Le Grand
Sud-Ouest français qui regroupe aujourd’hui l’Aquitaine
et l’Occitanie est une région extrêmement riche en
patrimoines et en Histoire. Des personnages très célèbres
ont forgé sa culture, son passé et ses traditions comme
Aliénor d’Aquitaine, duchesse
d’Aquitaine et comtesse de Poitiers, Reine de France et
d’Angleterre, Napoléon III et ses
constructions révolutionnaires à Saint-Jean-de-Luz,
Biarritz ou Pau, Henri IV, roi béarnais
de France et de Navarre, Henry Russel
et sa grotte du Vignemale, Riquet et
son exceptionnel Canal du Midi… Le Sud-Ouest possède
aussi des trésors comme la grotte de Lascaux, le gouffre
de Padirac, la cité médiévale de Carcassonne, le Gers
gallo-romain ou la Gascogne et son fameux garde d'Artagnan...
La liste est longue...
Mais le Sud-Ouest a aussi été marqué par des tragédies et
l’histoire des
Cathares et du catharisme en est une.
Entre le Xe et XIIe siècle, une mystérieuse « hérésie »
fait son apparition dans le Midi de la France. Son expansion et sa menace sont telles que l'Église
catholique est contrainte de mener une guerre pour
l'éradication de cette religion. Trois croisades seront
menées par le royaume de France, et il s'agit surtout pour
le Roi de dominer tout le Languedoc et
l'Aquitaine. La lutte contre les Cathares alias les
Albigeois s'achèvera officiellement par
la chute de la forteresse de Montségur en 1244,
mais elle se poursuivra jusqu'au XIVe siècle.
Qui
étaient les Cathares ? Pourquoi ont-ils été persécutés ? Pourquoi
cet épisode tragique de l'Histoire de France est-il
resté si méconnu ?
Quels sont les liens subtils avec l'affaire de
Rennes-le-Château ? Qu'en est-il de leur prétendu
trésor ? De leurs légendes ? Qui était vraiment
Déodat Roché ?
Les questions ne manquent pas autour de cette page
que l'Histoire tente d'oublier et qui demeure pour beaucoup
mal comprise.
D'autant que quelques historiens (1)
réfutent aujourd'hui l'existence même des Cathares, prétendant qu'il ne
s'agirait que d'un mythe construit sur une absence
totale de source historique. Mieux, la chasse à
l'hérétique aurait été organisée par le pouvoir royal
pour uniquement intervenir brutalement dans le Midi de la France,
un pays dissident. Or, il faut savoir que l'Église de
Rome a très largement encouragé le déclenchement de la
croisade albigeoise, une guerre cruelle qui se
termina par l'Inquisition jusqu'en 1321,
date à laquelle fut brûlé le dernier Cathare connu...
Assisterait-on aujourd'hui à une révision de l'Histoire occitane afin
d'adoucir quelques rugosités de la chrétienté
médiévale ? Voici quelques rappels historiques afin que
chacun puisse construire son propre jugement...
(1) Dans ce contexte,
l’Université Paul-Valéry de Montpellier a proposé via son
centre d’études médiévales et durant les années
2018-2019, l'exposition "Les Cathares : une idée
reçue" qui fut présentée dans plusieurs villes, dont
Béziers. |
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La cité de Carcassonne
classée au patrimoine mondial de l'UNESCO |
L'Occitanie et l'émergence
du catharisme |
L'Occitanie vers le XIIe siècle
Au XIIe siècle,
la France est coupée en deux régions très différentes.
Alors qu'au nord de la Loire la royauté est bien
installée, imposant à son peuple des règles monarchiques
en général mal acceptées, la région du Sud-ouest semble
avoir adopté une pensée, une culture, une politique et
un mode de vie très différent. Héritant sans doute des
pensées et des coutumes de la civilisation romaine, les
codes et les lois limitent le pouvoir des puissants et
régissent les rapports entre les vassaux et les sujets.
Les gens élisent des consuls et des capitouls qui
gouvernent et parlent d'égal à égal avec les seigneurs
dont ils dépendent. Le
Languedoc d'aujourd'hui possédait ainsi la forme la plus
avancée des civilisations de l'Occident.
Ce fonctionnement était évidemment en
totale opposition avec la monarchie qui gouvernait le
reste de la France. Les habitants du sud-ouest à cette
époque étaient
cultivés, brillants et même raffinés. On parlait une autre
langue, la langue d'Oc (et non d'oïl). La culture et les
traditions étaient transmises de château en château par les
poètes, les artistes, les troubadours et les musiciens.
La joie de vivre et l'amour font partie des chants et
des poèmes. Véritable civilisation en avance sur son
temps, elle fit naître en Europe le mouvement
troubadour, l’idée d'égalité en droit des Hommes, la
tolérance raciale et religieuse, et une culture nouvelle
de l’amour qui permit la première promotion morale et
sociale de la femme. Cette tolérance culturelle
extrêmement respectée favorisait les échanges commerciaux.
Les villes du Midi languedocien étaient accueillantes,
ouvertes à d'autres cultures étrangères, et Toulouse
devint la troisième citée d'Europe. Tout était orienté
pour faire naître le
coeur de l'Occitanie enraciné dans un humanisme profond
et généreux.
L’Occitanie est
une région culturelle et historique du sud-ouest de
l'Europe. Elle est caractérisée par sa culture et sa
langue d'Oc qui a donné son nom (Occitanie ou pays
d'Oc). Le territoire occitan est défini dès l’Empire
romain sous le nom de Viennoise ou de Sept-Provinces, et
au début du Moyen Âge sous le nom d’Aquitaine
correspondant au royaume wisigoth de Toulouse avant la
conquête franque. C'est durant l'époque carolingienne
que le royaume retrouve une certaine unité sous le nom
de royaume d'Aquitaine ou royaume de Toulouse. La plus
grande partie de l’Occitanie est aujourd’hui située en
France et le Grand Sud-Ouest français est une entité
géographique qui regroupe l’Aquitaine et l’Occitanie. |

Carte de la langue occitane à
la fin du XIIe siècle |
À noter que le drapeau de l'Occitanie porte en
haut à droite une étoile à
7 branches. Cette étoile adoptée comme emblème par le
Félibrige symbolisait les sept
provinces de l’Occitanie, dont l’une était catalane.
L’Occitanie est en effet divisée par cette association
en sept maintenances ou sections dont une était celle de
Catalogne-Roussillon. |
En 2016, le nom d’Occitanie
fut repris pour la région administrative française
Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées qui est située sur
une partie de l’Occitanie traditionnelle. La région inclut
aussi les Pyrénées-Orientales dont la plus grande partie
est de langue catalane.
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Le
Félibrige
est une association qui œuvre dans un but de sauvegarde
et de promotion de la langue, de la culture et de tout
ce qui constitue l'identité des pays de langue d'Oc. Son
siège social est situé à Arles, au Museon Arlaten.
Le Félibrige fut fondé au château de Font-Ségugne
(Châteauneuf-de-Gadagne, Vaucluse) à l'occasion d'un
banquet, le
11 mai 1854, jour de la Saint-Estelle, par
sept jeunes poètes provençaux :
Frédéric Mistral, Joseph Roumanille,
Théodore Aubanel, Jean Brunet, Paul Giéra, Anselme
Mathieu et Alphonse Tavan. Ensemble, ils entendaient
restaurer la littérature et la langue provençale et en codifier
l'orthographe. |

Les 7 poètes provençaux du Félibrige selon la version
relatée par Frédéric Mistral (1830-1914), aussi connue
sous le nom de "légende dorée" avec Frédéric
Mistral, Joseph Roumanille (1818-1891) assis au centre
et père du Félibrige, Paul Giéra (1816-1861), Théodore
Aubanel (1829-1886), Alphonse Tavan (1833-1905), Jean
Brunet (1822-1894) et Anselme Mathieu (1833-1895) |
L'essor d'une hérésie
médiévale
À partir du XIe siècle,
l'Europe de l'Ouest est en proie à des naissances de
foyers hérétiques. En 1022, un certain
Adémar de Chabannes, chroniqueur, alerte sur des
condamnations à Toulouse de
"manichéens" envoyés au bûcher. En 1025,
à Arras, des accusés ont avoué que
leur croyance les ordonnait à travailler de leurs mains
et à faire voeu de chasteté afin de devenir de "Purs
chrétiens". Ils sont contre le baptême et toute forme de
sacrement, le culte de la Croix, la messe et
l'Eucharistie. Le duc d'Aquitaine Guillaume V
réunit un concile en 1028 à Charroux
afin de combattre ceux qui sont devenus hostiles à
l'égard de l'Église catholique romaine et au culte des
reliques et des Saints. En 1049, un
concile à Reims signale que des hérétiques surgissent
dans toutes les parties de la Gaule. À Toulouse en
1056, des hérétiques sont condamnés,
mais on leur laisse la possibilité de se racheter. Vers
1030, le prêtre Oldaric prêche contre
le culte rendu à la statue de Sainte Foy de Conques. |
Or, dans la même
période, la
réforme grégorienne
est engagée par le pape
Grégoire VI puis par
Grégoire VII qui sera le principal
artisan.
Longtemps discutée par plusieurs pontificats entre 1050
et 1120,
cette réforme vise à transformer l'Église en la
séparant radicalement de la société afin de la doter de
pouvoirs considérables. Elle comporte trois points
principaux : indépendance du clergé, célibat des
prêtres, et structure centralisée autour du pape.
Inévitablement, une résistance s'installe dès le
XIIe siècle
dans la bourgeoisie, et elle dénonce le monopole de la
doctrine religieuse du clergé. Une réaction au dogme
romain est observée, et un nouveau courant religieux
tend à rechercher une foi plus authentique et une
existence plus conforme aux Évangiles.
|

Le pape Grégoire VII
1015-1085 |
De plus, des fidèles refusent la corruption de certains
clercs et donc leurs sacrements. Le mouvement devient
clairement anticlérical. Un prédicateur charismatique,
Pierre de
Bruis,
portera cette parole dans le Rhône et amplifiera la
contestation.
En 1119, un autre fait montre que l'hérésie gagne
du terrain. Lors du Concile de Toulouse
avec le pape Calixte II, des hérétiques sont signalés
avec cette description : "Ils simulent l'aspect
religieux, condamnent le sacrement du corps et du sang
du Seigneur, le baptême des enfants, le sacerdoce et les
autres ordres ecclésiastiques, les liens des mariages
légitimes..." |

Pierre
de Bruis |
Des
mouvements apparaissent en Angleterre, à Reims, en
Italie. Tous présentent une doctrine similaire et une
opposition à l'Église de Rome.
Pierre de Bruis très actif
dans le Languedoc termine finalement sur le bûcher à
Saint-Gilles en 1140 et des hérétiques
sont vus à Trèves, à Oxford, à Cologne, dans les
Flandres, et dans le nord de la France. Il est clair
qu'une hérésie
générale se développe, alimentée par l'Église
et sa volonté dogmatique. |

Les hérétiques à Orléans et
les premiers bûchers en l'an 1022 |
Une nouvelle religion... Le
catharisme
Le catharisme est une religion européenne
évangélique hostile à
l'Église de Rome qui serait apparue vers 950 ap. J.-C. en Bulgarie sous
le nom de bogomilisme du nom d'un prêtre, Bogomile.
Pourtant, quelques historiens défendent aujourd'hui l'idée que les
Cathares n'ont jamais
existé et qu'ils seraient un mythe construit par la
rumeur populaire occitane. On peut d'ailleurs
lire à propos d'une exposition organisée par
l'université Paul-Valéry de Montpellier en
2018-2019
"Les Cathares, une idée
reçue" l'affirmation suivante :
" Les Cathares sont un mythe dont aucune source
historique n’atteste l’existence. À l’origine,
sous la simple dénomination "d’hérétiques", ils
constituent un leurre destiné à justifier
l’intervention brutale des troupes royales dans
le midi de la France. Ce n’est qu’au XIXe siècle
qu’apparaît le terme "Cathare" dans une version
de l’histoire médiévale réinterprétée à des fins
politiques..." |
La controverse historique viendrait du fait que
les historiens du XXe siècle s'appuient sur des sources
médiévales fortement influencées par l'Église qui
avait intérêt à déclarer une hérésie générale pour
intervenir. Selon les dernières études universitaires,
la religion cathare et les hérétiques du Sud-ouest
n'auraient donc jamais existé en tant que communauté
structurée opposée à l'Église, et se basant sur le
fait que le terme "cathare" est pratiquement inexistant des
écrits historiques. À vous de juger... |

Exposition
organisée par
l'université Paul-Valéry de Montpellier
en
2018-2019
"Les Cathares... Une idée reçue"
ou quand quelques historiens réécrivent l'Histoire... |
Pourtant, il
existe un ancien document où apparaît un acte de
Nicolas, évêque de Cambrai (1164-1167) qui enregistre
la condamnation remontée par les évêques de Cologne, de
Trèves, de Liège, entre 1151 et
1156, à l'encontre d'un clerc, Jonas, convaincu
de l'hérésie
des Cathares. Autre fait, un moine bénédictin de Rhénanie,
Eckbert de Schönau, alerte en
1163 de la présence d'hérétiques à Cologne, et
son texte est intitulé : "Liber contra hereses
katharorum". Or, "katharorum"
signifie cathare, un terme qui vient du
grec "catharos" voulant dire "pur". Le terme
cathare ne serait donc pas apparu au XIXe siècle, mais au Moyen Âge
contrairement à ce qu'affirment quelques historiens...
|
L'alerte catholique est en tout cas bien réelle. Dans le comté de
Toulouse, des mouvements hérétiques
s'installent, et ils sont galvanisés par deux
prédicateurs qui se font entendre : Pierre de Bruis et
Henri de Lausanne. L'Église est
alors obligée d'y répondre et envoie en 1145
l'abbé cistercien Bernard de Clairvaux
afin de s'opposer à ces sermons.
Décrété par l'Église
comme une hérésie chrétienne, le catharisme se répand dans le
sud-ouest de la France médiévale entre le XIIe et le
XIVe siècle. Ceci est confirmé par
le concile de Toulouse réuni en 1119 et
qui relate des agissements et des pensées hérétiques.
Absence de sacrement, pas de baptême ou de sacerdoce,
plus d'ordres ecclésiastiques sont observés chez ceux
que l'on appelle "Bons hommes", Albigeois ou Cathares...
|

Bernard de Clairvaux
(1090-1153)
fondateur de l'abbaye de
Clairvaux |
Il faut dire que la France
est partagée en deux avec au Nord, le pays d’Oil
féodal, et au Sud l’Occitanie où règne
le temps des troubadours et l’amour courtois.
La manière de vivre et de penser en Occitanie au
XIIe siècle favorisa
certainement l'expansion fulgurante d'une nouvelle
religion, et pour comprendre son origine, il faut
remonter au moins au VIIe siècle av. J.-C.
et s'intéresser à un personnage de l'Antiquité, le
prophète perse Zoroastre.
Ce dernier pensait qu'il existait dans l'univers deux
principes irréductibles, le Bien et le Mal, en lutte
permanente l'un contre l'autre. Ces idées eurent une
influence considérable pendant toute l'Antiquité et
elles furent reprises au IIIe siècle ap. J.-C.
par le prophète Manès,
fondateur de la doctrine manichéenne. Au Xe siècle,
en Bulgarie, cette doctrine donna naissance aux
Bogomils (de Bogomil, le
prêtre
fondateur de la secte) qui reprit les idées religieuses
manichéennes.
Cette doctrine très proche du catharisme
semble indiquer qu'elle serait bien à l'origine de ce
courant religieux, même si d'autres pensent que le
catharisme serait issu du christianisme et des doctrines
marcionistes (de Marcion) et gnostiques. En résumé, le
catharisme serait né en Orient, issu des croyances
pauliciennes inspirées des Perses et apparues en Asie
Mineure au cours du VIIe siècle.
Les pauliciens auraient ensuite profondément influencé
les Bogomils de
Bulgarie. Le mouvement manichéen à l'origine du
catharisme aurait ensuite atteint l'Italie au cours du
Xe siècle, avant de s'étendre au Midi de la France au
XIIe siècle.
|
Zoroastre
(pour les Grecs) ou
Zarathoustra
est un prophète fondateur du zoroastrisme. Étant donné
l'époque et l'importance du personnage, sources de
nombreuses affabulations, il est difficile de dater sa
biographie. Il serait né dans le Nord ou l'Est de
l'actuel Iran. Selon la tradition, il aurait vécu entre
les VIIe et VIe siècles
av. J.-C.
mais il semble que l'on repousse aujourd'hui cette
estimation pour situer sa vie entre les
XVe et XIe siècles
av. J.-C.
Dans la culture européenne, Zoroastre est connu comme un
sage et un magicien bien qu'on ne découvrît ses idées
qu'à la fin du XVIIIe siècle. On l'associait alors avec
les francs-maçons et autres groupes prétendant que
Zoroastre avait atteint un « savoir ». Un personnage
nommé Sarastro apparaît dans l'opéra "La Flûte
enchantée" de Mozart, et représente l'ordre et la
morale, par opposition à la Reine de la nuit. Nietzsche
parodie le personnage de Zoroastre, l'associant au
manichéisme. Il aurait, selon lui, inventé le dualisme
moral sous la forme de la Daeva (les forces naturelles)
et de l'Ahuras (la raison, le « bien » et le « mal », la
morale). |

Fresque dans l'ancienne cité
de Persépolis (capitale de l'Empire perse)
située dans l'Iran actuel et devenu symbole du
zoroastrisme
La cité a été construite entre 521 et 331 av. J.-C. |
Les origines de la
religion cathare ne sont pas
certaines, mais on peut constater des similitudes avec
d’autres hérésies en Europe à la même époque.
Bien avant l'apparition de cette doctrine, de
nombreux moines avaient dénoncé les traditions et les
rites complexes de l'Église catholique, le train
de vie somptuaire, la corruption morale, les
sacrements et les hiérarchies complexes. Les Cathares prêchaient
pour plus de simplicité entre les Hommes et Dieu et le
retour vers une foi plus austère, moins luxueuse, le
retour à une certaine pureté. Dans
ce contexte et incapable de se
réformer dans ce sens malgré sa réforme grégorienne,
l'Église de Rome facilita certainement l'enracinement du
catharisme qui se répandit comme une traînée de poudre
dans l'ensemble du comté de Toulouse, d'Agen à Béziers
et d'Albi aux Pyrénées, donnant aux Cathares le
surnom "Albigeois"...
D'ailleurs, le
catharisme ne s'est pas développé uniquement dans le
sud-ouest de la France, mais également en Italie du
Nord, en Lombardie avec six évêchés, en Allemagne dans la
vallée moyenne du Rhin, dans la région de Liège, en
Flandre, en Bourgogne et en Champagne.
Le catharisme
propose surtout une interprétation différente des Évangiles,
l'éloignant du catholicisme romain et rejetant notamment
tous les sacrements de l'Église catholique comme le
baptême d'eau, l'Eucharistie ou le mariage. Mais au-delà
de ces caractéristiques, les
Cathares symbolisent surtout la résistance
de l'identité occitane face à
l'étatisme
français. C'est une hérésie, mais
c'est aussi une dissidence... |
Les Bogomils
Le mouvement
Bogomil, du nom de son fondateur le
prêtre bulgare Bogomil Nicétas, prit naissance
au Xe siècle en Bulgarie. Le mouvement
s'est ensuite développé dans les Balkans puis dans
l'Empire Byzantin.
Selon l'Inquisiteur Anselme d'Alexandrie,
l'hérésie se serait répandue en Drugonthie, en Bulgarie,
et à Philadelphie. Au cours de la deuxième
croisade en 1147, des Francigènes adoptèrent à
Constantinople cette doctrine modérée et s'organisèrent
en Église. Retournant en France, ces hérétiques
instituèrent un évêque de France et influencèrent le sud
de la Loire, créant à leur tour quatre évêchés :
Carcassonne, Albi, Toulouse et Agen. |

Tombes bogomiles en
ex-Yougoslavie,
une trace des origines du catharisme |
La doctrine est
fondée sur un dualisme, l'opposition
entre la lumière (le Bien) et les ténèbres (le Mal). Ces
mêmes principes sont présents dans les anciennes gnoses
telles que chez Basilide et Valentin et ont pénétré les
grandes religions, alimentant également les théologies
et les sujets philosophiques.
Tournée vers l'Évangile
et refusant l'Ancient Testament, la pensée évoque la
création comme le résultat d'un dieu obscur. On se
rapproche des Cathares qui refusaient le matériel (le
Mal). Les trois sacrements, baptême, eucharistie et
mariage, sont refusés, de même que la croix chrétienne.
Ainsi les Messaliens et
les Pauliciens présents dans l'Empire byzantin
contribuèrent à la pensée bogomile. |

Tombe bogomile |
L'hérésie gagne ensuite la
Dalmatie et tout particulièrement la Bosnie où le
bogomilisme est religion d'État en 1199. Seules,
quelques tombes marquent le passage de cette religion
qui se répandit ensuite probablement dans certaines
régions de l'Europe. |
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La doctrine cathare
Le nom
cathare
vient du grec catharos signifiant « pur »
et il exprime une partie de la doctrine dualiste voulant que l'homme
ou la femme doivent atteindre la pureté de l'âme. Si
"cathare" est un terme péjoratif donné par les
adversaires, eux-mêmes s’appelaient
« Bons hommes »,
« Bonnes dames », « Bonnes
femmes » ou
« Bons chrétiens ».
Basée sur
le christianisme, la religion cathare critique la
richesse ostentatoire et l'abus de pouvoir de l'Église
romaine. C'est aussi un retour au christianisme des
premiers siècles, les
albigeois voulant en effet revenir à
« l’Église des Apôtres »
et vivre leur foi comme les premiers chrétiens. Les Cathares revendiquent une religion plus
proche de la chrétienté primitive, respectant l'idéal de
vie et de pauvreté du Christ. Cette croyance dualiste
repose en fait sur l'existence de deux mondes : l'un
bon et l'autre mauvais. Le premier, bon, est le monde
invisible des créatures éternelles résultant de la
création de Dieu le Père. L'autre est le monde visible
qui est l'œuvre du diable, un
univers rempli de créatures vaines et corruptibles, et
qu'ils ne peuvent imputer à Dieu.
Cette doctrine fait trembler le Vatican et le royaume de France, et
la question de départ est celle-ci : "Puisque Dieu,
dont la toute puissance est limitée par une bonté
infinie, existe, pourquoi tolère-t-il le mal ?". La
réponse est portée par les Cathares : "Le monde
matériel est la création de Satan. Seul appartient au
bien le monde éternel, celui du vrai Dieu. Quant à
l'Homme, c'est un ange déchu qui ne pourra se libérer
que par l'éveil de l'esprit et de la réincarnation"
La rupture avec l'Église de Rome est claire...
Ces deux mondes ont généré deux pensées cathares distinctes. La
première est modérée, proche du monothéisme, croyant à un
dieu tout-puissant créateur des quatre éléments. La
seconde est radicale, avec le bien et le mal. Ces
croyances déterminent dans le monde cathare trois ordres
distincts : les modérés de Bulgarie, les absolus de
Dragovitza et les nuancés de Slavonie.
Durant sa vie terrestre considérée comme une
épreuve, l'Homme cathare doit donc s'efforcer, par une conduite
appropriée, de rompre avec les besoins superflus, la matière
et le monde physique. Le matériel
représente le Mal auquel est opposé le Bien,
c'est-à-dire l'âme purifiée, ignorant les désirs du
corps. On voit apparaître ici l'origine manichéenne
remontant au moins au VIIe siècle av. J.-C.
Comme
les Manichéens et avant eux les Mazdéens avant Zoroastre,
la doctrine cathare est fondamentalement une doctrine
solaire comme nous le verrons à
Montségur.
Ceux qui parviennent à purifier leur âme se
reposent à jamais dans le Bien après la mort. Les autres
doivent se réincarner indéfiniment. En effet, les
albigeois croient à la réincarnation, jusqu’à ce que
l’âme soit prête après plusieurs vies terrestres à
rencontrer Dieu. Ainsi, la mort n'est pas redoutée, car elle
signifie
la délivrance. Ce mépris de la mort leur donna très
certainement l'énergie
nécessaire pour combattre le roi de France et le pape
lors de la terrible croisade albigeoise. Notons que le
concept de réincarnation est révolutionnaire dans
l'Europe du Moyen Âge. |
Les Cathares ne pratiquent qu’un seul sacrement : le
« Consolament », une forme de baptême qui équivaut
également à une ordination puisque les hommes et les femmes
l’ayant reçu constituent le clergé cathare. Un seul
livre sacré les guide : l'Évangile selon Saint Jean, et
une seule prière quotidienne les anime : le Pater.
Un ou deux jeûnes hebdomadaires rythment leur vie. Il
existe aussi une forme de confession publique nommée
Apparellumentum et qui se déroule devant d'autres
croyants forçant l'honnêteté, le respect et l'humilité. |

Le consolament |
Les Cathares
opposent le Dieu de l’Ancien Testament qui serait le
diable, à celui du Nouveau Testament. Toute la création,
y compris la chair, serait donc une œuvre démoniaque. Par
conséquent, Jésus qui n'est pas Dieu incarné (Dieu ne se
serait pas abaissé à s’incarner dans cette chair impure)
ne serait en réalité qu’un envoyé de Dieu destiné à
montrer aux Hommes la voie du salut. C’est une des
raisons pour laquelle les Cathares refusaient le symbole
de la Croix.
En résumé, le catharisme est une doctrine dualiste et égalitaire entre homme et
femme, abolissant les privilèges et prônant la vertu,
l'humilité et la sagesse. |
Rites et moeurs des Cathares
Les Cathares
vivaient en communauté dans les villes et les villages,
et pratiquaient essentiellement des activités manuelles.
Ils étaient de préférence habillés en noir, excepté
durant la période de répression où ils se limitaient à
une ceinture noire sous les vêtements.
Le rapport des Cathares à l'amour et à la femme est
étonnant. S'ils prêtaient à la femme une influence dans
l'ascension vers Dieu, ils affirmaient aussi que seules
les vies successives leur permettraient de se délivrer
de l'amour charnel afin d'accéder à l'amour pur et
platonicien.
Contrairement à ce que l'on peut souvent lire, les
Cathares avaient instauré une hiérarchie précise et des
degrés d'initiation. Il faut distinguer les "Croyants"
et les "Parfaits", ce dernier nom provenant des Inquisiteurs
qui désignaient ainsi ceux qu'ils considéraient comme de
parfaits hérétiques.
Les Croyants constituaient donc le premier degré des Cathares, et
ils devaient marquer le respect par une génuflexion devant chaque
Parfait qu'il rencontrait ou qu'il recevait. S'ils
désiraient monter dans la hiérarchie, la pratique de l'ascèse durant un
temps requis
(recueillement spirituel) permettait au Croyant d'obtenir un degré
d'initiation supplémentaire et de devenir "cathéchumène".
Les Cathares refusant tout sacrement, la cérémonie du mariage
devait être
simple, mais les Croyants pouvaient aussi choisir l'union
libre. Dans ce cas, des noces spirituelles suffisaient à
célébrer l'union.
Les parfaits ou Bonhommes se situent à un échelon
supérieur dans l'initiation. Ils ont une fonction
s'aparentant aux prêtres et reçoivent le "Consolamentum"
(cérémonie initiatique). Ils devaient mener une vie
austère, respecter des codes
et des règles strictes, et étaient astreints à jeûner
fréquemment, une série d'aliments leur étant
défendus, notamment ceux d'origine animale. Ils
devaient aussi faire voeu de pauvreté et de chasteté.
L'absence de temple ou d'église n'empêchait en rien la
pratique de la foi ni
la prédication. Les Parfaits pouvaient prier et prêcher
en place publique ou dans les habitations.
Avant les grandes fêtes de l'année : Pâques, Pentecôte
et Noël, trois jeûnes de quarante jours étaient
obligatoires. Le reste du temps, ils devaient respecter
la chasteté et un régime
végétarien. Les Bonshommes acceptaient également les
Croyants à leur
repas frugal correspondant à l'agapa des premiers
chrétiens.
Les croyants voulant devenir parfaits devaient
s'appliquer les mêmes règles : ne plus mentir ni jurer,
ne pas tuer, porter secours et assistance aux pauvres,
et respecter une abstinence absolue, et effectuer la seule cérémonie autorisée, le
"Consolamentum".
Selon des sources historiques, 10 000 à 20 000 candidats
se présentaient pour devenir "pur", ce qui est à la fois
beaucoup et peu. Ce rite était aussi pratiqué dans des
grottes, notamment à Ussat et à
Ornolac dans l'Ariège. |
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LE CONSOLAMENTUM
(Consolation)
Le croyant candidat
devait d'abord pratiquer "l'astencia"
(abstinence) consistant à une suite de jeûnes stricts
appelés "catharsis" par l'officiant.
La cérémonie du consolamentum se déroulait de préférence
sur des sommets comme à Montségur ou à
Lastours, ou dans
une grotte. La
signification est liée à la position de l'âme du Croyant
et à l'alignement du site par rapport au Soleil
levant et au solstice d'hiver.
Aux offices du matin et du soir, le Pater était
récité plusieurs fois, puis suivaient les premiers
versets de l'Évangile de Jean « Au commencement était
le verbe... », plus un acte d'admiration du Père, du
Fils et du Saint-Esprit suivis de commentaires du même
Évangile.
Le postulant étant prêt, il comparaissait alors devant
la communauté qui décidait par vote s'il était assez «
fort » pour entrer dans le chapitre. S'il était marié,
il devait d'abord présenter un écrit de son conjoint le
déliant de ses engagements conjugaux. On lui faisait
promettre que désormais il ne mangerait plus de
viande, d'œufs, de fromage, ou toute autre
nourriture à l'exception de plats végétaux préparés à
l'huile et au poisson «
Promet qu'à l'avenir
tu ne mangeras aucune substance qui ne soit végétale ou
aquatique que tu ne mentiras point, que tu ne jugeras pas,
que tu ne commettras pas d'impuretés, que tu n'iras pas
seul quand tu pourras avoir un compagnon que tu
n'abandonneras pas ta joie par crainte de l'eau ou de
tout autre supplice ».
|
Le
candidat devait ensuite réciter le Pater ou l'Oraison
sainte à la façon des hérétiques.
Suivait l'imposition des mains et le livre des Évangiles
sur la tête. Après quoi, ses initiateurs lui donnaient
l'accolade et les membres de la communauté fléchissaient
le genou à tour de rôle devant le nouveau parfait.
Recevant l'accolade de ses initiateurs qui
s'agenouillaient ensuite devant lui, le nouveau Parfait
était censé sentir descendre sur lui l'Esprit saint.
Le nouveau parfait recevait alors un costume
noir,
symbole du monde dont il faut se défendre et une large ceinture contenant
les versets essentiels de l'Évangile de Jean. |

Les frères franciscains (à
droite)
assistant à un Consolamentum
cathare
(Enluminure d'une bible
commandée par Blanche de Castille et représentant
l'orthodoxie face à l'hérésie
au XIIIe siècle, BNF) |
Les Cathares
menaient une vie équilibrée entre les devoirs à l'égard
de Dieu et ceux à l'égard des Hommes. Ils étaient
respectés et appréciés par la population et les
seigneurs occitans.
Une autre
différence importante avec les religieux catholiques
concerne la pureté de l'âme. Pour atteindre cette
pureté, les Cathares devaient traverser des étapes
longues et sévères. Ces initiations pouvaient aller
jusqu'au suicide collectif afin de retrouver une
nouvelle vie terrestre à travers la réincarnation.
Les parfaits chargés du
ministère de leur église portaient dans un sac ou sur la
poitrine un livre liturgique, un textus qu’ils
imposaient sur la tête de ceux qu’ils consolaient
(qu'ils baptisaient).
|

Extrait d'une Bible cathare
(musée de Toulouse) |
Prière cathare en occitan :
"Paire sant, dieu
dreiturièr dels bons esperits, que jamai n’as
falhit, ni mentit, ni errat, ni doptat per paur de
mòrt a prendre al nom del dieu estranh, car nos non
èm del mond ni’l mond non es de nos, dona nos a
conéisser çò que tu conéisses e amar çò que tu amas."
Traduction :
"Père Saint, Dieu juste
des bons esprits, toi qui jamais ne trompes, ne
mens, n’erres ni ne doutes, de peur d’éprouver la
mort au nom du dieu étranger, car nous ne sommes pas
du monde et que le monde n’est pas de nous,
donne-nous à connaître ce que tu connais et à aimer
ce que tu aimes." |
Il faut néanmoins savoir que la grande majorité des
rites et des cérémonies cathares a été perdue avec la
disparition des textes sacrés. |
La lutte contre les
Cathares |
Pourquoi l’Église a-t-elle combattu les Cathares ?
Devant les hérésies grandissantes en Europe, le
catharisme occitan représenta pour l’Église de Rome un
danger particulier. Son expansion rapide et sa faculté à
convertir des membres du clergé catholique ont
certainement joué dans la décision d’intervenir sans
délai. Il faut dire que le pouvoir en Occitanie,
notamment sous Raymond VI, comte de
Toulouse, était plutôt bienveillant envers cette
nouvelle religion chrétienne ; une croyance de plus qui
fait suite à l’arianisme de la période wisigothique, ou à
l’islamisme présent en Espagne.
De plus, en rejetant les sacrements, l’opulence et la
corruption du clergé et du pape, les Cathares s’opposent
frontalement à l’Église. D'ailleurs, cette opposition
est plus profonde, car elle s’attaque également au
système féodal.
Les Cathares considèrent en effet qu’une terre doit
appartenir à celui qui la travaille. Voici pourquoi
cette
rébellion contre la féodalité incite les
historiens
aujourd'hui a catégoriser le catharisme comme une dissidence
et non comme une organisation religieuse anticléricale.
Pour l'Église
de Rome, les Cathares représentaient un danger bien pire
que les infidèles juifs et musulmans. Tout en étant
chrétiens, les Cathares avaient une autre lecture des Évangiles
et refusaient la doctrine des sept sacrements que les
théologiens catholiques avaient édictés en tant que
dogme dès le début du XIIe siècle.
|

"La victoire de l'Eucharistie
sur l'hérésie" par Rubens (Louvre) |
Une autre raison causant le malaise de l’Église
catholique concerne le fait de
renier le corps et de considérer l’acte sexuel comme
impur ce qui décourage la procréation et revient à renier tout
simplement la vie terrestre. L’Église se trouva
certainement devant un paradoxe dogmatique, elle qui a
toujours considéré la femme comme une création
diabolique. Autre condamnation de l’Église : le jeûne
intégral qui est une forme de suicide programmé.
Si les croyants cathares étaient très minoritaires dans
le Languedoc à la fin du XIIe siècle
touchant surtout la
bourgeoisie et la noblesse, le mouvement
s’enracina très vite, effrayant l’Église de Rome et l’obligeant
à réagir vite.
|
De Hautpoul aux Cathares
Selon la légende, le
village fortifié d'Hautpoul dans le
Tarn aurait été fondé par Athaulf, roi des
Wisigoths en 413. Or, c'est au XIIe
siècle que l'Histoire bascule. Hautpoul, ses
seigneurs et ses habitants adhèrent à la foi cathare et
deviennent hérétiques pour la toute puissante Église
catholique. Condamné par le Pape et l'Inquisition,
impliqué dans la croisade albigeoise, le village
d'Hautpoul se videra peu à peu de ses habitants qui
iront s'installer dans la vallée de l'Arnette pour
fonder Mazamet... |

Le village médiéval
d'Hautpoul dans le Tarn |
La période des missionnaires
Devant la poussée inexorable du catharisme languedocien,
l’Église décide dans un premier temps d’envoyer des
missionnaires afin d’évangéliser les fidèles.
Entre alors en scène
Bernard de
Clairvaux, conseiller des rois et prédicateur de la
deuxième croisade en Terre sainte, pour réfuter
les doctrines cathares.
En
1145, il
accompagne dans le Languedoc Albéric d'Ostie, légat du pape Eugène III,
et Geoffroy de Lèves, évêque de Chartres, afin de
prêcher contre l'hérésie. Son voyage traverse Poitiers,
Bergerac, Périgueux, Sarlat, Cahors, Albi et Verfeil
près de Toulouse.
|
1145 - Bernard de Clairvaux à
Verfeil
Au
XIIe siècle, l'hérésie progresse très vite et
Bernard de Clairvaux va le comprendre.
Figure emblématique de la première moitié du
XIIe siècle, fondateur de l'Ordre de Citeaux,
il prêche aussi la seconde croisade. C'est dans ce contexte
qu'il vient aussi prêcher dans le Midi de la France à
Verfeil, près de Toulouse. Mais, durant
son
voyage, ses convictions vont l'inciter à critiquer
ouvertement la noblesse locale pour son soutien aux
hérétiques. Et pire, à Verfeil,
enflammé par son discours sur la foi, les Cathares vont
se mettre à protester violemment. La réaction de la population ne se fait pas
attendre. Les fidèles venus l'écouter ressortent de
l'église et l'empêchent de parler en créant du bruit.
Furieux, Bernard de Clairvaux
quittera la ville en la maudissant et prononcera ces
mots : « Verfeil [verte
feuille], que Dieu te dessèche ! » tout en se
plaignant de trouver des églises désertées par les
fidèles...
Avant
de se retirer au monastère de Cîteaux pour des problèmes
de santé, Bernard de Clairvaux écrira dans un sermon :
« On ne les convainc ni par le raisonnement (ils ne
comprennent pas) ni par les autorités (ils ne les
reçoivent pas), ni par la persuasion (car ils sont de
mauvaise foi). Il semble qu’ils ne puissent être
extirpés que par le glaive matériel. »
|
Bernard de Clairvaux
Bernard de
Clairvaux (Bernard de Fontaine) est né en 1090
à Fontaine-les-Dijon. Moine bourguignon, il réforme la
vie religieuse catholique. C'est aussi un directeur de
conscience qui promeut l'Ordre cistercien (Ordre de
Cîteaux) en recherchant l'amour du Christ par la
mortification extrême. Il passe toute sa vie à émouvoir
et à entraîner les foules, son objectif dogmatique étant
de rallier son Ordre avec la papauté. Par principe
conservateur, il fustige son époque et dénie l'économie,
le pouvoir et la société du XIIe siècle.
Il intervient dans les affaires publiques et défend les
droits de l'Église contre les princes temporels, et
conseille les papes.
|

Bernard de Clairvaux
(1090-1153) |
Il meurt le 20 août 1153 à l'abbaye de Clairvaux.
Canonisé en 1174, il devient Saint
Bernard de Claivaux et est proclamé Docteur de l'Église
catholique en 1830 par le pape Pie VIII.
Il faut
aussi savoir que la famille de sa mère Alèthe (ou Aleth)
est de haute lignée. Le grand-père de Bernard de
Clairvaux règne sur la seigneurie de Montbard, des
terres qui s'étendent entre l'Armançon et la Seine. Son
oncle, André de Montbard (1103-1156), est l'un
des neuf premiers chevaliers de l'Ordre du Temple,
fondateurs et cinquième Grand Maître de l'Ordre entre
1153 et 1156. Il décède le
17 janvier
1156 à Jérusalem et le Grand Maître
suivant sera Bertrand de Blanquefort.
La famille de Bernard appartient donc à la moyenne
noblesse.
André de Montbard fait partie des neuf
premiers membres de l'Ordre du Temple
avec les chevaliers Hugues de Payns et
Godefroy de Saint-Omer, officialisé le
23 janvier 1120 par le concile de
Naplouse puis le 13 janvier 1129 par le
concile de Troyes. C'est à cette date et lors de ce
concile que Bernard de Clairvaux rédige et fait
connaître la règle et les statuts de la milice du
Temple, un Ordre de moines appelés à manier l'épée et à
verser le sang.
En 1130, Bernard de Claivaux communiquera aux
chevaliers du Temple une lettre dans laquelle il
énoncera ses principes : "Pour un chrétien, il est plus
difficile de donner la mort que de la recevoir. Quant au
Templier, il est un combattant discipliné sans orgueil
et sans haine"
|

"Saint Bernard prêche
la
deuxième croisade"
par Émile
Signol (1840), Versailles |
Lorsque le royaume de Jérusalem se trouve menacé après
la chute du comté d'Édesse, le pape
Eugène III
demande à Bernard de Claivaux de prêcher la deuxième
croisade. Elle sera en grande partie lancée par le roi
de France
Louis
VII le
Jeune.
Il
prend la parole le 31 mars 1146,
jour de Pâques, au milieu d'une foule de seigneurs et
chevaliers réunis au pied du versant nord de la colline
de Vézelay. Son discours enflamme la foule et évoque
Édesse profané ainsi que le tombeau du Christ menacé.
Les chevaliers volontaires sont invités à l'obéissance, à
l'humilité et au sacrifice. Après son prêche, on lui
arrachera même des morceaux de sa tunique pour en faire
des reliques... |
Des Cisterciens en 1147 et des Dominicains
en 1206
Dès 1147, des
moines cisterciens sont envoyés pour tenter de
redonner la raison aux Albigeois, mais tous
échouent, et en 1179,
le concile œcuménique de Latran III indique dans le
canon 27 que l'hérésie progresse : « Dans la
Gascogne, l'Albigeois, le Toulousain et en d'autres
lieux, la damnable perversité des hérétiques dénommés
par les uns cathares, par d'autres patarins, publicains,
ou autrement encore, a fait de tels progrès... »
En 1177,
le comte Raymond
V de Toulouse demande à l'abbaye de Cîteaux une
aide pour combattre l'hérésie qui ne cesse de croître.
Le comte et l'abbé Henri de Marsiac organisent alors une
expédition et assiègent Lavaur, l’un des centres de
l'hérésie. Lorsque la cité se rend, deux Cathares sont
capturés et abjurent leur foi, mais l'hérésie reprend de
plus belle.
Et quand le comte
de Toulouse
Raymond VI succède
à son père en 1194,
l'hérésie est trop installée pour envisager une action.
Une partie de la classe dirigeante est déjà convertie
au catharisme.
|
Un autre
épisode important va alors se dérouler au
XIIIe siècle
dans le Razès et elle sera la dernière tentative. En
1206, suite à une rencontre inopinée avec les représentants du pape
sur une route du Languedoc, l'évêque castillan
Diego d'Osma et son chanoine
Dominique de Guzman (ou de Caleruega) tentent à leur
tour de remettre les hérétiques dans le droit chemin. Le
futur Saint Dominique s’apparente aux Parfaits,
parcourant les routes et les campagnes pieds nus. Il va
alors s’arrêter à
Fanjeaux près de Limoux et s’entourer de frères
prêcheurs qui deviendront les Dominicains. Malgré ses
efforts, le succès sera très limité.
Domique de Guzman (Saint Dominique) sera à
l'origine de l'Inquisition, un tribunal d'exception
confié aux Dominicains, un ordre franciscain, et
institué par le pape Grégoire IX en
1233. |

Fangeaux et la croix relative
à Saint Dominique |
Saint Dominique fondera également le monastère
de Prouilhe en 1206 en
relation avec
Mgr Arsène Billard.
En effet, alors qu'il entrait dans
ses fonctions de prêtre en
1881,
Mgr Billard se découvrit
curieusement une passion pour l'église
ND de Prouilhe
qui dépendait de son diocèse et décida sa
restauration. C'était en octobre 1883, et il reçut immédiatement des encouragements du
pape
Léon XIII. La basilique restera
inachevée et le lieu abrite aujourd'hui des
Dominicaines. |

Le monastère de Prouilhe près
de Fanjeaux devenu une basilique inachevée
fondé en 1206 par Saint Dominique |
1207 - Le miracle de Fanjeaux
En 1207, une joute oratoire oppose
Dominique de Guzman à
Guilhabert de Castres, évêque cathare. Pour
trancher le différend, l’ordalie par le feu fut décidée,
équivalent au jugement de Dieu. |
Les écrits des
deux orateurs furent alors jetés dans les flammes. Ceux
de Guilhabert de Castres brûlèrent, alors que ceux de
Dominique de Guzman échappèrent au feu en s’élevant par
trois fois au-dessus du foyer.
Selon les
versions, ce miracle se serait déroulé soit à
Montréal, soit à Fanjeaux. De
plus, il semble qu'une simple feuille se serait élevée
plutôt qu'un livre entier qui aurait échappé aux
flammes.
L'ordalie est
une forme de procès
religieux, issu des coutumes franques, qui consistait à
soumettre un suspect à une épreuve, douloureuse, voire
mortelle. L'issue, théoriquement déterminée par Dieu
lui-même, permettait de conclure à la culpabilité ou à
l’innocence dudit suspect. |

Le miracle de Fanjeaux
par Pedro Berruguete vers
1493 |
1167 - Le concile cathare de
Saint-Félix
Un concile
fondateur du catharisme se serait tenu en 1167
à Saint-Félix-Lauragais, entre Toulouse
et Castelnaudary, une commune française située dans le nord-est de la Haute-Garonne en région Occitanie. Or, il
faut savoir que cet évènement que l'on appelle aussi
"synode de Saint-Félix" fait aujourd'hui l'objet
d'une controverse parmi les historiens contemporains.
Car les enjeux sont importants. Si cet épisode
historique est prouvé, cela
permettrait d'affirmer que le catharisme dans le
Languedoc n'est pas une simple dissidence religieuse et
politique comme beaucoup veulent le faire croire, mais plutôt un
mouvement anticlérical structuré et organisé. En d'autres termes,
la
véracité de ce concile permettrait de valider historiquement et
officiellement l'existence du catharisme dans le
Languedoc.
|

Saint-Félix-Lauragais entre
Toulouse et Castelnaudary
haut-lieu du catharisme dans le Languedoc
|
Le village de
Saint-Félix-Lauragais ne manque pas de caractère. Située
à 40 km de Toulouse, la commune est perchée sur une crête
dominant la plaine de Revel et fait face à l'extrémité
ouest de la Montagne Noire. Sa situation exceptionnelle
et stratégique lui valut d'être conquise par les Romains,
les Wisigoths et les seigneurs féodaux. D'autre part,
Saint-Félix possède un passé très ancien puisqu'elle se trouve sur le chemin de la via Tolosane
du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle.
En
1167, une assemblée de Cathares albigeois et
italiens se serait donc tenue
dans le château de Saint Félix de Caraman. Et la
présidence du Synode de Saint-Félix
aurait été dirigée par un dignitaire originaire des
Balkans,
Papaniquintas (Niquinta
ou
Nicétas), évêque des
Bogomiles et pape des hérétiques de Constantinople. Ce dernier est resté célèbre pour avoir,
semble-t-il,
"consolé" lui-même par imposition des mains
(cérémonie Consolamentum) des évêques cathares du Nord
de la France, d'Albi, de Toulouse, de Lombardie, et de
Carcassonne. Des centaines de "parfaits" réunis à
Saint-Félix auraient donc participés à la
création d'évêchés cathares :
Agen, Toulouse, Albi et
Carcassonne.
Plus tard, en 1226, un cinquième évêché
aurait été fondé à Pieusse, près de Limoux.
Le choix de
Saint Félix n'est pas un hasard, car la
sécurité de l'assemblée cathare aurait alors été placée
sous l'autorité du seigneur du lieu, Guillaume, un
personnage puissant installé sous la souveraineté du
vicomte de Carcassonne acquis au catharisme et au comte
de Toulouse.
Texte de la naissance des
évêchés cathares en Occitanie :
" En
l'An 1167 de l'Incarnation du Seigneur, au mois
de mai, en ces jours-là, l'Église de Toulouse
amène le Pape (ou père) Nicétas au château de
Saint Félix et une grande multitude d'hommes et
de femmes de l'Église de Toulouse et des autres
églises voisines s'y réunit pour recevoir le
consolament que monseigneur le pape Nicétas se
mit à conférer. Ensuite, Robert d'Épernon,
évêque de l'Église des Français vint avec son
conseil ; Marc de Lombardie, de même avec son
conseil ; Sicard Cellerier, évêque de l'Église
d'Albi vint avec son conseil ; Bernard Cathala
vint avec l'église de Carcassonne et le conseil
de l'Église d'Agen fut là " |
Le Synode continua en confirmant
les évêques. Une charte fut ensuite élaborée pour tenter
de dessiner le bornage territorial des évéchés,
notamment ceux de Toulouse et de Carcassonne. Les
limites se dessinent à partir de Saint-Pons, traversant
la montagne, entre le château de Cabaret (Carcassonne)
et celui d'Hautpoul, entre Saissac et Verdun (Toulouse),
entre Montréal et Fanjeaux (anciennes limites du comté
de Lauragais), de la sortie du Razès jusqu'à Lérida. De
manière approximative, les limites sont proches des
évêchés catholiques.
Saint-Félix-Lauragais serait donc le berceau du
catharisme occitan.
|
La charte de Niquinta
L'assemblée
cathare de 1167 a-t-elle vraiment
existé ? La question est posée par les historiens
actuels et l'origine de cette question vient d'un
document. Car, il se trouve que le concile cathare de Saint-Félix
tenu par l'évêque bogomil byzantin Nicétas se
serait terminé par la rédaction d'une charte
appelée « Charte de Niquinta » ou « Charte de Nicétas »
aujourd'hui disparue. Or, cette charte va suivre une
destinée plutôt rocambolesque, alimentant bien sûr la
polémique sur l'existence du catharisme occitan.
Une copie de l'acte original aurait été
réalisée en 1223 par l'évêque cathare
de Carcassonne, Pierre Isarn. Ce fut
ensuite un érudit occitan au
XVIIe siècle, Guillaume Besse,
qui l'utilisa pour son ouvrage "Histoires des ducs,
marquis et comtes de Narbonne" (1660).
Malheureusement, cette copie aurait également disparu.
Il faudra attendre 1949 pour qu'un
prêtre dominicain médiéviste, Antoine Dondaine,
redécouvre cette référence historique et l’exploite à
l’appui
d’une historiographie traditionnelle du catharisme. Ce
dernier découvrira d'autres sources corroborant la
charte.
Suite à la découverte de nouvelles sources, un
colloque est organisé en
1999 à Nice
rassemblant des spécialistes. À la suite de cette
réunion, et ne parvenant pas à trancher sur la
question de l’authenticité du fameux document,
ils décident de faire analyser la source par
l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes
(IHRT). Son directeur, Jacques Dalarun, propose
alors d’en
faire une analyse formelle. Il paraît à la suite
de cette table ronde plusieurs articles aux conclusions
contradictoires ; certains concluant à un faux
datant de 1660, d’autres à un faux du XIIIe siècle, et
enfin l’analyse formelle concluant à un document
authentique. En effet, la probabilité pour que la charte
soit un faux catholique est très faible, car le
style tempéré du texte contraste avec la
virulence utilisée par les auteurs catholiques à
la même époque. L’hypothèse du faux moderne est
quant à elle entièrement rejetée par la
communauté scientifique. Il reste donc
l’hypothèse d'un vrai document cathare. La
charte de Niquinta serait restée dans le milieu
cathare jusqu’au XIIIe siècle, période à
laquelle Pierre Isarn découvre la source,
l'utilise et la fait recopier... |
L'énoncé de
cette charte est important pour les historiens, car il
permet de connaître la réelle expansion de
l'hérésie cathare aux XIIe et
XIIIe siècle. D'autre part, il est clair que
son authenticité demeure un enjeu crucial au sein de la
recherche sur le catharisme et l'hérésie médiévale, et
accréditerait la thèse d'une église cathare organisée. La
charte est d'autant plus remarquable qu'elle fait partie
des sources ne provenant pas de l'Inquisition et qu'elle
est la plus ancienne trace connue d'une assemblée
hérétique dans le Midi de la France.
La charte de Niquita est
aujourd'hui validée par l'ensemble de la communauté
historique (Colloque de Mazamet 2009)
|
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La Charte de Niquinta au format pdf
Version latine
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1199 - Les bases de l'Inquisition sont en place
Depuis le deuxième concile de Latran de
1139,
la lutte contre les hérétiques est au cœur des
préoccupations du Saint-Siège. Les mouvements
manichéens croyant en l’existence du bien et du mal
et de Dieu et du Diable, tels les Cathares,
représentent un risque pour l’unité des pays. Le
25 mars 1199, une bulle papale "Vergentis
in senium" annonce l'Inquisition.
Le pape Innocent III institue en
effet une procédure de lutte contre l'hérésie et des
religieux sont envoyés à Albi... |
1208 - L'assassinat
d'un légat du Pape |
Le pape prend
alors conscience qu’une guerre sainte est inévitable, et
c’est un évènement brutal qui déclenchera les
croisades. En
1208,
Pierre de Castelnau, légat du pape, est assassiné par un
écuyer de Raymond VI, comte de Toulouse et la réaction
ne se fera pas attendre. À l’appel du pape
Innocent III,
les seigneurs du Nord prendront la croix contre les
Albigeois... |

Assassinat de Pierre de
Castelnau |
Pour le roi de
France, il faut rattacher les comtés du Languedoc au
pouvoir royal, mais il s’impliquera tardivement dans la
croisade. L’assassinat de
Pierre de
Castelnau mettra
effectivement le feu aux
poudres en 1208
déclenchant les croisades albigeoises. |

La suite page suivante
Les croisades albigeoises et l'Inquisition |
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