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Les Cathares - Rennes-le-Château Archive

La tragédie des Cathares    1/3         
L'Occitanie et l'hérésie médiévale

Rennes‑Le‑Château ou l'histoire d'un grand secret

 

 

 

    Le Grand Sud-Ouest français qui regroupe aujourd’hui l’Aquitaine et l’Occitanie est une région extrêmement riche en patrimoines et en Histoire. Des personnages très célèbres ont forgé sa culture, son passé et ses traditions comme Aliénor d’Aquitaine, duchesse d’Aquitaine et comtesse de Poitiers, Reine de France et d’Angleterre, Napoléon III et ses constructions révolutionnaires à Saint-Jean-de-Luz, Biarritz ou Pau, Henri IV, roi béarnais de France et de Navarre, Henry Russel et sa grotte du Vignemale, Riquet et son exceptionnel Canal du Midi… Le Sud-Ouest possède aussi des trésors comme la grotte de Lascaux, le gouffre de Padirac, la cité médiévale de Carcassonne, le Gers gallo-romain ou la Gascogne et son fameux garde d'Artagnan... La liste est longue...

   Mais le Sud-Ouest a aussi été marqué par des tragédies et l’histoire des Cathares et du catharisme en est une. Entre le Xe et XIIe siècle, une mystérieuse « hérésie » fait son apparition dans le Midi de la France. Son expansion et sa menace sont telles que l'Église catholique est contrainte de mener une guerre pour l'éradication de cette religion. Trois croisades seront menées par le royaume de France, et il s'agit surtout pour le Roi de dominer tout le Languedoc et l'Aquitaine. La lutte contre les Cathares alias les Albigeois s'achèvera officiellement par la chute de la forteresse de Montségur en 1244, mais elle se poursuivra jusqu'au XIVe siècle.

   Q
ui étaient les Cathares ? Pourquoi ont-ils été persécutés ? Pourquoi cet épisode tragique de l'Histoire de France est-il resté si méconnu ? Quels sont les liens subtils avec l'affaire de Rennes-le-Château ? Qu'en est-il de leur prétendu trésor ? De leurs légendes ? Qui était vraiment Déodat Roché ? Les questions ne manquent pas autour de cette page que l'Histoire tente d'oublier et qui demeure pour beaucoup mal comprise.

   D'autant que quelques historiens (1) réfutent aujourd'hui l'existence même des Cathares, prétendant qu'il ne s'agirait que d'un mythe construit sur une absence totale de source historique. Mieux, la chasse à l'hérétique aurait été organisée par le pouvoir royal pour uniquement intervenir brutalement dans le Midi de la France, un pays dissident. Or, il faut savoir que l'Église de Rome a très largement encouragé le déclenchement de la croisade albigeoise, une guerre cruelle qui se termina par l'Inquisition jusqu'en 1321, date à laquelle fut brûlé le dernier Cathare connu...

   Assisterait-on aujourd'hui à une révision de l'Histoire occitane afin d'adoucir quelques rugosités de la chrétienté médiévale ? Voici quelques rappels historiques afin que chacun puisse construire son propre jugement...

(1) Dans ce contexte, l’Université Paul-Valéry de Montpellier a proposé via son centre d’études médiévales et durant les années 2018-2019, l'exposition "Les Cathares : une idée reçue" qui fut présentée dans plusieurs villes, dont Béziers.

 

Sommaire

 

   L'Occitanie, l'hérésie médiévale et l'émergence du catharisme

  La croisade albigeoise et l'Inquisition

   La tragédie de Montségur - Son histoire et ses mystères

 


La cité de Carcassonne classée au patrimoine mondial de l'UNESCO

 

L'Occitanie et l'émergence du catharisme
L'Occitanie vers le XIIe siècle

   Au XIIe siècle, la France est coupée en deux régions très différentes. Alors qu'au nord de la Loire la royauté est bien installée, imposant à son peuple des règles monarchiques en général mal acceptées, la région du Sud-ouest semble avoir adopté une pensée, une culture, une politique et un mode de vie très différent. Héritant sans doute des pensées et des coutumes de la civilisation romaine, les codes et les lois limitent le pouvoir des puissants et régissent les rapports entre les vassaux et les sujets. Les gens élisent des consuls et des capitouls qui gouvernent et parlent d'égal à égal avec les seigneurs dont ils dépendent. Le Languedoc d'aujourd'hui possédait ainsi la forme la plus avancée des civilisations de l'Occident.

   Ce fonctionnement était évidemment en totale opposition avec la monarchie qui gouvernait le reste de la France. Les habitants du sud-ouest à cette époque étaient cultivés, brillants et même raffinés. On parlait une autre langue, la langue d'Oc (et non d'oïl). La culture et les traditions étaient transmises de château en château par les poètes, les artistes, les troubadours et les musiciens. La joie de vivre et l'amour font partie des chants et des poèmes. Véritable civilisation en avance sur son temps, elle fit naître en Europe le mouvement troubadour, l’idée d'égalité en droit des Hommes, la tolérance raciale et religieuse, et une culture nouvelle de l’amour qui permit la première promotion morale et sociale de la femme. Cette tolérance culturelle extrêmement respectée favorisait les échanges commerciaux. Les villes du Midi languedocien étaient accueillantes, ouvertes à d'autres cultures étrangères, et Toulouse devint la troisième citée d'Europe. Tout était orienté pour faire naître le coeur de l'Occitanie enraciné dans un humanisme profond et généreux.

 
 L’Occitanie est une région culturelle et historique du sud-ouest de l'Europe. Elle est caractérisée par sa culture et sa langue d'Oc qui a donné son nom (Occitanie ou pays d'Oc). Le territoire occitan est défini dès l’Empire romain sous le nom de Viennoise ou de Sept-Provinces, et au début du Moyen Âge sous le nom d’Aquitaine correspondant au royaume wisigoth de Toulouse avant la conquête franque. C'est durant l'époque carolingienne que le royaume retrouve une certaine unité sous le nom de royaume d'Aquitaine ou royaume de Toulouse. La plus grande partie de l’Occitanie est aujourd’hui située en France et le Grand Sud-Ouest français est une entité géographique qui regroupe l’Aquitaine et l’Occitanie.

 


Carte de la langue occitane à la fin du XIIe siècle

 

    À noter que le drapeau de l'Occitanie porte en haut à droite une étoile à 7 branches. Cette étoile adoptée comme emblème par le Félibrige symbolisait les sept provinces de l’Occitanie, dont l’une était catalane. L’Occitanie est en effet divisée par cette association en sept maintenances ou sections dont une était celle de Catalogne-Roussillon.

   En 2016, le nom d’Occitanie fut repris pour la région administrative française Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées qui est située sur une partie de l’Occitanie traditionnelle. La région inclut aussi les Pyrénées-Orientales dont la plus grande partie est de langue catalane.

    Le Félibrige est une association qui œuvre dans un but de sauvegarde et de promotion de la langue, de la culture et de tout ce qui constitue l'identité des pays de langue d'Oc. Son siège social est situé à Arles, au Museon Arlaten.
   Le Félibrige fut fondé au château de Font-Ségugne (Châteauneuf-de-Gadagne, Vaucluse) à l'occasion d'un banquet, le 11 mai 1854, jour de la Saint-Estelle, par sept jeunes poètes provençaux : Frédéric Mistral, Joseph Roumanille, Théodore Aubanel, Jean Brunet, Paul Giéra, Anselme Mathieu et Alphonse Tavan. Ensemble, ils entendaient restaurer la littérature et la langue provençale et en codifier l'orthographe.

 


Les 7 poètes provençaux du Félibrige selon la version relatée par Frédéric Mistral (1830-1914), aussi connue sous le nom de "légende dorée" avec Frédéric Mistral, Joseph Roumanille (1818-1891) assis au centre et père du Félibrige, Paul Giéra (1816-1861), Théodore Aubanel (1829-1886), Alphonse Tavan (1833-1905), Jean Brunet (1822-1894) et Anselme Mathieu (1833-1895)

 

L'essor d'une hérésie médiévale

    À partir du XIe siècle, l'Europe de l'Ouest est en proie à des naissances de foyers hérétiques. En 1022, un certain Adémar de Chabannes, chroniqueur, alerte sur des condamnations à Toulouse de "manichéens" envoyés au bûcher. En 1025, à Arras, des accusés ont avoué que leur croyance les ordonnait à travailler de leurs mains et à faire voeu de chasteté afin de devenir de "Purs chrétiens". Ils sont contre le baptême et toute forme de sacrement, le culte de la Croix, la messe et l'Eucharistie. Le duc d'Aquitaine Guillaume V réunit un concile en 1028 à Charroux afin de combattre ceux qui sont devenus hostiles à l'égard de l'Église catholique romaine et au culte des reliques et des Saints. En 1049, un concile à Reims signale que des hérétiques surgissent dans toutes les parties de la Gaule. À Toulouse en 1056, des hérétiques sont condamnés, mais on leur laisse la possibilité de se racheter. Vers 1030, le prêtre Oldaric prêche contre le culte rendu à la statue de Sainte Foy de Conques.
   Or, dans la même période, la réforme grégorienne est engagée par le pape Grégoire VI puis par Grégoire VII qui sera le principal artisan. Longtemps discutée par plusieurs pontificats entre 1050 et 1120, cette réforme vise à transformer l'Église en la séparant radicalement de la société afin de la doter de pouvoirs considérables. Elle comporte trois points principaux : indépendance du clergé, célibat des prêtres, et structure centralisée autour du pape.
   Inévitablement, une résistance s'installe dès le
XIIe siècle dans la bourgeoisie, et elle dénonce le monopole de la doctrine religieuse du clergé. Une réaction au dogme romain est observée, et un nouveau courant religieux tend à rechercher une foi plus authentique et une existence plus conforme aux Évangiles.

Le pape Grégoire VII
1015-1085
   De plus, des fidèles refusent la corruption de certains clercs et donc leurs sacrements. Le mouvement devient clairement anticlérical. Un prédicateur charismatique, Pierre de Bruis, portera cette parole dans le Rhône et amplifiera la contestation.
   En 1119, un autre fait montre que l'hérésie gagne du terrain. Lors du Concile de Toulouse avec le pape Calixte II, des hérétiques sont signalés avec cette description : "Ils simulent l'aspect religieux, condamnent le sacrement du corps et du sang du Seigneur, le baptême des enfants, le sacerdoce et les autres ordres ecclésiastiques, les liens des mariages légitimes..."  

Pierre de Bruis
    Des mouvements apparaissent en Angleterre, à Reims, en Italie. Tous présentent une doctrine similaire et une opposition à l'Église de Rome.

   Pierre de Bruis très actif dans le Languedoc termine finalement sur le bûcher à Saint-Gilles en 1140 et des hérétiques sont vus à Trèves, à Oxford, à Cologne, dans les Flandres, et dans le nord de la France. Il est clair qu'une hérésie générale se développe, alimentée par l'Église et sa volonté dogmatique.

 


Les hérétiques à Orléans et les premiers bûchers en l'an 1022

 

Une nouvelle religion... Le catharisme

 
 Le catharisme est une religion européenne évangélique hostile à l'Église de Rome qui serait apparue vers 950 ap. J.-C. en Bulgarie sous le nom de bogomilisme du nom d'un prêtre, Bogomile.

   Pourtant, quelques historiens défendent aujourd'hui l'idée que les
Cathares n'ont jamais existé et qu'ils seraient un mythe construit par la rumeur populaire occitane. On peut d'ailleurs lire à propos d'une exposition organisée par l'université Paul-Valéry de Montpellier en 2018-2019 "Les Cathares, une idée reçue" l'affirmation suivante :

   " Les Cathares sont un mythe dont aucune source historique n’atteste l’existence. À l’origine, sous la simple dénomination "d’hérétiques", ils constituent un leurre destiné à justifier l’intervention brutale des troupes royales dans le midi de la France. Ce n’est qu’au XIXe siècle qu’apparaît le terme "Cathare" dans une version de l’histoire médiévale réinterprétée à des fins politiques..."

   La controverse historique viendrait du fait que les historiens du XXe siècle s'appuient sur des sources médiévales fortement influencées par l'Église qui avait intérêt à déclarer une hérésie générale pour intervenir. Selon les dernières études universitaires, la religion cathare et les hérétiques du Sud-ouest n'auraient donc jamais existé en tant que communauté structurée opposée à l'Église, et se basant sur le fait que le terme "cathare" est pratiquement inexistant des écrits historiques. À vous de juger...

Exposition organisée par l'université Paul-Valéry de Montpellier
en
2018-2019
"Les Cathares... Une idée reçue"
ou quand quelques historiens réécrivent l'Histoire...

 

   Pourtant, il existe un ancien document où apparaît un acte de Nicolas, évêque de Cambrai (1164-1167) qui enregistre la condamnation remontée par les évêques de Cologne, de Trèves, de Liège, entre 1151 et 1156, à l'encontre d'un clerc, Jonas, convaincu de l'hérésie des Cathares. Autre fait, un moine bénédictin de Rhénanie, Eckbert de Schönau, alerte en 1163 de la présence d'hérétiques à Cologne, et son texte est intitulé : "Liber contra hereses katharorum". Or, "katharorum" signifie cathare, un terme qui vient du grec "catharos" voulant dire "pur". Le terme cathare ne serait donc pas apparu au XIXe siècle, mais au Moyen Âge contrairement à ce qu'affirment quelques historiens...   
   L'alerte catholique est en tout cas bien réelle. Dans le comté de Toulouse, des mouvements hérétiques s'installent, et ils sont galvanisés par deux prédicateurs qui se font entendre : Pierre de Bruis et Henri de Lausanne. L'Église est alors obligée d'y répondre et envoie en 1145 l'abbé cistercien Bernard de Clairvaux afin de s'opposer à ces sermons.

   Décrété par l'Église comme une hérésie chrétienne, le catharisme se répand dans le sud-ouest de la France médiévale entre le XIIe et le XIVe siècle. Ceci est confirmé par le concile de Toulouse réuni en 1119 et qui relate des agissements et des pensées hérétiques. Absence de sacrement, pas de baptême ou de sacerdoce, plus d'ordres ecclésiastiques sont observés chez ceux que l'on appelle "Bons hommes", Albigeois ou Cathares...

Bernard de Clairvaux (1090-1153)
fondateur de l'abbaye de Clairvaux
   Il faut dire que la France est partagée en deux avec au Nord, le pays d’Oil féodal, et au Sud l’Occitanie où règne le temps des troubadours et l’amour courtois. La manière de vivre et de penser en Occitanie au XIIe siècle favorisa certainement l'expansion fulgurante d'une nouvelle religion, et pour comprendre son origine, il faut remonter au moins au VIIe siècle av. J.-C. et s'intéresser à un personnage de l'Antiquité, le prophète perse Zoroastre.  Ce dernier pensait qu'il existait dans l'univers deux principes irréductibles, le Bien et le Mal, en lutte permanente l'un contre l'autre. Ces idées eurent une influence considérable pendant toute l'Antiquité et elles furent reprises au IIIe siècle ap. J.-C. par le prophète Manès, fondateur de la doctrine manichéenne. Au Xe siècle, en Bulgarie, cette doctrine donna naissance aux Bogomils (de Bogomil, le prêtre fondateur de la secte) qui reprit les idées religieuses manichéennes.

   Cette doctrine très proche du catharisme semble indiquer qu'elle serait bien à l'origine de ce courant religieux, même si d'autres pensent que le catharisme serait issu du christianisme et des doctrines marcionistes (de Marcion) et gnostiques. En résumé, le catharisme serait né en Orient, issu des croyances pauliciennes inspirées des Perses et apparues en Asie Mineure au cours du
VIIe siècle. Les pauliciens auraient ensuite profondément influencé les Bogomils de Bulgarie. Le mouvement manichéen à l'origine du catharisme aurait ensuite atteint l'Italie au cours du Xe siècle, avant de s'étendre au Midi de la France au XIIe siècle.

 

      Zoroastre (pour les Grecs) ou Zarathoustra est un prophète fondateur du zoroastrisme. Étant donné l'époque et l'importance du personnage, sources de nombreuses affabulations, il est difficile de dater sa biographie. Il serait né dans le Nord ou l'Est de l'actuel Iran. Selon la tradition, il aurait vécu entre les VIIe et VIe siècles av. J.-C. mais il semble que l'on repousse aujourd'hui cette estimation pour situer sa vie entre les XVe et XIe siècles av. J.-C.
   Dans la culture européenne, Zoroastre est connu comme un sage et un magicien bien qu'on ne découvrît ses idées qu'à la fin du XVIIIe siècle. On l'associait alors avec les francs-maçons et autres groupes prétendant que Zoroastre avait atteint un « savoir ». Un personnage nommé Sarastro apparaît dans l'opéra "La Flûte enchantée" de Mozart, et représente l'ordre et la morale, par opposition à la Reine de la nuit. Nietzsche parodie le personnage de Zoroastre, l'associant au manichéisme. Il aurait, selon lui, inventé le dualisme moral sous la forme de la Daeva (les forces naturelles) et de l'Ahuras (la raison, le « bien » et le « mal », la morale).

Fresque dans l'ancienne cité de Persépolis (capitale de l'Empire perse)
située dans l'Iran actuel et devenu symbole du zoroastrisme
La cité a été construite entre 521 et 331 av. J.-C.

 

   Les origines de la religion cathare ne sont pas certaines, mais on peut constater des similitudes avec d’autres hérésies en Europe à la même époque. Bien avant l'apparition de cette doctrine, de nombreux moines avaient dénoncé les traditions et les rites complexes de l'Église catholique, le train de vie somptuaire, la corruption morale, les sacrements et les hiérarchies complexes. Les Cathares prêchaient pour plus de simplicité entre les Hommes et Dieu et le retour vers une foi plus austère, moins luxueuse, le retour à une certaine pureté. Dans ce contexte et incapable de se réformer dans ce sens malgré sa réforme grégorienne, l'Église de Rome facilita certainement l'enracinement du catharisme qui se répandit comme une traînée de poudre dans l'ensemble du comté de Toulouse, d'Agen à Béziers et d'Albi aux Pyrénées, donnant aux Cathares le surnom "Albigeois"...

   D'ailleurs, le catharisme ne s'est pas développé uniquement dans le sud-ouest de la France, mais également en Italie du Nord, en Lombardie avec six évêchés, en Allemagne dans la vallée moyenne du Rhin, dans la région de Liège, en Flandre, en Bourgogne et en Champagne.

   Le catharisme propose surtout une interprétation différente des Évangiles, l'éloignant du catholicisme romain et rejetant notamment tous les sacrements de l'Église catholique comme le baptême d'eau, l'Eucharistie ou le mariage. Mais au-delà de ces caractéristiques, les Cathares symbolisent surtout la résistance de l'identité occitane face à l'étatisme français. C'est une hérésie, mais c'est aussi une dissidence...

 

Les Bogomils

   Le mouvement Bogomil, du nom de son fondateur le prêtre bulgare Bogomil Nicétas, prit naissance au Xe siècle en Bulgarie. Le mouvement s'est ensuite développé dans les Balkans puis dans l'Empire Byzantin.
   Selon l'Inquisiteur Anselme d'Alexandrie, l'hérésie se serait répandue en Drugonthie, en Bulgarie, et à Philadelphie. Au cours de la deuxième croisade en 1147, des Francigènes adoptèrent à Constantinople cette doctrine modérée et s'organisèrent en Église. Retournant en France, ces hérétiques instituèrent un évêque de France et influencèrent le sud de la Loire, créant à leur tour quatre évêchés : Carcassonne, Albi, Toulouse et Agen.

Tombes bogomiles en ex-Yougoslavie, une trace des origines du catharisme
   La doctrine est fondée sur un dualisme, l'opposition entre la lumière (le Bien) et les ténèbres (le Mal). Ces mêmes principes sont présents dans les anciennes gnoses telles que chez Basilide et Valentin et ont pénétré les grandes religions, alimentant également les théologies et les sujets philosophiques.
  
   Tournée vers l'Évangile et refusant l'Ancient Testament, la pensée évoque la création comme le résultat d'un dieu obscur. On se rapproche des Cathares qui refusaient le matériel (le Mal). Les trois sacrements, baptême, eucharistie et mariage, sont refusés, de même que la croix chrétienne.

   Ainsi les Messaliens et les Pauliciens présents dans l'Empire byzantin contribuèrent à la pensée bogomile.

Tombe bogomile
    L'hérésie gagne ensuite la Dalmatie et tout particulièrement la Bosnie où le bogomilisme est religion d'État en 1199Seules, quelques tombes marquent le passage de cette religion qui se répandit ensuite probablement dans certaines régions de l'Europe.

 

La doctrine cathare

   Le nom cathare vient du grec catharos signifiant « pur »  et il exprime une partie de la doctrine dualiste voulant que l'homme ou la femme doivent atteindre la pureté de l'âme. Si "cathare" est un terme péjoratif donné par les adversaires, eux-mêmes s’appelaient « Bons hommes », « Bonnes dames », « Bonnes femmes » ou « Bons chrétiens ».

   Basée sur le christianisme, la religion cathare critique la richesse ostentatoire et l'abus de pouvoir de l'Église romaine. C'est aussi un retour au christianisme des premiers siècles, les albigeois voulant en effet revenir à « l’Église des Apôtres » et vivre leur foi comme les premiers chrétiens. Les Cathares revendiquent une religion plus proche de la chrétienté primitive, respectant l'idéal de vie et de pauvreté du Christ. Cette croyance dualiste repose en fait sur l'existence de deux mondes : l'un bon et l'autre mauvais. Le premier, bon, est le monde invisible des créatures éternelles résultant de la création de Dieu le Père. L'autre est le monde visible qui est l'œuvre du diable, un univers rempli de créatures vaines et corruptibles, et qu'ils ne peuvent imputer à Dieu.

   Cette doctrine fait trembler le Vatican et le royaume de France, et la question de départ est celle-ci : "Puisque Dieu, dont la toute puissance est limitée par une bonté infinie, existe, pourquoi tolère-t-il le mal ?". La réponse est portée par les Cathares : "Le monde matériel est la création de Satan. Seul appartient au bien le monde éternel, celui du vrai Dieu. Quant à l'Homme, c'est un ange déchu qui ne pourra se libérer que par l'éveil de l'esprit et de la réincarnation"
La rupture avec l'Église de Rome est claire...

   Ces deux mondes ont généré deux pensées cathares distinctes. La première est modérée, proche du monothéisme, croyant à un dieu tout-puissant créateur des quatre éléments. La seconde est radicale, avec le bien et le mal. Ces croyances déterminent dans le monde cathare trois ordres distincts : les modérés de Bulgarie, les absolus de Dragovitza et les nuancés de Slavonie.

   Durant sa vie terrestre considérée comme une épreuve, l'Homme cathare doit donc s'efforcer, par une conduite appropriée, de rompre avec les besoins superflus, la matière et le monde physique. Le matériel représente le Mal auquel est opposé le Bien, c'est-à-dire l'âme purifiée, ignorant les désirs du corps. On voit apparaître ici l'origine manichéenne remontant au moins au VIIe siècle av. J.-C.
   Comme les Manichéens et avant eux les Mazdéens avant Zoroastre, la doctrine cathare est fondamentalement une doctrine solaire comme nous le verrons à Montségur.

   Ceux qui parviennent à purifier leur âme se reposent à jamais dans le Bien après la mort. Les autres doivent se réincarner indéfiniment. En effet, les albigeois croient à la réincarnation, jusqu’à ce que l’âme soit prête après plusieurs vies terrestres à rencontrer Dieu. Ainsi, la mort n'est pas redoutée, car elle signifie la délivrance. Ce mépris de la mort leur donna très certainement l'énergie nécessaire pour combattre le roi de France et le pape lors de la terrible croisade albigeoise. Notons que le concept de réincarnation est révolutionnaire dans l'Europe du Moyen Âge.
     Les Cathares ne pratiquent qu’un seul sacrement : le « Consolament », une forme de baptême qui équivaut également à une ordination puisque les hommes et les femmes l’ayant reçu constituent le clergé cathare. Un seul livre sacré les guide : l'Évangile selon Saint Jean, et une seule prière quotidienne les anime : le Pater.
Un ou deux jeûnes hebdomadaires rythment leur vie. Il existe aussi une forme de confession publique nommée Apparellumentum et qui se déroule devant d'autres croyants forçant l'honnêteté, le respect et l'humilité.  

Le consolament
    Les Cathares opposent le Dieu de l’Ancien Testament qui serait le diable, à celui du Nouveau Testament. Toute la création, y compris la chair, serait donc une œuvre démoniaque. Par conséquent, Jésus qui n'est pas Dieu incarné (Dieu ne se serait pas abaissé à s’incarner dans cette chair impure) ne serait en réalité qu’un envoyé de Dieu destiné à montrer aux Hommes la voie du salut. C’est une des raisons pour laquelle les Cathares refusaient le symbole de la Croix.

   En résumé, le catharisme est une doctrine dualiste et égalitaire entre homme et femme, abolissant les privilèges et prônant la vertu, l'humilité et la sagesse.

 

Rites et moeurs des Cathares

   Les Cathares vivaient en communauté dans les villes et les villages, et pratiquaient essentiellement des activités manuelles. Ils étaient de préférence habillés en noir, excepté durant la période de répression où ils se limitaient à une ceinture noire sous les vêtements.

   Le rapport des Cathares à l'amour et à la femme est étonnant. S'ils prêtaient à la femme une influence dans l'ascension vers Dieu, ils affirmaient aussi que seules les vies successives leur permettraient de se délivrer de l'amour charnel afin d'accéder à l'amour pur et platonicien.

   Contrairement à ce que l'on peut souvent lire, les Cathares avaient instauré une hiérarchie précise et des degrés d'initiation. Il faut distinguer les "Croyants" et les "Parfaits", ce dernier nom provenant des Inquisiteurs qui désignaient ainsi ceux qu'ils considéraient comme de parfaits hérétiques.
   Les Croyants constituaient donc le premier degré des Cathares, et ils devaient marquer le respect par une génuflexion devant chaque Parfait qu'il rencontrait ou qu'il recevait. S'ils désiraient monter dans la hiérarchie, la pratique de l'ascèse durant un temps requis (recueillement spirituel) permettait au Croyant d'obtenir un degré d'initiation supplémentaire et de devenir "cathéchumène". 

   Les Cathares refusant tout sacrement, la cérémonie du mariage devait être simple, mais les Croyants pouvaient aussi choisir l'union libre. Dans ce cas, des noces spirituelles suffisaient à célébrer l'union.

   Les parfaits ou Bonhommes se situent à un échelon supérieur dans l'initiation. Ils ont une fonction s'aparentant aux prêtres et reçoivent le "Consolamentum" (cérémonie initiatique). Ils devaient mener une vie austère, respecter des codes et des règles strictes, et étaient astreints à jeûner fréquemment, une série d'aliments leur étant défendus, notamment ceux d'origine animale. Ils devaient aussi faire voeu de pauvreté et de chasteté. L'absence de temple ou d'église n'empêchait en rien la pratique de la foi ni la prédication. Les Parfaits pouvaient prier et prêcher en place publique ou dans les habitations.
   Avant les grandes fêtes de l'année : Pâques, Pentecôte et Noël, trois jeûnes de quarante jours étaient obligatoires. Le reste du temps, ils devaient respecter la chasteté et un régime végétarien. Les Bonshommes acceptaient également les Croyants à leur repas frugal correspondant à l'agapa des premiers chrétiens.

   Les croyants voulant devenir parfaits devaient s'appliquer les mêmes règles : ne plus mentir ni jurer, ne pas tuer, porter secours et assistance aux pauvres, et respecter une abstinence absolue, et effectuer la seule cérémonie autorisée, le "Consolamentum". Selon des sources historiques, 10 000 à 20 000 candidats se présentaient pour devenir "pur", ce qui est à la fois beaucoup et peu. Ce rite était aussi pratiqué dans des grottes, notamment à Ussat et à Ornolac dans l'Ariège.

 

LE CONSOLAMENTUM (Consolation)

   Le croyant candidat devait d'abord pratiquer "l'astencia" (abstinence) consistant à une suite de jeûnes stricts appelés "catharsis" par l'officiant. La cérémonie du consolamentum se déroulait de préférence sur des sommets comme à Montségur ou à Lastours, ou dans une grotte. La signification est liée à la position de l'âme du Croyant et à l'alignement du site par rapport au Soleil levant et au solstice d'hiver. Aux offices du matin et du soir, le Pater était récité plusieurs fois, puis suivaient les premiers versets de l'Évangile de Jean « Au commencement était le verbe... », plus un acte d'admiration du Père, du Fils et du Saint-Esprit suivis de commentaires du même Évangile.

   Le postulant étant prêt, il comparaissait alors devant la communauté qui décidait par vote s'il était assez « fort » pour entrer dans le chapitre. S'il était marié, il devait d'abord présenter un écrit de son conjoint le déliant de ses engagements conjugaux. On lui faisait promettre que désormais il ne mangerait plus de viande, d'œufs, de fromage, ou toute autre nourriture à l'exception de plats végétaux préparés à l'huile et au poisson « Promet qu'à l'avenir tu ne mangeras aucune substance qui ne soit végétale ou aquatique que tu ne mentiras point, que tu ne jugeras pas, que tu ne commettras pas d'impuretés, que tu n'iras pas seul quand tu pourras avoir un compagnon que tu n'abandonneras pas ta joie par crainte de l'eau ou de tout autre supplice ».  

   Le candidat devait ensuite réciter le Pater ou l'Oraison sainte à la façon des hérétiques.

  Suivait l'imposition des mains et le livre des Évangiles sur la tête. Après quoi, ses initiateurs lui donnaient l'accolade et les membres de la communauté fléchissaient le genou à tour de rôle devant le nouveau parfait.

  Recevant l'accolade de ses initiateurs qui s'agenouillaient ensuite devant lui, le nouveau Parfait était censé sentir descendre sur lui l'Esprit saint.

  Le nouveau parfait recevait alors un costume noir, symbole du monde dont il faut se défendre et une large ceinture contenant les versets essentiels de l'Évangile de Jean.

Les frères franciscains (à droite)
assistant à un Consolamentum cathare
(Enluminure d'une bible commandée par Blanche de Castille et représentant
l'orthodoxie face à l'hérésie
au XIIIe siècle, BNF)

    Les Cathares menaient une vie équilibrée entre les devoirs à l'égard de Dieu et ceux à l'égard des Hommes. Ils étaient respectés et appréciés par la population et les seigneurs occitans.
    Une autre différence importante avec les religieux catholiques concerne la pureté de l'âme. Pour atteindre cette pureté, les Cathares devaient traverser des étapes longues et sévères. Ces initiations pouvaient aller jusqu'au suicide collectif afin de retrouver une nouvelle vie terrestre à travers la réincarnation.

    Les parfaits chargés du ministère de leur église portaient dans un sac ou sur la poitrine un livre liturgique, un textus qu’ils imposaient sur la tête de ceux qu’ils consolaient (qu'ils baptisaient).


Extrait d'une Bible cathare
(musée de Toulouse)
Prière cathare en occitan : "Paire sant, dieu dreiturièr dels bons esperits, que jamai n’as falhit, ni mentit, ni errat, ni doptat per paur de mòrt a prendre al nom del dieu estranh, car nos non èm del mond ni’l mond non es de nos, dona nos a conéisser çò que tu conéisses e amar çò que tu amas."

Traduction : "Père Saint, Dieu juste des bons esprits, toi qui jamais ne trompes, ne mens, n’erres ni ne doutes, de peur d’éprouver la mort au nom du dieu étranger, car nous ne sommes pas du monde et que le monde n’est pas de nous, donne-nous à connaître ce que tu connais et à aimer ce que tu aimes."
    Il faut néanmoins savoir que la grande majorité des rites et des cérémonies cathares a été perdue avec la disparition des textes sacrés.

 

La lutte contre les Cathares

Pourquoi l’Église a-t-elle combattu les Cathares ?

   Devant les hérésies grandissantes en Europe, le catharisme occitan représenta pour l’Église de Rome un danger particulier. Son expansion rapide et sa faculté à convertir des membres du clergé catholique ont certainement joué dans la décision d’intervenir sans délai. Il faut dire que le pouvoir en Occitanie, notamment sous Raymond VI, comte de Toulouse, était plutôt bienveillant envers cette nouvelle religion chrétienne ; une croyance de plus qui fait suite à l’arianisme de la période wisigothique, ou à l’islamisme présent en Espagne.

   De plus, en rejetant les sacrements, l’opulence et la corruption du clergé et du pape, les Cathares s’opposent frontalement à l’Église. D'ailleurs, cette opposition est plus profonde, car elle s’attaque également au système féodal. Les Cathares considèrent en effet qu’une terre doit appartenir à celui qui la travaille. Voici pourquoi cette  rébellion contre la féodalité incite les historiens aujourd'hui a catégoriser le catharisme comme une dissidence et non comme une organisation religieuse anticléricale.
   Pour l'Église de Rome, les Cathares représentaient un danger bien pire que les infidèles juifs et musulmans. Tout en étant chrétiens, les Cathares avaient une autre lecture des Évangiles et refusaient la doctrine des sept sacrements que les théologiens catholiques avaient édictés en tant que dogme dès le début du XIIe siècle.
  


"La victoire de l'Eucharistie sur l'hérésie" par Rubens (Louvre)

    Une autre raison causant le malaise de l’Église catholique concerne le fait de renier le corps et de considérer l’acte sexuel comme impur ce qui décourage la procréation et revient à renier tout simplement la vie terrestre. L’Église se trouva certainement devant un paradoxe dogmatique, elle qui a toujours considéré la femme comme une création diabolique. Autre condamnation de l’Église : le jeûne intégral qui est une forme de suicide programmé.

   Si les croyants cathares étaient très minoritaires dans le Languedoc à la fin du XIIe siècle touchant surtout la bourgeoisie et la noblesse, le mouvement s’enracina très vite, effrayant l’Église de Rome et l’obligeant à réagir vite.

 

De Hautpoul aux Cathares

   Selon la légende, le village fortifié d'Hautpoul dans le Tarn aurait été fondé par Athaulf, roi des Wisigoths en 413. Or, c'est au XIIe siècle que l'Histoire bascule. Hautpoul, ses seigneurs et ses habitants adhèrent à la foi cathare et deviennent hérétiques pour la toute puissante Église catholique. Condamné par le Pape et l'Inquisition, impliqué dans la croisade albigeoise, le village d'Hautpoul se videra peu à peu de ses habitants qui iront s'installer dans la vallée de l'Arnette pour fonder Mazamet...

Le village médiéval d'Hautpoul dans le Tarn

 

La période des missionnaires

   Devant la poussée inexorable du catharisme languedocien, l’Église décide dans un premier temps d’envoyer des missionnaires afin d’évangéliser les fidèles. Entre alors en scène Bernard de Clairvaux, conseiller des rois et prédicateur de la deuxième croisade en Terre sainte, pour réfuter les doctrines cathares.

   En 1145, il accompagne dans le Languedoc Albéric d'Ostie, légat du pape Eugène III, et Geoffroy de Lèves, évêque de Chartres, afin de prêcher contre l'hérésie. Son voyage traverse Poitiers, Bergerac, Périgueux, Sarlat, Cahors, Albi et Verfeil près de Toulouse.

 

1145 - Bernard de Clairvaux à Verfeil

    Au XIIe siècle, l'hérésie progresse très vite et Bernard de Clairvaux va le comprendre. Figure emblématique de la première moitié du XIIe siècle, fondateur de l'Ordre de Citeaux, il prêche aussi la seconde croisade. C'est dans ce contexte qu'il vient aussi prêcher dans le Midi de la France à Verfeil, près de Toulouse. Mais, durant son voyage, ses convictions vont l'inciter à critiquer ouvertement la noblesse locale pour son soutien aux hérétiques. Et pire, à Verfeil, enflammé par son discours sur la foi, les Cathares vont se mettre à protester violemment. La réaction de la population ne se fait pas attendre. Les fidèles venus l'écouter ressortent de l'église et l'empêchent de parler en créant du bruit. Furieux, Bernard de Clairvaux quittera la ville en la maudissant et prononcera ces mots : « Verfeil [verte feuille], que Dieu te dessèche ! » tout en se plaignant de trouver des églises désertées par les fidèles...

   Avant de se retirer au monastère de Cîteaux pour des problèmes de santé, Bernard de Clairvaux écrira dans un sermon : « On ne les convainc ni par le raisonnement (ils ne comprennent pas) ni par les autorités (ils ne les reçoivent pas), ni par la persuasion (car ils sont de mauvaise foi). Il semble qu’ils ne puissent être extirpés que par le glaive matériel. »

Bernard de Clairvaux

    Bernard de Clairvaux (Bernard de Fontaine) est né en 1090 à Fontaine-les-Dijon. Moine bourguignon, il réforme la vie religieuse catholique. C'est aussi un directeur de conscience qui promeut l'Ordre cistercien (Ordre de Cîteaux) en recherchant l'amour du Christ par la mortification extrême. Il passe toute sa vie à émouvoir et à entraîner les foules, son objectif dogmatique étant de rallier son Ordre avec la papauté. Par principe conservateur, il fustige son époque et dénie l'économie, le pouvoir et la société du XIIe siècle. Il intervient dans les affaires publiques et défend les droits de l'Église contre les princes temporels, et conseille les papes.  


Bernard de Clairvaux
(1090-1153)

    Il meurt le 20 août 1153 à l'abbaye de Clairvaux. Canonisé en 1174, il devient Saint Bernard de Claivaux et est proclamé Docteur de l'Église catholique en 1830 par le pape Pie VIII.

    Il faut aussi savoir que la famille de sa mère Alèthe (ou Aleth) est de haute lignée. Le grand-père de Bernard de Clairvaux règne sur la seigneurie de Montbard, des terres qui s'étendent entre l'Armançon et la Seine. Son oncle, André de Montbard (1103-1156), est l'un des neuf premiers chevaliers de l'Ordre du Temple, fondateurs et cinquième Grand Maître de l'Ordre entre 1153 et 1156. Il décède le 17 janvier 1156 à Jérusalem et le Grand Maître suivant sera Bertrand de Blanquefort. La famille de Bernard appartient donc à la moyenne noblesse.

    André de Montbard fait partie des neuf premiers membres de l'Ordre du Temple avec les chevaliers Hugues de Payns et Godefroy de Saint-Omer, officialisé le 23 janvier 1120 par le concile de Naplouse puis le 13 janvier 1129 par le concile de Troyes. C'est à cette date et lors de ce concile que Bernard de Clairvaux rédige et fait connaître la règle et les statuts de la milice du Temple, un Ordre de moines appelés à manier l'épée et à verser le sang.

   En 1130, Bernard de Claivaux communiquera aux chevaliers du Temple une lettre dans laquelle il énoncera ses principes : "Pour un chrétien, il est plus difficile de donner la mort que de la recevoir. Quant au Templier, il est un combattant discipliné sans orgueil et sans haine"


"Saint Bernard prêche
la deuxième croisade"
par Émile Signol (1840), Versailles
   Lorsque le royaume de Jérusalem se trouve menacé après la chute du comté d'Édesse, le pape Eugène III demande à Bernard de Claivaux de prêcher la deuxième croisade. Elle sera en grande partie lancée par le roi de France Louis VII le Jeune.

  
Il prend la parole le 31 mars 1146, jour de Pâques, au milieu d'une foule de seigneurs et chevaliers réunis au pied du versant nord de la colline de Vézelay. Son discours enflamme la foule et évoque Édesse profané ainsi que le tombeau du Christ menacé.

   Les chevaliers volontaires sont invités à l'obéissance, à l'humilité et au sacrifice. Après son prêche, on lui arrachera même des morceaux de sa tunique pour en faire des reliques...

 

Des Cisterciens en 1147 et des Dominicains en 1206

    Dès 1147, des moines cisterciens sont envoyés pour tenter de redonner la raison aux Albigeois, mais tous échouent, et en 1179, le concile œcuménique de Latran III indique dans le canon 27 que l'hérésie progresse : « Dans la Gascogne, l'Albigeois, le Toulousain et en d'autres lieux, la damnable perversité des hérétiques dénommés par les uns cathares, par d'autres patarins, publicains, ou autrement encore, a fait de tels progrès... »

   En 1177, le comte Raymond V de Toulouse demande à l'abbaye de Cîteaux une aide pour combattre l'hérésie qui ne cesse de croître. Le comte et l'abbé Henri de Marsiac organisent alors une expédition et assiègent Lavaur, l’un des centres de l'hérésie. Lorsque la cité se rend, deux Cathares sont capturés et abjurent leur foi, mais l'hérésie reprend de plus belle.
   Et quand le comte de Toulouse Raymond VI succède à son père en 1194, l'hérésie est trop installée pour envisager une action. Une partie de la classe dirigeante est déjà convertie au catharisme.  

   Un autre épisode important va alors se dérouler au XIIIe siècle dans le Razès et elle sera la dernière tentative. En 1206, suite à une rencontre inopinée avec les représentants du pape sur une route du Languedoc, l'évêque castillan Diego d'Osma et son chanoine Dominique de Guzman (ou de Caleruega) tentent à leur tour de remettre les hérétiques dans le droit chemin. Le futur Saint Dominique s’apparente aux Parfaits, parcourant les routes et les campagnes pieds nus. Il va alors s’arrêter à Fanjeaux près de Limoux et s’entourer de frères prêcheurs qui deviendront les Dominicains. Malgré ses efforts, le succès sera très limité.
   Domique de Guzman (Saint Dominique) sera à l'origine de l'Inquisition, un tribunal d'exception confié aux Dominicains, un ordre franciscain, et institué par le pape Grégoire IX en 1233.

Fangeaux et la croix relative
à Saint Dominique
   Saint Dominique fondera également le monastère de Prouilhe en 1206 en relation avec Mgr Arsène Billard. En effet, alors qu'il entrait dans ses fonctions de prêtre en 1881, Mgr Billard se découvrit curieusement une passion pour l'église ND de Prouilhe qui dépendait de son diocèse et décida sa restauration. C'était en octobre 1883, et il reçut immédiatement des encouragements du pape Léon XIII. La basilique restera inachevée et le lieu abrite aujourd'hui des Dominicaines.

Le monastère de Prouilhe près de Fanjeaux devenu une basilique inachevée
fondé en 1206 par Saint Dominique

 

1207 - Le miracle de Fanjeaux

    En 1207, une joute oratoire oppose Dominique de Guzman à Guilhabert de Castres, évêque cathare. Pour trancher le différend, l’ordalie par le feu fut décidée, équivalent au jugement de Dieu.
   Les écrits des deux orateurs furent alors jetés dans les flammes. Ceux de Guilhabert de Castres brûlèrent, alors que ceux de Dominique de Guzman échappèrent au feu en s’élevant par trois fois au-dessus du foyer.

   Selon les versions, ce miracle se serait déroulé soit à Montréal, soit à Fanjeaux. De plus, il semble qu'une simple feuille se serait élevée plutôt qu'un livre entier qui aurait échappé aux flammes.

   L'ordalie est
une forme de procès religieux, issu des coutumes franques, qui consistait à soumettre un suspect à une épreuve, douloureuse, voire mortelle. L'issue, théoriquement déterminée par Dieu lui-même, permettait de conclure à la culpabilité ou à l’innocence dudit suspect.

Le miracle de Fanjeaux
par Pedro Berruguete vers 1493

 

1167 - Le concile cathare de Saint-Félix

    Un concile fondateur du catharisme se serait tenu en 1167 à Saint-Félix-Lauragais, entre Toulouse et Castelnaudary, une commune française située dans le nord-est de la Haute-Garonne en région Occitanie. Or, il faut savoir que cet évènement que l'on appelle aussi "synode de Saint-Félix" fait aujourd'hui l'objet d'une controverse parmi les historiens contemporains. Car les enjeux sont importants. Si cet épisode historique est prouvé, cela permettrait d'affirmer que le catharisme dans le Languedoc n'est pas une simple dissidence religieuse et politique comme beaucoup veulent le faire croire, mais plutôt un mouvement anticlérical structuré et organisé. En d'autres termes, la véracité de ce concile permettrait de valider historiquement et officiellement l'existence du catharisme dans le Languedoc.


Saint-Félix-Lauragais entre Toulouse et Castelnaudary
haut-lieu du catharisme dans le Languedoc

 

    Le village de Saint-Félix-Lauragais ne manque pas de caractère. Située à 40 km de Toulouse, la commune est perchée sur une crête dominant la plaine de Revel et fait face à l'extrémité ouest de la Montagne Noire. Sa situation exceptionnelle et stratégique lui valut d'être conquise par les Romains, les Wisigoths et les seigneurs féodaux. D'autre part, Saint-Félix possède un passé très ancien puisqu'elle se trouve sur le chemin de la via Tolosane du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle.

    En 1167, une assemblée de Cathares albigeois et italiens se serait donc tenue dans le château de Saint Félix de Caraman. Et la présidence du Synode de Saint-Félix aurait été dirigée par un dignitaire originaire des Balkans, Papaniquintas (Niquinta ou Nicétas), évêque des Bogomiles et pape des hérétiques de Constantinople. Ce dernier est resté célèbre pour avoir, semble-t-il, "consolé" lui-même par imposition des mains (cérémonie Consolamentum) des évêques cathares du Nord de la France, d'Albi, de Toulouse, de Lombardie, et de Carcassonne. Des centaines de "parfaits" réunis à Saint-Félix auraient donc participés à la création d'évêchés cathares : Agen, Toulouse, Albi et Carcassonne. Plus tard, en 1226, un cinquième évêché aurait été fondé à Pieusse, près de Limoux.

    Le choix de Saint Félix n'est pas un hasard, car la sécurité de l'assemblée cathare aurait alors été placée sous l'autorité du seigneur du lieu, Guillaume, un personnage puissant installé sous la souveraineté du vicomte de Carcassonne acquis au catharisme et au comte de Toulouse.

Texte de la naissance des évêchés cathares en Occitanie : 

   " En l'An 1167 de l'Incarnation du Seigneur, au mois de mai, en ces jours-là, l'Église de Toulouse amène le Pape (ou père) Nicétas au château de Saint Félix et une grande multitude d'hommes et de femmes de l'Église de Toulouse et des autres églises voisines s'y réunit pour recevoir le consolament que monseigneur le pape Nicétas se mit à conférer. Ensuite, Robert d'Épernon, évêque de l'Église des Français vint avec son conseil ; Marc de Lombardie, de même avec son conseil ; Sicard Cellerier, évêque de l'Église d'Albi vint avec son conseil ; Bernard Cathala vint avec l'église de Carcassonne et le conseil de l'Église d'Agen fut là "

    Le Synode continua en confirmant les évêques. Une charte fut ensuite élaborée pour tenter de dessiner le bornage territorial des évéchés, notamment ceux de Toulouse et de Carcassonne. Les limites se dessinent à partir de Saint-Pons, traversant la montagne, entre le château de Cabaret (Carcassonne) et celui d'Hautpoul, entre Saissac et Verdun (Toulouse), entre Montréal et Fanjeaux (anciennes limites du comté de Lauragais), de la sortie du Razès jusqu'à Lérida. De manière approximative, les limites sont proches des évêchés catholiques.
Saint-Félix-Lauragais serait donc le berceau du catharisme occitan.

 

La charte de Niquinta

    L'assemblée cathare de 1167 a-t-elle vraiment existé ? La question est posée par les historiens actuels et l'origine de cette question vient d'un document. Car, il se trouve que le concile cathare de Saint-Félix tenu par l'évêque bogomil byzantin Nicétas  se serait terminé par la rédaction d'une charte appelée « Charte de Niquinta » ou « Charte de Nicétas » aujourd'hui disparue. Or, cette charte va suivre une destinée plutôt rocambolesque, alimentant bien sûr la polémique sur l'existence du catharisme occitan.

    Une copie de l'acte original aurait été réalisée en 1223 par l'évêque cathare de Carcassonne, Pierre Isarn. Ce fut ensuite un érudit occitan au XVIIe siècle, Guillaume Besse, qui l'utilisa pour son ouvrage "Histoires des ducs, marquis et comtes de Narbonne" (1660). Malheureusement, cette copie aurait également disparu. Il faudra attendre 1949 pour qu'un prêtre dominicain médiéviste, Antoine Dondaine, redécouvre cette référence historique et l’exploite à l’appui d’une historiographie traditionnelle du catharisme. Ce dernier découvrira d'autres sources corroborant la charte.

    Suite à la découverte de nouvelles sources, un colloque est organisé en 1999 à Nice rassemblant des spécialistes. À la suite de cette réunion, et ne parvenant pas à trancher sur la question de l’authenticité du fameux document, ils décident de faire analyser la source par l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes (IHRT). Son directeur, Jacques Dalarun, propose alors d’en faire une analyse formelle. Il paraît à la suite de cette table ronde plusieurs articles aux conclusions contradictoires ; certains concluant à un faux datant de 1660, d’autres à un faux du XIIIe siècle, et enfin l’analyse formelle concluant à un document authentique. En effet, la probabilité pour que la charte soit un faux catholique est très faible, car le style tempéré du texte contraste avec la virulence utilisée par les auteurs catholiques à la même époque. L’hypothèse du faux moderne est quant à elle entièrement rejetée par la communauté scientifique. Il reste donc l’hypothèse d'un vrai document cathare. La charte de Niquinta serait restée dans le milieu cathare jusqu’au XIIIe siècle, période à laquelle Pierre Isarn découvre la source, l'utilise et la fait recopier...

    L'énoncé de cette charte est important pour les historiens, car il permet de connaître la réelle expansion de l'hérésie cathare aux XIIe et XIIIe siècle. D'autre part, il est clair que son authenticité demeure un enjeu crucial au sein de la recherche sur le catharisme et l'hérésie médiévale, et accréditerait la thèse d'une église cathare organisée. La charte est d'autant plus remarquable qu'elle fait partie des sources ne provenant pas de l'Inquisition et qu'elle est la plus ancienne trace connue d'une assemblée hérétique dans le Midi de la France.

    La charte de Niquita est aujourd'hui validée par l'ensemble de la communauté historique (Colloque de Mazamet 2009)

La Charte de Niquinta au format pdf

Version latine

 

1199 - Les bases de l'Inquisition sont en place

   Depuis le deuxième concile de Latran de
1139, la lutte contre les hérétiques est au cœur des préoccupations du Saint-Siège. Les mouvements manichéens croyant en l’existence du bien et du mal et de Dieu et du Diable, tels les Cathares, représentent un risque pour l’unité des pays. Le 25 mars 1199, une bulle papale "Vergentis in senium" annonce l'Inquisition. Le pape Innocent III institue en effet une procédure de lutte contre l'hérésie et des religieux sont envoyés à Albi...

 

1208 - L'assassinat d'un légat du Pape
   Le pape prend alors conscience qu’une guerre sainte est inévitable, et c’est un évènement brutal qui déclenchera les croisades. En 1208, Pierre de Castelnau, légat du pape, est assassiné par un écuyer de Raymond VI, comte de Toulouse et la réaction ne se fera pas attendre. À l’appel du pape Innocent III, les seigneurs du Nord prendront la croix contre les Albigeois...
Assassinat de Pierre de Castelnau
   Pour le roi de France, il faut rattacher les comtés du Languedoc au pouvoir royal, mais il s’impliquera tardivement dans la croisade. L’assassinat de Pierre de Castelnau mettra effectivement le feu aux poudres en 1208 déclenchant les croisades albigeoises.

 



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Les croisades albigeoises et l'Inquisition