LE COMTE DE RAZES
et le
DIOCESE D’ALET
Notices historiques par
LOUIS FEDIE
Membres de la Société des Arts et Sciences de
Carcassonne
Ancien conseiller général de l’Aude
L’édition originale de cet ouvrage a été
réalisée par Lajoux Frères
à Carcassonne en 1880
Rhedae ‑ La Cité des
Chariots
I
Des
documents historiques dont les plus anciens remontent aux
dernières années du VIIe siècle, et parmi lesquels
figurent un acte conservé dans le Cartulaire du Capcir, font
mention d'un territoire ou plutôt d'un diocèse situé dans la
Septimanie, et qui s'appelait le Rhedesium ou Pagus
Rhedensis. Ce diocèse avait une capitale. Quel était le vrai
nom de cette capitale ? Quel était sa véritable position
géographique ? A quelle époque remonte sa création ?
Sur le
premier point, la réponse est facile. Les deux prélats qui, en
798, furent envoyés par Charlemagne dans la Septimanie comme
juges‑commissaires, font mention de la cité de Rhedae qu'ils
désignent en même temps que Narbonne et Carcassonne. Mais cette
énonciation de Rhedae, ainsi classé de la part des missi
dominici au rang des cités importantes, n'a pas besoin de
commentaire. Il s'agit bien d'une des principales villes de la
Septimanie, qui ne pouvait être que la capitale du diocèse
auquel elle avait donné son nom. BESSE, l'un des historiens que
l'on aime à consulter, est disposé à croire que, dans le courant
du VIe siècle, les évêques de Carcassonne, chassés de
leur siège par les Ariens, établirent leur résidence provisoire
à Rhedae. Voilà tout autant de preuves attestant, à une époque
antérieure au VIIe siècle, non‑seulement l'existence,
mais encore l'importance d'une cité qui était la capitale du
Rhedesium.
Il nous
reste à rechercher quelle était la position géographique de
cette cité, et à rechercher sa création. Nul historien n'a donné
des indications sur l'origine, l'importance et le rôle
historique de la ville de Rhedae. Sa fondation est tellement
mystérieuse qu'elle semble avoir découragé les chroniqueurs et
les archéologues.
On ne lui a pas
fait l'honneur d'inventer une fable ou un récit légendaire pour
expliquer ses commencements. Cette auréole populaire, empreinte
de merveilleux, qui entoure le berceau de certaines cités de la
Gaule Narbonnaise, et notamment de Carcassonne, lui fait
complètement défaut. On dirait qu'elle est née d'une seule pièce
et qu'elle n'a été découverte que quelques siècles après sa
fondation. Nous trouvons l'explication de ce phénomène
historique dans ce fait que la création de la capitale du
Rhedesium est postérieure à l'occupation romaine, et antérieure
à la constitution sociale qui commença à prendre corps dans la
Narbonnaise, immédiatement après la conquête des Wisigoths.
C'est ce qui explique les erreurs de certains commentaires dont
les uns nous représentent Rhedae comme un oppidum d'origine
gauloise, tandis que d'autres attribuent sa fondation à une
colonie romaine.
La même
erreur s'est produite chez certains historiens quand il s'agit
de déterminer l'emplacement exact qu'occupait la cité de Rhedae.
Les uns ont prétendu qu'elle était située dans le pays de
Chercorb ou Kercobz, d'autres l'ont placée à Rennes‑les‑bains.
Enfin on a émis l'opinion qu'il avait existé deux cités de ce
nom dans la Gaule Narbonnaise.
Nous allons
essayer d'apporter la lumière dans ces ténèbres.
Aucun des
auteurs latins qui se sont fait les historiens de la conquête
romaine dans la Gaule Narbonnaise n'a fait mention ni de Rhedae,
ni du Rhedesium, c'est‑à‑dire d'un diocèse portant ce nom. Dans
la chronique d'EUSÈBE figure un passage où l'auteur s'est borné
à parler d'un faubourg portant le nom d'Atax qui paraît avoir
été le berceau de la ville de Limoux. DU MÈGE, dans ses
commentaires, émet, sous une forme dubitative, une opinion que
nous ne saurions partager. D'après lui, certains centres de
population situés dans la vallée de l'Aude pourraient avoir une
origine gallo‑hellénique, en ce sens que, à la suite de la
création de comptoirs grecs sur le littoral de la Méditerranée,
des colonies dans lesquelles se trouvaient mêlés l'élément
indigène et l'élément étranger, aient été créées sur cette
partie de la Narbonnaise. Nous n'aborderons pas ici la
discussion sur l'opinion émise par DU MÈGE, opinion que nous
sommes loin de partager. Nous nous bornerons à constater qu'il
ne cite pas Rhedae parmi les localités qui, d'après lui,
seraient d'origine hellénique.
La fondation
de Rhedae est‑elle due à cette fraction de volkes Tectosages qui
habitait les bords de l'Aude et que l'on appelait Atacins, du
nom du fleuve Atax ? Nous ne le pensons pas. Cette population
clairsemée sur un sol ingrat, dans un pays couvert de vastes
forêts de chênes et de sapins, n'aurait pas abandonné le fond
des vallées si propre à la culture, qui leur offrait des abris
commodes, et qui leur assurait des moyens faciles d'existence,
grâce aux produits de la chasse et de la pêche. Elle n'aurait
pas déserté ce territoire sur lequel les communications étaient
faciles, et où l'on pouvait échapper aux poursuites des
détachements des armées romaines, grâce aux grottes et aux
cavernes dont le sol était couvert. Les Atacins n'avaient donc
aucun avantage à établir un oppidum, village ou ville, sur un
plateau élevé qui n'offrait ni facilité d'existence, ni
sécurité.
Nous venons
de démontrer que la cité de Rhedae n'a pas été fondée par une
population indigène, la tribu des Atacins; qu'elle ne doit pas,
non plus, sa création à une colonie gallo‑romaine, et enfin
qu'elle n'est pas d'origine gallo‑hellénique. Cette ville à été
construite par des étrangers, par des envahisseurs et des
conquérants. Ces conquérants ne venaient pas des régions du Nord
; trop d'obstacles les auraient arrêtés dans leur marche, et ils
n'auraient pas même essayé de surmonter ces obstacles pour venir
occuper un coin de terre déshérité. Tout prouve, au contraire,
qu'ils venaient du Sud, c'est‑à‑dire des régions Ibériques. Et
puisque la cité de Rhedae existait lors de l'invasion des
Sarrazins, elle n'a pu être fondée que par ceux qui les avaient
précédés sur le chemin de l'invasion des Gaules, c'est‑à‑dire
par les Wisigoths. Nous sommes donc fondé à soutenir que Rhedae
fut, à son origine, un oppidum wisigothique.
Nous allons
fournir quelques nouveaux arguments à l'appui de cette
assertion.
Les écrivains
ne sont pas d'accord sur l'orthographe du nom que portait
primitivement cette cité. Théodulphe, l'un des missi dominici de
Charlemagne, l'écrivait Rhedae. Dans plusieurs chartes du
moyen‑âge on trouve Redae, puis Redde, et encore Reddas, et
enfin Reda ou Rheda. Nous n'hésitons pas à adopter la version du
savant évêque d'Orléans; car le poème dans lequel il relate sa
mission dans la Septimanie équivaut à ce que nous appelons
aujourd'hui un rapport officiel. En second lieu, le mot Rhedae a
une signification que n'ont pas les autres variantes. Les
romains, dont les peuples modernes sont en ce point les
imitateurs, enrichissaient leur langue en s'appropriant certains
termes dont se servaient les nations avec qui ils étaient en
rapport. Ainsi, d'après les auteurs latins, le mot Rhedae
signifiait chariots de voyage. Nous adoptons cette
traduction, et nous en tirons cette conséquence que le mot
Rhedae porte avec lui sa signification et explique clairement
l'origine de la cité à laquelle ce nom se rattache. Rhedae
‑les chariots de voyage‑ c'est‑à‑dire un campement, des
maisons roulantes, espacées régulièrement, fixées demeure sur un
point choisi, et formant un oppidum de bois, de cuir et de
toile, entouré de retranchements. C'est la cité à son début.
C'est une ruche immense dont chaque habitant a porté, avec lui,
son alvéole. Dans ses récits des temps mérovingiens, Augustin
THIERRY nous dit que les chars des Wisigoths étaient attelés de
buffles. Ils étaient à quatre roues pleines et très‑basses,
pouvant passer par tous les chemins. C'étaient des vraies
maisons roulantes faites de bois, de cuir et d'osier. Ce grand
historien ajoute que pour franchir le fleuves, comme pour
remonter ou descendre le courant, les Wisigoths se servaient
d'embarcations faites de cuir recouvrant des carcasses de
roseaux ou bien d'osier, et qu'on pouvait transporter ces
embarcations à dos d'hommes.
Quel est le
point qui a été choisi pour la fondation de cet oppidum? C'est
l'extrémité d'un vaste plateau qui domine au nord et au couchant
les deux passages qui mettent le massif des Corbières en
communication avec les Pyrénées.
Au point de vue
stratégique, l'emplacement d'un camp retranché, destiné à
devenir un grand centre de population, ne pouvait être mieux
choisi.
Presque
inabordable de trois côtés, ce camp pouvait être facilement
défendu du côté du levant touchant l'immense plaine dite de
Lauzet, dans laquelle pouvait se mouvoir une nombreuse armée.
Les Wisigoths avaient appris à l'école
des Romains, leurs ennemis, la castramétation, et nous en
trouvons la preuve dans les dispositions du camp de Rhedae.
Nous allons essayer de démontrer comment
les Wisigoths furent amenés à établir leur premier campement aux
lieus qui prirent le nom de Rhedae.
II
Après avoir
franchi le Summum Pyreneum, par le passage de la Cluse,
aujourd'hui le Pertus, qu'avait traversé Annibal, et que Pompée
avait décoré d'un de ses trophées, les Wisigoths s'emparèrent,
en 404, de la ville de Collioure, Caucoliberis, et firent
la conquête du Roussillon, de cette contrée qui, quelques
siècles auparavant, avait formé un territoire indépendant sous
le nom de Pays des Sardons.
Une fois
maîtres du Roussillon, ils pouvaient pénétrer dans la Gaule
Narbonnaise par deux chemins.
L'un, situé
le long du littoral, conduisait directement à Narbonne. L’autre,
qui remontait vers l'ouest, en suivant le cours de la Gly,
traversait dans toute sa longueur le bassin enserré entre la
dernière chaîne des Corbières et les premiers contreforts des
Pyrénées, et aboutissait à la région montagneuse où commence
aujourd'hui, avec la forêt des Fanges, le département de l'Aude.
Le premier
de ces passages, fortement défendu pas les établissements
militaires des Romains, devait offrir une sérieuse résistance,
et ne pouvait être forcé que par une armée compacte et bien
organisée, tentant directement une attaque sur Narbonne. Tandis
qu'ils concentraient sur ce point leurs meilleures troupes, les
Wisigoths tentèrent de pénétrer, d'un autre côté, dans les
Gaules pas masses compactes. Ces masses ne formaient une armée,
mais bien une foule homogène, plus ou moins armée, voyageant
avec ses tentes, ses chariots, ses animaux domestiques. Cette
armée humaines longea la chaîne des Corbières qui, du cap de
Leucate, aboutit au pic de Bugarach, et vint s'échouer à
l'extrémité supérieure du bassin du Roussillon. Arrivée là, elle
se divisa en deux tronçons dont l'un suivit la vallée de la
Boulzanne qui va à Axat, en longeant le côté sud de la Forêt des
Fanges, tandis que l'autre, franchissait le col de Saint‑Louis,
et suivant la vallée Arèse, dont il est souvent question dans
les anciennes chartes sous le nom de valles arida, se
dirigeait vers le nord, à travers ces plis de terrain où furent
plus tard créés les villages de Saint‑Louis et de Saint‑Just, et
aboutissait à une immense plaine où fut établi le campement qui
devint la cité de Rhedae...
L'itinéraire
que nous venons de tracer, pour marquer l'un des épisodes les
plus intéressants de l'invasion des Wisigoths dans la
Narbonnaise est le résultat de minutieuse investigations. Les
études historiques et les travaux de statistique générale ont
eu, dès le commencement de ce siècle, des adeptes aussi fervents
que consciencieux dans le département des Pyrénées‑Orientales.
Une partie de ce département comprenant le Capcir, la Corbière
de Sournia, le Pays de Latour et le Comté de Fenouillèdes, était
enclavée dans le diocèse d'Alet. Ayant à nous occuper du
Rhedesium, dont le diocèse d'Alet a occupé, plus tard, presque
toute la superficie, nous avons dû rechercher tous les documents
qui avaient trait à cette partie de la province du Languedoc.
C'est ainsi que nous avons été amené à consulter avec fruit les
travaux de géographie ancienne et d'archéologie qui concernent
le département des Pyrénées‑Orientales. Les limites tracées par
la démarcation administrative doivent s'effacer quand il s'agit
de la recherche de faits historiques importants, se rattachant à
une contrée aujourd'hui morcelée, mais dont l'unification
remonte à moins d'un siècle. Nous avons dû, par conséquent,
embrasser, dans ce travail d'ensemble, l'étude historique de
tout le pays de Rhedae, sans nous préoccuper de la latitude
départementale sous laquelle se trouve aujourd'hui placée une
partie de cette contrée.
D'un autre
côté, nous avons considéré que le domaine de l'histoire
s'agrandit de jour en jour. On ne se borne plus, aujourd'hui, à
fouiller dans les livres et les chroniques qui parlent des
nations depuis longtemps disparues. On ne se contente plus de
passer au creuset de l'intelligence les légendes et les
traditions, pour en extraire, simplement, la partie historique.
On exhume du sol les vestiges du temps passé; on étudie les
ruines antiques, les squelettes des châteaux et des forteresses
dont l'existence se perd dans la nuit du temps. L'esprit cherche
à sonder les mystères de la création de ces monuments presque
anéantis, mais que la main de Dieu semble avoir conservés afin
qu'ils nous racontent, non pas les légendes, mais l'histoire des
siècles.
Tels sont
les éléments qui nous ont servi pour reconstruire le passé de
Rhedesium. L'itinéraire suivi par l'invasion wisigothe est
marqué par les vestiges de forteresse qui semblent autant de
jalons destinés à marquer le passage de cette nation
conquérante. La création de ces forteresses dans le Rhedesium
explique à son tour l'établissement de ces châteaux‑forts,
sentinelles chargées de la garde du chemin qui conduisait de
Rhedae en Ibérie.
Nous
consacrerons, dans la suite de ce récit, une étude particulière
à chacune de ces citadelles qui ont toutes joué un rôle
important dans l'histoire. Nous nous bornons à les signaler dans
cette première partie de notre travail qui se rapporte
exclusivement à la création de la capitale du Rhedesium.
III
Après avoir
cherché à établir la direction suivie par une partie de la
nation wisigothique pour envahir la région montagneuse de la
Gaule Narbonnaise, nous allons assister à l'installation de
cette peuplade sur le point où s'arrêtent les chariots de
voyage.
Lorsque,
après avoir franchi le col de Saint‑Louis, on aborde, ainsi que
nous l'avons expliqué, les hauts plateaux qui, du côté Nord,
dominent la vallée Arèse et font face à la forêt des Fanges, on
arrive bientôt dans une grande plaine sablonneuse, couverte de
buis et de bruyères, qui, du village de Bezu, se développe sur
une immense surface, et aboutit, vers l'ouest, après un parcours
de huit à dix kilomètres, au pied du mamelon où s'élève le
village de Rennes‑le‑Château. Là, le terrain se resserre entre
deux collines, l'une au midi, complètement dénudée, l'autre au
nord, sur laquelle est bâti le village.
Ce terrain
en surface plane est coupé par un ruisseau coulant de l'est à
l'ouest.
Ce ruisseau,
alimenté par une source de caractère intermittent, est presque à
sec pendant l'été; mais en hiver, il met en jeu un moulin.
C'est sur
cet emplacement que se dressa le campement wisigothique, cet
embryon d'une puissante cité. Les preuves abondent pour marquer
exactement la place, ubi Troja fuit, comme dit le poète.
Des restes de substructions éparpillés sous le sol, des briques
à crochets et des tessons de poteries antiques qu'on en a
exhumés, enfin des débris d'armes soulevés par la pioche, à
certaine profondeurs, ne laissent aucun doute à cet égard.
Naguère encore, il y a deux ans à peine, un habitant du village
de Rennes‑le‑Château, en faisant une tranchée pour la
construction d'un mur, découvrit une large dalle qui, ayant été
soulevée, mit à découvert une foule d'ossements humains. C'était
un amoncellement de débris de squelettes enfermé sur les quatre
côtés par de larges dalles posées de champ. La profondeur de cet
ossuaire ne put être vérifiée, car on s'empressa de remettre en
place les dalles qui en recouvraient l'orifice, tant est grand
le respect qu'ont nos populations pour les sépultures. Le lieu
où fut faite cette découverte, s'appelle en patois La
Capello, la chapelle.
Il y avait donc,
sur ce point, un édifice religieux et un lieu de sépulture
remontant l'un et l'autre à une haute antiquité.
Si nous
recherchons maintenant des preuves à l'appui de notre opinion
sur l'origine wisigothique de la cité de Rhedae, nous en
trouvons de diverses sortes.
En premier
lieu, nous constatons la découverte récente, au lieu dit
Roquefumade, à proximité de Rennes‑le‑Château, de plusieurs
tombeaux isolés ou groupés au fond d'une vallée et affectant
tous la même forme que la sépulture découverte au lieu dit La
Capello, c'est‑à‑dire composés de grandes dalles brutes
juxtaposées, et dont les parois et le couvercle formaient une
imitation des tombeaux mérovingiens. Or, l'érection des tombeaux
mérovingiens qui existent dans le nord et dans le centre de la
France remonte à une époque qui correspond à l'installation des
Wisigoths dans la Narbonnaise.
Nous avons
remarqué, en outre, comme indice d'une origine wisigothique, la
forme ovoïdale des fortifications qui entouraient la forteresse
enclavée dans l'enceinte de Rhedae, et qui à été remplacée par
le village actuel. Enfin, nous trouvons une dernière preuve dans
la similitude qui existait entre la citadelle de Rhedae et la
cité de Carcassonne.
Il est
impossible de préciser quelle fut, dès le début, l'importance de
l'oppidum appelé Rhedae. Néanmoins, on peut supposer, d'une
manière assez plausible, que ses commencement ne furent pas
aussi modestes que ceux de certaines cités et de certains
centres de population qui s'appelèrent au moyen‑âge, d'abord des
villariae, puis des bastides, et dont l'éclosion et le
développement ne se produisaient qu'à la longue, et souvent
d'une façon bien restreinte. En effet, tout concourt à faire
supposer que le campement des Wisigoths fut, de prime‑abord, un
établissement de grande importance. Ce n'est point ici une
poignée d'aventuriers ou de nomades qui viennent planter les
piquets de leurs tentes et jeter les bases d'une cité qui mettra
des siècles à se peupler. Ce n'était pas une ébauche de colonie
tentée sur un sol plus ou moins hospitalier, avec le projet d'y
attirer des habitants. La cité de Rhedae était peuplée avant
d'être créée. Les chariots de voyage ont été dirigés sur ce
point choisi d'avance, et les roues de ces chars se sont, pour
ainsi dire, incrustées dans le sol. Les chefs des wisigoths,
qu'on se représente comme ces chefs de clans qui commandent de
nos jours dans l'Herzégovine ou le Monténégro, ont dirigé leurs
tribus vers ce plateau isolé, au milieu du massif montagneux, et
y ont planté la pointe de leurs épées, pour prendre possession.
Cette conquête n'offre aucune analogie ni avec les procédés des
légions romaines créant des colonies mixtes, mais où domine
l'élément vainqueur, ni avec l'invasion des Vandales qui
n'avaient pour but que le pillage et la destruction. C'était la
migration d'un peuple qui venait greffer sa nationalité vivace
sur les restes de la race Gauloise, pour fonder cette nation
gallo‑gothique qui résista si longtemps à la domination et puis
à la puissance des Francs.
IV
La cité de
Rhedae, la capitale du diocèse Rhedensis, est fondée. Quel sera
son rôle dans l'histoire du midi de la Gaule? C'est ce que nous
allons examiner.
Ce rôle fut
sans doute de peu d'importance pendant les premières années de
son existence, car pendant le cours du cinquième siècle, les
Wisigoths, maîtres de Toulouse, dont ils avaient fait leur
capitale, avaient étendu leurs conquêtes jusqu'au Rhône et
jusqu'à la Loire.
Quel rôle
pouvait dons avoir un oppidum placé dans une contrée qu'aucun
ennemi ne menaçait? Comme place de guerre, il n'avait pas une
grande utilité. Comme agglomération d'habitants, il était loin
d'offrir l'agrément de Carcassonne et de Narbonne, ses voisines.
Ce fut, peut‑être, pendant cette première phase de son
existence, qu'un vaste établissement, moitié camp, moitié ville,
entouré d'une de ces défenses primitives faites de terre et de
madriers plantés en pilotis, et semblable à ces villes
improvisées qui naissent, de nos jours, dans certaines contrées
de l'Amérique.
Ce ne fut
qu'au commencement du VIe siècle que l'oppidum
portant le nom de Rhedae se transforma en place de guerre
complète.
Après la
bataille de Vouillé, en 507, lorsque Clovis, mettant la question
religieuse au service de son ambition, eut écrasé les Wisigoths,
sous prétexte de combattre l'arianisme, les destinés de la Gaule
furent complètement changées. La nation wisigothe fut refoulée
au pied des Pyrénées et la Gaule fut au pouvoir des Francs. La
domination expirante des vaincus ne céda qu'après une lutte
acharnée. De grandes batailles eurent lieu dans cette vaste
plaine qui s'étend entre Toulouse et Carcassonne; car la
première de ces cités était la métropole et la seconde l'un des
principaux arsenaux d'Alaric II. Pendant l'année qui suivit la
bataille de Vouillé, les échos des Corbières et de la
Montagne‑Noire entendirent souvent le farouche cri de guerre des
soldats de Clovis répondre aux incantations qui, comme une
mélopée antique, s'élevaient, aux heures du crépuscule, dans
l'armée wisigothique. La montagne qui porte le nom du malheureux
roi, la montagne d'Alaric, située aux environs de Lagrasse, fut
le dernier champ de bataille que défendit sans succès la nation
vaincue: mais la lutte n'était pas finie.
Les
Wisigoths avaient été refoulés en Espagne, mais en gardant un
pied dans la Gaule. Ils conservaient, outre le Roussillon, un
lambeau de la Narbonnaise. Ce lambeau se composait de tout le
territoire qui s'étend au nord jusqu'à la Montagne‑Noire, à
l'est jusqu'au Rhône, à l'ouest jusqu'au fleuve Atax. Narbonne
se trouvait être au centre de cette possession. Carcassonne
était ville doublement frontalière, puisqu'elle gardait les deux
points extrêmes de la Gothie au nord et au couchant. Le royaume
des Wisigoths eut pour capitale Tolède, la fière cité espagnole.
Narbonne fut le chef‑lieu de cette nouvelle province qui fut
appelée Septimanie, et Carcassonne devint le siège de l'un des
diocèses de cette province.
La chute de la
domination wisigothe dans les Gaules fut l'aurore de la
puissance de Rhedae. Placé sur une éminence qui commande la rive
droite du cours supérieur de l'Aude et qui domine la vallée de
la Salz qui est le grand chemin des Corbières, cet oppidum
acquit, immédiatement, une grande importance comme gardien des
marches et des frontières. Les Wisigoths en firent alors une de
leurs places de guerre les plus importantes.
En 563, à la
suite de guerres politiques, et aussi des luttes religieuses
qu'avait provoquées l'hérésie des Sabellins, le roi Hilpéric,
après avoir dépouillé deux de ses frères, devint le maître d'un
vaste territoire qui n'avait d'autres limites que le cours de
l'Aude depuis les Pyrénées jusqu'à Carcassonne, puis la
Montagne‑Noire et les Cévennes, et enfin une ligne qui, partant
des Cévennes, allait aboutir à la Méditerranée sur un point
rapproché du port d'Agde, lequel se trouvait au pouvoir des
Wisigoths. La province de Septimanie se trouva bien amoindrie
par la conquête du roi Franc.
Il est donc
de toute évidence que, pendant le cours du sixième siècle, la
Septimanie était bornée du côté du couchant par le fleuve Atax,
et que, par conséquent, une ligne de défense dut être établie
sur la rive droite de ce fleuve par les chefs wisigoths. Rhedae
devint alors importante cité. Elle fut entourée de remparts et
flanquée de deux citadelles. Ce fut un des boulevards de la
province, et elle devint le centre d'une région, le chef‑lieu
d'un diocèse qui porta son nom et qui s'appela le Rhedesium.
Mais Rhedae
ne pouvait être un point isolé, chargé exclusivement de la
défense d'une longue ligne frontière, qui s'étendait depuis
Carcassonne jusqu'au cœur des Pyrénées. La rive du fleuve se
garnit de forteresses qui étaient autant de dépendances de
Rhedae.
Ces diverses
places de guerres, tout en gardant les marches et les défilés,
formaient autour de Rhedae une ceinture infranchissable. Elles
couvraient le Rhedesium depuis les bords de l'Aude jusqu'au
diocèse de Narbonne.
Quand on se
rend compte de la situation faites aux Wisigoths à la suite des
conquêtes de Clovis, quand on examine avec soin l'énergique
résistance qu'ils opposaient pendant les VIe et VIIe
siècles aux entreprises des rois Francs, afin de se maintenir
sur ce lambeau de territoire qui s'appela la Septimanie, on
comprend le rôle important que joua, à cette époque, la cité de
Rhedae si bien placé pour la résistance.
Si nous
avions besoin d'une autre preuve pour faire ranger la cité de
Rhedae au rang des cités importantes de la province, nous
trouverions dans le passage du poème de Théodulphe que nous
avons cité, et qui ainsi conçu:
"Inde revidentes te, Carcassonna, Rhedasque
Menibus inferimus nos, cito, Narbo tuis".
La cité que
le prélat visitait deux fois comme commissaire de l'empereur
Charlemagne, et qu'il mettait au même temps que Carcassonne,
devait occuper une place marquée dans la Septimanie.
V
Nous allons
maintenant, reconstruire par la pensée de Rhedae et la présenter
à nos lecteurs tels qu'elle fut à dater du VIIe
siècle.
La ville se
développait sur une superficie que l'on peut comparer à celle
que recouvre la ville de Carcassonne dans l'enceinte de ses
boulevards. Elle était environnée d'une double enceinte de
murailles. Elle était bordée au couchant par un précipice qui en
rendait l'accès impossible. Du côté du Nord, elle se reliait,
par une forte rampe, à une forteresse qui occupait l'emplacement
du village actuel, et qu'on appelait Castrum Rhedarium ou
Castrum de Rhedae. Le côté du levant, qui était le seul
abordable, faisait face à une plaine immense qui s'étend à perte
de vue, et dont la plus grande partie forme encore de nos jours
une lande sauvage couverte de buis et de bruyères. Une seconde
forteresse, dont il ne reste plus de vestiges, s'élevait du côté
du midi, à une distance de cinq cents mètres environ des
remparts. Cette forteresse était construite sur un mamelon de
marne rouge qui porte un nom significatif. Ce mamelon qui domine
la plaine environnante s'appelle le Casteillas, mot
patois qui signifie grand château. Il était séparé de la ville
par une profonde coupure de terrain formant un grand fossé
irrégulier, dans lequel pouvait se déverser les eaux du ruisseau
qui traverse la plaine du levant au couchant.
La cité de
Rhedae possédait deux églises, l'une sous l'invocation de la
Sainte‑vierge, l'autre sous le vocable de Saint‑Jean‑Baptiste.
On peut se faire
à l'idée approximative du chiffre de la population tant civile
que militaire renfermée dans la cité et ses deux citadelles, par
un élément d'approximation que nous a conservé une tradition
locale consistant en ce fait que l'on comptait à Rhedae quatorze
étals de boucherie.
Des débris
d'amphores et des médailles latines trouvés, autrefois, sur
divers points du terrain où, d'après nous, cette ville était
bâtie, prouvent que c'est bien sous la domination wisigothe
qu'elle avait acquis son entier développement, au VIe
et au VIIe siècles. Les restes de substructions
trouvés sur divers emplacements et la configuration du terrain
sont aussi de puissants éléments d'appréciation pour se rendre
compte des dimensions qu'avait cette importante cité.
Un couvent
de moines qui, d'après la tradition, était garni de moyen de
défense, s'élevait près de l'entrée de la ville, du côté du
levant.
Le
Castrum de Rhedae, la citadelle placée au nord de la ville,
occupait tout le plateau sur lequel est bâti le village actuel.
Seulement, le village offre de grands espaces verts comprenant
presque les deux tiers de la superficie du plateau. Ni le temps,
ni la main des hommes n'ont changé à la forme de cette masse
rocheuse qui, coupée et taillée en forme de cône tronqué, domine
la plaine de tous les côtés. Les assises de rochers qui
supportaient les murs d'enceinte ont résisté à l'action des
siècles, et la régularité de leurs formes architectoniques
prouve que des travaux dirigés par des hommes compétents sont
venus en aide à la nature pour faire de ces rochers le
soubassement d'une double enceinte de murailles. Les antiques
bastions ont disparu, les fossés sont comblés, mais on voit
intacte cette corniche colossale de marne rocheuse qui dessine
l'ovale parfait des fortifications.
La citadelle
avait deux entrées, l'une au levant qui ouvrait sur la campagne,
l'autre au midi qui la mettait en communication immédiate avec
la ville par une forte rampe.
A l'exemple
des villes romaines, les cités wisigothes, même quand elles
étaient places de guerres, étaient divisées en quartiers
désignés suivant leur affectation spéciale. Elles constituaient
alors souvent une ou deux villes dans l'enceinte de la ville,
une ou deux citadelles dans la citadelle. Nous en trouvons un
exemple dans la cité de Carcassonne. La citadelle de Rhedae
était dans les mêmes conditions. Elle était divisée en trois
quartiers qui existent encore dans le village actuel, et qui
portent les mêmes noms traduits en patois. Le premier appelé
Castrum valens, du côté du levant, s'appelle de nos jours
Castel de balent. Le second, placé au midi, s'appelait
Castrum Salassum, on l'appelle la Salasso. Enfin, le
troisième désigné sous le nom de Capella s'appelle la
Capello.
Le premier
quartier, appelé le Castrum valens, tirait son nom d'une
porte, bastionnée et garnie de fortifications, placée à l'entrée
de la citadelle du côté du levant, c'est‑à‑dire du côté le plus
exposé aux attaques de l'ennemi, car il faisait face à la
plaine. Il est facile, en visitant les lieux de retrouver les
traces du Castrum valens, du château‑fort.
Ce que l'on
appelle aujourd'hui la Salasso, est une place, une aire à
battre le grain, formant plateforme et communiquant, du côté du
midi par un talus fortement incliné avec la plaine où la ville
était bâtie. En grattant le sol, on trouve à la Salasso
des couches de maçonnerie qui indiquent qu'il existait sur ce
point un autre château‑fort. La tradition locale affirme
l'existence de ce fort qui mettait la ville en communication
avec la citadelle. Cette tradition ajoute qu'après la
destruction de la ville, la citadelle, qui était en bon état de
défense, dura plusieurs siècles, que le fort de la Salasso
contenait un magasin à poudre, et que pendant un siège, le feu
ayant pris au magasin à poudre, l'explosion entraîna la
destruction de tout un quartier et d'une partie des remparts.
Enfin, on
remarque, dans le troisième quartier appelé la Capello,
les vestiges d'une ancienne église.
Les
fortifications qui entouraient la citadelle de Redhae n'ont pas
complètement disparu. Sur certains points de l'antique enceinte,
les assises de roc vif qui ont conservé leurs aspérités
supportent quelques pans de murs formés de pierres de taille
cubique, à six faces, mesurant 24 ou 25 centimètres de côté. Une
seconde enceinte construite avec des matériaux semblables,
s'élevait à quelques pas de la première, mais on en trouve à
peine quelques traces. C'est tout ce qui reste des
fortifications primitives de la citadelle wisigothe. La première
enceinte a été reconstruite après la guerre des Albigeois, et
une partie de ces nouvelles murailles existe encore se soudant,
par places, à quelque lambeau des remparts wisigoths.
Une fontaine
souterraine, qui à la forme d'un citerne, a sa source sous les
remparts du côté du nord; elle ne tarie jamais.
Tel est le
tableau que nous offre, dans le passé, la principale citadelle
de Rhedae qui, à cause de son importance, formait une seconde
cité à côté de la première. C'était la ville haute dominant la
ville basse et pouvant la défendre et la protéger efficacement.
Quant à la
seconde forteresse qui existait sur le mamelon qui porte le nom
de Casteillas, la tradition ne nous a rien conservé. Nous
savons seulement que lors de la destruction de Rhedae, l'ennemi
s'empara d'abord de Casteillas et dirigea, de ce point élevé,
ses attaques sur la ville.
VI
Après avoir
esquissé le tableau qu'offrait, au VIIe siècle, la
ville de Rhedae avec sa citadelle et son castellum ou
forteresse, il nous reste à examiner quel fut le rôle de la
capitale du Rhedesium pendant l'époque wisigothique.
Le pouvoir
des rois wisigoths, déjà bien affaibli par leur lutte contre
Clovis, reçut le dernier coup quand le vainqueur de Tolbiac se
fut rendu maître de Toulouse en 508. Son fils Childebert
continua la guerre, mais il ne put refouler entièrement les
vainqueurs au‑delà des Pyrénées. Il ne put même tenter
d'attaquer Carcassonne qui avait résisté à Clovis. Néanmoins,
les armées du roi Frank cernaient les Wisigoths qui auraient
fini par être complètement chassés de la Gaule, si après la mort
d'Alaric II tué dans la fameuse bataille qui porte son nom, son
fils Amalric n'avait été efficacement secouru par son
grand‑père, Théodoric, roi des Ostrogoths. Le mariage du jeune
Amalric avec la princesse Clotilde, fille de Clovis, mit fin à
cette longue guerre. De leur ancien royaume dans la Gaule
Narbonnaise, les Wisigoths ne conservèrent que la province de
Septimanie, et encore cette province fut‑elle circonscrite dans
d'étroites limites.
C'est à
cette époque (501) que la ville de Redhae commença à jouer un
rôle important. Les Franks avaient enlevé aux Wisigoths les
cités de Toulouse et d'Uzès. Toulouse était la métropole de la
province de Gothie en même temps que la capitale du royaume. Le
fils d'Alaric II, après avoir transféré à Tolède le siège de la
capitale, choisit Narbonne comme cité métropolitaine. Puis,
comme il voulait que la province de Septimanie conservât sept
cités diocésaines, il érigea deux nouvelles cités pour remplacer
Narbonne et Uzès. Il choisit Elne et Rhedae; mais, suivant un
usage emprunté aux Romains, les noms des deux nouvelles cités
furent changés dans l'édit d'investiture. Tandis que la ville
d'Elne appelé jusqu'alors Helena prenait le nom de Citivas
Elnensis, Rhedae fut appelé Citivas Attacensis, la cité du
fleuve Atax ou du pays d'Atax.
Les
historiens n'ont eu qu'une vague intuition de ce changement de
désignation, et, ne pouvant se mettre d'accord sur la
signification du mot Citivas Attacensis, ils ont laissés le
problème sans solution. Tel est l'avis de CATEL et de BESSE qui,
discutant un passage de SCALIGER, écartent tour à tour les
diverses interprétations admises par leurs prédécesseurs. Ils
reconnaissent qu'il ne peut être question de Carcassonne qui
était depuis longtemps cité de premier ordre, ni de Limoux qui
était loin d'avoir une pareille ambition, mais ils s'abstiennent
de conclure. Ils n'ont pas songé à Rhedae qui était de création
récente; et pourtant c'est bien la ville de Rhedae qui dans
cette édit porte le nom de Citivas Attacensis. Nous appuyons
cette assertion de diverses preuves.
En premier
lieu, Rhedae était le chef‑lieu d'une vaste contrée qui portait
son nom Pays de Rhédez. En outre, la cité de Rhedae devint à
cette époque cité diocésaine, car le Pays de Rhédez fut désigné
comme diocèse, terme emprunté à l'organisation administrative
des Romains qui appelaient ainsi une section de province ayant
un gouvernement particulier.
Quand le roi
Reccared, après avoir abjuré l'arianisme, organisa les évêchés
de la Septimanie, il fut question de placer un évêque à Rhedae,
mais le prélat qui occupait le siège de Carcassonne s'y opposa
et obtint d'être maintenu comme évêque de Carcassonne et du
Rhédez.
Seulement,
on créa à Rhedae un archidiaconé qui était régi par un chanoine
de Carcassonne.
Néanmoins,
cette idée de la création d'un évéché distinct à Rhedae se
produisit plus tard. Dans le concile qui fut tenu à Narbonne en
788, l'évêque d'Elne, Wanedurius, prétendit que la ville de
Rhedae étant cité diocésaine et chef‑lieu d'un comté devait
avoir son évêque particulier, au lieu d'être une dépendance de
l'évêque de Carcassonne. Cette demande ne fut pas admise ; mais
en vertu d'une décision de ce concile, le diocèse de Rhedae fut
distrait de celui de Carcassonne et uni pour le spirituel à
l'archevêché de Narbonne à cause de la dignité du primat de la
Gaule.
L'évêque de
Carcassonne avait été, du reste, bien inspiré quand sous le roi
Reccared il avait insisté pour que le diocèse de Rhedae demeurât
uni à celui de Carcassonne. En effet, sous le règne du roi
Wamba, en 680, le siège épiscopal de Carcassonne fut occupé par
un évêque arien soutenu par ce roi, et le prélat orthodoxe
établit sa résidence à Rhedae, d'où il administrait les deux
diocèses.
VII
Nous venons
de voir la situation de Rhedae au point de vue religieux sous
les rois wisigoths. Il nous reste à examiner sous quel régime
administratif cette ville et son territoire se trouvèrent
pendant la même époque. Durant les premiers temps qui suivirent
la fondation de cette cité guerrière, elle fut placée sous
l'autorité du comte ou consul qui était à la tête du diocèse de
Carcassonne et administrée par un vice‑consul qui portait le
titre, Vic Arius, d'où vint plus tard le terme de Viguier. Quand
cette ville eut été érigée au rang de cité par le roi Amalric,
le pays de Rhedae prit le titre de comté et eut pour gouverneur
militaire et civil un comte ou consul.
Cette
institution fut confirmée vers la fin du VIIIe siècle
par le roi Wamba quand il réorganisa les diocèses de la
Septimanie, et qu'il en fixa les délimitations.
Le comté au
diocèse de Rhedae confrontait alors du côté du midi au diocèse
d'Urgel, au levant il touchait aux diocèses d'Elne et de
Narbonne et au nord au comté de Carcassonne. Du côté du
couchant, il était pays frontière, car il longeait, sur les
rives de l'Atax, le royaume des Franks.
Il convient
d'interpréter cette question de frontière entre les deux
royaumes d'une façon plus large que ne l'ont fait quelques
historiens. Ce n'était pas strictement le cours de l'Atax qui
formait la séparation entre le territoire des Franks et celui
des Wisigoths. M. CROS‑MAYREVIEILLE, dans son histoire du comté
de Carcassonne, nous apprend, en effet, que les limites qui
séparaient le Carcassez de l'Aquitaine au nord et à l'ouest
s'arrêtaient aux forts de Cabardés et de Montréal qui
appartenaient aux Wisigoths. Nous avons tout lieu de croire que
les châteaux wisigothiques d'Alayrac, Rouffiac et Cépie
formaient aussi l'extrême frontière, sur la rive gauche de
l'Aude dans le comté de Carcassonne.
Quant au
comté de Rhedae, il était défendu sur la même rive du fleuve par
les tours ou châteaux de Cornanel, Roquetaillade, Antugnac et
Brenac que les rois wisigoths avaient construits pour se garder
contre leurs redoutables voisins. A partir de la vallée de
Brenac qui relie les bords de l'Aude avec le Pays‑de‑Sault, la
frontière du territoire des Wisigoths se dirigeait vers l'ouest,
puis se dirigeant vers Belesta allait rejoindre en Espagne le
royaume des Goths. Le Pays‑de‑Sault, le Donazan et le Capcir se
trouvaient dons enclavés en entier dans le comté de Rhedae.
Telle était
la situation du diocèse de Rhedae quand l'invasion des Sarrazins
vint mettre fin au règne des rois wisigoths dans la Septimanie,
et changer les destinées de la cité de Rhedae.
VIII
Nous
passerons rapidement sur les destinées de Rhedae pendant la
domination des Sarrazins. Tout fait présumer que la cité
wisigothe fut considérée par les nouveaux conquérants comme une
place forte utile à conserver; car elle gardait les marches des
Pyrénées. C'était un point stratégique trop bien situé pour le
détruire et l'abandonner, puisqu'il assurait les communications
avec une longue ligne de frontières. Ce qui contribue à faire
admettre cette opinion, c'est que les Sarrazins avaient
construit au col de St‑Louis, c'est‑à‑dire à une courte distance
de Rhedae, une puissante forteresse dont on voit encore quelques
ruines, portant le nom de Château des Maures, et qui gardait la
voie militaire se dirigeant de la vallée de l'Aude dans le
Roussillon.
Du reste,
l'historien MARCA affirme que, pendant l'occupation sarrazine,
les archevêques de Narbonne, chassés de leur siège
métropolitain, se réfugièrent dans la cité de Rhedae. Enfin la
tradition nous vient en aide pour établir que la cité dont nous
nous occupons conserva, à cette époque, toute son importance;
car elle nous apprend que les Sarrazins fondèrent dans ses
environs quelques villariae, et entre autres un centre de
population aujourd'hui réduit à un modeste hameau peu distant de
Rennes‑le‑Château, et qui s'appelle la Maurine.
A travers
ces guerres permanentes, qui, pendant le VIIe siècle,
firent passer successivement le Rhedaesium sous la domination
wisigothe et sarrazine jusqu'au jour où Charlemagne s'en rendit
le maître, la capitale de cette contrée dut conserver toute son
importance. Un fait le prouve: c'est le dénombrement fait, en
782, des villages, et terres du Rhedaesium, appartenant à
l'église St‑Just de Narbonne, qui indique que cette contrée
n'était plus cette thébaïde, presque déserte, qui, pendant les
siècles précédents, ne comptait que de rares habitants dont les
cabanes se groupaient sous les murs des forteresses. Or, la
ville de Rhedae ne figure pas dans ce dénombrement, et, quelle
que fût la puissance des archevêques de Narbonne, ils n'avaient
pu faire entrer dans l'enclave de leur domaine ecclésiastique
l'antique cité wisigothe sur laquelle ils n'avaient qu'un droit
de juridiction épiscopale, droit qui fut consacré par une
décision du concile tenu à Narbonne en 788. D'un autre côté, la
transformation qui s'était opérée dans cette contrée par la
création de nombreux centres de population prouve aussi en
faveur de l'état fleurissant de la cité qui en était la
capitale. Enfin, les longues guerres que durent soutenir Pépin
et Charlemagne pour refouler les Sarrazins d'abord jusqu'aux
pieds des Pyrénées, puis au‑delà de cette barrière, rendaient
nécessaire la conservation d'une place‑forte qui était une
sentinelle avancée sur la frontière d'Espagne. Aussi, quand la
puissance du grand empereur eut été consolidée, quand il envoya
des messages royaux pour visiter les cités importantes de la
Septimanie, ces missi dominici signalèrent Rhedae au rang des
cités qui méritaient, pour ainsi dire, le titre de villes
royales.
Ce fut vers
cette époque que le Rhedesium fut morcelé par suite d'une
nouvelle organisation des diocèses situés sur les confins des
Pyrénées et dans les contrées avoisinantes. Le pays de
Fenouillèdes en fut distrait et forma un comté séparé. Le
Rhedesium qui avait été un diocèse important fut réduit à l'état
d'un modeste comté placé sous la dépendance des comtes de
Carcassonne. Le Pagus rhedensis conserva son autonomie,
mais il ne forma plus qu'un lambeau de territoire qui, dans les
siècles suivants, fut encore morcelé.
Néanmoins,
toute la contrée conserva cette désignation générale de
Rhedesium, mais le Rhedesium ne fut plus, à dater de cette
époque, que ce que dans le langage diplomatique moderne on a
appelé une expression géographique.
IX
Nous voici
arrivé à une phase de l'existence de Rhedae.
L'antique cité
wisigothe est devenue une ville comtale. Tantôt annexée au comté
de Barcelone tantôt soudée au domaine des comtes de Carcassonne,
elle occupe un rang important dans un de ces petits royaumes
taillés dans le grand royaume. Puis, en 957, le Rhedesium forme
un apanage distinct en faveur d'Odon, fils de la princesse
Ermessinde. Pendant un siècle, les successeurs d'Odon ou Eudes
furent comtes particuliers du pays de Rhedae, et cette période
marque la phase la plus éclatante de l'existence de la cité, qui
était la résidence permanente d'un seigneur souverain. A cette
époque, Rhedae joua un rôle presque aussi important que
Carcassonne. Point de cité rivale qui pût, sur le territoire
dont elle était la capitale, lui ravir la moindre part de son
influence. Limoux n'était qu'un modeste bourg nommé, par Pierre
de VAUX‑CERNEY: "Castrum limosun in territorio Redensi."
Alet était le siège d'une abbaye importante, mais autour de
laquelle ne se groupait qu'une villaria ou village. Quillan
était aussi un petit village faisant partie du domaine des
archevêques de Narbonne. La cité de Rhedae rayonnait donc comme
un astre au milieu des châtellenies, des prieurés, des bourgs et
des villages qui couvraient la contrée. Elle atteignit alors à
l'apogée de sa gloire; car, dans ses murs, c'est‑à‑dire à la
cour de ses comtes, se réunissaient les seigneurs féodaux de
Termes, de Pierre‑Pertuse, de Castelpor, de Puylaurens, d'ANIORT,
les abbés mitrés d'Alet et de St‑Polycarpe, les châtelains de
Carderone, de Castillon, d'Arce, de Blanchefort, de Brenac et
tant d'autres qu'il serait trop long d'énumérer. C'est aussi
dans Rhedae que se réunissaient fréquemment quelques riches
vassaux qui aspiraient à devenir des seigneurs châtelains, les
syndics des monastères de Cubière, de St‑Martin‑de‑Lys, et
enfin, les supérieurs des prieurés de Montazels, d'Espéraza, de
Luc, d'Arques et de Couiza.
X
Le rôle de
la cité de Rhedae s'amoindrit à partir du milieu du XIe
siècle, comme s'amoindrit aussi le territoire auquel elle avait
donné son nom. Raymond II fut le premier des comtes particuliers
du Rhedesium. Après sa mort, en 1062, le comté fur de nouveau
réuni à celui de Carcassonne.
Peu d'années
après, le 6 des nones de l'an 1067, Ermengarde, fille de Pierre
RAYMOND, comte de Carcassonne, et son mari Raymond BERNARD
vicomte de Béziers et d'Albi, vendirent à Raymond ROGER comte de
Barcelone et à Almodis, sa femme, le comté de Rhedae avec toutes
ses dépendances. Voici comment s'exprime cet acte: "Vendimus
tibi totum commitatum de Rhedae eum omnibus suis pertinentibus,
etipsos ambos castros de Rhedez...".
Il y a dans
cette vente une chose bien significative, et à laquelle ne se
sont pas arrêtés les historiens et les chroniqueurs; ce sont les
mots, ambos castros de Rhedez, que l'on a traduits par
les mots les deux châteaux de Rhedae. D'après nous, cette
interprétation n'a pas de sens. En effet, on remarque dans le
texte si clair et si complet de cette vente qu'il n'est pas
question, comme dans d'autres documents authentiques datant de
la même époque, de la cité de Rhedae proprement dite. Cet acte,
dans lequel tout est minutieusement détaillé, ne dit pas
cependant en termes textuels: vendimus tibi civitatem de
Rhedae.
Or, une
telle lacune ne peut pas exister.
Par conséquent
cette locution de civitatem de Rhedae, que l'on s'attend à
trouver dans cette vente, est remplacée par cette autre locution
plus explicite "ambos castros de Rhedae".
Voici
l'explication de cette variante, de cette nouvelle désignation.
Ces mots
ambos castros de Rhedae, signifient les deux villes
fortifiées de Rhedae, c'est‑à‑dire les deux cités jumelles, la
ville haute et la ville basse, ainsi qu'on a pu le dire deux
siècles plus tard, de la ville de Carcassonne.
Nous
n'insisterons pas plus longuement sur ce point capital qui jette
un jour tout à fait nouveau sur la cité de Rhedae.
Nous
cherchions des preuves à l'appui de notre thèse sur la
configuration de Rhedae, sur l'existence simultanée de la cité
wisigothique bâtie dans la plaine et de sa forteresse bâtie sur
le mamelon, et qui, enserrés toutes deux dans un ensemble de
fortifications, formaient deux villes dans une seule ville.
Cette preuve, la voilà.
Elle est
dans la vente en 1067.
Mais cette vente
contient bien d'autres choses. Elle est, pour ainsi dire,
l'armorial de Rhedae, le signe de son importance; car dans cet
acte authentique qui transmet au comte de Barcelone la propriété
du Rhedesium, on ne cite nulle autre cité, nulle autre ville,
pas même un bourg ayant assez d'importance pour être mentionné.
Cet acte
dit, après avoir désigné les deux villes fortes de Rhedae:
"Vendimus totos alios castellos qui in jam dicto comitatu sunt,
et totas illrum castellanias in super, et totas abbatias... cum
omnibus ecclesiis, villis, domibus et molendinis et
molendariis...".
Cette vente
mentionne aussi en détail tous les droits seigneuriaux attachés
au titre de comte de Rhedae. Ces droits étaient plus que
seigneuriaux, ils étaient régaliens, et les comtes de Rhedez qui
les exerçaient avaient pu marcher de pair avec les comtes de
Carcassonne et de Barcelone.
Enfin,
l'acte que nous dictons contient une cause finale relative aux
confrontations du comté.
En voici le
détail:
Au levant le comté de Narbonne.
Au midi, les comtés de Roussillon, du Conflent et de la
Cerdagne.
Au couchant le comté de Toulouse.
Au nord celui de Carcassonne.
Cela prouve
que le Comitatis Rhedensis, était bien plus important que
le Comitatus Carcassonnensis, car il enfermait dans son
enclave le Pays de Sault, le Donazan, le Pays de Fenouillèdes,
le Pays de Pierre‑Pertuze et le Pays de Termes.
Seulement la
plupart de ces territoires formaient des fiefs indépendants ou
des domaines ecclésiastiques, et, sur divers points de leur
petit royaume, les comtes de Rhedae n'avaient qu'un pouvoir
honorifique. Ils avaient beau exercer des droits souverains,
battre monnaie, établir des foires et des marchés, rendre la
justice et la faire rendre à leurs vassaux par leurs officiers,
leur puissance était souvent illusoire.
XI
A la suite
de cette vente de 1067, le Rhedesium ne fut plus qu'une annexe
du comté de Barcelone, et la cité de Rhedae ne fut qu'un simple
fleuron d'une couronne comtale. A cette clause d'amoindrissement
de la cité wisigothe, il convient d'en ajouter d'autres qui
furent la conséquence des graves événements qui survinrent dans
la province vers la fin du XIe siècle. Plusieurs
seigneurs ecclésiastiques refusèrent de se soumettre aux
seigneurs séculiers. D' un autre côté, l'élément bourgeois se
développait dans les centres de population un peu importants.
Enfin certains châtelains puissants se liguèrent entre eux pour
résister à l'autorité des comtes. Ces diverses circonstances
favorisèrent, dans le Rhedesium, le développement de certaines
villes qui commencèrent à jouer un rôle important au détriment
de Rhedae. Ce fut en première ligne Limoux qui, de simple bourg,
tendait à devenir la capitale de la contrée. Ce fut aussi Alet,
qui, sous l'influence de ses abbés mitrés, se transforma en une
ville offrant les avantages d'un site des plus agréables. Enfin
Caudiès et Quillan n'étaient plus de modestes villages
humblement groupés au pied des remparts des vieilles forteresses
wisigothes. Rhedae perdait ce que gagnaient ces villes rivales
mieux dotées sous le rapport du sol et du climat, à une époque
où le goût du luxe et du bien‑être se répandait dans la haute
classe et dans la classe bourgeoise. L'ancien oppodum
wisigothique assis sur un plateau sauvage n'offrait aucun
agrément. Les eaux vives, les fleurs, les beaux arbres, les
cultures potagères lui faisaient défaut. Rhedae commença dès
lors à déchoir de son rang.
Le pouvoir
des comtes de Barcelone sur le Rhedesium fut de courte durée, et
la comtesse Ermengarde rentra bientôt en possession du grand
fief qu'elle avait aliéné. Dans la lutte qu'elle soutint pour
reconquérir ses droits, elle fut énergiquement soutenue par ses
vassaux. Les officiers qu'elle avait préposés à la garde des
villes importantes se dévouèrent avec ardeur à sa cause, et
l'histoire rapporte que, en 1080, Bertrand, fils de Pons, qui
commandait pour elle dans la cité de Rhedae jura d'imiter la
conduite du gouverneur de Carcassonne et de défendre fidèlement
la cité de Rhedae, ses tours et ses forteresses. Quatre ans
après, Bertrand ATON, fils d'Ermengarde, prêtait serment de
fidélité à sa mère pour les deux forteresses de Rhedae, pro
ambi castris. Encore la même qualification que dans la vente
de 1067. La cité de Rhedae n'était plus la résidence des comtes.
Un
gouverneur ou viguier, vicarius y commandait pour eux. Ce
n'était plus le siège d'une cour, le point de réunion des
seigneurs de la contrée, mais c'était toujours la capitale du
Rhedesium, la place‑forte qui dominait la contrée, et à sa
possession était attachée la possession de toute cette contrée.
Pendant la
première moitié du douzième siècle, Rhedae conserve son
importance. Après Carcassonne, elle est toujours la première
ville du domaine des vicomtes. Après la mort de Bernard ATON, à
la suite d'un accord entre ses deux fils, le Rhedesium devint
l'apanage du plus jeunes des deux frères, Raymond TRENCAVEL,
vicomte de Béziers.
Un nouveau
traité intervint huit ans après, en 1150, et ce traité porte que
TRANCAVEL possèdera civitatem que dicitur Rhedas et omnem
regionem Redensem con omnibus castris et villis et
fortitudinibus qui ibi sunt.
Raymond
TRANCAVEL tenait à conserver Rhedae afin de s'assurer de
l'obéissance des seigneurs de la contrée, afin que son pouvoir
s'abritât dans cette région derrière les remparts de cette
antique cité défendue par une nombreuse garnison. C'est de là
que son autorité rayonnait sur les nombreux seigneurs châtelains
du voisinage, sur les abbés d'Alet, si puissant et si influents.
Il était à cette époque représenté à Rhedae par un viguier
appelé Pierre de VILAR, dont il récompensa les services, en lui
faisant don du village de Coustaussa, place en face de Rhedae,
sur le rive droite de la Salz.
La charte
portant cette donation est datée de 1157. Elle s'exprime ainsi:
"
Dono
tibi et infantibus tuis meam villam quae dicitur constantianum...
ad castellum ibi faciendum." Aux termes de cette charte, ce
village était entouré de fortifications, et Pierre de VILAR
devait y bâtir un château pour compléter les moyens de défense.
Le viguier du comte exécuta cette condition.
Le château
fut construit et d'après les ruines qui existent encore, on peut
se faire une idée de ce qu'il était quand les travaux furent
terminés. Pierre de VILAR se montra reconnaissant envers le
comte Roger qui lui avait fait don de cet important fief; car au
village de Coustaussou était attaché un vaste territoire. Aussi
quand le château qui était une forteresse eut été édifié, Pierre
de VILAR le plaça sous la sauvegarde de plusieurs seigneurs
comme lui feudataires du Comte. Dom VAISSETTE cite un acte de
serment, daté de 1172, par lequel Oton d'ANIORT, Ugo de
CARDERONE et Guillaume d'ARCE jurent sur les saints Évangiles
dans l'église de Limoux; de conserver et de défendre le château
de Coustaussa, au profit de son seigneur Pierre de VILAR,
viguier de Rhedae, et du comte Roger de BÉZIERS.
Le comte
Roger avait reçu, à titre de donation, en 1158, de son père
Raymond TRENCAVEL la ville de Carcassonne et la cité de Rhedae,
civitas Rhedensis. Cette donation fut confirmée par le
testament de Raymond de TRENCAVEL. Ce testament est en langue
romane.
Nous croyons
qu'on lira, avec intérêt, un fragment de cette pièce importante:
En R. Trencavel, per la graci de Deu vescoms de Bezers, ei
fag mon testamen... et ei laïssado tota ma terra à Roihairet de
Bezers... et daisso soun testimonis Jean Ratiers de Minerva, en
Ratiers de Caussada, en Bertrand de Saixac, en Esteve de
Serviès. Anno dominici MCLXX."
Un an après, le
comte Roger épouse Adélaïde, fille du comte de Toulouse, et lui
assigne pour douaire le Rhedesium et sa capitale, ainsi que le
bourg de Limoux: "Dono tibi Reddam eum toto comitatu
Reddensi et burgum Limosum eum suis partinentibus." Cet acte
est le dernier hommage rendu à la cité de Rhedae. Il constate,
d'après nous, le décès de la capitale du Rhedesium. On ne
l'appelle plus amba castri de Rhedez, on ne l'a nomme
plus citivas Rhedensis; enfin elle ne porte plus ce nom
de Rhedae qui avait acquis une signification particulière, car
il était mis au pluriel comme désignant deux villes dans une
même ville, la ville haute et la ville basse. On l'appelle
Rheda, la ville, c'est‑à‑dire une seule ville.
Après avoir
lu cet acte on présume que l'antique cité wisigothe a été
démembrée. Divers faits historiques, que nous allons grouper
succinctement, prouvent que cette conjoncture est fondée, que la
ville basse, la grande cité construite dans la plaine, a
disparu, et qu'il ne reste, de l'antique Rhedae, que sa
citadelle, la ville haute.
XII
Depuis que,
en vertu de la vente consentie, en 1067, par la comtesse Ermengarde, le Rhedesium état passé au pouvoir e Raymond Roger 1er
et de sa femme Almodis, moyennant le prix de onze cents onces
d'or, les comtes de Barcelone n'avaient jamais abandonné leurs
droits sur ce territoire. Pendant près d'un siècle, ils ne
purent faire valoir ces droits; car le comté de Barcelone était
séparé du Rhedesium par le comté de Roussillon, la Cerdagne et
le Conflent. Or, les comtes de Barcelone et les comtes de
Roussillon étaient souvent en lutte pour la possession du
Vallespir, du Pays de Bézalu et d'une partie du littoral, et la
conquête du Rhedesium aurait pu avoir cette conséquence, que
cette contrée, au lieu d'agrandir le domaine des seigneurs de
Barcelone, aurait pu tourner au profit de leurs redoutables
voisins, les seigneurs de Roussillon. Cet état de choses dura
jusqu'au jour où le roi d'Aragon, Alphonse II, qui était comte
de Barcelone fut assez puissant pour revendiquer les droits
qu'il prétendait avoir sur le Rhedesium. Les annales du
Roussillon ont conservé le souvenir de ce fait historique.
Alphonse II devint comte de Roussillon, en vertu d'un testament
en date du 4 des nones de juillet 1172, par lequel Gérard, fils
de Gausfred II, seigneur de ce comté l'institua son héritier,
bien qu'il n'eut pas des droits, ainsi que le déclarait le
testateur. La barrière qui séparait le comté de Barcelone du
Rhedesium n'existait plus. Une fois maître du Roussillon,
Alphonse II put réaliser ses projets ambitieux.
Il était
déjà en guerre avec Raymond V, comte de Toulouse, et dès le
début de cette guerre il avait, de gré ou de force, entraîné
dans son parti Roger II, comte de Béziers, du Carcassez et du
Rhedesium. On remarque une certaine confusion dans les récits
des historiens au sujet de la part que prit celui‑ci dans la
lutte qui avait éclaté entre ses deux puissants voisins. Nous
n'avons pas la prétention d'apporter la lumières dans ces
ténèbres. Nous nous bornerons à constater qu'après avoir été, en
1167, l'allié du roi d'Aragon, le vicomte de Béziers du prendre
parti, peu de temps après, pour le comte de Toulouse, puisque
deux actes importants constatent le parfait accord qui existait
entre eux en 1171. Le premier de ces actes est la promesse, sous
forme de serment, par laquelle le comte de Toulouse s'engage à
prêter aide et protection à Roger. Le second de ces actes est le
mariage de Roger avec Adélaïde, fille du comte Raymond. Nous
sommes donc fondé à croire que le roi d'Aragon avait déjà, à
cette époque, tourné les armes contre le vicomte Roger et avait
envahi le Rhedesium pour en faire la conquête.
C'est de
cette époque que date la destruction de Rhedae. C'est en 1170 ou
1171 que l'antique cité wisigothe succomba sous les coups du roi
d'Aragon. Mais si la ville proprement dite fut complètement
rasée, la citadelle demeura debout, dominant de sa masse
imposante toute la contrée. Voilà pourquoi le vicomte Roger,
dans les clauses de son contrat de mariage avec la comtesse
Adélaïde, ne put lui assigné pour le domaine que Rhedam,
la citadelle, la ville fortifiée avec les terres qui en
dépendaient. Nous n'avons pas à faire ici une nouvelle
description de cette citadelle qui était à ce point fortifiée et
placée dans une position tellement avantageuse qu'elle aurait pu
résister plus tard aux attaques de Simon de MONTFORT, si elle
avait été suffisamment garnie de troupes pour la défendre.
Il paraît que le
roi Alphonse II ne retira pas de sa conquête tous les fruits
qu'il en espérait. Il avait bien pu ravager toute la contrée, il
avait pu s'emparer de la cité de Rhedae et la détruire, mais son
pouvoir ne put jamais se consolider dans le Rhedesium. Nous
avons vu, en effet, qu'en 1171, le comte de Roger assigna pour
le domaine à la comtesse Adélaïde Reddam cum toto comitatu
Reddensi. Il protesta contre l'invasion espagnole, et se
sentait soutenu par les seigneurs, ses vassaux.
C'est à
cette époque que Pierre de VILAR, qui n'avait pu défendre Rhedae
parce qu'il n'avait pas des forces suffisantes, formait une
ligne avec plusieurs puissants seigneurs de la contrée qui
juraient, sur les saints Évangiles, de défendre le château de
Coustaussa, dont il est feudataire.
Pons
d'Amely, abbé d'Alet, se mettait sur la défensive en restaurant
le château, cette ancienne forteresse wisigothe, et en entourant
la ville de remparts et de fortifications.
L'archevêque de
Narbonne, qui possédait Quillan et divers autres bourgs ou
villages qui l'avoisinent, résistait aux prétentions du roi
d'Aragon.
Le seigneur de
Termes mettait en état de défense les châteaux d'Auriac,
d'Albières et ses villages voisins du Rhedesium.
Alphonse II
était réellement le maître de la partie du Rhedesium qui
avoisine le Roussillon. Il occupait les châteaux de Pierre‑Pertuze,
de Quéribus et leurs dépendances. Il avait en son pouvoir les
forteresses qu’avaient créées les Wisigoths, Castel‑Fizel,
Puylaurens, dans les Pays de Fenouillèdes, ainsi que le château
de Fenouillet qui commandait ce comté. Il possédait, enfin, le
territoire qui s'étend jusqu'à la vallée de l'Aude d'un côté et
jusqu'à la vallée de la Salz de l'autre; et c'est au confluent
de ces deux rivières, sur le point qu'occupe actuellement le
château de Couiza, que se trouvait la limite de sa conquête. Il
existe, en effet, en face de ce château, une masse rocheuse
formant un plan incliné dont la base plonge dans l'Aude, et qui
se redresse comme une arête colossale jusqu'au point culminant
qui domine la vallée.
Cette assise
de marne rocheuse qu'on dirait taillée par la main de l'homme
s'appelle le roc de France, et la tradition affirme que
l'on voyait, autrefois, tracée, sur la surface rugueuse du
rocher, une main gigantesque qui était, disait‑on, un signe
héraldique représentant les armes d'Aragon.
C'est aussi
de l'époque de la conquête d'une partie du Rhedesium que date la
construction de tours guerrières ou tours de signaux que l'on
remarquait autrefois dans la contrée et dont il reste peu de
traces. Les auteurs catalans s'accordent à dire que ces tours,
autrefois nombreuses sur certains points, étaient l'œuvre des
rois d'Aragon. Les unes, appelées tours guerrières, étaient
placées dans les marches et défilés; les autres, appelées tours
de signaux, étaient placées sur les points culminants des
montagnes. Quand Alphonse II détruisit la ville de Rhedae, il
rasa les fortifications et ne laissa que deux tours qui
garnissaient l'enceinte du côté du midi et du côté du couchant.
L'une fut transformée en moulin à vent par l'un des seigneurs de
Rennes‑le‑Château à une époque relativement récente.
L'emplacement de ces tours nous a servi à déterminer,
approximativement, la surface qu'occupait la cité wisigothe.
XIII
Ceci nous
amène à examiner rapidement les causes qui facilitèrent la prise
et la destruction de Rhedae. Vers le commencement du XIIe
siècle, cette ville tendait à se dépeupler, au profit de Limoux
et d'Alet. Les guerres de la Terre‑Sainte lui portèrent, pour
ainsi dire, le dernier coup. Dégarnie de troupes, n'ayant qu'une
population insuffisante, elle dut être négligée et abandonnée
par les comtes à qui elle appartenait. Ceux‑ci durent trouver
trop coûteux l'entretien des fortifications de cette vaste cité
dont la ligne de circonvallation était très‑étendue. N'occupant
plus, du reste, qu'un rang secondaire comme place forte, elle ne
pouvait être d'un grand secours pour le maintien du pouvoir des
comtes souverains. Tout fait donc présumer qu'elle était presque
sans défense quand le roi d'Aragon vint l'attaquer. Peut‑être
même avait‑elle été abandonnée par les officiers du comte Roger
qui avaient concentré leurs forces et leurs moyens de résistance
dans la citadelle, dans la ville haute, qui ne tomba pas au
pouvoir des troupes aragonaises. La tradition s'et emparée de ce
grand fait historique, bien que d'une manière vague.
Elle
rapporte qu'une grosse armée venant du côté de l'Espagne
s'empara du Casteillas, ce fort détaché dont nous avons parlé,
et qui gardait les approches de Rhedae, du côté du midi, qu'une
fois maîtresse du Casteillas cette armée attaqua et détruisit la
ville qui était dans la plaine.
S'il pouvait
rester encore quelques doutes sur le fait historique que nous
venons de rapporter, si quelques‑uns de nos lecteurs
persistaient à partager l'opinion de certains historiens qui
prétendent que la cité de Rhedae fut détruite lors de la guerre
des Albigeois, en 1220, nous pourrions citer, à l'appui de notre
opinion, une preuve qui nous paraît concluante. C'est un acte du
mois d'août 1185, par lequel le vicomte Roger donne un fief, à
un de ses principaux officiers, ce qu'il possédait au château de
Rhedae, castrum de reddas.
Or, comme on
ne donne pas en fief une cité importante qui est a capitale d'un
comté, cet acte prouve que cette cité n'existait plus à cette
époque. Mais la citadelle de Rhedae avait résisté à Alphonse II,
le pays du Rhedesium fut morcelé.
Il existe,
en effet, un acte d'inféodation consenti par le roi d'Aragon, en
1193, trois ans avant sa mort, en faveur du comte de Foix qui,
aux termes de cet acte, fut mis en possession du Pays de Pierre‑Pertuze,
du comté de Fenouillèdes et de leurs dépendances. Cette pièce
prouve que le Rhedesium n'existait plus.
Nous pouvons
donc écrire ici: Finis Rhedesii. Nous pourrions écrire aussi:
Finis Rhedarum; car en réalité, l'ancien oppidum
wisigothique, la cité jumelle de Rhedae qui avait joué un rôle
marquant dans l'histoire pendant plus de cinq siècles n'existe
plus, mais sa citadelle existe encore, nous allons suivre les
courtes phases de son existence, ou plutôt de ses
transformations.
XIV
Le XIIIe
siècle commence et, avec lui, la guerre des Albigeois.
L'histoire n'attribue aucun rôle au castrum de Rhedae,
tandis qu'elle fait mention du siège du château de Coustaussa,
son voisin. Il est vrai que le château de Coustaussa dominait la
vallée de la Salz qui, des bords de l'Aude, conduit dans les
Corbières, et que ce château gênait la marche des croisés tant
au fond de la vallée que sur les hauts plateaux. Il est vrai
qu'une poignée d'hommes pouvait suffire pour défendre
Coustaussa, tandis qu'il aurait fallu une nombreuse garnison
pour garder la longue ligne des remparts de Rhedae, dont les
fortifications, du reste, avaient dû souffrir lors de la
destruction de la ville basse. Peut‑être aussi une partie de ces
fortifications était‑elle détruite, et Guillaume d'ASSALIT qui
était alors viguier du Rhedesium, ne put‑il disposer des moyens
nécessaires pour mettre l'antique citadelle en bon état. Quoi
qu'il en soit, il paraît que Rhedae n'était pas en état de
défense, et ne fit aucune résistance aux armées des Croisés.
Néanmoins nous n'hésitons pas à croire que les troupes de Simon
de MONTFORT s'en emparèrent, et comme c'était une place de
guerre qu'il fallait armer ou détruire pour la défendre, ou bien
empêcher qu'elle ne devînt un centre de résistance entre les
mains du jeune vicomte de Béziers et de ses alliés, elle fut
démantelée et ruinée. Le castrum de Rhedae l'antique
citadelle, qui était toujours la capitale de la contrée, ne fut
plus qu'un simple bourg quand la croisade eut fini son oeuvre.
Ses remparts et ses tours jonchèrent le sol et si la tradition
locale ne fait pas erreur, une seule partie de ses
fortifications demeura debout, ce fut le castrum salassum
ou turris salassa, le donjon qui fait face au midi, cette
tour de la Salasse qui fut plus tard convertie en magasin à
poudre.
Il existe,
du reste, un acte authentique qui prouve à quel rôle modeste fut
réduit Rhedae après la conquête des Croisés. On ne l'appelle
plus civitas cité, ni castrum, ville fortifiée On
la désigne sous le nom de villa, c'est‑à‑dire bourg ou petite
ville. Nous lisons, en effet, dans une charte de 1231, le
dénombrement des villes, villages et châteaux formant l'assignat
de Pierre de VOISINS, sénéchal de Simon de MONTFORT.
Dans ce dénombrement figure Rhedae sous
la rubrique suivante:
"Villam de redde pro XXV libris ae IV sols."
Le bourg de
Rhedae était évalué au prix de Burgaragium, Bugarach, un
peu au‑dessus de la valeur de Cousanum, Couiza et de
Caderona, Caderone.
Le
petit‑fils de Pierre de VOISINS, Pierre II de VOISINS, sénéchal
de Carcassonne, mit Rhedae en état de défense. Il releva les
fortifications, il rétablit la double enceinte de remparts,
seulement il ne jugea pas à propos de reconstruire le château
qui défendait la citadelle du côté du levant et qu'on appelait
castrum valens mais il fit fortifier le château qui
existe encore, et qui a donné son au village actuel de
Rennes‑le‑Château.
Ce château
ne fut pas un simple fort, comme était le castrum valens:
ce fut un château‑fort muni de tous les moyens de défense, et en
outre, une résidence seigneuriale. Ce manoir fortifié, flanqué
de tours, les unes carrées, les autres arrondies, est d'une
architecture simple tout à fait dépourvue d'ornements. Un vaste
préau le précède du côté du levant des deux autres côtés, il est
entouré d'une cour et d'un jardin établi probablement sur
l'emplacement qu'occupaient les fossés.
Sa face, du
côté du nord, se confondait avec la ligne des remparts de la
seconde enceinte.
Rhedae acquit
alors une certaine importance comme chef‑lieu d'une puissance
châtellenie. Cette petite ville comptait une population assez
nombreuse, car toute la superficie du plateau était couverte
d'habitations. On y remarquait deux églises, l'une dédiée à
Saint‑Pierre, et l'autre, qui existe encore, dédiée à Sainte
Marie‑Madeleine.
En examinant
avec attention les rares vestiges des fortifications de Rhedae
on constate des fragments de la maçonnerie de cette époque
soudés, pour ainsi dire, aux restes des remparts qu'avaient
construits les Wisigoths.
La
restauration de Rhedae, par Pierre II de VOISINS, nu fut pas un
fait isolé dans la contrée. L'histoire nous apprend qu'après la
guerre des Albigeois, les nouveaux propriétaires du sol, aussi
bien que ceux des anciens seigneurs qui avaient été remis en
possession de leurs domaines reconstruisirent les châteaux qui
avaient été détruits. Tous les châtelains, voulaient se prémunir
contre les dangers éventuels d'une nouvelle guerre et aussi
contre les attaques des nombreuses troupes de routiers et de
malandrins qui infestaient la province.
Rhedae, passant
successivement au pouvoir des descendants de Pierre de VOISINS,
fut maintenu en état de défense.
L'un d'eux,
Pierre III, transforma, vers 1360, le donjon de la Salasse en
magasin à poudre. Les compagnies de routiers ravageaient alors
la province de Languedoc, saccageant et incendiant les villes,
les bourgs et les châteaux.
Et, comme si ce
n'était pas assez de ce fléau, la peste vint, en 1361, s'abattre
sur la contrée dépeuplant les villages presque en entier. Le
pays commençait à se remettre de ces terribles épreuves, quand
un corps d'espagnols et de catalans, qui avaient traversé la
frontière avec le comte de Trastamarre s'abattit sur le
Roussillon et sur le Languedoc. Tous les barons du pays
s'armèrent contre ces terribles envahisseurs.
Pierre III de
VOISINS, seigneurs de Rhedae, dominus le Reddis, ainsi
qu'il s'intitulait lui‑même, se mit à la tête d'un corps de
troupes, et s'avança dans le pays de Fenouillèdes pour arrêter
la marche de ces ennemis; mais il fut vaincu, et ne put
s'opposer à leur passage. Obligé de battre en retraite, Pierre
de VOISINS se réfugia dans la citadelle de Rhedae et se prépara
à la défense.
L'armée
espagnole ou plutôt ce corps nombreux de bandits qui se livrait
dans toute la contré aux actes de cruauté les plus atroces,
ravagea tout le pays de Fenouillèdes, le pays de Pierre‑Pertuze,
et quitta, au printemps de l'année 1362, les hauts plateaux des
Corbières pour descendre vers la vallée de l'Aude. Les chefs de
ces bandits, qui avaient déjà lutté contre Pierre de VOISINS,
résolurent de s'emparer de la ville fortifiée de Rhedae, et
vinrent en faire le siège.
La tradition
de cet événement mémorable s'est conservée depuis cinq cents ans
dans le modeste village qui occupe la place où était Rhedae.
Nous ne saurions mieux faire que de la transcrire ici presque
textuellement:
"Une troupe
très‑nombreuses de bandits catalans, venant des Corbières,
arriva un jour devant Rhedae par le chemin qui vient du hameau
des Patiassés (situé entre Rennes‑les‑Bains et
Rennes‑le‑Château). Ils incendièrent, après l'avoir pillé, un
grand couvent fortifié qui était aux abords et presque à
l'entrée de la ville, du côté du levant, au lieu dit de la
Foun de l'Aoussi. Les ruines de ce couvent existaient encore
à la fin du dernier siècle. La ville opposa une vive résistance,
mais elle finit par succomber devant un ennemi disposant de
forces supérieures et muni d'artillerie. La poudrière de la
Salasse ayant été incendiée, une large brèche fut pratiquée dans
les murs de la ville qui offrit alors un succès facile aux
assaillants. Ceux‑ci, maîtres de la place, rasèrent les
fortifications, détruisirent l'église de Saint‑Pierre et firent
de Rhedae un monceau de ruines. Le manoir seigneurial et
quelques habitations survécurent à ce désastre."
A l'appui de
l'authenticité de ce récit, les vieillards de Rennes‑le‑Château
rapportent que l'on a trouvé, à diverses reprises, dans la
plaine qui s'étend sous le village, des débris d'armes et des
boulets de petit calibre.
Ainsi finit,
en 1362, la ville de Rhedae; et le modeste village qui fut
construit sur son emplacement et qui recouvre à peine le tiers
de la superficie qu'occupait l'antique citadelle, n'a pas même
conservé le nom historique de Rhedae; il s'appelle
Rennes‑le‑Château. Puis, comme pour épaissir les voiles de
l'oubli sur la cité wisigothe, la contrée dont elle avait été la
capitale, le Rhedesium ou le pays de Rhedae, perdit également
son nom. Il s'appela le Haut‑Razès, et il forma l'un des
territoires qui composèrent le vaste diocèse d'Alet.
TABLEAU CHRONOLOGIQUE DE
COMTES DE RAZÈS
Sous les rois wisigoths le Razès fut
administré d'abord par des viguiers et puis par des comtes, qui
étaient des gouverneurs militaires nommés par le souverain
résidant à Tolède.
Ils relevaient directement tantôt de la
couronne et tantôt des ducs de Septimanie qui avaient le
commandement supérieur de la province. L'histoire ne nous a pas
conservé les noms de ces viguiers et de ces comtes de Razès
.
Nous avons donc nous borner à inscrire ici,
à la suite de la notice sur Rhedae, les noms, par ordre
chronologique, des comtes et des vicomtes qui, depuis
Charlemagne jusqu'à la conquête de Simon de MONTFORT, ont
possédé le comté.
I ‑ Guillaume, institué par Charlemagne,
en 781
II ‑ Béra 1er, fils de
Guillaume 796
III ‑ Argila, fils de Béra 840
IV ‑ Béra II, fils d'Argila 845
Le comte passa, en 870, à la maison
comtale de Carcassonne, et devint l'apanage de la branche
cadette.
V ‑ Acfred 1er, frère d'Oliba
II, comte de Carcassonne 870
VI ‑ Bencion, fils d'Oliba II 902
VII ‑ Acfred II, frère de Bencion 928
VIII ‑ Arsinde, fille d'Acfred II, mariée
avec Arnaud, comte de Couserans 960
IX ‑ Eudes, fils d'Arnaud et d'Arsinde
1005
X ‑ Arnaud, fils d'Eudes 1017
XI ‑ Raymond 1er, fils d'Arnaud
1030
XII ‑ Raymond II, fils de Raymond 1er
et de la comtesse Béliarde 1052
Le comté passe à une branche latérale
représentée par les descendants directs, de Roger 1er,
fils d'Arnaud et d'Arsinde, et qui était comte de Carcassonne et
de Couserans.
XIII ‑ Ermengarde, petite‑fille de Roger 1er,
dit Roger‑le‑Vieux, hérite, en 1060, du comté de Razès que lui
lègue son frère Oton, et en fait vente, en 1067, à son parent le
comte de Barcelone. La maison de Barcelone donna donc deux
comtes au Razès, savoir :
XIV ‑ Raymond‑Béranger 1er 1067
XV ‑ Raymond‑Béranger II, son fils, qui
mourut assassiné en 1080, laissant un fils en bas âge. Profitant
des divisions et des luttes qui suivirent cet événement
tragique, Ermengarde reprit possession du Razès en qualité de
vicomtesse, et fut soutenue par les nobles du pays qui ne
voulaient pas subir la domination d'un prince étranger tel que
le comte de Barcelone.
XVI ‑ Bernard ATON, fils d'Ermengarde 1090
Bernard ATON et la comtesse Cécile, sa
femme, durent renoncer aux titres héréditaires dans leurs
familles, et se contenter de la qualification de vicomte et
vicomtesse de Razès.
XVII ‑ Roger, fils aîné de Bernard ATON et
de vicomtesse Cécile, devient vicomte de Carcassonne et de Razès
1130
Il reprend le titre de vicomte.
XVIII ‑ Raymond TRENCAVEL, second fils de
Bernard ATON, succède à son frère 1149
XIX ‑ Roger‑Raymond, son fils, vicomte de
Razès 1170
XX ‑ Raymond‑Roger, son fils, vicomte de
Béziers et de Razès 1202
Il meurt le 10 novembre 1209, à l'âge de
24 ans, prisonnier de Simon de MONTFORT, dans une des tours du
palais comtal de Carcassonne.
XXI ‑ Raymond TRENCAVEL qui n'avait que
deux ans lors de la mort de Raymond Roger, son frère, parvint à
reconquérir son domaine contre Amaury de MONTFORT en 1228. A la
suite d'un traité fait avec le roi de France, son comté de Razès
fut réuni à la couronne. |