop facile pour n'être point
familier aux Druides. La science druidique
comprenait la connaissance des remèdes en rapport
avec le nombre restreint d'infirmités de ces hommes
pleins de vigueur et de santé, et les bains étaient
pour eux une ressource précieuse, dont certainement
ils se servaient avec intelligence. Néanmoins, les
bains n'auraient point été, pour les Druides, un
remède bien usité, s'il fallait ajouter foi aux
écrits de Pline,
– 283 –
qui suppose en eux
assez peu de science médicale pour croire qu'ils
auraient raison de toutes les maladies humaines par
le seul emploi du gui, omnia sanantem.
(1)
Le gui, conservant au
coeur de l'hiver ses feuilles d'un vert foncé, alors
que les arbres en sont dépouillés, était‑il
simplement aux yeux des Druides le symbole de
l'immortalité de l'âme et de la vie future, ou bien
possédait‑il réellement dans leur pensée une
certaine efficacité pour la guérison des maladies ?
Son nom celtique nous l'apprendra, tout en rejetant
bien loin les appréciations hasardées et singulières
des auteurs latins.
C'était ordinairement
en Février que les Druides en faisaient la
recherche. A la nouvelle que la plante précieuse
avait frappé les regards le peuple entrait en foule
dans la forêt, on entourait l'arbre privilégié pour
le garder avec vigilance ; et le sixième jour de la
lune de Mars, (le sixième jour de la lune de Mars,
ouvrait toujours le mois, l'année et le siècle) un
druide en robe blanche coupait, avec une serpette
d'or, le végétal sacré, de peur qu'il ne touchât la
terre en tombant et ne fut souillé par un contact
profane. Cette cérémonie se reproduisait dans chaque
tribu.
(1) Pline. lib. 16.
– 284 –
Le vieil usage de
courir les rues, le premier jour de l'an, au cri de
au gui l'an neuf, se rattachait au culte des
Gaulois. " (1)
Alors on immolait des
victimes (deux taureaux blancs) en priant Dieu de
rendre son présent salutaire à ceux qui auraient
l'avantage de le posséder (2) Le festin commençait
ensuite, et le reste du jour était consacré aux
réjouissances
" On retrouve, dit
l'abbé Monlezun, (3) une partie de cet antique usage
dans l'arrondissement de Lectoure. Seulement, en
traversant des temps et des pays chrétiens, il a dû
s'empreindre de christianisme. Peu de jours avant la
Noël, des jeunes gens se présentent durant la nuit
devant chaque maison, en chantant Aguillouné,
au gui l'an neuf. "
Les réjouissances de
l'aguillouné ont lieu aussi en Provence et se
confondent dans la fête de Noël. En Angleterre, le
jour de Noël (Christmas), on présente sur toutes les
tables le fameux plumpudding orné d'une branche de
gui.
Dans la Bretagne, le
cri fameux était eguinané qui est le synonyme
d'étrennes, parce qu'il est le signal de la
distribution des étrennes. (4) " Ce cri,
(1) Histoire de
France, par Em. Lefranc.
(2) Pline, lib. 26.
cap. 44.
(3) Histoire de la
Gascogne.
(4) Emile Souvestre,
les Derniers Bretons.
– 285 –
dit Henri Martin, (1)
s'est conservé avec le même sens, dans des parties
de la France d'où la langue celtique a disparu
depuis bien des siècles. M.Augustin Thierry nous a
raconté qu'à Blois, il avait encore entendu les
enfants nommer l'aguilanlé un jour de fête où
ils quêtaient des pièces de monnaie sur une pomme
fichée au bout d'une baguette enrubanée. "
D'après l'auteur des
Derniers Bretons, Eguinané ou plutôt enghin‑an‑eit,
signifierait le blé germe. Le terme aguilanlé,
entendu à Blois ne présente aucune idée à l'esprit,
tandis que l'aguillouné chanté à Lectoure nous
donne, malgré une légère altération dans la
prononciation, la véritable expression celtique dont
se servaient nos ancêtres.
Le gui est une plante
parasite nommée viscum par les Latins et
mistletoe (mizzlto) par les Anglo‑Saxons.
Gui n'est qu'une partie du mot aguillouné, et dans
cette dernière expression est renfermée toute la
croyance des Druides sur les vertus de cette plante
célèbre. Ils lui attribuaient, à tort ou à raison,
la faculté de prévenir ou de guérir la fièvre
intermittente, et cette qualité précieuse la faisait
entourer d'une faveur particulière. Aguillouné
se décompose ainsi : – ague
(1) Histoire de
France, note 1. page 72.
– 286 –
(éguiou),
fièvre intermittente, – nay (né), non,
adverbe négatif, – éguiouné –. D'après cette
interprétation, le gui était un préservatif absolu
de la fièvre intermittente, et on l'employait en
infusion dans l'eau, infusion, sans doute, fortement
prolongée.
Le gui ne délivrait
donc pas de tous les maux, comme l'avance Pline,
mais seulement d'une maladie singulièrement
redoutable pour les Gaulois ; car les fatigues de la
guerre préparaient, pour ainsi dire, leurs corps à
l'invasion de la fièvre intermittente. Grâce à la
faveur dont jouissait cette plante, et cette faveur
n'était peut‑être pas imméritée, nous avons conservé
d'éguiouné la seule syllabe gui qui désigne
aujourd'hui le mistletoe des Celtes.
Qu'il nous soit
permis de faire une simple observation sur tout ce
que Pline raconte au sujet du gui sacré. Cet auteur,
fort préoccupé du terme grec drus signifiant le
chêne d'où il faisait dériver sans doute le nom de
Druides, ne voit que des chênes dans toutes les
cérémonies druidiques. Les Druides sont les hommes
du chêne, leurs sacrifices ont lieu sous les
branches de cet arbre, excepté dans les pays où les
chênes sont remplacés par des sapins ou des hêtres,
et le gui doit absolument croître sur un chêne,
quoique personne, pas même le célèbre botaniste
Decandolle, n'ait jamais pu l'y découvrir.
– 287 –
De plus, la relation
de Pline sur le viscum se heurte à une impossibilité
matérielle. Dés lors que cette plante délivrait de
tous les maux, et qu'une plante de gui croissant sur
le chêne était une rareté telle, qu'on instituait
des réjouissances publiques et des sacrifices pour
le jour de la cueillette de ce gui extraordinaire,
qu'il fallait d'ailleurs trouver dans chaque tribu,
puisque dans chacune avaient lieu les mêmes
cérémonies, les Celtes étaient inévitablement
condamnés à ne jamais guérir de leurs maladies ;
évidemment, une seule plante de gui par tribu, ne
pouvait suffire aux millions d'habitants enfermés
dans la Gaule. Il est donc nécessaire de rechercher
une autre explication des rites druidiques
concernant le gui, dit sacré.
Les cérémonies dont
parle Pline, les réjouissances, étaient réservées
par les Druides à un jour fixé, le sixième jour de
la lune de Mars. Elles paraissent ainsi se rapporter
d'abord à l'ouverture d'une année nouvelle, et en
second lieu, à la cueillette du gui. Le druide en
robe blanche, qui coupait le gui de sa serpette
d'or, ne faisait autre chose que donner le signal
d'une récolte très précieuse, et alors, les Gaulois
pouvaient, dans l'étendue du pays, le chercher, le
cueillir sur tous les arbres qui le nourrissent, et
en faire une provision pour les cas malheureux où la
fièvre intermittente
– 288 –
viendrait les saisir
et les réduire à l'impuissance la plus désolante.
Cette interprétation
fait perdre au gui son caractère sacré, mais lui
conserve la vertu que les Gaulois attribuaient à son
infusion pour la guérison ou la préservation de la
fièvre intermittente.
Nous n'examinerons
point, si la science médicale des Druides était en
défaut, lorsqu'ils traitaient la fièvre
intermittente par la liqueur gluante obtenue en
faisant longuement macérer le gui dans l'eau ; il
nous suffit de voir que cette plante célèbre n'était
point, comme l'affirme Pline, une panacée
universelle, et que les Druides savaient fort bien
appliquer à une maladie particulière un remède
particulier, en opposant la gui à la fièvre
intermittente, et les bains à d'autres maladies tout
aussi redoutables.


CHAPITRE VIII.
LES HABITATIONS
CELTIQUES – LA ROUTE POUR
LES CHARIOTS.
Dans la station
balnéaire de Rennes, la source thermale, dont les
celtes ont le plus fait usage, est celle de la Reine
ou de Rennes. En suivant la chaîne des traditions
sur l'efficacité des eaux des Redones, les Romains
ont estimé qu'ils devaient bâtir leurs thermes à
cette source, et alors, des constructions
somptueuses, dont il reste encore des vestiges,
s'élevèrent dans la vallée de la Sals.
Bien avant la
possession du pays par les Romains, les habitations
gauloises n'étaient point, comme aujourd'hui,
groupées tout près
– 290 –
des sources
thermales ; elles étaient bâties sur la pente du
terrain nommé les Artigues, – hearth (harth),
foyer, – to eke (ike),
perfectionner –.
Le terme de tribé, –
tribe (traïbe), tribu, peuplade – ;
désignant un terrain situé au sud de Montferrand,
témoigne bien que le gros de la population habitait
le vallon dans lequel coule le ruisseau de la Coume.
Le ruisseau d'Alby, – hall,
habitation, – by (baï) à côté –, qui
se déverse dans celui de la Coume, traversait le
village gaulois. Les Celtes profitaient de la
déclivité des pentes pour construire en partie dans
le sol leurs maisons, auxquelles ils donnaient la
forme ronde. Elles étaient, disent les auteurs, fort
spacieuses, bâties en bois et en terre, couvertes de
chaume ou de paille hachée et pétrie dans l'argile.
Il est bien possible
que les maisons les plus pauvres fussent ainsi
couvertes, mais il nous est difficile de croire que
les Gaulois ne connussent point l'usage des tuiles,
dont ils nous ont laissé le nom dans rajole,
– rash, éruption, et en dialecte
languedocien, écoulement, – hole, petit
logement –, qui désigne aujourd'hui la brique.
Tout près des
Artigues et au dessus du Bugat, une partie du
terrain porte le nom de
– 291 –
scarrajols,
– square (skouère), carré, – rash,
écoulement, – hall (haûll), maison –.
C'est bien là, la tuile carrée à crochets, qui se
trouve en quantité considérable, sur plusieurs
points, dans le cromleck de Rennes‑les‑Bains. La
tuile à canal se voit aussi au milieu des débris de
tuiles à crochets. Sans doute, le Scarajols ne nous
indique point l'époque plus ou moins éloignée où
l'on fabriquait ces tuiles, mais pourquoi
voudrait‑on refuser obstinément aux Celtes le degré
le plus infime de civilisation et leur attribuer,
sans raison et sans motif, une ignorance que leur
langage contredit constamment ? Les Numides, au
rapport de Salluste, ne couvraient‑ils pas leurs
mapalia de tuiles à canal ? Il importe peu,
d'ailleurs, que le scarrajols fut une tuilerie, ou
bien une maison couverte de tuiles, il suffit de
constater que les Gaulois pouvaient se servir
indifféremment de chaume ou de tuiles pour
l'écoulement des eaux pluviales sur le toit de leurs
demeures.
On arrivait au
village gaulois par la route tracée au pied de la
montage de Cardou et qui s'élève en pente douce
jusqu'en face de la station thermale d'où elle va
aboutir au centre des Artigues. Ce chemin possédait
une largeur déterminée, comme nous l'apprend le nom
du
– 292 –
Col de Bazel, et les
chariots pouvaient ainsi arriver jusque dans
l'intérieur du village.
Des constructions
faites de bois et d'argile n'étaient point, à coup
sûr, fort coûteuses ; aussi elles existaient
nombreuses dans la contée. Au milieu de la pente Est
de la montagne qui regarde Rennes‑les‑Bains, et sur
un point assez rapproché du hameau du cercle, on
distingue une grande roche, taillée profondément de
manière à former trois des côtés d'une maison
carrée. Le terrain dans lequel cette roche est
comprise, porte le nom de Gléizole, – clay
(clé), argile, – to ease (ize),
délivrer, – hall (hâull), maison –.
Cette maison, affranchie de l'argile ordinairement
employée dans la construction des habitations
gauloises, accuse par sa forme carrée l'époque
gallo‑romaine.
Au nord‑ouest de la
Borde‑Neuve, entre Foucilhe, la colline
embarrassée, – fus (feuss), embarras,
– hill, colline –, et le Roucats, la
partie du terrain appelé Siala, – to
see (si), voir, – hall, maison
–, possédait sans doute, comme l'indique son nom,
quelques demeures celtiques. Le mot artigue, affecté
aux maisons des Celtes, existe encore dans le
dialecte languedocien, et lorsqu'un cultivateur
défriche une partie d'un bois, on dit qu'il fait
– 293 –
un artigot,
quoiqu'il ait aujourd'hui l'intention d'y établir un
champ, plutôt que d'y construire une maison.
Au pied du village
celtique des Artigues, et près du ruisseau de la
Coume, on aperçoit un emplacement circulaire appelé
la Salasse, – sale, marché, – axe,
hache –. C'était le marché, la place publique ou se
faisaient les échanges ordinaires, les ventes et les
achats du commerce intérieur.
Le Roucats, –
(to ronghcast), ébaucher –, que nous
avons cité en parlant du Siala, s'étend jusqu'à la
rive droite de la Sals, est rempli de ménirs
ébauchés, de tables de pierre superposées les
unes aux autres, et fait partie du cercle intérieur
renfermé dans le cromleck des Redones. Sur les bords
de la Sals et dans le Roucats, on distingue une
partie du chemin celtique qui conduisait à Bugarach.
On peut aisément mesurer la largeur de ce chemin par
les ménirs qui le bordent encore. Au point précis où
le chemin, longeant la rivière, pénètre dans le bois
du Roucats, on remarque sur deux roches, placées à
droite et à gauche de la route gauloise, plusieurs
petites croix grecques, couvertes de mousse, et qui
font connaître, à n'en point douter, l'importance
des nombreux ménirs disséminés sur les flancs de la
colline.
– 294 –
II
NOURRITURE DES
CELTES. BOISSONS GAULOISES
Les Gaulois, au
rapport de certains historiens, se nourrissaient des
fruits de la chasse et de la pêche, auxquels ils
ajoutaient les glands du chêne et probablement aussi
les faînes du hêtre : ils ne cultivèrent le blé, que
lorsque les Phéniciens l'eurent importé dans
l'Occident.
Il serait,
croyons‑nous, impossible de prouver de pareilles
allégations. Les Celtes venaient de l'Asie‑Mineure,
où le blé, n'était, certes, point inconnu : leurs
communications avec l'Orient étaient continuelles
par le flot des nouvelles peuplades se dirigeant
sans cesse vers le soleil couchant : le Neimheid, ce
corps savant qui gouvernait la marche de la
migration Celtique, était, en entier, composé de
Druides, ce que César n'infirme pas lorsqu'il
écrit : " On pense que l'institution druidique
trouvée en l'île de Bretagne a été de là transportée
dans la Gaule. " (1) Est‑il admissible que l'intègre
Neimheid, le distributeur du blé, l'aliment
essentiel, ait eu la hardiesse de donner aux ménirs,
dolmens et cromlecks leurs noms particuliers et
distinctifs, pendant que les Gaulois avaient
seulement des glands et des faînes pour remplacer le
blé et le pain ? Les glands du chêne
(1) De bell. Gall.
lib. VI. 13.
– 295 –
et les faînes du
hêtre ont bien pu servir, autrefois comme de nos
jours, de nourriture aux porcs, et il n'y a pas lieu
de s'étonner de ce fait ; mais assurer, gratuitement
et sans preuves, que ces fruits des forêts sont
entrés dans l'alimentation ordinaire des Celtes,
c'est méconnaître entièrement les véritables
conditions de la vie matérielle de nos aïeux.
On peut affirmer avec
certitude qu'ils cultivaient le blé, puisque cet
aliment était l'objet d'une distribution impartiale
et la kaïrolo – key (ki) clef, –
ear (ir), épi de blé. – hole,
creux, petite maison –, le grenier et peut‑être le
silo ou souterrain renfermant la précieuse céréale,
existait toujours auprès des centres d'habitations
celtiques. Il n'y a guère, en effet, de village qui
ne possède un terrain de ce nom : la kaïrolo des
Redones était située au sud de Montferrand tout près
du chemin conduisant au ruisseau de la Coume et aux
Artigues. La production du blé étant même fort
abondante dans certaines régions privilégiées, on
avait recours à des mains étrangères à ces contrées,
afin de moissonner avec plus de célérité. Les
Redones n'hésitaient point à louer ainsi leurs bras
pour les travaux importants de la moisson, et le nom
de Montferrand atteste leurs périodiques
voyages à cet effet – to mow (mô),
moissonner, – to own (ôn),
prétendre à, – to fare (fère),
voyager, – hand, main –.
– 296 –
Les troupeaux de
bêtes à laine étaient fort nombreux dans le village
des Redones. La Campbelle = to camp,
séjourner, – bell, clochette =, la Berke =
to bay (bé), bêler, aboyer, –
to heark (herk), prêter
l'oreille =, le Grauzilhou = to graze
(grèze) – brouter l'herbe, mener paître, –
hill, colline =, dénotent assez la présence des
troupeaux dans la campagne. A défaut de ces preuves
écrites sur le sol lui‑même, il reste encore dans
l'idiome du Languedoc, une expression affirmant la
possession de bêtes à laine chez les Gaulois. La
chair de la brebis était même leur nourriture la
plus ordinaire, car la chasse et la pêche ne
pouvaient suffire à alimenter une population
nombreuse. La brebis, en dialecte languedocien, est
désignée par l'expression fedo, – to
feed (fid) nourrir – : cette
nourriture était convenable, et ils la qualifiaient
sans doute de gros morceau, puisque le terme
chick, marquant la petite dimension d'un morceau
dans le même dialecte, correspond en langue celtique
à chick (tckick) poulet, maigre
portion, en effet, pour l'appétit de ces hommes à
taille gigantesque.
La mythologie grecque
avait remarqué dans Hercule, personnification du
peuple Celte, une certaine voracité et l'avait
surnommé mangeur de boeufs. Elle raconte que les
Argonautes faisant voile vers la Colchide pour
conquérir la toison
– 297 –
d'or, avaient pris
tout d'abord Hercule avec eux ; mais lorsqu'ils
furent témoins de son robuste appétit, ils le
forcèrent à quitter le navire, redoutant de le voir
dévorer, à lui seul, toutes leurs provisions. Elle
rapporte encore que le héros mangea, dans un seul
repas, un boeuf enlevé à un laboureur. Quelle
piteuse mine eût donc fait Hercule en face de
misérables glands de chêne pour apaiser sa faim !
La nourriture des
Gaulois n'était pas plus à dédaigner que leur
boisson, et les Allobroges nous disent leur
délicatesse sur ce dernier point. Au reste, dans
tout le pays celtique, la fabrication des boissons
particulières à la contrée, est gravée dans le nom
de diverses cités. Le cidre de Normandie ne date
point d'hier, et Rotomage (Rouen) en fait foi
– to rot, se gâter, – to owe
(ô), devoir, – to mash (mache),
écraser, mêler, – Rotowemash – ; la cité de
Vindomage, chez les Volkes Arécomiques,
n'ignorait point la manière de faire le vin, –
wine (ouaïne), vin, – to do
(dou), faire – to mash, écraser
–, et les mouvements bizarres des fouleurs de
raisins sont fort exactement reproduits dans
Sostomage (1), petite ville peu éloignée de
Toulouse, – to soss, se dandiner, –
to do (dou), agir, faire une
action, – to mash (mache),
fouler, écraser –.
(1) Castelnaudary,
(Aude).
– 298 –
Les Gaulois du
Languedoc avaient même poussé l'art de faire le vin
à un degré remarquable, puisqu'on trouvait des
fouleurs de raisins réunis en corporation, tout près
de Carcassonne, dans une localité dont les habitants
exercent encore de nos jours la même profession. Ce
village est appelé par ses propres habitants
Bilomacho, – to will, désirer,
vouloir, – to mash (mache),
écraser, mêler –, et il est connu en français sous
le nom de Villemoustaussou, simple traduction en
langue romane du celtique Willmash.
III
LA GHASSE AU
SANGLIER
La chasse était pour
les celtes une distraction en rapport avec leur
activité corporelle, plutôt qu'une occupation
nécessaire pour subvenir d'une manière absolue à
leur subsistance. Les Gaulois se servaient dans
leurs chasses d'excellents chiens courants,
indispensables pour suivre et harceler les fauves de
leurs forêts. La Coume das houns – hound
(haound) chien de chasse, chien courant, – et
la fontaine das houns, garants de cette
assertion, sont situées au nord de l'Haum moor, fort
près des deux roulers du cromleck de
Rennes‑les‑Bains.
– 299 –
Les habitants du
pays, quelque peu celtibériens, n'avaient point
perdu l'habitude de la chasse à l'ours, comme
l'indique le clot das hourcés, fort rapproché
de la Borde‑Neuve, et appelé aujourd'hui la
Loubatière. Cependant, cette bête sauvage
devenue assez rare, ne faisait point l'objet de la
chasse favorite des celtes. Les préférences
gauloises étaient réservées au sanglier, très
répandu dans tout le pays celtique et dont la chasse
présentait de sérieux dangers.
Le sanglier,
inoffensif lorsqu'on ne l'attaque point, devient
redoutable dès qu'il reconnaît l'agresseur, et se
retourne contre lui avec furie. Le sentiment de sa
force le rend confiant, et il fait face hardiment au
péril. Il prend la fuite cependant lorsqu'il sent
l'impossibilité d'une résistance victorieuse,
réservant sa vengeance pour le moment où, serré de
près par une meute vigoureuse, il lui tient tête,
perce ses rangs pour se précipiter vers le chasseur
et le frapper de son terrible boutoir. Malgré le
nombre des chasseurs, et les meutes aguerries
employées à la chasse de cet animal, les accidents
ont toujours été fréquents. L'arme celtique de la
chasse au sanglier était l'épieu, et cette arme,
assez courte, mettant le chasseur face à face avec
la bête fauve, devait l'exposer à toute sa rage.
" Jacques du
Fouilloux, qui écrivait au seizième
– 300 –
siècle et qui était
un brave chasseur, ne paraît pas trop rassuré quand
il traite des sangliers. Il assure en avoir chassé
un qui à lui seul massacra, en quelques instants,
quarante chiens sur cinquante. En somme, il ne
conseille pas de faire courir à une bonne meute de
" telles sortes de bestes ; car, dit‑il, si
les autres espèces esgratignent ou mordent, il y a
toujours moyen de remédier à leur morsure ; mais au
sanglier, s'il blesse un chien de la dent au coffre
du corps, il n'en cuidera jamais eschapper. " Et
néanmoins il ajoute plus loin : " Si une meute de
chiens est une fois dressée pour le sanglier, ils ne
veulent plus courir les bestes légères, parce qu'ils
ont accoustumé de chasser de près, et avoir grand
sentiment de leur beste. " (1).
La prédilection des
Gaulois pour la chasse au sanglier était connue des
anciens Grecs, et, suivant leur habitude de
personnifier les qualités de la nation gauloise dans
Hercule, ils ont inscrit, parmi les douze travaux de
ce héros, son combat contre le sanglier d'Erymante.
Ce que rapporte la mythologie grecque au sujet
d'Hercule est trop instructif pour n'en pas citer
quelques traits. On y peut remarquer la terreur
indicible que la nation celtique inspirait à la
Grèce.
(1) Magasin
Pittoresque – Année 1834
– 301 –
" Eurysthée, roi de
Mycènes, jaloux de la réputation d'Hercule, le
persécuta sans relâche, et eut soin de lui donner
assez d'occupation hors de ses états pour lui ôter
le moyen de troubler son gouvernement. Il exerça son
grand courage dans des entreprises également
délicates et dangereuses : c'est ce qu'on appelle
les travaux d'Hercule. On dit qu'Hercule devint si
redoutable à Eurysthée, que, malgré l'empire qu'il
avait sue ce héros, il n'osait paraître devant lui,
et qu'il avait préparé un tonneau d'airain pour s'y
aller cacher en cas de besoin. Il ne faisait point
entrer Hercule dans la ville : les monstres qu'il
apportait étaient laissés hors des murs, et
Eurysthée lui envoyait ses ordres par un
héraut. " (1).
Erymanthe, montagne
d'Arcadie, était l'asile d'un sanglier dont la
fureur remplissait d'effroi la contrée entière.
Eurysthée demande à Hercule de délivrer le pays de
cet hôte redouté. Hercule poursuit le sanglier, le
prend vivant, et le charge sur ses épaules pour le
porter à Eurysthée. Celui‑ci est saisi d'une telle
frayeur, qu'il va se cacher sous sa fameuse cuve
d'airain.
L'histoire du
sanglier d'Erymanthe est la peinture fabuleuse des
chasses au sanglier si chères aux Gaulois.
(1) Dictionnaire de
la Fable par Fr. Noël – Paris, 1803.
– 302 –
Le Neimheid n'a pas
laissé dans l'ombre le souvenir de ces chasses
dangereuses, et dans toutes les montagnes couvertes
de bois profonds, pouvant servir de retraite sûre
aux sangliers, on trouvera des terrains appelés
pijole ou pijoulet, – pig, porc, –
to jole, heurter avec la tête –. Le
Pijole de Rennes‑les‑Bains a sa place au Serbaïrou,
au sud des deux roulers ou roches tremblantes.
Malgré la vigueur des
Gaulois, la lassitude et l'abattement envahissaient
leurs membres robustes, surtout lorsque les
accidents multipliés du sol, dans un pays
montagneux, ajoutaient leurs difficultés aux
fatigues d'une chasse pénible par elle‑même.
De retour au foyer
domestique, ils prenaient un repos tout à fait
indispensable sur un tas de feuilles desséchées qui
leur servait de lit. D'après les assertions
ordinaires des historiens, ce tas de feuilles sèches
aurait été la seule couchette des Celtes. Nous
n'osons pas croire toutefois que les Gaulois aient
poussé jusque là leur indifférence pour la santé et
la vigueur du corps. Nous connaissons dans le canton
de Limoux, une montagne cultivée en partie, et
traversée par un chemin conduisant du village de
Saint‑André à Chalabre, montagne décorée du nom de
Mataline, – to mat, couvrir de
nattes, – hall, salle, – to inn,
loger dans une auberge –. Le sol de l'appartement
– 303 –
où les voyageurs
s'installaient pour prendre du repos dans
l'hôtellerie de la Mataline, était donc couvert de
nattes. Peut‑on imaginer que ce fut là un fait isolé
et particulier à une maison bâtie sur une montagne,
dans un pays d'ailleurs fort pauvre et peu fréquenté
des voyageurs ? C'est plutôt l'indication exacte de
l'usage des nattes et des paillassons pour le repos
de la nuit dans les demeures de nos ancêtres, les
bancs et les sièges adossés aux murailles servant
seulement pour les repas.
Les Celtes, doués
d'une nature généreuse, n'étaient point enclins au
vol et au brigandage, et ils étaient peu nombreux
ceux qui se rendaient coupables de pareils méfaits.
Du reste, la justice était prompte et sévère, et le
Fangallots des Redones – to faint (fént)
disparaître, – Gallows (Galleuce),
potence, gibet, – rappelait aux habitants de la
région, que la pendaison était la juste punition des
criminels.
Les noms des divers
terrains, dans le cromleck de Rennes‑les‑Bains,
n'évoquent point le souvenir des funérailles
celtiques, parce qu'elles sont déjà écrites dans le
pays des Sordes, à Caucoliberis et Illiberis. Jules
César en loue la magnificence extrême. La croyance
inaltérée à la vérité de l'immortalité de l'âme,
conduisait les Celtes à déployer une grande pompe
religieuse dans les
– 304 –
derniers devoirs
rendus à leurs parents et à leurs amis. Ils
ensevelissaient les morts dans des tombeaux formés
de terre et de pierres, élevés en cône et connus
sous le nom de barrow, – barrow (barrô),
tombe, tertre –
IV
LES ROMAINS ET LA
SOURCE THERMALE DE LA REINE.
LA CROIX
DANS LE CROMLECK DES REDONES.
On a vu par
l'explication des monuments celtiques des Redones du
sud de la Gaule, quelles étaient les croyances
religieuses des Celtes. Lorsque les étrangers, sous
le voile du commerce et de l'alliance, ont foulé le
sol gaulois, ces croyances ont commencé de
s'affaiblir dans l'esprit de la population. Les
chefs des diverses tribus, en s'affranchissant de
l'autorité suprême du Neimheid, ont avancé la
décadence, et quand la nation, vaincue par César, a
fait désormais partie de l'empire romain, les
anciennes et pures croyances religieuses enseignées
par les Druides, ont fait place au culte idolâtrique
propagé par les vainqueurs. Les temples des faux
dieux ont souillé ta terre celtique, et le peuple
perverti s'est abaissé à adorer Teutatès, Belenus et
Ogmius ou Oghan.
– 305 –
Nous ne pouvons nous
résoudre à étudier les noms de ces fausses divinités
et les croyances idolâtriques des Gaulois dégénérés.
L'abîme dans lesquels on les a entraînés est trop
horrible pour qu'on puisse s'attarder à le sonder.
A cette époque
misérable qui précédait la venue nécessaire et
immédiate du Sauveur attendu par les nations, la
signification vraie et religieuse du cromleck
disparaît de tous les souvenirs. Le pays des Redones
méridionaux faisait depuis longtemps déjà partie de
la Provincia, et les Romains avaient bâti un temple
dans la vallée de la Sals, et des thermes à la
source de la Reine. Un nouveau village fut construit
sur le plateau de Villanova qui domine les thermes
du côté nord‑est.
Les Romains ont
laissé des traces nombreuses de leur séjour prolongé
dans le cromleck, médailles et monnaies d'or,
d'argent et de bronze, depuis le triumvirat
d'Antoine, Octave et Lépide, jusqu'au règne de
l'empereur Gratien, amphores entières, débris de
statues taillées dans le marbre blanc, chapiteaux et
socles de colonnes sculptés, inscriptions
consulaires gravées dans la pierre.
Les Redones du sud
ont passé un temps relativement court dans les
superstitions insensées du paganisme. Le proconsul
Sergius Paulus, disciple de l'apôtre St‑Paul était
venu porter l'Evangile dans le midi de la Gaule et
avait fixé son siège à
– 306 –
Narbonne. Les
missionnaires chrétiens envoyés par l'illustre et
saint Evêque pour conquérir à la vérité les esprits
et les coeurs des Gaulois de la Narbonnaise,
comprirent, en pénétrant dans le cromleck des
Redones, que les respect dont on entourait ces
pierres taillées ou levées, était un respect devenu
idolâtrique, et ils firent graver des croix
grecques sur tous les points de ce cercle de
pierres, à l'entrée du Cromleck, aux Crossés, au
Roukats, au Serbaïrou, sur la crête du Pla de la
Coste et de las Brugos et au Cugulhou du couchant.
Alors, à l'arête du
cap dé l'Hommé sur le haut d'un ménir, en face du
temple païen, converti en église chrétienne détruite
plus tard par l'incendie, fut sculptée une belle
tête du Sauveur regardant la vallée, et dominant
tous ces monuments celtiques qui avaient perdu leurs
enseignements. La croix, victorieuse du paganisme,
n'a pas discontinué de régner dans le cromleck de
Rennes‑les‑Bains, et maintient toujours, gravés dans
le coeur religieux de ses habitants, les préceptes
de vie donnés au monde par l'Eternelle Vérité.

TABLE DES MATIERES
‑‑‑‑
OBSERVATIONS
PRELIMINAIRES
‑‑‑‑
CHAPITRE
PREMIER.
LANGUE CELTIQUE
page
I. Précis de
l'occupation première des Gaules....................
1
II. Langue Celtique
........................................
................. 5
III. Le dialecte
languedocien et les Tectosages...................12
IV. Le dialecte
languedocien et la vraie langue
celtique
...........................................................................
17
V. Le Neimheid
..............................................................
23
CHAPITRE II.
LANGUE HEBRAIQUE
I. Les noms divins
...........................................................
27
II. Les premiers
hommes. – Adam jusqu'à Noé ............... 38
III. Noé et ses
enfants
.....................................................
48
– 308 –
IV. Abraham et les
Patriaches .........................................
56
V. Moïse et les
Hébreux dans le désert ............................
69
VI. Josué – Jésus
Sauveur. – Goliath et David.................. 77
CHAPITRE III.
LANGUE PUNIQUE
I. Afrique. – Puth. –
Numides et Maures .......................... 82
II. Les généraux de
Carthage. – les rois Numides.............. 91
III. Langue
Kabyle...........................................................
98
CHAPITRE IV.
FAMILLE DE JAPHETH
I. Gomer et ses fils
..........................................................
106
II. Tubal et les
Ibères
......................................................
108
III. Langue basque
..........................................................
112
IV. Les Cantabres. –
Les Ibères. – Les kjoekken‑
Moeddings du
Danemark.................................................
126
V. Les Gascons. – Les
Occitani. – Les Aqui‑
tains et leurs tribus.– Auch. –
Bordeaux............................ 137
CHAPITRE V.
LANGUE CELTIQUE
I. L'Armorique et ses
tribus...............................................
150
II. Les Redones. –
Les monuments celtiques.–
Les Druides. – Les
Carnutes.............................................
160
– 309 –
III. Le Rhône. –
Marseille. – Les Allobroges. –
Lyon. – Les Arverni et
Vercingétorix................................. 174
CHAPITRE VI.
LES VOLKES TECTOSAGES
ET LE LANGUEDOC
I. Les Volkes
Tectosages et Arécomiques. – Les
Belges. – La Garonne. – Toulouse. – La
Gironde
............................................................................
187
II. Le Languedoc. –
Las Wisigoths et les peuples
dits Barbares
....................................................................
196
III. Les Francks. –
Leur origine
......................................... 201
IV. Les premiers rois
Franks .............................................
208
V. Le roi Bébrix et
Pyrène. – Hercule. – Les
Sardanes. – Gaucoliberis. – Illibéris.–
Les Sordes
.......................................................................
213
VI. Les Atacini. –
L'Aude. – Les radeaux sur
l'Aude. – Carcassonne
......................................................
219
CHAPITRE VII
CROMLECK DE
RENNES‑LES‑BAINS
I. Description du
Drunemeton ou Cromleck des
Redones du sud gaulois,– ménirs, dolmens,
roulers ou roches branlantes. – le Goun–
dhill ou Sarrat plazént
.........................................................
224
II. Signification
religieuse du cromleck, des mé‑
nirs, dolmens et
roulers........................................................
245
– 310 –
III. Les sacrifices
humains dans la Gaule .............................
24
IV. La pierre de trou
ou hache celtique ...............................
255
V. Signification
secondaires des pierres levées.–
Les Eubates
.......................................................................
263
VI. L'art de guérir
chez les druides. – les eaux
Thermales et minérales de Rennes‑les‑Bains.
Sources ferrugineuses froides du
Cromleck..........................266
VII. Fontaine de
Notre‑Dame de Marceille......................... 276
VIII. La rivière
salée et les mollusques
fossiles..................... 280
IX. Le guy
sacré.................................................................
282
CHAPITRE VIII.
VILLAGE CELTIQUE
DE RENNES‑LES‑BAINS
I. Les habitations
celtiques.– La route pour les
Chariots.............................................................................
289
II. Nourriture des
Celtes. –Boissons Gauloises.................... 294
III. La chasse au
Sanglier...................................................
298
IV. Les Romains et la
source thermale de la Reine.
– La croix dans le cromleck des
Redones........................... 304
FIN
|