Après de
nombreuses années de randonnées dans le Razès, on croit avoir
tout vu, tout visité... Quelle erreur magistrale ! Ceux qui
affirment connaître les moindres recoins de cette région si
particulière ne peuvent être pris au sérieux.
Chaque promenade offre aux
curieux infatigables d'étonnants petits détails qui une fois
approfondis, amènent souvent à la découverte de belles histoires
et à son lot de questions.
Voici un exemple qui est
aussi un complément à notre cher mystère de Rennes...
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La mairie d'Alet‑les‑Bains |
Car qui aurait
pu croire que le jardin de la mairie d'Alet protège une curieuse
construction rappelant, entre autres, un certain aménagement de
l'insolite curé
Bérenger
Saunière ?
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Alet‑les‑Bains est connu pour ses
thermes, son ancienne abbaye du XIIe siècle,
son eau minérale et surtout pour son évêque
Nicolas Pavillon.
La commune est aujourd'hui un petit village audois d'environ 460
habitants, situé à 6 km au sud de Limoux. Sa mairie est
installée avenue Nicolas Pavillon, dans une ancienne maison de
maître. |
Le portail de la mairie d'Alet |
Un résineux du Nevada vous accueille |
Le premier étonnement débute à l'entrée où un superbe portail de
château met en valeur le nom du domaine, "Villa Livadia".
Juste derrière, un arbre disproportionné semble garder une
grande maison bourgeoise dans le pur style du 19e
siècle, la mairie d'Alet. |
Détail du portail de la Villa Livadia |
Puis le
regard se tourne vers une pancarte clouée sur ce gigantesque
arbre centenaire. De nombreux touristes ont certainement croisé
cet arbre majestueux, ainsi que ce panneau, mais sans se
demander qui était réellement
Mr Cubat et
pourquoi eut‑il la saugrenue idée de planter un arbre des
Rocheuses au milieu du parc de la mairie...
Le
Wellingtonia géant
est en fait un
Séquoia
connu pour posséder le volume le plus imposant de la planète.
Celui‑ci fut planté en
1896,
alors que
Saunière
finissait la restauration de son
église Marie‑Madeleine.
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Un cuisinier prestigieux
Peu de gens le
savent, mais
Pierre Cubat
(1847‑1922) fut un très grand chef cuisinier qui partagea sa vie
entre la Russie (à Saint Petersbourg) et la France. |
Pierre Cubat naquit dans l'Aude à Alet en
1844. Son
avenir était déjà tout tracé puisque ses frères Louis et André
étaient déjà des cuisiniers reconnus. Plein de talent et surtout
ambitieux, il comprit très rapidement que pour faire une belle
carrière dans l'art culinaire il fallait se rapprocher des
tables les plus réputées et les plus somptueuses de son époque.
Après un apprentissage à Carcassonne il monta à Paris vers
1867 et entra au Café Anglais sous la direction d'Adolphe
Dugléré. Un premier fait marquant fut sa participation à la
réalisation d'un diner, celui des 3 empereurs (Alexandre II,
Guillaume Ier et le Prince de Bismarck).
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Pierre Cubat (1847‑1922) |
Mais
Paris n'était qu'une étape. Il partit ensuite pour la Russie à
Saint Petersbourg et commença une carrière chez un grand
duc.
Alors que son talent s'affirmait de jour en jour, un invité
inhabituel vint déjeuner : le Tsar Alexandre II. A ce
moment un concours de cuisine avait lieu au palais impérial et
Pierre Cubat eut l'autorisation d'y participer. Il put ainsi
montrer tout son savoir faire durant une semaine. L'empereur,
convaincu par cette cuisine plus tournée vers les saveurs plutôt
que vers la décoration dont il avait l'habitude, nomma Cubat
Chef cuisinier.
C'est un nouveau tournant pour sa carrière. Installé au
Palais d'hiver de
Saint Petersbourg, Pierre Cubat pouvait enfin rayonner et
c'est ce qu'il fit. Sa cuisine talentueuse s'adapta très vite
aux fêtes grandioses et aux réceptions princières. Mariages et
galas se succédaient lui permettant à chaque fois de se
surpasser. Sa renommée était enfin là, sublimée par toutes les
célébrités de l'Empire qui défilaient à sa table.
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Le 13 mars 1881 le Tsar Alexandre II est assassiné.
Pierre
Cubat
continua pendant deux ans à travailler pour Alexandre III au
palais, mais le cœur n'y était plus. Il choisit alors de revenir
dans l'Aude en
1883
et d'investir dans un vignoble. Mais ce projet prit fin très
vite. Ruiné par le phylloxéra (un puceron qui ravage les vignes)
Pierre Cubat fut contraint de trouver une autre voie.
Après cet échec, le chef cuisinier repartit donc pour la Russie
et de nouveau à Saint Petersbourg, là où il excella parmi les
plus grands du pouvoir impérial. Il prit la responsabilité du
café de Paris et côtoya à nouveau de célèbres personnages de
l'Empire. |
Le Tsar Alexandre II
(règne 1855‑1881) |
Le Palais d'hiver à Saint Petersbourg |
Cette fois‑ci le
succès est de retour. Il ouvrit également le restaurant
"Cubat" et sur cette
réussite retrouvée, le Prince Orloff l'embaucha à son service.
Pourtant le cuisinier a d'autres rêves...
Ce fut en effet à Paris que Pierre Cubat voulut
poursuivre sa carrière, car l'homme était ambitieux. Il acheta
au 25 avenue des Champs‑Élysées un hôtel, "La Païva",
encore visible aujourd'hui. Ce lieu de grand luxe fut construit
par l'une des femmes les plus en vue du Paris du 19e
siècle : "La Païva" (1819‑1884). Née à Moscou, elle fit fortune
en rencontrant le riche pianiste
Henri Herz qui lui fit connaître
Franz Liszt et
Richard Wagner. L'hôtel était tout simplement un
établissement de charme ("On paie et on y va..." Païva).
De son vrai nom,
Esther Lachmann, la marquise de Païva, une demi‑mondaine,
grande amatrice de bijoux et de diamants, avait aussi du gout
pour la décoration et l'architecture. Son hôtel qui couta une
fortune rivalise avec les plus prestigieux salons de l'époque.
Meubles, tapisseries, dorures, peintures et orfèvrerie font de
cet endroit un véritable écrin où s'encanaille toute la haute
aristocratie parisienne et étrangère. Tout rappelle la marquise,
qui dit‑on, dormait entre deux coffres, l'un d'or et l'autre de
bijoux...
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Un salon de l'Hôtel particulier "la Païva"
à Paris, avenue des Champs‑Élysées |
L'hôtel de la Païva fut construit entre
1856 et 1865 par la marquise
de la Païva qui épousa un riche Portugais,
le marquis de Païva, mais il se suicida un an plus tard.
Elle épousa ensuite son bailleur
de fonds, un cousin de Bismarck,
le comte prussien Henckel von Donnersmarck,
multimillionnaire. Son rêve
pouvait alors se réaliser :
construire sa propre maison sur
la plus belle avenue du Monde. Elle
fit venir un architecte célèbre
Pierre Mangain
et fit construire un hôtel où
elle recevra des célébrités comme
les Goncourt,
Théophile Gautier ou
Gambetta…
En achetant ce joyau en
1895
(aujourd'hui
classé aux monuments historiques), Pierre Cubat
poursuivait une idée : convertir cet établissement fermé depuis
10 ans en un luxueux restaurant, le plus renommé d'Europe, rien
que çà...
C'est aussi en 1896 qu'il fit construire à
Alet‑les‑Bains, son village d'enfance, une maison de maitre,
la villa Livadia, du nom d'un palais d'été russe.
Son rêve finit par se réaliser. L'Hôtel Païva devint
effectivement un restaurant de luxe, attirant toute la haute
bourgeoisie parisienne. Le Tsar Nicolas II viendra même y
déjeuner à l'occasion de l'inauguration du pont Alexandre III.
Mais sa cuisine reste chère et le talentueux cuisinier était
plus doué dans l'art culinaire qu'en affaire. La visite du Tsar
fut à nouveau pour lui une occasion de revenir en Russie,
ce qu'il fit. Son frère Louis reprendra
La Païva, mais le
restaurant fermera définitivement ses portes en
1903.
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Le tsar Nicolas II et sa famille
impériale, la dernière... |
Le Tsar Nicolas II lui offrit une belle carrière et une
rente en tant que lieutenant‑colonel de l'armée russe
(Kamer‑Fourrier). Mais nous sommes en
1905 et la
Révolution russe se prépare.
Pierre Curbat n'attendra pas les premiers évènements violents.
Il revint en France en
1905 et passera une
partie de sa retraite dans sa résidence principale à Alet, la
villa Livadia. Très affecté par le massacre de la famille
impériale de Russie, il décéda le
6 octobre
1922, à l’âge de
78 ans. Il fut enterré dans le
cimetière d'Alet avec son uniforme de Kamer‑Fourrier.
A la mort de Pierre Cubat, sa veuve légua
la maison d’Alet à la commune. Roger Peyrefitte,
le célèbre écrivain, y séjournera et la mairie finira par s'y
installer.
(biographie extraite du discourt rendu en son honneur en 1957
à l'académie culinaire de France)
Le 17 juillet 1918, le tsar Nicolas II
et tous les membres de sa famille, retenus prisonniers par les
bolcheviks, sont assassinés sans jugement à Ekaterineburg, à
l’est de l’Oural. Ce fait sera ressenti comme un véritable
symbole et la fin de plusieurs siècles de l'histoire russe
(équivalent à l’exécution de Charles 1er en Angleterre ou de
Louis XVI en France).
Le tsar qui régna à partir de 1894 abdiqua en 1917, mais sa
demande de droit d’asile lui fut refusée par les Britanniques.
Transféré en Sibérie, il sera fait prisonnier par les
bolcheviks. Une sentence de mort fut alors prononcée secrètement
pour le Tsar et sa famille par Yakov Sverdlov.
La police secrète bolchevik assassinera le tsar et sa famille
ainsi que quelques serviteurs dans la nuit du 16 au 17 juillet
1918 dans une pièce de la maison Ipatiev à Ekaterinburg.
Le massacre de la famille Romanov, d’abord nié puis justifié,
fut très mal vécu par l'ensemble des pays occidentaux, marquant
le début d'un siècle d'instabilité et de conflits. Nicolas II
fut tué pour ce qu'il représentait et non pour ce qu'il fit. Il
était connu pour être bon loyal, généreux et humaniste.
Après des années de recherches, leurs restes furent retrouvés 80
ans plus tard dans une forêt et ensevelis dans la nécropole
impériale de la cathédrale Pierre et Paul, à Saint‑Pétersbourg.
Le 27 août 2010 la décision de la Cour suprême autorisa la
réouverture d'une enquête sur le meurtre du Tsar et de sa
famille, ce qui permettra peut‑être au peuple russe de connaître
enfin la vérité sur cette période noire de leur histoire.
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Un angle du jardin de la Villa Livadia à
Alet |
Vous l'aurez compris. Cette maison fut construite par un
cuisinier prestigieux qui côtoya les plus grands puissants
d'Europe entre
1870 et 1905, devenant même un intime de la famille du
Tsar Nicolas II. |
Au fond du jardin de Cubat une curieuse
grotte sert de rocaille |
Une grotte artificielle dans le jardin de la mairie
Les curiosités ne sont pourtant pas terminées. A gauche en
entrant dans le jardin, une discrète rocaille se cache dans le
décor végétal. |
En fait il ne s'agit pas d'une rocaille, mais d'une grotte
artificielle faite d'une pierre de rivière qui ne manque pas de
rappeler celle qu'utilisa
Bérenger Saunière pour construire sa caverne dans
le
jardin de l'église entre
1892 et 1893.
Selon les
témoignages des villageois Saunière partait tôt le matin avec
une hôte et revenait le soir, son panier rempli de roches que
l'on trouve dans le lit des rivières. La légende raconte qu'il
aurait utilisé ce stratagème pour cacher le transport d'objets
de toute autre nature...
La grotte de Saunière
reconstituée aujourd'hui |
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Si deux ouvertures ont une utilité, la
troisième est plutôt décorative... |
Nous voici donc devant un détail qui plonge immanquablement le
passionné de Rennes vers de nouvelles interrogations. Cette
fausse caverne à 3 ouvertures fut construite sans doute vers
1896
avec la villa, soit 3 ans après Saunière, et par notre
célèbre cuisinier franco‑russe.
S'agit‑il d'une mode répandue à cette époque ou de toute autre
chose ? Car on ne peut s'empêcher de rapprocher ces
constructions de celles qu'effectua le prêtre
Jean Rivière
à Espéraza dans
son église. |
La sépulture du Christ construite par l'abbé Rivière |
Rappelons que l'abbé Rivière construisit deux grottes
dans sa paroisse, l'une représentant Lourdes et l'autre une
sépulture du Christ, ceci après avoir reçu la confession de
Saunière peu avant sa disparition. |
Au fond de la caverne de Cubat, une petite cavité faisant office
de tabernacle et fermée par deux volets métalliques, protège un
culte. Aucun doute, cette grotte comme celle de Saunière avait
pour vocation le recueillement religieux et pourquoi pas
initiatique.
D'ailleurs il
existe un détail qui a son importance : Cet emplacement fut
choisi sans doute du fait de la présence d'une source, comme le
veut tout lieu initiatique. En effet, si l'on observe l'image et
la paroi sous le tabernacle, une petite rigole fait le tour de
la grotte et passe devant la troisième petite ouverture (voir
l'image ci‑dessous). La source existe toujours, mais elle est
aujourd'hui détournée vers une fontaine publique extérieure, de
l'autre côté du mur.
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Même artificielle, cette grotte ne manque
pas de nous interroger... |
On ne peut malheureusement plus affirmer avec certitude si cette
grotte avait quelques similitudes avec celle de l'abbé Saunière,
cette dernière ayant été entièrement reconstruite. Mais une
chose est certaine, Saunière n'était pas l'unique bâtisseur de
fausse grotte en cette fin du 19e siècle. Une autre
caverne existe également à
Campagne sur Aude dans l'ancien Hôpital Sanitaire, sans
oublier celle du champion hors catégories des cavernes
religieuses artificielles, l'abbé de Carol,
le père
Louis de Coma...
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